Babonneau
Life
Imprimatur :
Fr. G.-A.
NESPOULOUS,
o. p. Prior
Provinc.
PARIS. —
IMP. v. GOUPY et JOURDAN, RUE de Rennes, 71.
LE P.
BABONNEAU
De l’ordre
de Saint Dominique.
LE BIENHEUREUX
GRIGNION DE MONTFORT
tertiaire dominicain
apôtre du sacré-coeur, de la croix et du rosaire
L'HOMME — LA PAROLE — L'ŒUVRE
deuxième
édition
PARIS
AUX BUREAUX
DE L'ANNÉE DOMINICAINE
94, RUE DU BAC,
94
1888
I – L’HOMME. 5
II - LA PAROLE. 18
III - L'ŒUVRE. 30
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 41
NOTE DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL VILLEC0URT, RELATIVEMENT AUX INTERDITS DU
BIENHEUREUX MONTFORT. 41
RÉPONSES QU'OPPOSE LE BIENHEUREUX AUX BLAMES QUE SOULEVAIT SA CONDUITE. 42
CANTIQUE COMPOSÉ PAR LE BIENHEUREUX POUR LA CÉRÉMONIE DE L'AMENDE
HONORABLE. 45
Ces trois discours ont
été prononcés à Nantes, dans l'église de Saint-Similien, à l'occasion du
Triduum célébré en l'honneur de la Béatification du Père de Montfort.
J'ai cédé, en les
publiant, à de nombreuses et honorables sollicitations.
Je les offre, tout
d'abord, aux Nantais, mes chers concitoyens. Ce n'est que justice, puisqu'ils
ont été composés pour eux.
Je les offre ensuite aux
Associés du Rosaire, dont le Bienheureux a été, dans nos temps modernes,
l'apôtre le plus zélé.
Je les offre enfin aux
amis de notre Ordre, qui a eu le bonheur et la gloire de le compter, parmi ses
membres, à titre de Tertiaire.
Puissent-ils être lus
avec la même bienveillance qu'ils ont été écoutés!
Puissent-ils surtout
répondre à la pensée de l'Église, en contribuant à faire connaître et aimer un
saint trop ignoré!
Parie, 9 novembre 1888,
en la fête de tous les
saints de notre Ordre.
I –
L’HOMME
Non est inventus similis illi
qui conservaret Legem Excelsi.
Il n'a pas eu son pareil
à observer la Loi du
Très-Haut.
(Eccl., 44-30.)
Messeigneurs[1].
Mes Frères,
En l'an de grâce 1708, arrivait
dans cette paroisse, pour y donner les exercices de la Mission, un étonnant
personnage.
Il y était précédé par
une immense réputation de sainteté. Cette réputation, lui-même en avait posé
les bases, lors d'un premier séjour à Nantes, et, depuis, les échos
retentissants de ses travaux en maints endroits l'avaient portée à son comble,
et, certes, la manière dont il se présentait à nouveau n'était pas pour y
porter atteinte.
Il était à pied, seul
mode, à lui connu, de voyager.
A la main, un long bâton,
surmonté d'un grand crucifix, bénit et indulgencié par le pape Clément XI; sous
le bras, son Bréviaire et sa Bible; sur le cœur, une image de la Vierge; à la
ceinture, son Rosaire.
C'était tout son bagage.
Uniquement soucieux de
se dépenser au service de tout le monde, sans rester à charge à personne, il
s'alla loger dans le premier réduit venu, et, après s'y être installé en homme
prêt à repartir, il ouvre la Mission.
Tels furent la sensation
qu'il y produisit, le bien qu'il y fit, le zèle et l'éloquence qu'il y déploya,
que partout s'éleva le même cri : « C'est un saint! Nous avons vu un saint! »
Cette fois, du moins, le
proverbe ne devait pas mentir : la voix du peuple allait être la voix de Dieu.
Environ cent cinquante
ans après, paraissait un premier décret, déclarant héroïques les vertus de
Montfort et proclamant sa personne Vénérable.
Et, quinze ans après le
premier, en paraissait un second, — prélude, nous l'espérons, d'un troisième et
définitif, —pour l'élever aux honneurs de l'autel et illustrer son nom du titre
des Bienheureux.
Pieux habitants de cette
paroisse, vous avez jugé cette circonstance de la béatification du Père de
Montfort trop favorable à la manifestation de vos sentiments, pour la laisser échapper.
Reconnaissants du bien qu'il a fait à vos pères, et, par vos pères, à
vous-mêmes, vous vous êtes levés pour l'acclamer au jour de sa gloire, et lui
offrir, dans l'immense concert de l'Eglise, votre concert particulier.
Honneur à vous !
Et puisque vous avez
bien voulu penser à moi pour être la voix de ces fêtes, j'essaierai de ne pas
trahir votre confiance. Vous en verrez un premier gage dans mon attention
scrupuleuse à me renfermer, pendant ces trois jours, dans la vie de notre
Bienheureux.
Ce soir, je veux me
borner à vous le présenter, et, avant de vous le montrer dans sa parole et ses œuvres,
m'attacher à le faire saillir devant vous dans sa double et austère beauté
d'homme et de saint.
L'homme à lui seul en
vaudrait la peine.
Rien en lui de banal, de
vulgaire, de commun.
Tout vit, tout parle,
tout ressort dans le relief le plus tranché. A des époques plus heureuses, il
eût, sans nul doute, tenté la légende, et il n'a fallu pas moins que le
scepticisme du siècle le plus blasé pour passer, indifférent, devant ce colosse
et laisser sa réputation enfermée dans le cercle étroit de deux ou trois
provinces.
Il était réservé à
l'Église, la grande justicière, de l'en faire sortir, et, en lui prêtant la
vertu de sa catholicité, de la signaler à l'admiration du monde entier.
Essayons donc de répondre
au désir de notre Mère, la sainte Église, en travaillant, pour notre part, à
rendre à Montfort l'entière vérité de sa physionomie.
Mais, avant de
commencer, permettez-moi de saluer et de remercier, en votre nom, les deux
éminents prélats, qui ont bien voulu se joindre à notre évêque bien-aimé, pour apporter
à nos fêtes, avec l'éclat de leur présence, l'appui de leurs sympathies et de
leurs bénédictions. — Touchante délicatesse de la Providence qui réunit, ici,
pour glorifier Montfort, les trois augustes pontifes que Dieu, non sans de
secrets desseins, a constitués les gardiens officiels de son berceau, de sa
tombe et de son œuvre de prédilection : le Calvaire de Pontchâteau !
Mes Frères, dans la vie
des saints, comme dans celle des autres hommes, rien n'est indifférent. Tout
contribue à les faire ce qu'ils doivent être un jour, à commencer par le milieu
où ils apparaissent et le sol d'où ils sont sortis. Montfort en est la preuve.
Né en pleine Bretagne[2],
sur « cette terre de granit, recouverte de chênes. » qui semble communiquer, au
caractère de ses enfants, quelque chose de l'immuable résistance qu'elle oppose
aux flots de la mer, Montfort lui dut cette nature tout d'une pièce, qui reste
aujourd'hui ce qu'elle était hier et ce qu'elle sera demain, qui va droit au
but, dédaigneuse des détours, impatiente des retards, insouciante des
obstacles, inhabile aux ménagements, et surtout incapable des capitulations;
plante exubérante et quelque peu sauvage, dont la grâce utilisera, pour sa
greffe, la sève débordante, sans s'attarder à en polir la rugueuse écorce.
Comme toute physionomie
se résume dans un trait dominant, d'où résulte une impression d'ensemble, la
sienne se résumait dans la force.
La force, tout en lui la
trahissait, sa taille élancée et bien prise, ses membres musculeux, la
coloration et les traits fortement accusés de son visage, et, surtout, la
flamme étincelante du regard qui eût gêné, si la modestie n'en eût voilé les ardeurs.
Telle était
l'exceptionnelle vigueur de cette constitution, que trente années de mortifications
et de flagellations incessantes, que treize années de travaux surhumains
passeront sur elle sans l'épuiser, et que, pour en venir à bout, il ne faudra pas
moins que le poison lent versé par une main criminelle[3].
Vrai don providentiel
que cette force étonnante et le premier indice de la vocation à laquelle il
était appelé !
Outre l'indomptable
puissance de résistance qu'y puisa Montfort dans les écrasantes fatigues de ses
missions, il lui fut redevable du premier de ses titres à son ascendant sur les
populations.
On a beau s'en défendre.
Il n'est personne qui n'éprouve pour la force, même physique, un involontaire
respect. Mais combien plus ce sentiment s'impose-t-il aux hommes, contraints de
demander, à ce genre de force, l'entretien de leur vie.
Quand nos paysans
voyaient passer à travers leurs campagnes, toujours à pied, ce rude
missionnaire qui portait, sans faiblir, le poids des plus longues marches;
Quand, sur la lande de Pontchâteau,
ils le voyaient soulever à lui seul, pour les monter à son Calvaire ou les
charger sur la rivière, des blocs de pierres qui leur avaient résisté ;
Quand, dans les
bourgades de la Vendée, ils le voyaient, imperturbable, se commettre avec les
récalcitrants, pénétrer jusque dans les lieux de réjouissance, pour y réprimer
un désordre nuisible à sa parole, s'attaquer aux esprits forts en sabots et, à
la stupéfaction générale, renverser sur eux leurs tables et leurs brocs, croyez-le,
l'admiration, quelque peu craintive, que provoquait le déploiement d'une telle
force, préparait tout naturellement le terrain au respect et à la liberté de
son apostolat.
D'autant qu'à cette
première impression venait vite s'en joindre une autre. Je veux dire la
confiance qu'inspirait sa douceur.
Sa force, il en avait
hérité de son père, qui, en la lui transmettant, ne lui avait pas épargné le
défaut de cette qualité, l'emportement. — « Sans la grâce, nous avouera-t-il
lui-même plus tard, j'aurais été l'homme le plus terrible de mon siècle. »
L'homme le plus terrible
de son siècle! Il ne devait pas cesser de l'être.
Seulement ce fut contre
lui-même.
Pour tout autre, ce
caractère emporté s'était fondu, aux ardeurs de la grâce, en une inexprimable
douceur qui achevait en lui la puissance de séduction.
C'est qu'en effet si,
seule, la force éloigne encore plus qu'elle n'attire, en inspirant la crainte,
si seule, à son tour, la douceur peut passer pour de la faiblesse et nous
laisser indifférents, par contre, il n'est rien qui ne cède à la force unie à
la douceur.
On ne résiste pas à qui,
pouvant nous écraser sans effort, ne nous traite pourtant jamais qu'avec un
délicat respect.
Tel Jésus attirait tout
à lui, parce que chacun de ses miracles, tout en trahissant sa puissance
n'avait au fond pour but que de manifester sa bonté!
Dans cette nature de
fer, Montfort cachait lame d'un grand artiste.
Sensibilité profonde,
fraîcheur et vivacité d'imagination, grandes inspirations poétiques, généreux
élans, rien n'y manquait — sculpture, peinture-, architecture, musique, poésie,
il pouvait indistinctement choisir, sûr de réussir en tout.
Ici encore reconnaissons
la main de la Providence, acheminant de loin son serviteur à sa mission.
Sans doute de ces
dispositions si rares, le jeune homme ne cultivera sérieusement que l'éloquence
et la poésie, dont il devait faire un si merveilleux usage au service de la
vérité. Mais le goût pour les autres arts lui restera, et dans ses missions,
l'aidera puissamment, en lui suggérant des motifs de décoration, à éclairer les
esprits en frappant les yeux.
Enfin, comme
couronnement de tous ces dons naturels, une volonté inflexible, guidée par une
intelligence belle et pénétrante, lumineuse et originale dans ses conceptions, disposant
à leur service de mots à l'avenant, vifs, pittoresques, imagés et, permettez
l'expression, à l'emporte-pièce.
Voilà l'homme dans
Grignion de Montfort.
Vous en conviendrez;
dans une telle nature, la grâce pouvait se mouvoir à l'aise et travailler à
coup sûr.
Elle avait matière à
faire un saint et des plus grands.
Elle n'eût garde d'y
manquer et c'est une statue d'or massif que nous allons maintenant la voir
dresser sur ce socle de granit. Tâche qui lui sera du reste singulièrement
facilitée et que ne retardera, comme il arrive si souvent, aucun premier
travail de réparation.
Sauf la souillure
commune de la faute d'origine, matériaux à employer et forces à exploiter ont
été merveilleusement préservés et joignent à l'avantage d'être de premier
choix, celui d'être restés absolument vierges, n'ayant été jusque-là détournés
pour aucun usage profane.
De même que, dans la
société humaine, chaque homme a un visage spécial, qui le distingue des autres
; de même, dans l'Eglise, chaque saint possède une physionomie qui lui est
propre.
Et pourtant, de même
encore que, parmi les visages humains, dont aucun ne ressemble aux autres, il
en est de plus caractérisés, qui ne sauraient passer inaperçus; de même aussi,
dans la société des saints, il est des physionomies qui tranchent sur les
autres, et même à distance, forcent l'attention. Telle la physionomie de
Montfort. Quelle était donc cette physionomie ?
Au physique, nous
l'avons vu, son cachet, c'était la force, et, avec la force, l'originalité, qui
en est très souvent la conséquence.
Un homme intelligent,
conscient de sa force, arrive vite à l'indépendance et, par l'indépendance, à
l'originalité.
Or, la grâce, qui ne
détruit pas la nature, se gardera bien de toucher, dans Montfort, à ces
qualités précieuses.
Elle les fortifiera, au
contraire, en leur apportant, avec de nouveaux mobiles, un nouvel appui.
La force donc se
manifestant dans l'originalité, tel sera le cachet qui donnera, son empreinte à
toute la vie spirituelle du Bienheureux et fera de lui un être à part, bien
propre à dérouter les idées préconçues des gens du monde qui aiment assez à se
représenter tous les saints, confondus dans je ne sais quelle pâle et uniforme
ressemblance.
À lui du moins,
impossible d'appliquer cette théorie fantaisiste, car nul ne fut plus personnel.
Toutes les vertus des
saints resplendiront dans sa vie, mais il n'en concevra et n'en accomplira
point les actes à la manière des autres, et personne ne justifiera mieux la
parole sacrée que nous avons prise pour texte : « Il n'a point eu son pareil à
observer la loi du Très-Haut. »
Prenez-le, par exemple,
à ses débuts dans la carrière ; suivez-le dans ce voyage de Rennes à Paris, où
il s'en va chercher la science et la formation sacerdotales.
Ce voyage mérite
d'attirer notre attention. Il le sépare pour jamais de sa famille; il efface
derrière lui son passé; il est pour lui, — permettez la comparaison, — ce
qu'est à la barque le dernier coup de rame qui la détache du rivage et
l'emporte aux hasards de la haute mer ; mais surtout il est le type parfait de
tous ceux qu'il s'imposera plus tard.
Il est seul et à pied,
sur cette route qui déroule, à travers champs, son interminable ruban de
soixante-seize lieues de long.
La pluie tombe à
torrents et ne cessera de tomber de la sorte pendant les dix jours que durera
sa marche.
Il aurait pu s'épargner
la fatigue au moins de la moitié de la route ; sa famille lui offrait une
monture.
Mais non; ce serait
paraître manquer de force, de courage et surtout de confiance en Dieu.
Dans sa bourse, il a dix
écus; dans son sac, un vêtement neuf de rechange. Mais, attendez.
Tout cela ne lui pèsera
pas longtemps. Un premier pauvre le rencontre ; à lui les dix écus. Un second
lui succède; à lui le vêtement neuf. Un troisième survient. Cette fois, comment
l'assister ?
Belle question pour un
cœur charitable ! L'habit que porte Montfort ne vaut-il pas mieux que les
haillons souillés du mendiant ? Donc, pas d'hésitation possible et l'échange
est vite fait. Pour en couvrir le pauvre, il s'est dépouillé jusqu'à son dernier
vêtement ! Et alors, dans un élan de foi et d'amour, qui rappelle les plus
beaux traits des plus grands saints, et, en reconnaissance de la joie qui
l'inonde, il se prosterne au milieu de la route, sur le sol détrempé, et jure à
Dieu de ne plus jamais rien posséder en propre, mais, comme les oiseaux du ciel
et les lis des champs, qui ne sèment ni ne moissonnent, de ne plus vivre «
qu'aux frais de la Providence. »
Et il a à peine vingt
ans !
C'est fort, n'est-ce
pas, et si c'est en même temps singulier, dites-moi, en connaissez-vous
beaucoup qui soient capables de se singulariser à ce prix?
Mais nous ne sommes pas
au bout.
Ayant déjà donné tout ce
qu'il possède, vous croyez, sans doute, qu'il s'est par là même privé du
bonheur d'assister ceux qui viendront à nouveau tenter sa compassion.
Oh ! comme votre charité
est peu ingénieuse en regard de la sienne !
De même que les apôtres
Pierre et Jean, sollicités par le paralytique, au portique du temple, il n'a
plus, c'est vrai, ni or, ni argent, ni pain, ni vêtement, ni quoi que ce soit
qui se puisse offrir. Il n'a pas encore, comme eux, la puissance des miracles,
mais il lui reste des larmes dans les yeux, de la pitié dans le cœur, des
paroles de consolation sur les lèvres, de la force enfin dans les membres, et
tout cela, il le dépense sans compter; et quand, avant d'achever son voyage, il
rencontrera des malheureux écrasés sous le poids de leurs fardeaux, il chargera
sur ses épaules ces fardeaux pour les soulager.
Mais enfin lui-même,
étant absolument dénué de tout, comment fera-t-il pour vivre?
Eh bien! pauvre
volontaire, il fera comme les pauvres, il mendiera comme eux, et lui, le fils
d'un gentilhomme, dans le cœur duquel la gêne momentanée de la position
n'étouffe pas l'instinctive fierté de la race; il boira à longs traits la honte
attachée à cette obscure mendicité, calice d'amertume[4]
que tout homme cherche à éloigner de ses lèvres et auquel lui se condamne toute
sa vie.
Le voici à Paris.
Il y était mandé par une
grande dame, amie de sa famille, qui se proposait de devenir sa bienfaitrice.
Elle avait en particulier résolu de mettre à son service sa haute influence
pour le faire entrer au noble séminaire de Saint-Sulpice, où déjà la
distinction s'unissait à la science et à la vertu, pour en faire le rendez-vous
préféré des jeunes clercs appartenant aux meilleures familles de ce temps là.
La prudence et la sage
raison dictaient donc à Montfort de ne paraître devant sa bienfaitrice que dans
une mise convenable, propre à se concilier ses bonnes grâces. Ah! c'est bien à
cela que songe Montfort.!
Son premier souci, en
arrivant à Paris, sera d'aller à la recherche de je ne sais quel coin d'écurie
pour s'y glisser à la dérobée, à la façon d'un voleur, et, comme le dernier des
mendiants, il s'estimera heureux d'y trouver — le dirai-je, mes Frères? — eh !
oui, puisque c'est lui qui parle, —d'y trouver donc une botte de fumier pour y
étendre son pauvre corps, exténué par dix jours d'une marche ininterrompue. Et
le lendemain, sans se préoccuper le moins du monde de modifier quoique ce soit
à son accoutrement, il se présente, tel quel, à l'hôtel de sa bienfaitrice.
Ce qui arrive, vous le
devinez sans peine. Déconcertée à la vue de ce mendiant, qui lui tombe du fond
de la province, à la place du jeune gentilhomme pauvre, mais correct, qu'elle
attendait, Mademoiselle de Montigny renonça, sans plus tarder, à son dessein de
le recommander à Saint-Sulpice et crut très suffisant d'employer son crédit à
le faire admettre dans une communauté de pauvres clercs, dirigée par un saint
prêtre, M. de la Barmondière.
Il s'installe dans cette
communauté et s'y livre tout entier à ses études et à sa formation cléricale.
Etudes et formation devaient lui prendre de huit à dix années de sa vie, le retenir,
par conséquent, le même laps de temps à Paris.
Il paraît tout simple
qu'il en profite pour visiter et admirer la capitale de la France, capitale
déjà de toutes les élégances et de toutes les splendeurs.
Ses tendances
artistiques très accusées, nous l'avons vu, y trouveront leur compte, et son
ministère futur lui-même ne saurait y perdre.
Tout cela est juste et
vrai.
Mais il y a mieux
encore, selon lui.
Il y a à mortifier sa
curiosité, si légitime qu'elle paraisse ; il y a à en faire à Dieu le sacrifice.
Et le jour où il quittera Paris, le courageux jeune homme n'en aura vu que les
communautés, où il a cherché Dieu dans l'étude et dans la prière, et, aux
carrefours des rues, les statuettes de la Vierge que son cœur aura devinées,
plus vite encore que ses yeux ne les auront aperçues.
Et ses yeux, ainsi
fermés, dans sa jeunesse, il ne les ouvrira plus de sa vie.
Je me trompe.
Il les ouvrira pour
contempler deux seules choses : Dieu et les âmes; Dieu, pour le fixer dans les
extases de son amour; les âmes, pour les embraser dans l'ardeur de son zèle et
achever en elles, par la flamme du regard, l'œuvre commencée par le feu de sa
parole.
Mais poursuivons l'étude
de sa formation.
Mieux que toute autre
période de sa vie, celle-ci nous livrera le secret de son étrange et puissante
vertu.
Montfort traversa
successivement deux maisons, avant d'entrer à Saint-Sulpice, où devait
finalement l'introduire le renom de sa science et de sa sainteté. Dans ces deux
premières maisons, telle était la sobriété forcée du régime en vigueur, qu'au
sortir de table, les jeunes étudiants, dans toutes les exigences de leur vingt
ans, étaient, chaque fois, en état de s'y remettre. Aussi, pour apprêter les
aliments qu'on leur servait, n'y avait-il nul besoin d'un homme du métier; les
jeunes gens eux-mêmes suffisaient amplement à la tâche et avaient du moins —
c'est un chroniqueur qui parle -— la consolation de se faire tour à tour les
mêmes politesses. Il semblerait donc qu'un tel régime eût dû, par lui-même,
suffire aux plus difficiles instincts de mortification.
Oui, pour les autres;
non, pour Montfort. Sa portion si maigre, il l'amoindrira encore, et trouvera
moyen d'en distraire la meilleure part, au bénéfice de pauvres que, dans sa
naïve charité, il estime plus nécessiteux que lui.
Si sommaire que fut le
régime de sa maison, M. de la Barmondière n'aurait pourtant pu en supporter
l'entretien, s'il n'avait demandé au courage personnel de ses élèves l'appoint
de quelques ressources supplémentaires.
Il les envoyait donc, à
tour de rôle, la nuit, garder les morts dans les familles opulentes.
Montfort y allait, pour
sa part, trois ou quatre fois la semaine.
Averti, par un secret
instinct, de l'influence que devaient exercer, sur sa vie d'apôtre, ces veilles
mystérieuses, il s'y préparait, non comme à un métier quelconque, mais comme à
un véritable office de religion.
Ces veilles, il les
ouvrait par quatre heures d'oraison, à genoux, les mains jointes, le corps
immobile et comme rivé en terre. Venaient ensuite deux heures entières de
lecture spirituelle. Puis, après avoir accordé deux heures seulement au
sommeil, il consacrait le reste à l'étude de la théologie.
Ce fut là, dans ces
lugubres nuits, que Montfort puisa, comme à sa source, le sentiment profond du
néant de toutes choses, dont sa parole devait garder une saisissante empreinte.
Que de leçons lui
passèrent sous les veux! Que de sujets de méditations! que de thèmes de sermons
pour l'avenir !
Aujourd'hui, ce cadavre,
c'était le corps adulé d'un prince brillant, mortellement frappé dans l'acte
même du plaisir.
Demain, c'était la
dépouille, déshonorée par la mort, d'une grande dame dont, hier encore, la
beauté sans rivale recevait le double hommage de l'admiration et de l'envie.
Et, pour les mieux voir, le jeune homme leur découvrait la face ; et, sans pitié
pour sa jeunesse dont il assombrissait à plaisir les horizons[5],
il se penchait avidement sur ces vases brisés, comme pour y aspirer l'âpre
parfum du néant qui s'en exhalait.
Et, alors, toutes ses
facultés s'exaltaient; les images funèbres se gravaient d'elles-mêmes et, pour
la vie, dans sa mémoire tendue; son génie poétique se colorait d'un
mélancolique éclat. Et plus tard, devenu missionnaire, il renvoyait tout
naturellement aux âmes, dans ses cantiques et ses discours, les rudes leçons
qu'il avait apprises à l'école de la mort et redisait, avec une effrayante
énergie, les réponses qu'elle lui avait fait entendre dans le silence glacé de
ces sombres nuits.
C'est ainsi que Montfort
préludait, par une vie de renoncement et de mortification, à l'oblation totale,
qui doit faire le saint, en préparant l'apôtre.
Jusqu'ici, toutefois, le
couteau, qui immolait lentement la victime sur les marches de l'autel, n'avait
été tenu que par ses mains.
Voici l'heure où Dieu le
remettra entre des mains étrangères, qui l'enfonceront encore plus avant et
plus sûrement, et feront du sacrifice partiel l'holocauste absolu. Je ne parle
que pour mémoire de ce que Montfort eut à souffrir de la part de ses compagnons
d'étude. Déconcertés par ses étranges allures et plus encore peut-être découragés
par sa sublime perfection, ceux-ci ne se privaient pas à l'occasion du malin
plaisir de la mettre à l'épreuve en plus d'une manière. Ce n'étaient là, toutefois,
que pures tracasseries, auxquelles la jeunesse de l'âge, jointe aux privautés
de la vie commune, enlevait toute portée.
Ce qui va lui être plus
sensible, ce sont les mêmes procédés, repris et aggravés par des hommes qu'il
respecte, qu'il vénère, parce qu'ils sont vénérables, auxquels il a livré et
continue de livrer, chaque jour, son âme et les plus délicats secrets de sa
conscience. Encore une fois, Dieu le permettra pour mettre le sceau à la vertu
de son serviteur, en lui offrant en même temps l'occasion d'en produire la meilleure
preuve.
Soupçons injurieux,
humiliations excessives, insinuations malveillantes, railleries publiques,
privations les plus délicates pour l'esprit, le cœur et l'âme d'un jeune clerc,
rien ne lui sera épargné. Et ces procédés, inaugurés pendant sa vie de
séminaire, ne prendront pas fin avec elle.
Sous diverses formes et
exploités par diverses mains, ils se prolongeront pendant tout le cours de sa
vie sacerdotale. On en viendra même à lui déclarer formellement qu'on ne veut
plus continuer la direction d'une âme qui s'obstine dans les voies extraordinaires,
et, pour mettre les actes en harmonie avec les paroles, on n'hésitera pas à lui
fermer l'entrée de la maison ouverte à tout prêtre. Pauvre Montfort ! Jusqu'ici
il était resté calme et impassible sous l'affront. Cette fois, il n'y put
tenir.
« Mon Dieu! dit-il, je
n'aurais jamais cru qu'on put traiter pareillement un prêtre dans un séminaire
! »
Cette parole et une
grosse larme qu'il versa silencieusement à Nantes, lorsqu'après la ruine de son
Calvaire, il reçut de plus communication de l'interdit qui le frappait, voilà,
dans tout le cours d'une vie de quarante-trois années, les deux seules marques
qui trahissent en lui un cœur sensible encore à l'outrage.
Mais qu'est-ce donc
qu'on lui reproche pour le traiter ainsi ?
Ce n'est pas, à coup
sûr, de manquer d'obéissance et, dans l'obéissance, de simplicité.
Voulez vous une preuve
entre mille de sa soumission?
Si, trop expansif dans
son amour pour Dieu et laissant trop complaisamment sa bouche parler de
l'abondance du cœur, il reçoit l'ordre de s'en taire et d'intéresser, d'autre
façon, ses confrères moins parfaits, vous le verrez aussitôt torturer son
esprit pour répondre pleinement aux désirs de ses supérieurs. Il ira jusqu'à
feuilleter des recueils de facéties; il prendra la peine d'en copier les plus amusants
passages ; il les apprendra par cœur ; il les débitera avec-tout l'enjouement
dont est capable un homme, dont toute la conversation est au ciel, jusqu'à ce
qu'enfin ses confrères, prenant en pitié cette contrainte imposée à sa nature,
lui en eussent fait grâce. Ils s'étaient si bien convaincus, une fois pour
toutes, que Montfort ne ferait jamais de progrès dans l'art de dire
spirituellement des riens et qu'il rendrait éternellement insipide, par la
manière dont il le raconterait, le récit du reste le plus divertissant !
Ce que vous lui
reprochez, ce n'est pas non plus, je suppose, de manquer d'humilité. Car enfin
l'humilité lui est plus familière, si c'est possible, que toute autre vertu.
L'humilité! Il l'aime
deux fois: pour elle-même d'abord et ensuite pour les services qu'elle lui
rend, en enveloppant d'ombre et de silence ses actes héroïques, notamment ses
cruelles mortifications. Ses instincts d'austérité le poussent à marcher pieds
nus, mais, pour ne pas froisser les délicates pudeurs do son humilité, il ne
coupera que la semelle de ses bas. Il porte haire et cilice au point d'en
couvrir complètement son corps ; mais quand, épuisé, il se voit sur le point
d'être conduit à l'hôpital, pour aller y expier ses saintes imprudences, il se
hâte de s'en dépouiller pour dérober à tous son secret.
Encore une fois ?
Qu'est-ce donc que vous pouvez bien lui reprocher ?
Alléguerez-vous
finalement ses singularités ?
Oh ! sur ce point, vous
êtes dans le vrai et je vous donne pleinement raison.
Sans doute il n'est pas
ordinaire d'être, à ce point, emporté par l'amour de son Dieu, qu'on s'oublie à
le prier partout, à deux genoux, fût-ce en plein amphithéâtre de Sorbonne ou en
pleine rue de la Cité !
Sans doute il n'est
point ordinaire que, dévoré par le même amour, on s'en aille à travers champs,
criant à tue-tête ses délices et ses bienfaits, ou que, jaloux de sa gloire, on
ose se commettre avec les bateliers des carrefours et les pitres des places publiques,
pour arrêter bon gré mal gré leurs blasphèmes.
Sans doute il n'est
point ordinaire qu'on soit à ce point brûlé du zèle des âmes, qu'on ne craigne
pas d'aller partout à leur recherche, fût-ce dans les maisons du vice, pour rappeler
à la vertu leurs victimes infortunées.
Sans doute il n'est
point ordinaire qu'on aime à ce point la pauvreté, qu'on se jette, comme sur un
trésor, sur le vêtement dédaigné d'un mendiant, pour s'en couvrir aussitôt et
qu'en dépit de ce qui semblerait à d'autres un oubli de la dignité sacerdotale,
on se contente d'une soutane tellement usée qu'elle fasse pitié à des pauvres
d'hôpital et qu'ils se cotisent pour lui en offrir une meilleure.
Sans doute il n'est
point ordinaire d'aimer tellement avec la pauvreté, les pauvres eux-mêmes,
qu'on les serve à table ou dans leur lit. à genoux, tête nue et avec des
paroles de vénération sur les lèvres, comme on ferait pour Jésus-Christ
lui-même.
Sans doute enfin, il
n'est point ordinaire qu'on s'éprenne pour la Croix d'un tel amour, qu'on en
devienne littéralement affolé, qu'on la prêche et qu'on la chante à tout
propos, que prêtre et directeur de Mission, on la prenne entre ses bras devant
tout le peuple rassemblé, qu'on l'embrasse avec effusion, qu'on la charge sur
ses épaules pour la porter en triomphe, en tête des processions, que, dans son
exaltation, on s'écrie : « La Croix ! quel friand « morceau du Paradis! Point
de Croix, quelle « Croix ! sortons d'ici. Nous n'y ferons rien : « la Croix
n'est pas avec nous. »
Tout cela évidemment
n'est point ordinaire et ne rentre point dans le domaine commun. Et, c'est
pourquoi, tout cela, vous voulez le supprimer, l'effacer de la vie de cet
homme, pour le ramener aux justes proportions, l'étendre par conséquent
lui-même, comme sur un lit de Procuste[6]
où, tout ce qui dépassera, sera inexoblement retranché. Mais y pensez-vous ?
Est-ce que, sans parler
delà grâce, la nature elle-même se prête si aisément à de pareilles
mutilations?
Est-ce que certaines
natures, et plus particulièrement encore la nature bretonne do Montfort, n'y
sont pas, plus que d'autres, obstinément réfractaires ?
Ah! Dieu me garde, mes
Frères, de paraître dresser ici le procès posthume des différents supérieurs
qui se sont rencontrés dans la vie de Montfort, notamment au début.
Outre qu'il n'appartient
à personne de suspecter les intentions; dans leur nombre, je me plais à le
reconnaître, beaucoup étaient vénérables, plusieurs même étaient des saints.
Mais enfin, Dieu le
permettant ainsi pour grandir, par l'épreuve, la vertu de son serviteur, et,
par conséquent sans qu'il y ait lieu de les en blâmer et surtout de leur en
tenir rigueur, il faut pourtant convenir que, pour comprendre Montfort, ils oubliaient
une chose, à savoir de relire leur Evangile, dont le Bienheureux n'a fait
qu'incarner en sa vie les maximes, étranges elles aussi pour qui les prend à la
lettre.
Ils oubliaient que, s'il
faut une grâce extraordinaire pour comprendre les grâces extraordinaire des
saints, qui n'a pas cette grâce, se doit à lui-même de suspendre son jugement[7].
Ils oubliaient enfin que
quand une âme vous a donné, au triple point de vue de sa doctrine, de sa
conduite et surtout de son inépuisable soumission, toutes les garanties que
vous avez pu lui demander, vous lui devez tout au moins de la respecter et de
ne pas chercher à entraver son zèle.
Prudents dans le Christ,
laissez donc aller les fous pour le Christ[8]
!
Laissez Siméon se
dresser sur son éternelle colonne, d'où l'obéissance le fera descendre, quand
parlera l'autorité.
Laissez François
d'Assise fraterniser avec les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, et les
prêcher comme des créatures intelligentes et libres.
Laissez Dominique, mon
père, faire asseoir ses enfants à une table absolument dégarnie et bénir des mets,
dont rien n'indique la présence, ni ne présage la venue.
Laissez Elisabeth coller
amoureusement ses lèvres aux plaies de son lépreux.
Laissez Benoît Labre
s'en aller, vagabond du bon Dieu, sur tous les chemins de l'Europe, insouciant
d'accorder à son corps des soins que tant d'autres prodiguent au leur, au point
d'y absorber leur âme.
Laissez le P. Lacordaire
s'attacher à la Croix, s'y faire flageller jusqu'au sang et y rester suspendu
trois heures durant.
Laissez enfin Montfort
se livrer, sans retenue, à ce que vous appelez ses imprudences, ses
extravagances et ses folies.
L'Esprit qui les anime
tous, c'est l'esprit de Dieu, qui souffle où il veut, sans qu'on sache d'où il
vienne et où il va[9],
et le Modèle qu'ils copient, c'est Celui auprès duquel, après tout, les plus
grandes imprudences des saints ne sont que de la prudence, leurs plus grandes
indiscrétions que de la discrétion, leurs plus grandes extravagances que de la
mesure et de la raison, leurs plus grandes folies, que de la sagesse, c'est
Celui qui, pour nous racheter, nous convertir et nous sauver, n'a pas pris nos
vêtements sordides, mais notre corps de péché, n'a pas baigné nos plaies
purulentes, mais les a en quelque manière contractées, vulnera nostra ipse portavit, ne s'est pas enfin contenté de
s'incliner vers nous, mais, de Dieu, est devenu un homme, comme nous, pour
foire, de nous, des dieux comme lui. C'est notre maitre adoré, Notre-Seigneur
Jésus-Christ!
II - LA
PAROLE
Signum cui contradicetur.
Il sera un
signe de contradiction.
(Luc , II, 37
)
Hier, je vous ai
présenté le Bienheureux Père de Monfort, et vous avez salué, en lui, la grande
figure de l'Homme et du Saint.
Aujourd'hui, mes Frères,
je voudrais vous montrer l'Apôtre, et, en étudiant ce qui le caractérise, la
parole, m'attacher à vous donner, autant que possible, la clef des oppositions
que cette parole rencontra et des triomphes qu'elle devait finalement
remporter.
Ainsi donc, sources de
la parole de Montfort et raisons de ses contradictions, tels sont les deux
points sur lesquels je voudrais arrêter, ce soir, votre attention.
Le premier aspect sous
lequel nous apparaît cette parole, c'est qu'elle est armée et préparée de
longue date, reflétant le double caractère de force et d'originalité que nous
avons vu s'accuser si puissamment dans l'homme et dans le saint, portant par
conséquent en elle tous les éléments réunis d'un succès assuré.
Ce n'est pas — croyez-le
— du jour au lendemain, et sans de longs
tâtonnements, que Montfort se sentit créé et mis au monde pour
la parole,
dans la vocation sublime du missionnaire.
Sollicité assez
clairement d'entrer dans la pieuse congrégation qui l'avait élevé; relégué —
c'est le mot— pour y prendre une détermination favorable, dans une communauté
dont, malgré la sainteté incontestée du supérieur, les tendances jansénistes,
peu dissimulées, devaient si cruellement froisser la virginale pureté de sa
foi; délivré de cette communauté, pour s'en aller, à Poitiers, desservir un
hospice, où quatre mille pauvres rassemblés sont insuffisants à absorber son
zèle; attiré, d'autre paît, par son âme affamée du martyre, vers les contrées
lointaines, il passe trois ans dans la plus pénible perplexité. « Aidez-moi,
s'écrie-t-il en s'adressant à ses amis, aidez-moi, je cherche la Providence ! »
Il eut enfin l'inspiration
de l'aller chercher sur le coin de terre bénie, où elle se fait vivante,
visible et parlante.
Il reprend son bâton et,
pèlerin de la Providence, le voilà, mendiant de porte en porte, sur la route
qui conduit à Rome.
Accueilli avec la plus
grande bonté par le Père commun des fidèles, il voit, à la parole du Pontife,
le ciel s'éclaircir sur sa tête et se lever radieuse, à l'horizon de sa vie,
l'étoile qui ne doit plus l'abandonner.
C'en est fait. Il sera
l'homme de la parole et, sans sortir de France, et, presque de sa Bretagne, il
sera missionnaire apostolique.
Ainsi l'a salué Clément
XI.
Voyez, du reste, comme
il est merveilleusement préparé pour ce genre spécial de ministère !
Vous le savez. La
première qualité que requiert la parole du missionnaire, c'est l'absolue conviction
des vérités qu'il enseigne. Cette conviction, pour la partager et la faire
sienne, le peuple a besoin de la voir, de la sentir, de la palper en quelque
sorte.
Or, la conviction
déborde de la parole de Montfort, et comment pourrait-il en être autrement?
Ce qu'il livre en
nourriture aux foules empressées pour l'entendre, ce ne sont pas seulement les
croyances de son esprit ni même les affections de son cœur, c'est, dans sa
voix, son âme elle-même, identifiée à la vérité.
C'est sa vie de chaque
jour, de chaque heure, de chaque instant.
Pas un mot qu'il n'ait
médité; pas un sentiment qu'il n'ait éprouvé; pas un conseil qu'il n'ait suivi
; pas un article du Credo qu'il ne soit prêt à signer de son sang ; pas une
maxime de l'Evangile, dont il n'ait gravé chacune des syllabes, en stigmates
profonds, dans sa chair crucifiée !
Suffisante peut-être
pour la parole humaine, la conviction ne l'est pas pour la parole divine. Le
missionnaire ne fait pas son œuvre ; il
fait l'œuvre de Dieu, et
toutes les forces créées, sans en excepter celles des chérubins et des
séraphins, étant nulles de soi, pour atteindre, une seule fois, le terme de
cette action mystérieuse, qui s'appelle la conversion d'un pécheur, il en
résulte qu'il faut de toute nécessité, à la parole de l'apôtre, l'appui de Dieu
sous la forme de la grâce.
D'autre part, s'il est
vrai, en vertu des conventions divines, que la grâce qui touche et convertit,
se donne infailliblement à la prière ardente et aux mérites acquis, dites-moi,
n'est-elle pas deux fois assurée à ce jeune homme, qui, dix années durant, — je
pourrais aussi bien dire sa vie entière — du matin au soir et, très souvent, du
soir au matin, a prié, gémi, travaillé, souffert, à l’intention de ces âmes
Inconnues, au salut desquelles Dieu devait un jour l'employer ?
Et notez bien la forme
sous laquelle cette grâce va lui être communiquée et sous laquelle il va
lui-même la livrer.
Dix années durant, pour
ces âmes, ce jeune homme, à cet âge dans lequel la vie déborde par tous les
sens du corps, comme par toutes les facultés de l'âme, a contenu, refoulé,
accumulé, entassé, dans une effrayante condensation, tout ce qu'il sentait
sourdre en lui de jeunesse, de désirs, de force et d'expansion ; pour les âmes,
pour mieux les pénétrer, l'heure venue, de sa flamme, il a condamné ses yeux à
no regarder qu'au-dedans de lui-même et à ne contempler que le touchant
spectacle de leur beauté, de leurs souffrances et de leurs besoins ; pour ces
âmes, pour mieux les blesser, plus tard, du tranchant de sa parole, il a
condamné ses lèvres à cet éternel silence qu'un saint[10]
proclame le Père des Prêcheurs : Silentium
pater Prœdicatorun ; pour ces âmes, pour mieux leur rendre sensible le
Christ dans sa chair mortifiée, en même temps que pour expier à leur place la
peine de leurs délits, il a condamné sa chair à ne plus jouir de rien, mais,
par contre, à souffrir de tout; pour ces âmes enfin, pour mieux les éclairer,
les toucher, les arracher à elles-mêmes et les jeter, vaincues et palpitantes,
aux pieds de son Maître, il a condamné ses facultés, intelligence, mémoire,
imagination, volonté, aux plus rudes travaux, aux conceptions les plus
abstraites, aux études les plus absorbantes. Concevez-vous dès lors ce qui va
se passer, quand enfin viendra le jour, si longtemps attendu, où il sera mis en
contact et en communion avec ces âmes, l'unique objet de ses pensées et le
centre attractif de ses efforts ?
Voyez-vous l'expansion
se produisant dans une mesure rigoureusement égale à la compression? Voyez-vous
ce fleuve qui s'épanche et qui coule à pleins bords ou plutôt ce torrent qui se
rue, à la levée des barrages?
Mais ce n'est pas tout.
Les austères vertus,
pratiquées par Montfort, pendant les longues années de sa préparation apostolique,
ne lui ont pas seulement mérité la puissance de convertir les âmes, sous la
forme d'une force irrésistible ; elles lui ont de plus laissé le plus beau et,
après la grâce elle-même, le plus nécessaire des dons du missionnaire :
l'indépendance absolue, la liberté ; la liberté, qui lui permet de tout dire et
de tout faire, pour répondre aux exigences de son ministère et d'apporter aux
peuples un Verbe dégagé de toute entrave et pur de tout compromis : Verbum Dei non est alligatum. Tel
Montfort quand il se présente aux âmes.
Il est libre, absolument
libre.
Libre de sa famille !
Ah ! il y a longtemps
qu'il n'en a plus d'autre souci que celui de prier journellement Dieu pour
elle. Au début de ce voyage que je vous racontais hier, sur cette route de
Rennes à Paris, au moment solennel de la séparation, sa famille en pleurs lui
avait dit : au revoir ! Mais lui, comprimant, dans son cœur, l'explosion d'une
sensibilité très vive, lui avait répondu par un adieu qui, dans sa pensée,
devait être éternel.
Et, de fait, si dans le
cours de sa carrière, il lui arrive de la revoir, ce sera une seule fois et
comme par hasard, et, pour lui signifier qu'il ne lui appartient plus, il ne
remettra plus les pieds dans la maison paternelle; il recevra les siens, comme
d'autres étrangers, dans la demeure d'emprunt qu'on aura mise à sa disposition.
Libre de sa famille, il
l'est entièrement de lui-même, de son corps et de son âme. Dans ses missions,
comme dans le cours de ses péré
grinations,
qu'importe où il logera? U
ne grange, c'est tout ce qu'il lui faut. A
qui suffisent, pour dormir, deux heures par jour et, pour y poser sa tête, un
quartier de roc, en guise d'oreiller, le logement, vous l'admettrez, n'est plus
une question. Qu'importe la nourriture qu'il trouvera? Il s'est habitué à n'en
prendre qu'une fois le jour et à se contenter de la première venue. Qu'importe
les traitements qu'il recevra de la part des gens brutaux? Au contact des
haires, des cilices et des chaînes de fer, il s'est fait une chair à l'épreuve
des coups, et, si grossièrement qu'on s'oublie à son endroit, on ne lui fera
jamais le mal qu'il se désire et se fait à lui-même.
Qu'importent les
outrages et les affronts? Son âme y est endurcie, comme sa chair aux coups, et
c'est à genoux, les mains jointes, le visage rayonnant, dans l'attitude de la
plus vive reconnaissance, qu'il subira, comme à la Chevrolière, les plus
sanglants reproches.
Qu'importe enfin, comme
à l'apôtre, qu'il vive ou qu'il meure? S'il vit, ce sera pour continuer de
travailler, par le salut des âmes, à la gloire de son Maitre ; s'il meurt, ce
sera pour aller au ciel le contempler plus tôt !
Aussi, le jour où,
traîné à la geôle de Nantes, par les soldats furieux, il s'imagine aller au
supplice, il exulte, il jubile, il chante, il déclare qu'il n'a jamais éprouvé
tant de bonheur et, quand enfin viendra le vrai jour de sa mort, il ranime ce
qui lui reste de forces, pour entonner son refrain favori :
Allons, mes chers amis,
Allons au Paradis.
Quoi qu'on gagne en ces lieux,
Le Paradis vaut mieux !
Libre de sa famille,
libre de lui-même, de son âme et de son corps, de sa mort et de sa vie,
Montfort a conquis une liberté finale, sur ce qu'il y a, en nous, de plus
tenace et de plus indéracinable que la vie elle-même, je veux dire l'amour que
tout homme porte à sa pensée, l'attache à son sens propre et à son jugement
personnel ; dernier élément qui tient à notre essence et ne veut pas mourir;
qui, parfois même, se fortifiant de tous nos sacrifices, se fait d'autant plus
vivace que le reste est plus mort; dernière entrave à la pleine liberté de
l'apôtre; dernier lien que Montfort a rompu.
Livré, comme parle saint
Paul, à l'Esprit de Dieu, pour en être la proie, il ne dira plus ce qu'il
voudra et en la manière qu'il lui plaira de le dire, mais cela seul que
l'Esprit lui inspirera et en la seule manière qu'il voudra bien lui suggérer.
Et il trouvera, dans cet entier esclavage, la suprême liberté, la liberté des
enfants de Dieu et des instruments de son Esprit. Ubi Spiritus Domini, ibi libertas.
Aussi, voyez. Rien ne peut
plus l'arrêter. Sans considération de personnes, sans ménagement de temps, de
lieux, de formes, de circonstances, de situations, il reprend tout, corrige
tout, juge tout, réforme tout, redresse tout et toujours dans la plus grande
patience et la plus grande vérité. C'est la mise en pratique littérale du
conseil de l'apôtre à son disciple : Prædica
verbum, insta opportune, importune, argue, obsecra, increpa in omni patientiâ
et doctrinâ.
Du fidèle au prêtre, du
dernier des manants au tout-puissant châtelain, il dit à chacun son fait, et
tous, bon gré mal gré, se courbent, frémissants, sous le fouet vengeur de cette
parole qui met à nu leurs vices et les cingle sans pitié.
Autre conséquence de la
même liberté.
Sa chaire à prêcher, il
la dressera partout. Avant tout, bien entendu, dans le lieu saint, quand rien
ne s'y opposera. Mais, quand il en trouvera les portes barricadées par
l'inquiétude égarée des pasteurs, ou bien, quand il en jugera les proportions
manifestement insuffisantes pour contenir son immense auditoire, alors, comme
jadis le Sauveur, dans la Galilée, qui prêchait indifféremment dans les
synagogues, sur le penchant des collines ou sur les lacs, du haut d'une barque,
tout lui servira de chaire pour annoncer la bonne nouvelle. Ce sera — vous m'excuserez,
mes Frères, d'appeler les choses par leurs noms ; — comment faire autrement ? —
ce sera un tonneau renversé en pleines halles, une borne en pleine rue, un
arbre en plein champ, ou les degrés d'un Calvaire, sur le bord du chemin.
Encore une fois, tout lui est permis.
Hors Dieu et son Esprit,
il ne craint rien, n'espère rien, ne désire rien. Il est libre.
La liberté, la grâce, la
force, la conviction, voilà donc les qualités de fond qu'apporte à la parole de
Montfort le passé de sa vie. Elles constituent comme le terrain longuement
préparé, où, plante vigoureuse, elle plongera ses racines et puisera sa sève.
Et pourtant, cette
parole ne laissera pas de rencontrer, dans la vie présente du missionnaire, de
nouveaux soutiens et de nouvelles richesses.
Jamais Montfort
n'abordera la chaire qu'après s'être plongé, comme dans un bain, dans la
prière, et plus il pressentira de résistance, plus sa prière se fera instante
et prolongée.
Sur ses écrasantes
journées de mission déjà surchargées de deux sermons, d'une conférence et
d'innombrables confessions et directions, il trouvera pourtant moyen de
prélever plusieurs heures pour la prière et, si le jour ne suffit pas, la nuit
y suppléera et sera sacrifiée sans pitié. Immédiatement préparée par la prière,
la parole de Montfort le sera de plus par la mortification.
— Voulez-vous être
éloquent, disait le P. Lacordaire à l'un de ses disciples, mettez du sang sur
votre parole.
Celle de Montfort en
était pénétrée et, pour ainsi dire, pétrie.
Chacun de ses sermons
était précédé d'une sanglante flagellation, et, aux reproches qu'on lui en
faisait : « Laissez, répondait-il, avec sa verve habituelle, le coq chante
mieux quand il s'est battu les flancs. » Ajoutez, mes Frères, venant couronner
les appuis surnaturels de cette parole, la puissance du miracle, qui intervient
plus d'une fois à point, pour sanctionner la doctrine et briser l'opiniâtre
résistance. Tout cela, mettez-le sous l'enveloppe transparente d'une éloquence
vive et naturelle qui avait tous les droits de se moquer d'Aristote et de sa
rhétorique, parce que nul ne sut mieux s'en passer, et vous conviendrez que
cette parole fût aux lèvres de Montfort un merveilleux instrument, une arme
incomparable, quelque chose comme cette épée à deux tranchants, que saint Jean
vit un jour sortir de la bouche du Fils de l'homme, ou encore comme ce glaive
dont parle saint Paul, qui pénètre jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit,
pour y frapper de ces coups qui guérissent en blessant.
Il semblerait donc —
n'est-il pas vrai ? — qu'une telle parole va, dès le premier jour, et
indéfiniment, soulever des tempêtes d'enthousiasme et des tonnerres
d'acclamations, qu'elle va mettre au front de Montfort une auréole et créer,
autour de sa personne, comme une atmosphère de gloire et d'admiration, où
s'épanouira son heureux génie.
Non, mes Frères; si la
parole humaine peut rêver pareils triomphes, rien de semblable ne doit entrer
en ligne de compte dans les saintes visées de la parole divine en général et
moins encore, si c'est possible, de la parole du missionnaire.
Les tempêtes que
soulèvera Montfort seront trop souvent des tempêtes de haine, et les tonnerres
qu'il s'attire, des tonnerres de colère, qui l'auraient maintes fois foudroyé,
si Dieu ne l'avait visiblement protégé.
D'un bout à l'autre des
diocèses et du haut en bas de l'échelle sociale, on se le renverra — c'est son
expression — comme une balle dans un jeu de paume. La voix la plus éloquente de
son siècle en sera la plus combattue, et, plus d'une fois, le grand
missionnaire aux abois, se verra réduit, toutes portes se fermant à son aspect,
à passer la nuit au bord de la route et aux pieds d'un Calvaire, symbole
expressif des souffrances et des humiliations confondues du Maître et du
disciple.
Est-il besoin de vous
rappeler en détail ces avanies, ces persécutions, ces injustices dont est semée
sa carrière, nouveau chemin de croix, aux stations douloureuses infiniment
multipliées ?
Est-il nécessaire de
vous le montrer proscrit de vingt villes, vingt fois frappé par l'autorité
ecclésiastique, dont on réussit indéfiniment à égarer sur son compte la
religion ; interdit[11]
dans sa parole, interdit clans son ministère de confesseur, interdit jusque
dans la célébration des saints ministères ; dénoncé, du haut de la chaire,
comme un homme de trouble, uniquement propre à faire perdre le temps des
fidèles, sinon leurs âmes ; obligé de mendier d'un diocèse à l'autre la liberté
de son apostolat; exposé à s'entendre dire, comme un jour, de la bouche de l'évêque
d'Avranches : « Le seul service que je vous demande pour mon diocèse, c'est
d'en sortir au plus tôt ; » mourant enfin d'une mort prématurée, à laquelle ne
fut pas étrangère la haine que sa parole avait soulevée. Mais à quoi bon
insister?
Ce qui vaut mieux que de
retracer le tableau de ces persécutions, c'est d'en rechercher les raisons.
Parmi ces raisons, il y a les grandes et les petites. Les petites raisons sont
à l'usage tout d'abord de la foule irréfléchie, trop heureuse de saisir au vol
la première cause venue, qui la fixe, et la dispense de chercher plus
longtemps. Les petites raisons sont également à l'usage de certaines gens
réfléchis, de ces prudents dans le Christ dont je vous parlais hier, et qui,
grâce précisément à leur prudence consommée, n'ayant jamais rencontré pour leur
propre compte, pareille opposition, ne peuvent se l'expliquer chez les autres,
à leur avantage, et, par conséquent, n'hésitent pas à leur en faire un sujet de
blâme. Pour tous ces hommes, la singularité des manières de Montfort,
l'étrangeté de ses allures, l'indiscrétion de son zèle, la fougue de son
tempérament, les hardiesses de sa parole devaient inévitablement lui valoir les
désagréments dont sa vie fut semée. Enfin, quand, à toutes ces raisons, ils ont
joint les agissements du jansénisme, alors tout-puissant, ils croient avoir
tout dit et trouvé la dernière solution du problème.
L'originalité de
Montfort ; j'ai dit surabondamment hier ce qu'il fallait en penser. Je n'y
reviendrai pas.
Quant au jansénisme,
j'avoue qu'il ne fut rien moins que tendre pour l'homme de Dieu.
Mais, outre que, sous un
nom ou sous un autre, les hérésies n'ont jamais manqué dans l'Église pour
persécuter les saints, qu'ils fussent ou non singuliers, dites-moi donc, ô vous
qui imputez au jansénisme la plus large part des vexations qu'eut à souffrir
Montfort, dites-moi donc comment il se fait qu'à la même heure, la même hérésie
fût, pour tant d'autres chrétiens, laïques ou prêtres, d'une si parfaite
innocuité, et qu'elle les laissât s'endormir, si paisibles, dans leur béate
piété? Non, voyez-vous, toutes vos explications n'expliquent au fond pas
grand'chose, et vos petites raisons) convaincues tout au moins d'insuffisance,
nous contraignent, pour avoir la clef du mystère, à en aborder résolument de
plus grandes.
Les grandes raisons,
Montfort les a lui-même admirablement démêlées et non moins admirablement
exprimées et, si nous éprouvons un regret, c'est que le passage où il les
résume soit trop étendu pour être apporté ici[12].
Nous avons du moins la consolation de vous en offrir une analyse aussi fidèle
que possible.
Les grandes raisons,
c'est donc tout d'abord — et ceci n'est nullement spécial aux choses d'ordre
spirituel — que, qui veut faire du bien, par pur amour du bien et sans
arrière-pensée d'intérêt personnel, doit s'attendre à soulever des oppositions
clans la mesure même du bien qu'il a visé; et les hommes les plus
irréconciliables dans leur opposition, il les trouvera précisément parmi ceux
qui, ne pouvant ou ne voulant rien faire, ne pardonnent pas aux autres de paraître
condamner, par leur initiative, leur stérile inertie.
Les grandes raisons, ce
sont ensuite et surtout celles que prédisait à ses disciples, il y a dix-huit
siècles, l'Auteur de toute vérité: « Vous serez honnis, méprisés, détestés,
persécutés à cause de mon nom, et l'heure vient où qui vous tuera croira faire
une œuvre agréable à Dieu. »
Les grandes raisons, ce
n'est pas seulement la force même des choses, ce ne sont pas seulement les
enseignements de Notre Seigneur, c'est enfin et par-dessus tout sa vie
elle-même, type éternel de toute vie d'apôtre. Quand Notre-Seigneur, le Verbe
divin, la parole substantielle et incréée, dont la nôtre, quelle, qu'elle soit,
sans en excepter celle de Montfort, n'est qu'une ombre pâle et une infime
réduction, verbum abbreviatum ;
quand, dis-je, cette parole retentit, à travers le monde, dans un accent
humain, on vit un étonnant spectacle. On vit se grouper, pour l'entendre, deux
classes d'hommes bien tranchées.
D'une part, tous ceux à
qui la vie était douce, facile, profitable, ayant trouvé une mine quelconque à
exploiter pour leur bonheur ici-bas : vice ou vertu, volupté des sens ou
orgueil de l'esprit, foyer ou autel, homme ou Dieu.
On les appelait alors
sadducéens, pharisiens, hérodiens, scribes, docteurs de la Loi, et hélas! j'ai
le regret de le constater, mais enfin c'est de l'histoire aux mains de tout le
monde, princes des prêtres et ministres du temple.
Et de l'autre côté, la
foule sans nombre de tous ceux, pour qui la vie est une lutte, un travail, une
souffrance, une déception et la terre, en toute vérité, une vallée de larmes; l'immense
multitude, par conséquent des petits, des humbles, des faibles, des simples,
des délaissés, des méprisés, des déshérités, des esprits enténébrés, des cœurs
brisés, des âmes angoissées ; par conséquent aussi la masse incalculable des
pauvres pécheurs qui, soit illusion de l'esprit, soit faiblesse du cœur, soit
entraînement des sens, avaient cru retrouver, en mordant à nouveau au fruit défendu,
quelque chose des jouissances perdues de l'Eden et n'y avaient récolté qu'un
souverain dégoût dans la honte et la dégradation. Or, à peine Jésus eût-il jeté
à cette foule mêlée les premiers échos de sa parole : « Bienheureux les pauvres
parce que le royaume des cieux leur appartient. Bienheureux ceux qui pleurent!
Bienheureux ceux qui sont persécutés! Venez à moi, vous tous qui êtes surchargés
et je vous soulagerai!
Je ne suis pas venu pour
ceux qui se portent bien, mais pour ceux qui ont besoin de médecin ! Je ne suis
pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence! »
A peine Jésus eût-il
prononcé ces mots, que les uns et les autres sentirent, avec cette intuition du
cœur, mille fois plus pénétrante que les lumières de l'esprit, à qui ils
avaient affaire. Et, tandis que, d'un côté, partaient joyeux et enthousiastes,
les hosannah de la reconnaissance et de l'amour qui eussent fait ltoi le Fils
de David, pour peu qu'il s'y fût prêté ; de l'autre, s'élevaient, sourdes
d'abord, puis bientôt formidables, les protestations de la haine, qui devait
emporter Jésus au Golgotha, dans la tourmente de sa Passion. " Ah !
c'était bien là le signe de contradiction, Signum
cui contradicetur, prédit, trente ans à l'avance, à la Vierge-Mère, par le
vieillard Siméon, sur le berceau de l'Enfant-Dieu !
Eh bien ! mes Frères,
dans cette page de l'Evangile, vous tenez, expliquée et justifiée, toute
l'histoire de la parole du Bienheureux Montfort, dans le perpétuel
entrecroisement de ses luttes et de ses triomphes.
Ses luttes; je vous en
ai dit un mot. Laissez-moi vous en dire un autre de ses succès.
Chose admirable et qui
prouve bien qu'il ne faut jamais désespérer du peuple, du bon peuple, tant
qu'il a conservé, dans un reste de foi, l'instinct inné du vrai, du juste et du
bien ! A l'heure même où les hommes les plus savants et les plus vénérables
hésitent clans leur jugement sur le Bienheureux, le peuple se prononce
hardiment en sa faveur. A l'heure môme où la foudre tombe, coup sur coup, des
hauts sommets de la hiérarchie, pour éteindre sa parole, anéantir son action et
isoler sa personne clans un cercle infranchissable de défiance et de soupçon ;
à cette heure même, le peuple,, d'autant plus habile, dirait-on, à conclure
sainement, qu'il l'est moins à discuter subtile ment, lui ménage ses plus beaux
triomphes.
Et ainsi en sera-t-il
toujours, lorsque, laissé à lui-même, il consultera son éternel bon sens, sorte
de divination mystérieuse, déposée par Dieu, au plus profond de son être, pour
le sauver de l'erreur, en le dérobant aux distinctions des sophistes, et lui
signaler ses vrais amis dans, les âmes courageuses qui ne craignent pas, de lui
déplaire et de lui dire ses vérités. Mais laissons Montfort témoigner lui-même
du succès de sa parole au plus fort de ses contradictions.
« Une fourmilière de
péchés et de pécheurs que j'attaque ne me laissent aucun repos. Toujours sur le
qui-vive ! Toujours sur les épines! Toujours sur les cailloux piquants !
Cependant rendez grâces à Dieu. Jamais je n'ai fait plus de conversions
qu'après les interdits les plus injustes et les plus sanglants. »
Et, de fait, en dépit de
toutes les oppositions qu'elle soulevait, tel était l'ascendant de cette parole
que, sur plus de deux cents missions et retraites qui ont marqué la vie apostolique
de Montfort, il n'y en eût pas une seule, — pas une seule, vous entendez bien,
— qui ne portât ses fruits et que les plus combattues furent précisément les
plus fécondes.
Souvent, pour continuer
de se faire entendre, il était contraint d'user d'autorité pour réprimer les
explosions de douleur ou de joie que provoquaient tour à tour ses accents
embrasés.
« Mes enfants,
s'écriait-il, je vous en sup-« plie, cessez de pleurer, si vous ne voulez pas «
que je cesse de prêcher, » Parfois même — chose incroyable — pour émouvoir les
cœurs et les gagner à Dieu, cette étrange parole n'avait pas besoin de s'aider
du secours de la voix.
Un jour, il venait de
monter en chaire. Frémissante d'impatience, l'immense assemblée le dévorait des
yeux.
Lui, pas un mot.
Il prend son crucifix
et, sans ouvrir la bouche, se contente de le regarder. Mais il y avait dans ses
yeux une telle intensité d'expression, et, dans son silence, il lui parlait si
éloquemment au nom de tous le langage sacré du cœur, passant tour à tour de la
foi à l'espérance, de la crainte à la confiance, de la reconnaissance à la
promesse, de la douleur à la joie, du repentir à l'amour, que personne ne s'y
méprit, et que bientôt tout le peuple éclatait en sanglots. Pour le calmer,
autant que pour achever l'effet de son muet discours, le saint se vit obligé de
descendre de chaire et de passer de rang en rang, pour, faire baiser à chacun
ce crucifix dont, sans rien dire, il avait si bien parlé !
Mais ce qui donne mieux
encore peut-être la double mesure de la puissance attachée à la parole de
Montfort, et de la contradiction qu'elle devait éternellement rencontrer, c'est
l'édification de ce calvaire de Pontchâteau, aux pieds duquel, conduits par vos
évêques, vous alliez naguère chanter les gloires réunies de Montfort et de la
Croix.
Obtenir de nos paysans,
si justement avares de leur temps, de leurs forces et de leurs biens, et cela,
sans l'espoir d'aucune rétribution, sans même l'appât — laissez passer le mot
qui dit la chose — d'un verre de cidre, obtenir, dis-je, qu'ils vinssent,
chaque jour, au nombre de deux cent cinquante à cinq cents, au milieu d'une
lande déserte, éloignée de toute habitation, travailler à extraire 8,000 mètres
cubes d'argile et de grès, et à déplacer, à la hotte ou au panier, 2,400,000
kilogrammes de déblais ; et pour aboutir finalement, à quoi donc ? A un
établissement charitable qui doit abriter leurs pauvres infirmes? — Nullement.
A un rempart, qui doit
assurer leur sécurité ? — Pas davantage.
A une église tout au
moins, qui doit desservir leurs hameaux reculés ? — Non encore.
A un simple monument de
piété, sans aucune utilité pratique apparente, qu'il a plu à un missionnaire de
passage, dans un élan de ferveur exagérée, diront certains, d'édifier à leurs
frais.
Tel était le travail à
réaliser et le problème à résoudre. Eh bien, ce problème, la parole de Montfort
l'a résolu; ce travail, elle l'a fait exécuter, le plus aisément du monde, aux
chants joyeux des cantiques alternant avec le doux murmure de la prière.
Et, au terme des quinze
mois assignés, Montfort voyait, debout, ce Calvaire tant désiré qui portait,
dans les airs, sa croix resplendissante, et, massés sur ses flancs, cinquante
mille hommes s'apprêtant à l'acclamer !
Mais, pour qu'il ne fût
pas dit qu'un Calvaire pût jamais servir de Thabor à qui que ce fût, à ce
moment même, partait de haut lieu l'ordre de le raser. Et ce monument, que
Montfort rêvait d'élever à son Maître, pour en exalter la gloire, par le signe
même de son humiliation, d'autres complotaient de le renverser, pour consommer
la honte de son serviteur.
N'importe ! La puissance
de la parole du missionnaire n'en sera pas moins affirmée.
Comme la Vraie Croix
elle-même, enfouie -aux entrailles de la terre et en sortant radieuse, son
Calvaire détruit renaîtra de ses ruines. Trois fois rasé, il sera trois fois
relevé. Et puis, après tout, pour juger de la valeur d'un homme, après la
mesure d'amour qu'il inspire aux bons, il y a encore la mesure de haine qu'il
inspire aux méchants.
Cette double mesure
contradictoire, Jésus, après l'avoir adoptée comme preuve de sa divinité, l'a
léguée à ses disciples, comme témoignage de leur mission. Ils passeront donc, à
leur tour, à travers le monde, porteurs de la plus étrange des paroles, qui
soulèvera, devant elle, tous les sentiments du cœur humain, un seul excepté,
l'indifférence; qui arrachera à chacun, pour le dévoiler, au grand jour, le
fond secret de ses pensées, peut-être de lui-même ignoré ; à celui-ci, la haine
dissimulée qu'il a jurée à la vérité que, peut-être, il sert par intérêt ; à celui-là,
l'amour instinctif qu’il ne cesse pas de porter à cette même vérité que,
peut-être, il combat par erreur; aux uns comme aux autres, imposant
l'obligation de fournir, par leur éternelle contradiction, la meilleure preuve
que cette parole n'est pas de la terre et ne vient pas des hommes, mais qu'elle
vient du ciel et qu'elle descende de Dieu : Signum
cui contradicetur.
III - L'ŒUVRE
Posui vos ut eatis et fructum afferatit
et fructus vester maneat.
Je vous ai
placés, afin que vous marchiez
et que vous
portiez du fruit et que votre fruit demeure.
(s. J ,
xv.16.)
Nous avons
successivement étudié, dans le Bienheureux Grignion de Montfort, l'homme, puis
la parole ; l'homme, dans sa double physionomie naturelle et surnaturelle ; la
parole, dans ses ressorts secrets et ses luttes triomphantes. Reste l'œuvre.
Cette œuvre, quelle
est-elle ? — C'est une œuvre, où nous retrouvons de nouveau la force, et, cette
fois, la force s'accusant à son plus haut degré, à savoir, l'immuable
résistance qui la met à l'épreuve du temps.
En deux mots, dans la
portion de l'Eglise où il lui a été donné de travailler, Montfort a ressuscité
la Foi et sauvé l'Amour.
Au moment où paraissait
Montfort, le siècle de Louis XIV se couchait, avec son Roi, dans une gloire
incontestée, mais dont la froide lumière, concentrée à peu près exclusivement
sur les sommets de la société, n'avait guère pénétré les masses et dont le
prestige, sans rival, à l'extérieur, pour le renom de la France, avait, sommé
toute, peu fait pour le bonheur intime des Français ; siècle étrange, mélange
bizarre d'éléments disparates, où, dans les lettres et les arts, le
christianisme de l'idée se voile dans le paganisme de la forme, et où, en
matière de doctrine et môme de morale, la rigidité des principes s'allie à la
plus déplorable facilité pour les mœurs ; époque, par conséquent, dont on peut
dire, scion les aspects et avec une égale vérité, tout le bien ou tout le mal
qu'on voudra, mais qui, à coup sûr, ne saurait échapper au reproche d'avoir rendu
immédiatement possibles, après Corneille, Voltaire ; après Pascal, Rousseau ;
après Bossuet et Fénelon, Diderot, d'Alembert et d'Holbach ; après Louis XIV,
Louis XV ; après le dix-septième siècle enfin, dont la grandeur, en définitif,
n'est pas en cause, ce triste dix-huitième siècle, « table d'un long festin
qu'un échafaud termine. »
Il faut lire les
mémoires du temps pour se faire une idée du degré d'ignorance, notamment
d'ignorance religieuse, où était alors tombé le peuple des villes aussi bien
que celui des campagnes, pour comprendre, par là même, ce que, dans ces
milieux, était devenue la Foi.
Non pas qu'elle fût
éteinte. En fait de germes, je n'en sache pas, dans l'ordre de la nature, dont
la vitalité puisse lui être opposée. Mais surtout quand la Foi a possédé, des
siècles durant, lame baptisée d'un peuple, il en est d'elle, alors, et mieux
encore, comme de ces grains de blé qu'on retrouvait naguère, dormant, depuis
4000 ans, dans les sépulcres scellés des Pharaons, et qui, jetés à nouveau en terre,
rendaient, à la stupéfaction des savants, cent pour un !
Encore faut-il quelqu'un
pour descendre au fond de ces tombeaux, y prendre ces germes et, les replaçant
en pleine terre et en plein soleil, leur rendre l'entière vertu de leur fécondité.
Cette œuvre, ce fut,
pour la Basse-Bretagne, celle des PP. Le Nobletz et Maunoir ; ce fut celle du
P. de Montfort, pour la Vendée et pour cette partie de la Bretagne que nous occupons,
et qui, trait d'union naturel entre les deux provinces, semble participer des qualités
harmonieusement fondues de l'une et de l'autre.
Les Missions, tel fut le
moyen providentiel dont se servit Montfort, pour rallumer parmi nous le
flambeau mourant de la Foi.
Préparé, comme il
l'était, pour ce genre spécial de ministère, il devait infailliblement y
réussir, étant donné surtout la sagesse avec laquelle il en réglait
l'ordonnance.
A peine une paroisse
avait-elle fait appel à son zèle ou — ce qui était le cas de beaucoup le plus
fréquent — à peine avait-elle enfin répondu à ses instantes sollicitations,
qu'on le voyait accourir. Il n'était pas seul, mais, comme jadis saint Vincent
Ferrier, son grand modèle, dont nul n'a mieux fait revivre la colossale figure,
il était accompagné de toute une escorte de collaborateurs choisis par lui, formés
à son image et animés de son souffle, prédicateurs, confesseurs, catéchistes ;
puis artistes, peintres, sculpteurs, architectes, ayant pour office de réparer
les temples matériels, dont la ruine coïncidait trop souvent avec celle des
temples spirituels, les âmes, à tout le moins d'édifier, au cours de la
Mission, des monuments destinés à en relever les cérémonies ou à en perpétuer
le souvenir. Et à peine campée, cette petite armée, nourrie, logée, entretenue,
comme disait Montfort, aux frais de la Providence, sans qu'il en coûtât un
denier aux trop heureux pasteurs de ces temps, entrait en campagne ; elle
prêchait, confessait, dirigeait, catéchisait, chantait, bâtissait, travaillait
la pierre, le bois, les métaux et, matière non moins résistante, les esprits,
les cœurs, les volontés. Enfants et vieillards, jeunes gens et jeunes filles,
hommes et femmes, ouvriers et bourgeois, pauvres et infirmes, toutes les
catégories, toutes les classes, tous les états étaient tour à tour convoqués.
réunis, entrepris, pour être l'objet de la même sollicitude et du même
dévouement. C'était comme l'investissement, la mise en état de siège de la
paroisse, suivie bientôt de l'attaque méthodique et savante, au bénéfice de la
Foi qui, bon gré mal gré, devait finir par rentrer dans son domaine reconquis.
Et elle y rentrait en
effet par tous les moyens et toutes les portes possibles, les yeux, les
oreilles, l'esprit, le cœur, l'imagination ; en un mot, par tous les sens du
corps aussi bien que par toutes les facultés de l'âme.
Grâce tout d'abord à
cette attachante mise en scène, toujours digne de nos saints mystères, où
Montfort déployait à l'aise son merveilleux génie d'invention: bénédictions,
consécrations, amendes honorables, rénovations, processions, plantations de
croix, toutes ces cérémonies enfin qui parlent si fortement au peuple et lui
livrent, sous la forme la plus accessible, l'enseignement parfois le plus
abstrait.
Grâce ensuite à
l'irrésistible parole du grand apôtre dont, malgré mes efforts, je n'ai pu vous
donner hier qu'une bien pauvre idée ; parole telle que, pour l'entendre, on
laissait tout dans les fermes et dans les villages, et, qu'après l'avoir
entendue, on se croyait suffisamment payé de la fatigue des plus longues
marches et de l'ennui des attentes les plus prolongées.
Grâce encore aux
cantiques du barde missionnaire, compositions littéraires uniques en leur
genre, comme sa parole; poésie rustique et quelque peu sauvage, parfois assez
semblable à la bruyère de nos landes bretonnes, comme elle, toujours mélancolique
; souvent gracieuse et même ravissante dans sa beauté sans apprêt ; plus
souvent encore mâle et rude dans ses strophes vibrantes, faites non pas de mots
et dépure harmonie, mais de dures vérités, mais de choses, comme dit Bossuet,
pour caractériser nos psaumes; chants pratiques, où tout est d'abord disposé
pour instruire, avant de plaire, pour convaincre avant de toucher ; mais où,
finalement, la lumière se fait chaleur; où la leçon s'achève dans le sentiment
; la morale dans la prière et la foi dans l'amour[13].
Grâce encore à cet
ensemble de confréries, de congrégations, d'associations pieuses, dont Montfort
avait soin d'envelopper la paroisse, comme d'un immense réseau, pour y
perpétuer son enseignement et offrir aux volontés chancelantes, après les
entraînements de passage, un appui permanent.
Grâce enfin à ces
retours de Mission que le prudent Apôtre avait institués et qui, les Exercices
terminés, le ramenaient, à un an d'intervalle, dans la même paroisse, pour
juger par lui-même des fruits qu'ils avaient rapportés et au besoin pour en
ressusciter les grâces.
Vous l'admettrez sans
peine ; après toute cette économie de moyens et de mesures, où l'on ne sait
qu'admirer le plus, de la sagesse ou du zèle, Montfort pouvait quitter, tranquille,
une paroisse ainsi évangélisée. La Foi y était pour longtemps rallumée.
Mais, à l'époque où
travaillait Montfort, il ne suffisait pas de rallumer la Foi.
Il fallait sauver
l'Amour.
Lentement, mais
sûrement, grandissait en France une hérésie, qui faisait son chemin parmi nous,
menaçant si elle n'était promptement arrêtée, de tarir notre sève et de vicier
le plus pur de notre sang.
J'ai nommé l'hérésie du
jansénisme. Vous me pardonnerez si je m'attarde quelque peu à vous en parler.
Dans la vie du Bienheureux, on la retrouve à chaque page. Elle et lui sont deux
adversaires qui, ardents à se combattre, ne se sont pas quittés d'un pas, du
jour où ils se sont pour la première fois rencontrés, jusqu’a celui où la mort
les a forcément séparés.
Ce qui caractérisait
cette hérésie sournoise, c'était le naturel avec lequel elle se présentait à
l'esprit chrétien ; l'apparente logique dont elle se prévalait ; l'abondante
mesure de grâces et de mérites, puisée aux pures sources du sacrifice, dont
elle se vantait de disposer au bénéfice de ses adeptes.
En réalité, c'était bien
le chef-d'œuvre de l'enfer, la consécration même de son habileté ; et, depuis
le jour fatal, où sous le couvert de la science du bien, il avait apporté à la
terre la science du mal et matérialisé l'homme sous prétexte de le déifier,
jamais Satan ne s'était montré si Satan ! Songez donc.
Au nom de la Foi, bannir
l'Espérance !
Au nom de la Contrition,
bannir la Charité!
Au nom du Respect,
bannir l'Amour !
Au nom de Dieu, écarter
Jésus-Christ !
Au nom et par crainte de
l'enfer, fermer à tout jamais les portes du ciel; c'est-à-dire, on définitif,
au nom de la religion, détruire la religion elle-même !
Se peut-il plus riche
idée ?
On débuta par la
doctrine.
On écrivit force
traités, on publia maints ouvrages, bourrés d'érudition, où l'erreur la plus
dangereuse se glissait sous la louange à outrance et la revendication énergique
des grands attributs divins que personne ne contestait : l'infaillibilité, la
sagesse, la puissance, la science, l'immensité, la justice — oh! la justice
surtout! — et où une place si petite était faite à la bonté, qu'on avait peine
à la découvrir.
De la doctrine, on passa
à la pratique; de la théorie à l'application.
Et d'abord on visa les
temples.
Ne pouvant en rétrécir
les portiques, construits à dessins si larges par les siècles aimants, on en
couvrit du moins les murailles d'inscriptions terrifiantes, empruntées ou
plutôt extorquées à nos livres saints et plus propres^ en vider qu'à en peupler
l'enceinte.
Des temples, on s'en
prit à la Vierge, à la douce figure de Marie. Désireux d'en discréditer le
culte, on affecta de croire aux abus, on supposa des excès — on en aurait
plutôt créé, pour le besoin de la cause, — on cria à l'idolâtrie, comptant bien
envelopper, dans la répression, la dévotion elle-même dans ce qu'elle avait de
plus légitime et de plus traditionnellement chrétien.
Après la Vierge, la
Croix. Au lieu de laisserait divin Crucifié ses bras étendus dans toute leur
largeur, pour embrasser, dans une immense étreinte, l'univers tout entier, on
les contraignit de tracer dans les airs je ne sais quelle désespérante
perpendiculaire ou, si vous voulez, je ne sais quel inflexible angle aigu ;
comme si Jésus, en remontant au ciel, à la fin de sa carrière ici-bas, y avait remporté
avec lui tous ses pardons, ne laissant plus à la terre qu'une implacable
justice !
Enfin des Croix, on osa
s'attaquer au Tabernacle lui-même, au saint Ciboire, qui renferme les espèces
consacrées de l'Amour, et, sous prétexte de vénération, on y apposa le sceau de
la terreur. Et c'est ainsi qu'on acheva d'isoler la personne sacrée de
Notre-Seigneur, dans un cercle splendide d'hommages et d'honneurs, où rien ne
manquait que le battement d'un cœur épris.
Voyez-vous le péril que,
dans sa sphère, avait à conjurer Montfort?
Voyez-vous l'affreux
anachronisme ? le recul de seize siècles dans le passé? la loi de crainte
renaissant vivace en plein christianisme ?
Voyez-vous les terribles
conséquences? Voyez-vous, à la place d'un Jésus tendre et accessible à tous,
aux justes et aux pécheurs, surtout aux pécheurs, voyez-vous, dis-je, un
effrayant Jéhovah qui, du haut de son Sinaï, foudroyé sans pitié les humains
éperdus ?
Voyez-vous, par là même,
pour adorateurs, dans le nouveau culte, non plus des amis, non plus des enfants
libres et saintement familiers, mais des esclaves tremblants, mais de pâles
Juifs, mais des Pharisiens formalistes qui, dans l'inextricable réseau des observances
méticuleuses, où ils se débattent impuissants, n'ont plus qu'une préoccupation
: ne pas voir la face de Dieu, de crainte de mourir?
Voyez-vous, par
conséquent et pour en finir, l'absolue nécessité, pour l'Eglise, d'appeler
toutes ses forces vives au secours de l'Amour aux abois?
Au point de vue
doctrinal, ce n'était plus à faire.
L'oracle infaillible de
Pierre avait parlé, et sa parole avait été un foudroyant anathème.
Mais, dans une hérésie,
ce qui est plus redoutable parfois que l'erreur matérielle qu'elle enseigne,
c'est la tendance qu'elle accuse, c'est l'esprit même de cette hérésie qui lui
a donné naissance, qui survit à sa condamnation, et dont on peut sentir partout
les désastreux effets, sans le saisir lui-même dans sa substance. C'était
particulièrement le cas du jansénisme, l'hérésie la plus subtile qu'on eût
jamais vue. Il fallait donc combattre son esprit, comme se combattent les
esprits, c'est-à-dire en lui en opposant un autre, diamétralement contraire et
solennellement affirmé.
Notre-Seigneur y
pourvut, dans cette apparition de Paray-le-Monial, dont les âmes religieuses
sonderont longtemps, dans leurs méditations, les mystérieux abîmes.
Jamais peut-être, depuis
la venue do Jésus au monde dans son Incarnation, l'esprit de la religion
nouvelle n'avait été plus clairement rappelé, ni plus solennellement accusé.
C'était bien l'Amour
lui-même, qui se révélait à nouveau, sous la forme de ses trois principaux
emblèmes : le Cœur, la Croix, la Vierge !
Le Cœur, dont le nom dit
l'Amour et que Jésus découvrait dans sa poitrine embrasée.
La Croix, instrument
béni du plus grand des sacrifices, au service du plus grand des amours et qui
surmontait ce Cœur où elle plongeait ses racines.
La Vierge enfin, après
Jésus, le plus beau témoignage de l'amour de Dieu pour les hommes ; la Vierge
représentée là, dans la personne de cette humble Marguerite-Marie, qui, à la
manière d'une servante, rappelait trois fois sa maitresse et par l'Ordre auquel
elle appartenait et par le nom qu'elle portait et surtout par l'ardent amour
qu'elle lui avait voué et qu'elle ne cessait de lui prouver, récitant chaque
jour son Rosaire et baisant la terre à chacun des Are. Admirable enseignement,
pour nous, maintenant si lumineux, mais dont bien peu alors étaient capables
d'embrasser la synthèse doctrinale et, moins encore, d'en déduire les
conséquences morales!
Ce sera l'éternel
honneur de Montfort d'en avoir reçu, parmi les premiers, l'intuition et d'en
avoir, d'une main ferme et sans retard, appliqué les conclusions.
L'autorité suprême du
successeur de Pierre l'avait déjà fixé sur le but à donner à sa vie et aux énergies
divines qui la travaillaient. L'apparition de Paray-le-Monial l'instruira de
plus sur les moyens à prendre, pour atteindre le but et féconder les énergies.
La triple dévotion au
Sacré-Cœur, à la Croix, à la Vierge Marie, sera donc la forme de son apostolat,
le thème de tous ses discours, l'inspiratrice de toutes ses œuvres. Aussi,
quand après avoir évangélisé une paroisse, il peut se rendre à lui-même le
témoignage qu'il y laisse le Sacré-Cœur adoré, la Croix vénérée, la Vierge
aimée, il la quitte content, certain de la voir persévérer.
Le Sacré-Cœur ! il lui a
dédié les plus beaux de ses cantiques, et l'Eglise a rendu à son serviteur un
juste hommage, en introduisant dans les litanies qu'elle lui a consacrées,
cette belle invocation : Bienheureux Père de Montfort, chantre du Sacré-Cœur,
priez pour nous !
La Croix ! inutile de
redire le culte qu'il lui avait voué. Il en avait, à la lettre, la sainte
folie. Il la voulait voir partout, au carrefour des rues, au bord des chemins,
à l'entrée et dans l'intérieur des habitations, au cou, sur le cœur et jusque
sur les vêtements des chrétiens. Il ne comprenait pas une Mission, sans qu'une
plantation de Croix vînt la clore et en consacrer la mémoire. Et quel royal
triomphe il lui ménageait alors ! Quelle procession ! Quel lit d'honneur !
Quels chants embrasés ! Quel discours inspirés ! Mais c'était surtout le
Calvaire qu’il lui fallait non seulement beau, mais splendide ! Aussi, quand le
terrain ne lui offrait pas un piédestal naturel assez élevé, il n'hésitait pas
à en dresser un, artificiel et gigantesque, comme à Pontchâteau !
La Vierge enfin ! Vous
savez comme il en a parlé, chanté, écrit. Lisez, par exemple, son traité de la
Vraie Dévotion. Jamais, depuis saint Bernard, la langue humaine n'a trouvé, à
la louange de Marie, d'accents plus élevés, plus embrasés et plus doux.
« Seigneur Jésus,
s'écriait-il souvent, donnez, oh! donnez des enfants à votre Mère ou
laissez-moi mourir ! »
Vous savez, aussi, sous
quelle forme à peu près exclusive, il aimait à ramener la dévotion qu'il lui
consacrait, la forme, en apparence, si humble, en réalité si profonde du
Rosaire. Depuis les jours de saint Dominique, son fondateur, et du Bienheureux
Alain de la Roche, son restaurateur, le Rosaire n'a pas vu d'apôtre plus
convaincu, plus entraînant et plus heureusement récompensé[14].
Il l'atteste lui-même dans son pittoresque langage. « Jamais pécheur ne m'a
résisté, quand j'ai pu lui mettre la main au collet avec mon Rosaire. »
C'est que, dans le
Rosaire compris et pratiqué dans son esprit intégral, c'est-à-dire dans la
série entrelacée des prières et des mystères qui le constituent, le Bienheureux
voyait absolument tout. Parallèlement à la vie de Marie, la vie de Jésus, qui
en est le principe, le modèle et la fin. A côté de la Croix que le Rédempteur a
portée sur ses épaules et sur laquelle il a été cloué, la Croix invisible que
la Corédemptrice a portée dans son âme et qui n'a cessé de l'ensanglanter. A
côté enfin du Cœur sacré du Fils, le cœur auguste de la Mère qui en a répercuté
tous les battements.
Voilà donc sous quelle
forme le Bienheureux de Montfort prêchait la dévotion à la Très Sainte Vierge,
après celles du Sacré-Cœur et de la Croix.
Et soucieux de ne pas
séparer ce que Dieu a uni, il s'attachait à rapprocher autant que possible ces
trois dévotions jusque dans la représentation matérielle de leurs emblèmes
consacrés.
Les croix qu'il élevait,
il les semait assez habituellement, dans toutes leurs dimensions, de cœurs
enflammés et, à leurs pieds, n'oubliait jamais de faire figurer l'image de
Marie, debout, dans l'immensité de sa douleur. Parfois même, quand le
développement du terrain s'y prêtait, comme à Pontchâteau, il se plaisait à
dérouler autour de son Calvaire et des scènes de la Passion, la chaîne de fer
d'un immense Rosaire. Grandiose et symbolique idée qui nous montrait le double
et mystérieux chemin de la Croix et du Rosaire, du Fils et de la Mère, partant
dû même point, se développant parallèlement à travers les mêmes douloureuses
stations, et aboutissant finalement au même but: le Salut par le Sacrifice et
la Glorification par la Rédemption !
Il a fait plus encore
que de consacrer, dans des emblèmes matériels, le souvenir de sa triple
dévotion. Inconsciemment, je le veux bien, mais non moins réellement, il l'a
gravé dans des emblèmes vivants. Car enfin, mes Frères, vous ne me défendrez
pas de voir quelque chose qui ressemble à la personnification du Cœur, de la
Croix et de la Vierge, c'est-à-dire de la Pureté, de la Pénitence et de
l'Amour, dans les deux congrégations qu'il a directement et personnellement
fondées et qui sont sorties du fond même de son âme ; dans ces humbles Sœurs de
la Sagesse, que vous voyez, toujours gaies et souriantes, traverser vos rues
pour aller à l'école et à l'hospice, s'incliner sur les deux faiblesses
extrêmes de la vie : l'enfant et le vieillard pauvre; et dans ces intrépides
Missionnaires de Marie, qui s'en vont en tous lieux, par de la même les Océans,
porter, avec la Croix de leur Maître, la flamme de leur dévouement !
Et maintenant, pour tout
terminer, il est temps de répondre à la dernière question que nous nous sommes
posée.
Député spécialement par
le Saint-Siège pour combattre, en France, le jansénisme ; ayant, dans ce but,
mis en honneur la triple Dévotion que lui suggérait l'apparition de
Paray-le-Monial, Montfort a-t-il réussi ? Son œuvre a-t-elle franchi le cercle
très étroit de la durée, dans lequel le temps a enfermé sa vie? En d'autres
termes, après avoir, comme nous l'avons vu, ressuscité la Foi, a-t-il sauvé
l'Amour au sein des populations qu'il a évangélisées ?
Nous sommes à l'aise
pour répondre, car ce n'est pas nous, c'est l'histoire qui répond pour nous.
Tandis que, dans les
autres contrées de la France, le jansénisme, sans avoir raison de l'antique
Foi, grâce à cette vitalité dont je vous parlais au début, ne laissait pas d'en
paralyser singulièrement l'expansion et surtout l'empêchait absolument de
s'épanouir en amour et en œuvres dévie ; dans les provinces de l'Ouest,
cultivées par la parole du Bienheureux, la foi conservait intactes ses qualités
de force et de fécondité; elle faisait de nos pères un peuple de chrétiens robustes,
à la piété franche et ouverte, aux mœurs primitives, simples et pures, capable
enfin des beaux enthousiasmes et des généreux entraînements.
Le monde étonné devait
en voir bientôt une preuve immortelle.
Quand le dix-huitième
siècle, sur le point d'expirer, dans sa longue torpeur, fut brusquement
réveillé par la crise révolutionnaire, la Vendée — et, sous ce nom historique,
je comprends, il va sans dire, ce sol breton que nous foulons — la Vendée se
leva, tout entière, comme un seul homme, pour la défense de ses autels et de
ses foyers, de sa foi et de son droit. Et, d'un bout à l'autre du pays, du
Marais au Bocage et du Bocage à la lande bretonne, retentit le cri de guerre
des Macchabées : « Jeunes gens, levez-vous dans votre force et armez-vous pour
la lutte, parce qu'il est meilleur pour nous de mourir sur le champ de bataille
que de voir les maux de notre nation et des saints[15].
»
Or, à ce moment même,
que faisait le reste de la France ?
Le reste de la France,
en proie au pire des régimes, le régime de la Terreur, ne savait que mourir;
non sans courage, je le veux bien ; avec fierté même, je suis heureux de le
proclamer. Mais enfin, s'il est déjà beau de mourir ainsi,il l'est mille fois
plus de mourir, en défendant sa vie, quand un intérêt impersonnel en dépend.
Ce n'est pasredouter la mort que d'aller la chercher sur un champ de bataille,
au lieu de l'attendre, le front serein, au fond de sa demeure ou sur la
plate-forme d'un échafaud ; c'est la braver au contraire ; c'est lui disputer
pied à pied ce qu'elle n'a pas le droit de nous ravir ; c'est jeter à la
tyrannie une protestation suprême, la protestation de la résistance, qui la
soufflette dans son triomphe ; c'est semer pour l'avenir des germes de victoire
; c'est déjà, du fond de sa défaite, dicter à son vainqueur des conditions que,
tôt ou tard et plus tôt que plus tard, il sera contraint de signer î Voilà ce
que fit cette magnanime contrée, dont nous sommes si justement fiers de faire
partie, et qui, dans le Baptême de son noble sang, a reçu ce nom qui l'incarne
et dira sa gloire aux siècles reculés : la Vendée militaire !
Et pour que le monde vit
bien que ces géants, comme les appelait un homme, qui se connaissait en hommes,
étaient bien les fils légitimes des chrétiens, formés par Montfort. et
tenaient, en droite ligne, de lui, leur héroïque vaillance et les saintes
exaltations de leur Foi, c'étaient bs cantiques de Montfort qu'ils entonnaient,
comme hymnes de guerre, pour marcher au combat ; c'était le Rosaire de Montfort
qu'ils portaient, suspendu à leur ceinture et qu'ils récitaient avant la
bataille ; c'était enfin le Cœur et la Croix sacrés, si souvent chantés par
Montfort, dont ils portaient l'image visiblement attachée sur leurs poitrines,
pour en activer les battements.
Et quand, à un siècle de
là, devant l'auguste tribunal qui proclame les saints, un fils de saint
Dominique se lèvera, sollicitant, pour son frère du Tiers-Ordre et l'apôtre du
Rosaire, les honneurs de la Béatification, il dira que « Montfort a bien mérité
de l'Église, pour avoir préparé au sein de la France, un peuple parfait et des
enfants qui, dignes héritiers de leurs pères, ont, dans les jours mauvais,
soutenu la piété et résisté héroïquement, jusqu'à la mort, pour leurs autels et
leurs foyers ! »
Honneur donc à la Vendée
! Mais plus encore honneur à Montfort qui a fait la Vendée ! Ou plutôt, immense
assemblée qui m'écoutez, joignez-vous à moi pour rendre honneur et gloire à
N.-S. Jésus-Christ ici présent, qui seul a fait Montfort et la Vendée !
J'ai fini, mes Frères ;
mais je ne saurais descendre de chaire, sans vous prier de suppléer, par la
fidélité de vos souvenirs, aux lacunes de mes discours. J'ai la conscience en
effet, au terme de ces trois jours, pendant lesquels je vous ai si longuement
entretenus du Bienheureux, de vous en avoir dit, somme toute, fort peu de
chose. Que voulez-vous ? C'est le-propre de la vie des saints d'écraser, par
une fécondité qui touche à l'infini, ceux qui ont reçu le périlleux honneur
d'en parler.
Mes Frères ; un jour, le
Bienheureux, traversant notre diocèse, passait non loin de la petite ville de
Vallet où, naguère il avait donné les exercices de la Mission. Instamment
sollicité de s'y arrêter, comme il avait coutume de le faire dans toute
paroisse qu'il avait une première fois évangélisée, il s'y refusa obstinément.
«Non, dit il, je ne retournerai point parmi eux. Ils ont abandonné mon Rosaire.
»
Grande leçon qu'il nous
faut méditer et emporter comme le souvenir pratique de ces belles fêtes !
Seulement appliquons-la, non pas uniquement au Rosaire, mais encore au
Sacré-Cœur et à la Croix, puisque le Bienheureux n'a jamais séparé ces trois
dévotions.
Notre époque offre avec
celle de Grignion de Montfort, notamment au point de vue des périls que la Foi
peut avoir à courir, plus d'une analogie qu'il serait aisé de relever. Eh bien,
si nous voulons, pour faire face aux mêmes difficultés, que l'esprit du
Bienheureux revienne ou plutôt continue de demeurer vivant parmi nous, restons
fidèles à ses enseignements et à ses pratiques; restons fidèles au Rosaire,
récité, comme il le voulait, c'est-à-dire avant tout en famille ; restons
fidèles à la Croix, honorée, comme il le voulait, c'est-à-dire par la
mortification, dans la mesure tout au moins que nous demandent les lois de
l'Église ; restons fidèles enfin au Sacré-Cœur, adoré, comme il le voulait,
c'est-à-dire non pas seulement par des sentiments émus, mais par l'hommage
effectif de tous nos amours, dans la consécration sans cesse renouvelée de tout
notre être !
Et, alors, croyez-le
bien, l'esprit du père Testera présent au milieu de ses enfants, pour leur
inspirer, quoiqu'il arrive, comme par le passé, des choses dignes d'eux, dignes
de lui, dignes des aïeux et surtout dignes de Dieu.
— Ainsi soit-il.
NOTES ET
ÉCLAIRCISSEMENTS
NOTE DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL VILLEC0URT, RELATIVEMENT AUX INTERDITS DU
BIENHEUREUX MONTFORT
[16]
.
(Page 65.)
« En France, on n'a
jamais prétendu frapper des censures ecclésiastiques un prêtre, par cela qu'on
lui refuse des pouvoirs, ou qu'on les restreint, ou qu'on les retire ; et
cependant, la pauvreté de notre langue, ou notre inexactitude, a voulu qu'on
employât aussi pour exprimer ces refus, restrictions ou retraits de pouvoirs,
les verbes suspendre et interdire. De là vient que les étrangers, prenant nos
expressions dans le sens le plus sévère, supposent des censures
ecclésiastiques, là où nous sommes bien éloignés d'avoir eu la pensée d'en
désigner.
« C'est ce qui est
arrivé à l'égard de M. de Montfort. Ses historiens ont dit qu'il avait été
interdit ; aucun des lecteurs instruits n'en a conclu, en France, qu'il eût été
frappé des censures ecclésiastiques. Mais les étrangers ont pu facilement avoir
cette pensée. Elle serait une grande erreur.
« Il n'a subi aucune
censure. Il en resterait quelque trace, quelque monument, quelque souvenir.
Rien de tout cela. Il y a des monuments entièrement contraires dans les
témoignages des Evêques. — Il n'a rien fait pour mériter une censure. On a pu
blâmer jure aut immerito ses manières
ou son zèle ; mais le frapper, pour cela, des peines ecclésiastiques, eût été
un scandale pour toute la France. — Il n'a pu subir de censure d'après les
usages de l'Église de France, où les censures ab homine sont précédées de trois monitions. — La raison qu'on a
donnée, c'est que les Jansénistes auraient pu ou pousser, ou porter à cet acte
d'injustice par haine contre un zélé défenseur de la foi tel que M. de Montfort
; cette raison ne vaut rien ; car les Jansénistes étaient généralement ennemis
des censures, et les faisaient cesser plutôt qu'ils n'en usaient. Si le
serviteur de Dieu eût été mis à cette épreuve, ils se seraient plutôt déclarés
ses défenseurs en cette matière surtout. »
RÉPONSES QU'OPPOSE LE BIENHEUREUX AUX BLAMES QUE SOULEVAIT SA CONDUITE.
(Page 67.)
Après sa mission de
Saint-Lô, le Bienheureux se dirigea vers Rouen, pour y voir M. Blain, son
ancien condisciple d'humanités et de théologie. Celui-ci crut devoir profiter
de ses intimes relations avec Montfort, pour ne rien lui cacher des
appréciations sévères que provoquait l'étrangeté de ses manières. « Je
commençai, dit M. Blain, par lui décharger mon cœur sur tout ce que j'avais à
dire ou entendu dire contre sa conduite et ses manières; je lui demandai quel
était son dessein, s'il espérait jamais trouver des gens qui voulussent le
suivre dans la vie qu'il menait; qu'une vie si pauvre, si dure, si abandonnée à
la Providence, était pour les Apôtres, pour des hommes d'une force, d'une grâce
et d'une vertu rares, pour des hommes extraordinaires, pour lui qui en avait
l'attrait et la grâce, mais non pas pour le commun qui ne pouvait atteindre si
haut, et que ce serait témérité de le tenter ; que s'il voulait s'associer dans
ses travaux d'autres ecclésiastiques, il devait ou rabattre de la rigueur de sa
vie et de la sublimité de ses pratiques de perfection, pour condescendre à leur
faiblesse, ou les faire élever à sa hauteur par l'infusion de sa grâce. Pour
réponse, il me montra son Nouveau Testament, et me demanda si je trouvais à
redire à ce que Jésus-Christ a pratiqué et enseigné, et si j'avais à lui
montrer une vie plus semblable à la sienne et à celle de ses apôtres, qu'une
vie pauvre, mortifiée, et fondée sur l'abandon à la Providence, qu'il n'avait
point d'autres vues que de la suivre et d'autre dessein que d'y persévérer ;
que si Dieu voulait l'unir à quelques bons ecclésiastiques dans ce genre de
vie, il en serait ravi ; mais que c'était l'affaire de Dieu, et non la sienne;
que pour ce qui le regardait, il n'avait point d'autre parti à prendre que de
suivre l'Evangile et de marcher sur les traces de Jésus-Christ et de ses
disciples. Que pouvez-vous dire contre ? ajouta-t-il ; fais-je mal ? Ceux qui
ne veulent pas me suivre vont par une autre voie moins épineuse, et je l'approuve
; car comme il y a plusieurs demeures dans la maison du Père céleste, il y a
aussi plusieurs voies pour aller à lui; je les laisse marcher dans la leur,
laissez-moi marcher dans la mienne, d'autant plus que vous pouvez lui disputer
ses avantages ; elle est celle que Jésus-Christ a enseignée par son exemple et
par ses conseils : elle est, par conséquent, la plus courte, la plus sûre et la
plus parfaite pour aller à lui. — M'ayant ainsi fermé la bouche sur ce point,
il ne tarda pas à me la fermer sur celui qui suit ; — Mais où trouverez-vous,
lui dis-je, dans l'Evangile, des preuves et des exemples de vos manières
singulières et extraordinaires ? Pourquoi n'y renoncez-vous pas, ou ne
demandez-vous pas à Dieu la grâce de vous en défaire '? Les rebuts, les
contradictions, les persécutions vous suivent partout, parce que vos
singularités les attirent ; vous feriez beaucoup plus de bien et vous
trouveriez beaucoup d'aides dans vos travaux, si vous pouviez gagner sur vous
de ne rien faire d'extraordinaire, et de ne point fournir aux libertins et aux
mondains des armes contre vous et contre le succès de votre ministère. Alors je
lui nommai des personnes d'une sagesse consommée. Voilà, dis-je, des modèles de
conduite sur lesquels vous devriez vous mouler ; ils ne font point parler
d'eux, et vous ne feriez point tant parler de vous, si vous les imitiez. Il me
répliqua que s'il avait des manières singulières, c'était bien contre son
intention ; que, les tenant de la nature, il ne s'en apercevait pas, et qu'étant
propres à l'humilier, elles ne lui étaient pas inutiles : qu'au reste, il
fallait s'expliquer sur ce qu'on appelle manières extraordinaires ; que si on
entendait par là des actions de zèle, de charité, de mortification et d'autres
pratiques de vertus héroïques et peu communes, il s'estimait heureux d'être, en
ce sens, singulier, et que si ce genre de singularité est un défaut, c'est le
défaut de tous les saints ; qu'après tout, on acquérait à peu de frais, dans le
monde, le titre de singulier; qu'on était sûr de cette dénomination pour peu
qu'on ne voulût pas ressembler à la multitude; que c'était une nécessité d'être
singulier dans le monde, si on veut se séparer de la multitude des réprouvés ;
que le nombre des élus étant petit, il fallait renoncer à y tenir place, ou se
singulariser avec eux, c'est-à-dire mener une vie fort opposée à celle de la
multitude.
t( Il ajouta qu'il y
avait différentes espèces de sagesse, comme il y en avait différents degrés ;
qu'autre était la sagesse d'une personne de communauté pour se conduire, autre
la sagesse d'un missionnaire et d'un homme apostolique ; que la première,
n'ayant pas à entreprendre du nouveau, doit se laisser conduire par la règle et
les usages d'une maison sainte ; que les autres avaient à procurer la gloire de
Dieu aux dépens de la leur et à exécuter de nouveaux desseins ; qu'il ne
fallait donc pas s'étonner si les premiers demeuraient tranquilles et cachés,
et s'ils ne faisaient point parler d'eux, n'ayant rien de nouveau à
entreprendre; mais que les seconds, ayant de continuels combats à livrer au
monde, au démon et aux vices, avaient à essuyer de leur part de terribles
persécutions, et que c'est signe qu'on ne fait pas grand'peur à l'enfer quand
on demeure ami du monde ; que les personnes que je lui proposais comme des
modèles de sagesse étaient du premier genre ; qu'il n'en était pas de même des
missionnaires et des hommes apostoliques ; qu'ayant toujours quelque chose de
nouveau à entreprendre, quelque œuvre sainte à établir ou à défendre, il était
impossible qu'ils ne fissent parler d'eux, et qu'ils eussent les suffrages de
tout le monde ; qu'enfin, si on mettait la sagesse à ne rien faire de nouveau
pour Dieu, à ne rien entreprendre pour sa gloire, de peur de faire parler, les
Apôtres auraient eu tort de sortir de Jérusalem, ils auraient dû se renfermer
dans le cénacle. Saint Paul n'aurait pas dû faire tant de voyages, ni saint
Pierre tenter d'arborer la Croix sur le Capitole, et de soumettre à
Jésus-Christ la Ville Reine du monde : qu'avec cette sagesse, la synagogue
n'eût point remué et n'eût point suscité de persécution au petit troupeau du
Sauveur ; mais qu'aussi ce petit troupeau n'eût point crû en nombre, et que le
monde serait encore aujourd'hui ce qu'il était alors, idolâtre, perverti,
souverainement corrompu en ses mœurs et en ses maximes.
« Je lui dis encore
qu'on l'accusait de faire tout à sa tête ; qu'il valait mieux faire moins de
bien, et le faire avec dépendance, consulter les supérieurs, et ne rien
entreprendre sans leur ordre et sans leur permission. Il convint de la maxime,
en ajoutant qu'il croyait la suivre en tout ce qu'il pouvait, et qu'il serait
bien fâché de faire rien à sa tête ; mais qu'il y avait des occasions et des
rencontres imprévues et subites, où il n'était pas possible de prendre les avis
ou les ordres des supérieurs ; qu'il suffisait, en ces sas, de ne vouloir rien
faire qu'on ne crût devoir leur plaire et mériter leur approbation, et être
disposé à leur obéir au moindre signe de leur volonté ; qu'au reste, il
arrivait que des œuvres commencées avec le consentement des supérieurs,
n'avaient pas quelquefois à la fin leur agrément, soit parce qu'ils étaient
prévenus par des gens malintentionnés, et indisposés par de faux rapports, soit
parce qu'ils écoutaient le jugement de ces sages qui ne sont presque jamais
favorables aux œuvres saintes ; qu'alors il n'y avait point d'autre parti que
de se soumettre aux ordres de la Providence, et recevoir de bon cœur les croix,
les persécutions, comme la couronne et la récompense de ses bonnes intentions ;
qu'enfin, il était persuadé que l'obéissance étant la marque certaine de la
volonté de Dieu, il ne fallait jamais s'en écarter, mais que sa conscience ne
lui faisait point de reproche sur ce sujet, et qu'il était, en tout temps et
toutes rencontres, dans la disposition d'obéir et de ne rien faire qu'avec
l'agrément des supérieurs ; mais qu'il ne pouvait pas empêcher les faux
rapports, les médisances, les calomnies, les traits d'envie et de jalousie.
« Je lui fis plusieurs
autres objections que je croyais sans réplique ; mais il y satisfit avec des
paroles si justes, si concises et si animées de 1 esprit de Dieu, que je
demeurais étonné qu'il me fermât la bouche. »
CANTIQUE COMPOSÉ PAR LE BIENHEUREUX POUR LA CÉRÉMONIE DE L'AMENDE HONORABLE
(Page 88.)
Soupirons, gémissons,
pleurons amèrement !
On délaisse Jésus au
Très-Saint-Sacrement,
On l'oublie, on
l'insulte en son amour extrême.
On l'attaque, on
l'outrage et dans sa maison même.
Tout reluit chez
Monsieur, il est très bien meublé :
L'église est dans
l'oubli, l'autel est dépouillé,
Le pavé tout brisé, le
toit sans couverture,
Les murs tout écroulés
et tout couverts d'ordure.
Le ciboire est cassé, le
calice noirci.
Le soleil tout d'étain
ou d'un laiton moisi,
Le crucifix rompu, la lampe
sans lumière,
Toute chose à l'envers,
partout en la poussière.
Les linges sont pourris,
les ornements crasseux.
Les Saints estropiés et
les tableaux poudreux.
Enfin depuis les fonts
jusqu'à la sacristie.
Tout est dans le mépris
et dans l'ignominie.
On y vient quelquefois
le soir ou le matin,
Pour voir, pour être vu,
pour couper son chemin.
Pour entendre un sermon
qu'un grand abbé prépare :
Mais pour Jésus-Christ
seul, oh ! que la chose est rare !
Mais voyez en pleurant,
voyez d'une autre part
Une femme éventée,
enflée dans son brocart,
Sur ses souliers
mignons, la tète à triple étage,
Venir dans nos saints
lieux, jouer son personnage.
Souvent on voit tomber
ce beau ballon de vent
Auprès de nos autels,
proche du Dieu vivant :
On ne regarde plus Jésus
au tabernacle :
Ce suppôt du démon
devient tout le spectacle.
Voyez la baladine y
disputer l'honneur
A la divinité du
souverain Seigneur :
L'autel ne brille plus
auprès de ses parures ;
L'or même en est
crasseux auprès de ses dorures.
Quoi! nos autels
sont-ils des théâtres mondains!
Nos mystères sacrés des
jeux de baladins !
La messe un passe-temps,
l'Evangile une fable,
Jésus-Christ une idole
et l'église une étable !
Que dirai-je, mon Dieu,
de ces Judas nouveaux,
De ces loups déguisés
sous la peau des agneaux,
Qui viennent vous
trahir, lorsqu'ils vous sacrifient,
Et vous donner la mort,
les jours qu'ils communient ?
Frappez, Seigneur,
frappez ces insolents ingrats :
Du moins ils vous
craindront, s'ils ne vous aiment pas ;
Joignez votre justice à
votre amour immense,
On verra succéder la
crainte à l'insolence.
Ou plutôt accordez grâce
à ces insolents
En vous vengeant sur
nous de ces affronts sanglants.
Pardon, cœur de Jésus,
cœur tendre, cœur aimable ;
Recevez, exaucez notre
amende honorable.
Amis du Sacré-Cœur et du
Saint-Sacrement
Gémissons de concert,
pleurons amèrement.
La torche ardente en
mains, pieds nuds, au cou la corde,
Crions, Seigneur, pardon
! pardon! miséricorde!
PARIS — IMP. V. GOUPY ET JOURDAN, RUE DE RENNES. 71.
[1]
Mgr Gonindard, archevêque de Sébaste,
coadjuteur de Son Eminence le cardinal Place, archevêque de Rennes ; Mgr Lecoq,
évêque de Nantes ; Mgr Catteau, évêque de Luçon.
[2]
A Montfort-la-Canne, petite ville du diocèse de Saint-Malo, le 31 janvier
1673. Au baptême, on lui donna le nom de Louis, auquel il ajouta, en recevant
la confirmation, le nom de Marie, pour marquer sa dévotion à la Mère de Dieu.
Plus tard, regardant la grâce comme sa mère et la nature comme une inconnue, il
quitta son nom paternel et se fit appeler Montfort parce qu'il avait reçu le
baptême dans cette ville. (L'abbé
Pauvert.)
[3]
Il mourut à
Saint-Laurent-sur-Sèvre, en Vendée, le 28 avril 1716, à l'âge de 43 ans. De
l'aveu de tous ses historiens, sa mort fut hâtée par le poison que lui
versèrent les hérétiques.
[4]
L'abbé Blain, premier historiographe du Bienheureux.
[5]
M. l'abbé Pauvert.
[6]
Expression de son défenseur dans le premier
procès relatif à l'introduction de la cause.
[7]
Il n'y a rien de plus inconnu aux hommes que
les conduites particulières de Dieu sur les âmes. C'est un secret qu'il s'est
réservé. Il n'appartient pas à do faibles mortels de les vouloir pénétrer; il
suffit qu'on les adore. (Bossuet.) — Hélas! c'est ce qu'on est trop souvent
porté à oublier.
[8]
I Cor., VI, 10.
[9]
Spiritus ubi vult spirat et vocem ejus audis,
sed nescis unde veniat aut quo vadat; sic est omnis qui natus est ex spiritu.
(Joan., III, 8.)
[10]
Saint Antonin.
[11]
Voir, à la fin, la note relative au sen9 dans
lequel il faut entendre ces interdits.
[12]
Nous donnons à la fin in extenso ce curieux morceau.
[13]
Voir à la fin le cantique de l'Amende
honorable, que nous empruntons à l'ouvrage de M. Pauvert et qui résume assez
bien le genre poétique du saint missionnaire.
[14]
Voilà le Père au grand chapelet, disaient les
paysans quand ils le voyaient arriver, égrenant son Rosaire, ou quand ils
l'entendaient en expliquer, du haut de la chaire, les touchants mystères.
[15]
Et ait Judas : Accingimini et estote fllii potentes
et estote parati in mane, quoniam melius est nos mori in bello, quam videre
mala gentis nostra et sanctorum. (I Macchab. , 3-58.)
[16]
Nous empruntons cette note et les suivantes à
l'ouvrage de M. l'abbé Pauvert.