Fonteneau Histoire SMM Tomo I
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D. S.
HISTOIRE
de la
COMPAGNIE DE MARIE
fondée par
le Bienheureux GRIGNION DE MONTFORT
par
le R. P. FONTENEAU
de la Compagnie de Marie
Livre I
Dactylographie N. D. de Montfort, CANADA
1913
LIVRE PREMIER 3
CHAPITRE PREMIER 3
CHAPITRE II 8
CHAPITRE III 13
CHAPITRE IV 19
CHAPITRE V 24
CHAPITRE VI 33
CHAPITRE VII 38
LIVRE DEUXIÈME 44
CHAPITRE PREMIER 44
CHAPITRE II 51
CHAPITRE III 58
CHAPITRE IV 65
CHAPITRE V 71
CHAPITRE VI 77
CHAPITRE VII 85
CHAPITRE VIII 91
TABLE DES MATIÈRES 99
LIVRE PREMIER
Depuis la mort du Bienheureux de
Montfort, fondateur de la Compagnie de Marie, jusqu’à celle du Père Mulot.
(1716 – 1749)
CHAPITRE PREMIER
Situation des Congrégations
religieuses établies par le Bienheureux de Montfort, au moment de sa mort. –
Les Pères Vatel et Mulot appelés aux missions par Montfort lui-même.
Lorsque le Bienheureux de Montfort termina sa sainte et glorieuse
carrière, ses œuvres les plus importantes étaient loin d’être consolidées.
L’arbre, qu’il avait planté dans le jardin de L’Église, n’avait pas encore eu
le temps de jeter de profondes racines ; la moindre tempête était capable de le
renverser. Mais la divine Providence, sur laquelle il avait toujours compté, et
qui ne l’avait jamais trompé dans ses espérances, ne pouvait manquer de
protéger la famille naissante qu’il avait engendrée dans son zèle pour la
gloire de Dieu et le salut des âmes.
Quatre Filles de la Sagesse étaient occupées à faire la classe aux
petites filles pauvres de la Rochelle. Leur Bienheureux Père leur avait fait de
belles promesses pour l’avenir ; mais il les quittait au moment où elles
avaient plus grand besoin de lui. Quatre Frères de sa Communauté avaient
prononcé leurs vœux, et quatre autres s’étaient attachés à lui, sans avoir
encore contracté aucun lien durable. De tous les prêtres qui avaient partagé
ses travaux apostoliques, deux seulement paraissaient disposés à continuer
l’œuvre des missions, sans cependant avoir pris aucun engagement.
En mourant, le saint fondateur laissait donc entièrement ses
Congrégations naissantes entre les mains de la divine Providence, et Dieu, tout
bon et tout-puissant, n’a point abandonné l’œuvre qu’il avait inspiré lui-même
à son fidèle serviteur.
Les deux premiers enfants de Montfort, qui avaient eu le bonheur de
travailler avec lui dans les missions, son les Pères Vatel et Mulot. Nous
allons dire dans quelle circonstance ils se sont attachés à l’homme de Dieu
pour partager ses travaux apostoliques.
Monsieur Adrien Vatel, du diocèse de Coutances, montra dès l’enfance de
grandes dispositions à la vertu ; de bonne heure on le crut appelé à l’état
ecclésiastique, et on songea à lui faire entreprendre les longues et sérieuses
études qui conduisent au sacerdoce. Après avoir terminé ses humanités dans son
pays, il fut envoyé au séminaire du Saint-Esprit, à Paris, où il se distingua
par sa science et sa piété. Il se trouvait dans cette communauté, quand
Montfort y alla en 1713, dans l’espérance d’y recruter quelques sujets pour la
compagnie de missionnaires qu’il songeait à fonder. Le jeune séminariste eut
l’occasion de voir l’homme de Dieu, de l’entendre et d’admirer ses vertus, et
il fut l’un de ceux qui lui donnèrent l’espoir de se joindre à lui, dès qu’ils
pourraient travailler au salut des âmes.
On ne sait quel motif le fit changer de sentiments ; ce fut peut-être
le seul désir d’aller faire des missions chez les sauvages et les idolâtres des
pays lointains. En effet, son premier attrait fut pour la conversion des
infidèles, dans les Indes, et, dès qu’il fut prêtre, il s’arrêta à cette
pensée. Il songea bientôt à prendre toutes ses mesures pour quitter la France.
Tout d’abord il demanda et obtint, des archevêques de Paris et de Rouen, les
pouvoirs dont il croyait avoir besoin. Il paraît que, dans cette circonstance,
on ne respecta pas assez les limites posées à la juridiction épiscopale.
C’était le temps où quelques évêques, imitant le pouvoir civil, étaient trop
portés à restreindre la juridiction et les droits du Pape, au profit de leur
propre autorité.
Le jeune prêtre craignit d’abord que les deux archevêques n’eussent, en
effet, outrepassé leurs pouvoirs ; mais, sans prendre le temps d’approfondir la
question, il se hâta d’aller s’embarquer sur une frégate qui partait pour les
Indes. Le capitaine lui avait avancé une somme d’argent pour acheter des livres
et des ornements sacerdotaux, à condition qu’il lui servit d’aumônier, pendant
la traversée. À peine s’était-il embarqué qu’il sentit augmenter ses doutes sur
la validité des pouvoirs qu’on lui avait accordés. Des raisons, qu’il avait
d’abord méprisé, lui parurent graves, et le jetèrent dans une très grande
perplexité. Dieu, qui ne voulait pas le laisser dans l’erreur, et qui
d’ailleurs le destinait à une autre mission, permis que la frégate, sur
laquelle il était, vint mouiller dans la rade de La Rochelle. Il fut heureux de
trouver l’occasion de consulter Monseigneur de Champflour qui passait avec
raison pour l’un des plus savants prélats du royaume.
Étant descendu à terre, il se disposait à aller faire visite à
l’évêque, lorsqu’il apprit que Monsieur de Montfort était à La Rochelle. Il
voulut le voir, avant même de se rendre à l’évêché. Sachant qu’il devait
prêcher dans la chapelle des religieuses de la Providence, il alla assister au
sermon. Ce sermon ne répondit pas tout d’abord à l’idée qu’il s’était fait du
prédicateur. Il ne savait trop qu’en penser, et il se sentait porter à croire
que ce prêtre pourrait bien être au-dessous de sa réputation, lorsque tout à
coup le missionnaire s’arrêtant au milieu de son discours, prononça
distinctement ces paroles que Monsieur Vatel regarda comme lui étant adressées directement
et dont il fut singulièrement frappé : « il y a ici quelqu’un qui me résiste ;
je sens que la parole me revient ; mais il ne m’échappera pas. »
Le sermon fini, Monsieur Vatel alla saluer Montfort qui lisait alors la
lettre d’un prêtre, lequel s’excusait de ne pouvoir travailler avec lui dans
une mission, comme il le lui avait promis. Dès que l’homme de Dieu aperçut
l’étranger qui se présentait à lui : « bien, dit-il, un prêtre me manque de
parole, en voici un autre que le bon Dieu m’envoie. Il faut, Monsieur,
ajouta-t-il, en s’adressant à lui, que vous veniez avec moi, et que nous
travaillions ensemble. « Celui-ci répliqua que la chose ne pouvait se faire,
qu’il partait pour les missions étrangères et qu’il avait pris des engagements
avec un capitaine qu’il avait reçu sur son navire, en qualité d’aumônier. »
Cependant quand il eut proposé ses difficultés au sujet des pouvoirs
qui lui avaient été accordés, le Bienheureux serviteur de Dieu décida nettement
qu’ils étaient invalides, que le Souverain Pontife, dont la juridiction s’étend
sur le monde entier, pouvait seul donner de tels pouvoirs et envoyer partout
des missionnaires dans les pays infidèles. Ils se rendirent ensemble chez
l’évêque qui confirma la décision de Montfort, et l’appuya des raisons les plus
convaincantes. La seule chose qui pouvait encore empêcher Monsieur Vatel de
rester à La Rochelle, c’était l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis du
capitaine et les avances que celui-ci lui avait faites. Mais le généreux prélat
coupa court à cette difficulté, en lui remettant 300 livres, somme égale à
celle qu’il avait reçue, afin d’acquitter sa dette.
Quand le capitaine apprit ce qui s’était passé, il entra dans une
grande fureur, et jura que, s’il rencontrait le missionnaire il lui passerait
son épée au travers du corps. Celui-ci, prévenu de ces menaces, n’en fut
nullement troublé. Après avoir prié pour le capitaine, il alla le trouver sur le
champ, et, en l’abordant, il lui dit, de ce ton simple et naïf, qui marque une
âme tranquille et exempte de toute crainte : « on m’a dit, Monsieur, que vous
vouliez m’ôter la vie ; me voici, je viens vous la présenter. » À ces mots, le
capitaine sentit son émotion se dissiper. Il se plaignit seulement, mais avec
douceur, du tort qu’on lui faisait, en lui enlevant son aumônier, ajoutant
qu’il ne savait où trouver un autre prêtre : Montfort parvint si bien à calmer
le capitaine et à le consoler de la perte de son aumônier qu’ils ne se
quittèrent qu’après s’être embrassés comme les meilleurs amis du monde.
Dès ce moment, monsieur Vatel éprouva une paix et un contentement
intérieur qui lui donnèrent l’assurance qu’il était dans la voie où la Providence voulait le faire
marcher. Monseigneur de Champflour lui
accorda tous les pouvoirs dont il pouvait avoir besoin pour son diocèse,
et le Bienheureux de Montfort l'attacha
irrévocablement â sa personne et â sa compagnie, dont il fut le premier membre.
Le second, monsieur René Mulot, était
né à Fontenay-le-Comte, alors du
diocèse de La Rochelle. Devenu prêtre, il fut nommé, on
ne sait pourquoi, vicaire
de Soulans, dans le diocèse
de Luçon. Là, il eut occasion d'entendre parler souvent de Montfort. Un moment il se
laissa prévenir contre le
missionnaire par
les calomnies que ses ennemis débitaient
sur son compte ; mais il
revint bientôt de son erreur, et tout le
bien qu'il en apprit par monsieur le curé de la Garnache et plusieurs autres
personnes, fit naître en lui
un grand désir de le connaître et de l'entendre.
Ce jeune prêtre se vit forcé par des infirmités longues et
habituelles d'aller prendre du repos chez son frère,
curé-prieur de Saint-Pompain,
alors du diocèse de La Rochelle. Il était
là depuis quelque temps, lorsque le curé songea à faire donner une mission à sa paroisse par un religieux qu'il connaissait. Le vicaire de Soulans pressa vivement son frère de s'adresser à monsieur de Montfort, qui faisait un grand bien partout où il passait. Le Curé y consentit, et envoya
son jeune frère prier le
missionnaire, alors à Fontenay, de vouloir bien venir exercer son ministère â
Saint-Pompain. Le jeune prêtre partit
avec joie pour sa ville natale, et alla adresser sa demande au missionnaire qui prêchait une retraite chez les religieuses de
Notre-Dame. Le serviteur de Dieu s'excusa d'abord, et dit qu'il ne pourrait
pas aller de sitôt à
Saint-Pompain, à cause des autres engagements qui il avait pris. Cependant,
comme monsieur Mulot insistait, Montfort
le regarda fixement et lui dit:
"Promettez-vous de travailler avec moi le reste de vos jours, et de venir faire votre coup d'essai à
la mission que je vais donner à
Vouvant ? Si vous y consentez, je consens
moi-même à aller à Saint-Pompain, et non
autrement." Le jeune prêtre répondit qu'il
serait heureux de le suivre dans ses travaux apostoliques, mais
que la faiblesse de sa santé
rendait la chose impossible. "Il y
a plusieurs années, dit-il,
que je suis paralysé d'un côté, que j'ai une oppression de poitrine et que j'endure des maux de tête qui m'empêchent de dormir, les jours et les nuits. Que
feriez-vous d'un pareil missionnaire? Je vous serais plus à charge qu'utile." Le Bienheureux de Montfort, pénétrant sans doute le fond de son coeur, et les desseins que Dieu avait sur lui, se hâta
de répondre:" N'importe ! Monsieur, toutes vos infirmités ne m'empêchent point de voue dire, comme Notre-Seigneur à St. Matthieu : "Suivez-moi. »
Sa volonté est que vous me suiviez.
Tous vos maux s'évanouiront, dès
que vous commencerez à travailler au
salut des âmes. »
Ces paroles, dites avec assurance par l'homme de Dieu firent une telle impression sur monsieur
Mulot qu'il s'engagea â l'instant même à faire ce qui lui paraissait au-dessus de ses forces. Il se disposa donc à accompagner le
missionnaire à Vouvant, et sa santé s'améliora
tellement, dès qu'il se fut mis au travail, qu'il se trouva en état de le suivre dans ses autres
missions. Il assista à celle de
Saint-Laurent-sur Sèvre, qui fut la dernière
que prêcha le Bienheureux serviteur de Dieu.
Montfort ne se contenta pas d'appeler Monsieur Mulot à partager avec lui
les travaux des missions, il lui
confia, encore, en mourant,
la direction de cette oeuvre si importante. Le jeune prêtre
s'en excusait, à cause de sa santé débile, de son inexpérience et de son
inhabilité dans l'art de la parole. Mais l'homme de Dieu, éclairé sans doute
d'une lumière surnaturelle, ne balança pas
à le charger de continuer ses travaux apostoliques
: "Ayez confiance, lui dit-il, en lui serrant la main, ayez confiance ; je prierai pour vous,
je prierai pour vous.” Ces paroles remplirent monsieur Mulot d'un courage et d'une confiance qui ne l’abandonnèrent jamais.
Le jour, où fut inhumé le corps
du serviteur de Dieu, était précisément celui qui avait été fixé pour l'érection
de la croix de mission. C'est au pied de cette croix que le nouveau
missionnaire parla en public pour la première fois, depuis qu'il s'était mis à suite de Montfort. La circonstance ne demandait pas un long
discours. Tout le peuple était plongé dans la plus profonde tristesse, et l'on ne pouvait se séparer du corps de l'homme de Dieu qui était
exposé dans l’église paroissiale. Le prédicateur était d'ailleurs accablé, plus que personne, par une douleur bien légitime, et son inexpérience de la prédication l'obligeait à être court. Il se contenta de dire avec un accent qui montrait la douleur de son âme :
"Mes frères, nous avons en ce jour deux croix à planter : cette croix matérielle que vous voyez maintenant sous vos yeux, et une autre
invisible que nous cause la perte de monsieur de Montfort, que nous nous préparons à ensevelir." Ces quelques paroles firent sur tous les auditeurs la plus vive
impression et des larmes coulèrent en abondance de tous les yeux.
CHAPITRE II
Les Pères Vatel et Mulot retirés
à Saint-Pompain. – Missions aux Loges et à Saint-Hilaire-sur-l’Autise. – Trois
nouveaux missionnaires se joignent aux premiers. – Supplique adressée au
Souverain Pontife en faveur des successeurs de Montfort. – Arrivée du Père Le
Valois.
La mission de Saint-Laurent-sur-Sèvre étant terminée, le Père Mulot se
rendit chez son frère qui avait travaillé lui-même à cette mission. Pendant la
durée de ces pieux exercices, le Père Vatel était resté à Saint-Pompain pour
s’y reposer de ses fatigues et remplir les fonctions pastorales en l’absence du
curé-prieur. Les deux jeunes prêtres, que le Bienheureux de Montfort s’était
attachés d’une manière si extraordinaire, demeurèrent ensemble, pendant deux
ans, chez le pieux curé de Saint-Pompain.
Sans habitude de la prédication, et même, il faut le dire, sans talent
naturel pour y réussir, ils ne songeaient qu’à travailler dans cette paroisse
et aux environs. Appliquer à la prière et à l’étude, ils attendaient avec
humilité les ordres de la divine Providence, lorsque, vers la fin du carême de
1718, le curé des Loges les pria de venir chez lui exercer leur ministère. Ils
acceptèrent, dans la pensée qu’il ne s’agissait que du travail du
confessionnal. Mais le curé, qui avait compris la chose bien autrement,
annonça, dès le dimanche suivant, une mission que devaient donner les
successeurs de Montfort. Bientôt, cette nouvelle fut portée dans toutes les
paroisses voisines, et parvint aux oreilles des missionnaires qui en furent
grandement surpris. Ils songèrent d’abord à décliner un engagement qu’ils
n’avaient point eu l’intention de prendre, et qui leur paraissait impossible de
remplir d’une manière convenable. Cependant, comme Monsieur le curé des Loges
insistait, craignant de s’opposer à la volonté de Dieu, ils finirent par se
décider à donner les exercices de la mission.
Comment se rendre utile à ce peuple ? Comment instruire et toucher la
foule qui allait se presser autour de leur chaire ? Les sermons leur
manquaient. Ils se décidèrent à prendre avec eux quelques livres contenant des
instructions simples et claires, afin d’en faire la lecture, sans s’inquiéter
de ce que pourrait penser ceux qui s’attendaient à trouver dans les disciples
l’éloquence du maître. De brèves explications accompagneraient cette lecture
publique. Dieu bénit, de la manière la plus éclatante, les premiers travaux de
ses deux serviteurs, qui n’avaient compté que sur lui. Le Seigneur se plaît à
répandre ses lumières et ses grâces sur ceux qui font son œuvre avec humilité
et confiance.
Monsieur l’abbé d’Hillerin, chanoine de la cathédrale de La Rochelle,
dit en parlant des premiers discours du Père Mulot auquel il avait assisté : «
il n’y avait rien de véhément dans le ton et dans les gestes du prédicateur ;
les vérités, dont il parlait, n’étaient pas toujours du nombre de celles qui
frappent par elles-mêmes. Lorsqu’il donnait le plus d’action à ce qu’il disait,
il n’y avait pas cet ordre et ces traits d’éloquence, dont les orateurs
chrétiens font usage pour ébranler le cœur humain, et cependant, l’effet que
ses paroles faisaient sur son auditoire était des plus prodigieux. Ce n’était
pas de simples soupire et des larmes ; un éclat terrible, des cris et des
sanglots, qui s’élevaient de tous côtés dans l’auditoire, témoignaient de la
douleur vive dont il était pénétré, et montraient combien était forte
l’impression que le missionnaire faisait surtout ceux qui l’écoutaient. »
Plusieurs prêtres, instruits des heureux résultats que les deux
nouveaux apôtres de Jésus-Christ avaient obtenus dans la paroisse des Loges,
les invitèrent à donner également des missions à leurs peuples. Encouragés par
leurs premiers succès, et s’abandonnant de plus en plus à la divine Providence,
ils continuèrent leurs travaux apostoliques jusqu’à l’époque des grandes
chaleurs de l’été et des rudes travaux de la campagne. Ils se retirèrent
ensuite à Saint Pompain, où ils demeurèrent trois mois dans la retraite, le
silence, la prière, la méditation et l’étude. Ils passaient chaque jour
plusieurs heures devant le Saint-Sacrement, demandant continuellement à Dieu de
leur accorder le don de la parole et celui de toucher les cœurs, dons qui
avaient paru avec tant d’éclat dans la personne de leur vénérable Père. Ils
implorèrent souvent le crédit du grand serviteur de Dieu et surtout la
protection puissante de la Reine des vierges, à laquelle ils avaient une tendre
dévotion, et dont ils récitaient chaque jour le saint Rosaire.
À la Toussaint, les deux missionnaires recommencèrent leurs travaux
avec une nouvelle ardeur. Leur première mission fut celle de
Saint-Hilaire-sur-l’Autise, où ils obtinrent tout le succès désirable. L’esprit
de Dieu remplissait de plus en plus ces hommes, suscités pour remplacer le
grand apôtre, qui avait ébranlé naguère toutes ces contrées par la puissance de
sa parole et le spectacle de ses héroïques vertus. Désormais plus habitués à la
prédication, ils annonçaient l’Évangile avec intrépidité, et partout ils
obtenaient le même succès.
Pendant la mission de Saint-Hilaire, le Père Mulot fit connaissance
avec Monsieur Esnard, supérieur des Lazaristes établis auprès de Fontenay, qui
voulut bien l’aider dans ses travaux. Ces deux saints personnages ne se furent
pas plus tôt connus qu’ils lièrent ensemble l’amitié la plus étroite, et cette
amitié ne finit qu’avec leur vie. À cette même époque, plusieurs autres
ecclésiastiques se joignirent encore aux deux successeurs de Montfort, pour
faire avec eux quelques missions, sans avoir l’intention de se consacrer à
cette œuvre pour l’avenir. Entre autres missions, ils firent ensemble celle de
la Pommeraie-sur-Sèvre qui fut excellente. Cette paroisse avait alors pour curé
Monsieur Turqueau.
En 1719, les Pères Vatel et Mulot eurent la consolation de voir trois
prêtres pleins de zèle et de piété se réunir à eux ; c’était Monsieur Aumond,
Coutant et Guillemot, qui contribuèrent à consolider les fondements de la
Compagnie de Marie. Les deux derniers, pour se vouer à l’œuvre des missions,
avaient abandonné des postes importants sous le rapport temporel. Monsieur
Coutant était prieur de Villiers-en-Bois. Il quitta son prieuré valant au moins
600 livres, pour se joindre aux enfants de Montfort. Monsieur Guillemot, curé
de Contré, se démit également de sa cure, qui lui donnait au moins 800 livres
de rente.
Cependant ce dernier ne put jamais se fixait entièrement dans la
Compagnie de Marie. Avec de grandes qualités et de solides vertus, il était
d’une incroyable inconstance de caractère. Il ne put se décider à faire ses
vœux, en 1722, avec les autres Pères et les Frères. Il quitta la Compagnie en
1723, rentra en janvier 1743, et repartit aux vacances de 1749. Il fut tour à
tour aumônier d’hôpital, chanoine, deux fois curé, puis missionnaire ; il
quitta les missions, repris une cure, un canonicat, rentra dans les missions,
les quitta de nouveau, devint aumônier des Calvairiennes de Poitiers, puis
enfin curé. On voit qu’il n’était pas fait pour se fixer dans une congrégation
religieuse.
Afin de donner quelque consistance à cette petite Société de missionnaires,
qui paraissait destinée à faire beaucoup de bien, les deux curés de Saint
Pompain et de Saint Jouin de Milly, après s’être munis des attestations
favorables des évêques de La Rochelle et de Poitiers, adressèrent une supplique
au Souverain Pontife. Ils priaient Sa Sainteté d’approuver cette société
naissante et d’accorder à ses membres certains pouvoirs et certaines
indulgences capables de faire produire plus de fruits à leurs missions. Les
pouvoirs et les indulgences furent accordés par le Pape, avec une bénédiction
spéciale pour les ouvriers évangéliques qui lui étaient recommandés.
Nous croyons devoir placer ici les approbations des évêques de La
Rochelle et de Poitiers, qui font un éloge mérité des premiers missionnaires de
la Compagnie de Marie.
« Étienne, par la Providence de Dieu et l’autorité du Saint-Siège
apostolique, évêque de La Rochelle, nous certifions que les sieurs Adrien Vatel
et Hilaire Coutant ainsi que Cyprien Aumond et René Mulot, tous prêtres,
s’appliquent avec beaucoup de piété, de zèle et d’édification à faire des
missions dans les paroisses de notre diocèse que nous indiquons ; que, de notre
connaissance, ils y font beaucoup de bien, et que Dieu répand abondamment ses
grâces et ses bénédictions sur leurs travaux et sur la vie l’exemplaire qu’ils
mènent. »
« Donné à la Rochelle, le 1er août, 1719.
Signé : Étienne, évêque de La Rochelle. »
« Nous, évêque de Poitiers, certifions pareillement que les dits sieurs
Adrien Vatel Hilaire Coutant, Cyprien Aumond et René Mulot, prêtres missionnaires,
ont prêché dans plusieurs paroisses de notre diocèse avec beaucoup de fruit et
d’édification ; ce qui attire de tous côtés les peuples à la conversion et à la
persévérance dans la piété chrétienne par les grâces et bénédiction que Dieu
répand sur leurs travaux et sur leur vie exemplaire. »
« Donné à Poitiers, ce huitième jour d’août 1719.
Signé : Jean-Claude, évêque de Poitiers. »
On voit par les attestations que ces deux évêques que les premiers
enfants de Montfort se montrèrent dignes de leur Père, non seulement par le
zèle avec lequel ils prêchaient la parole de Dieu, mais encore par la pratique
de toutes les vertus. En 1720, Monseigneur l’évêque de La Rochelle donna au
Père Mulot une nouvelle marque de confiance en le nommant supérieur des Filles
de la Sagesse qui venaient de s’établir à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Le
successeur de Montfort se rendit auprès de ces pieuses religieuses qui le
reçurent comme un ange envoyé de Dieu. Il commença à exercer sa supériorité par
un acte de charité et de zèle, en leur donnant une retraite dans la chapelle
des Pénitents. Sa nouvelle charge ne l’empêcha pas cependant de continuer le
cours de ses missions.
L’année suivante, la petite Compagnie de Marie fit une précieuse
acquisition dans la personne du Père Le Valois, que Montfort lui-même avait
choisi d’une façon bien extraordinaire, à la maison du Saint-Esprit de Paris,
en 1713, quand il alla dans la pensée de s’attacher quelques jeunes
ecclésiastiques. Monsieur Le Valois, originaire du diocèse de Coutances avait
alors 23 ans, étant né le 6 octobre 1690. Il était depuis deux ans au séminaire
du Saint-Esprit, et sa ferveur, jointe à beaucoup de régularité, de prudence et
de sagesse, lui avait fait donner l’emploi réglementaire. Les vertus et les
pieux entretiens du missionnaire le lui faisaient regarder comme un saint. Aux
heures de récréations, il le recherchait afin de recueillir les paroles
d’édification que l’homme de Dieu avait soin de mêler à la conversation.
Il se trouvait un jour en compagnie du missionnaire, avec un grand
nombre d’autres élèves du séminaire ; Montfort leur demanda sur lequel d’entre
eux il allait fixer son choix ; puis les regardant les uns après les autres,
comme s’il eût voulu lire dans leurs yeux les sentiments de leurs cœurs, il ôta
le chapeau du réglementaire et le coiffant du sien, lui dit : « c’est celui-ci
; il est bon ; il m’appartient ; je l’aurai. » Chose étonnante ! À l’instant
même le pieux séminariste se sentit pressé de se joindre au missionnaire, et
forma le dessein de le faire, dès qu’il aurait fini ses études. Cependant, il
ne manifesta point alors ses intentions.
Il n’oublia point les paroles prophétiques de Montfort, et songeait
plus sérieusement que jamais à se joindre à lui, lorsqu’il reçut la nouvelle de
sa mort. Cette triste circonstance venait mettre obstacle à l’accomplissement
de ses desseins. En attendant que Dieu l’appelât ailleurs, si tel était sa
volonté sainte, il resta au séminaire du Saint-Esprit, où il fut chargé
d’enseigner successivement la philosophie et la théologie. Quelques années plus
tard, il sentit renaître en lui le désir des missions, en apprenant le succès
apostolique des successeurs du saint prêtre dont il avait espéré être le
disciple. Il consulta plusieurs personnages éclairés, entre autres Monsieur Gourdon,
chanoine de Saint-Victor à Paris, qui mourut en odeur de sainteté en 1735. Tous
l’assurèrent que Dieu l’appelait aux missions. Dès lors, il ne balança pas à
suivre cette vocation ; il fut encore confirmé dans ce dessein par un événement
singulier.
Un jeune ecclésiastique du même séminaire, qui donnait toutes les
marques d’une véritable obsession, entra un jour dans la chambre de Monsieur Le
Valois et y mit en pièces plusieurs images, entre autres le portrait de
Montfort. Ce portrait fut déchiré en trois morceaux, dont l’un fut jeté dans la
cour, l’autre resta dans la chambre et le troisième, où était la tête, fut
recueilli par un jeune homme qui avait l’intention d’en tirer une copie. Ceci
se passait un jour de congé, tandis que Monsieur Le Valois était à la promenade
avec le reste de la communauté. A son retour, il rencontra, à la porte, le
jeune homme obsédé qu’il lui dit : « Va, tu n’as qu’à monter dans à ta chambre,
tu y trouveras quelque chose de beau. » Monsieur Le Valois était bien sûr
d’avoir avant son départ fermé la porte de sa cellule, et mis la clef dans sa
poche. Il monte, et trouve la porte telle qu’il avait laissée ; il entre et
aperçoit, en effet, les images déchirées ; seul, le portrait de Montfort était
à sa place, et tout entier, avec des lignes délicatement tracées comme de
légères cicatrices, attestant les endroits où il avait été déchiré. Ce qui
augmenta sa surprise, c’est que l’image exhalait une odeur très suave, comme si
la chambre eût été embaumée de fleurs. Cette odeur se fit sentir pendant
plusieurs heures. Ce fait étrange a été attesté par tous les directeurs du
séminaire qui en furent les témoins.
Peu de temps après, Monsieur Le Valois vint se joindre aux successeurs
de Montfort. En quittant la communauté du Saint-Esprit, il alla dire adieu à sa
famille, et régla ces affaires domestiques. Ensuite, il se rendit en Poitou,
auprès des Pères Mulot et Vatel occupés à donner une mission à Nueil-sous-Passavant.
Il ne resta qu’un ou deux jours avec eux, alla faire une neuvaine au tombeau du
serviteur de Dieu, et retourna avec les missionnaires, qui commencèrent les
exercices d’une mission, à Niort. Il fut d’un grand secours par son assiduité
au confessionnal et par ses savantes conférences.
L’hôpital de Niort ayant besoin d’un prêtre plein d’intelligence, de
zèle et de piété, pour faire disparaître différents abus qui s’y étaient
glissés, on crut que personne ne pouvait mieux remplir cette importante mission
que le Père Le Valois. Il demeura, pour cet effet, plusieurs mois à l’hôpital,
où il fut remplacé par le Père Coutant, qui possédait toutes les qualités
désirables pour continuer le bien commencé.
CHAPITRE III
Nouvelle mission à
Saint-Laurent-sur-Sèvre. – Maison achetée dans cette paroisse pour les
missionnaires et les Frères. – Mission de Jaulnay. – Monsieur le marquis de
Magnane. – Les enfants de Montfort établis autour du tombeau de leur Père. –
Saint-Laurent-sur-Sèvre.
En 1721, Monsieur Rougeou de la Jarrie, doyen de Saint-Laurent-sur-Sèvre,
appela les enfants de Montfort dans sa paroisse pour y donner une mission. Ils
n’eurent guère qu’à entretenir dans les cœurs des religieux habitants la
ferveur que le Bienheureux serviteur de Dieu leur avait inspirée cinq ans
auparavant. Les deux confréries des Pénitents et des Vierges étaient prospères
et ferventes comme au premier jour.
Les enfants de Montfort, héritiers du zèle de leur Père pour la
décoration du saint lieu, firent paver le chœur de l’église après l’avoir exhaussé.
Ils mirent aussi en meilleur état la crypte où l’on conservait, entre autres
reliques précieuses, un os du doigt de l’illustre martyr saint Laurent.
Tous les paroissiens, excités par les exhortations des missionnaires,
s’employèrent avec ardeur à la restauration de leur église. Ils consentirent
volontiers à ce qu’on se servit, pour paver le chœur, des pierres couvrant les
tombes de leurs ancêtres. Le seul habitant, qui s’y refusa, vit sa pierre se
partager en deux, aussitôt que les ouvriers mirent la main pour la placer à
l’écart. Le peuple attribua cet accident à la malédiction que le Père Vatel,
chargé de diriger les travaux, aurait laissé tomber sur cette pierre.
Les Pères Mulot et Vatel passèrent leurs vacances de 1721 à Saint
Pompain ; le Père Le Valois resta chez Monsieur le doyen de Saint-Laurent qu’il
édifia par ses vertus. Il n’y demeura point oisif ; il travailla même avec tant
d’ardeur que ses forces en furent épuisées. Aussi, après les vacances, s’étant rendu
à La Fougereuse, pour y commencer une mission avec ses autres confrères, il
tomba malade, dès les premiers jours. Monsieur Sicard, prieur de la Tardière,
parent du Père Mulot, l’invita à aller se reposer chez lui. Il y consentit et
se rendit dans cette paroisse, où il passa plusieurs mois.
Jusqu’en 1721, les missionnaires n’avaient point encore de demeure fixe
; pour se retirer dans l’intervalle de leurs missions ou dans la maladie. Ils
étaient reçus avec bienveillance chez des prêtres amis ; mais ils ne pouvaient
de la sorte former une vraie communauté. Quelque temps après la mort du
Bienheureux serviteur de Dieu, on avait procuré aux Pères Mulot et Vatel deux
bénéfices d’un assez bon revenu, d’où dépendaient deux maisons situées dans un
bourg important dont on ne dit pas le nom. Ils auraient pu s’y retirer ; mais,
craignant de s’écarter des intentions du saint fondateur, les deux fervents
missionnaires, après quelques mois, résilièrent ces bénéfices. Bien plus, pour
s’abandonner à la divine Providence d’une manière plus parfaite, ils firent alors
le vœu de pauvreté. Dieu ne pouvait manquer de s’occuper de ses enfants qui ne
comptaient que sur lui.
Depuis le mois de juin 1720, les Filles de la Sagesse étaient
installées à Saint-Laurent, dans une maison bien misérable, appelés alors la Maison-Longue,
située sur la rue qui conduit de l’église paroissiale à la place des Pénitents,
et qui fait aujourd’hui partie des bâtiments auxquelles on a donné le nom de
Petit Saint-Esprit.
Deux insignes bienfaiteurs, Monsieur le marquis de Magnane et Madame la
marquise de Bouillé, songèrent à donner aussi une maison aux missionnaires,
auprès du tombeau de leur Père. Madame de Bouillé fit l’achat en son propre nom
; mais Monsieur de Magnane fournit la moitié de la somme nécessaire. Par un
acte du 7 avril 1721, Madame Françoise René Le Vacher, veuve de Monsieur le marquis
de Bouillé, acheta de René Paboeuf, pour le prix de 2800 livres la maison du Chêne-Vert,
consistant en plusieurs chambres hautes et basses, avec un petit jardin appelé les
halles, situé derrière la maison, et un pré contenant deux journaux.
La maison du Chêne-Vert, autrefois une auberge, est celle où se
trouve actuellement l’entrée de la communauté de la Sagesse, qu’on appelle Porte-Verte
; c’est le bâtiment qui longe la rue depuis le grand portail jusqu’au dessus de
la pharmacie. Tout porte à croire que c’est dans ce lieu, entre le grand
portail actuel et la Porte-Verte, que le Bienheureux de Montfort termina sa vie
; c’est du moins la tradition de la communauté. Cette maison a subi beaucoup de
modifications, au moins, à l’intérieur.
Les missionnaires, n’ayant pas encore d’existence légale, n’avaient pas
droit de posséder ; aussi la propriété offerte aux enfants de Montfort leur fut
passée sous le nom de la Fabrique de Saint-Laurent, tenue à l’abandonner sans
condition aux destinataires. Monsieur le doyen ne désirait pas la venue des Pères,
mais il voulait les Frères, pour leur confier les enfants de la paroisse. Pour
faciliter l’établissement qu’il projetait, le Révérend Père Mulot accepta la
proposition de Monsieur le doyen et, dans la suite, pendant près de 100 ans, un
Frère fut désigné pour tenir l’école de Saint-Laurent.
On a voulu arguer de ce fait que le Bienheureux de Montfort à fonder
des Frères enseignants : c’est méconnaître l’histoire.
Non seulement le Bienheureux n’a pas voulu l’enseignement pour ses
Frères, mais il ne leur interdit. Parlant de la fin de son Institut, qui est la
prédication des missions, le serviteur de Dieu dit, dans sa règle manuscrite (n°
4) « on y reçoit cependant des Frères laïques pour avoir soin du temporel, mais
qui soient détachés, vigoureux et obéissants, prêts à faire tout ce qu’on leur
ordonnera. » Plus loin, (n° 9) visant à la fois les Pères et les Frères, le
fondateur écrit : « Jamais la Compagnie ne se charge d’écolier ni de
pensionnaire ecclésiastique ou laïque, quand il voudrait donner tout son bien.
» Si le Père Mulot accepta cette école, c’est qu’il y voyait un moyen d’arriver
à fixer le siège de la Congrégation près du tombeau de Montfort. Ce n’était là
qu’une exception, imposée par les circonstances et d’autant plus explicable
que, jusqu’à la Révolution, les Ordres religieux avaient l’usage de pourvoir à
l’instruction des enfants de la paroisse où se trouvaient leur chef-lieu.
Les Frères auxiliaires de la Compagnie de Marie ne tinrent pas d’autre école
; devenu assez nombreux pour en fonder de nouvelles, si telle eût été leur but,
ils n’y songèrent jamais et ne firent, dans cette vue, aucune étude
préparatoire à l’enseignement. N’étant ni destinés, ni préparés à donner
l’instruction, même primaire, il était parfois difficile de trouver, parmi eux,
l’unique sujet qu’on devait appliquer à la classe de Saint-Laurent.
Aussi on songea à abandonner cette école, œuvre excellente en
elle-même, mais en marge du but de la Congrégation. La Fabrique de
Saint-Laurent, ayant prétendu que le don de leur maison avait été fait aux
missionnaires, à la condition qu’ils y entretiendraient des Frères pour faire
l’école aux enfants de la paroisse, le Père Le Cornec, procureur de la Compagnie,
exposa en 1780, ce point à Monseigneur l’évêque diocésain : « l’usage,
disait-il, où sont les dits Missionnaires et les Filles de la Sagesse de
faire les petites écoles n’est nullement une obligation qu’ils avaient
contractée en faveur des maisons qu’il leur auraient été abandonnées à ce titre
par la Fabrique, puisqu’ils peuvent présenter les actes ou originaux par lesquels
il appert que la Fabrique de Saint-Laurent n’est point libre de cet abandon,
qu’elle ne pouvait y mettre aucune condition, et qu’elle n’était qu’une intermédiaire
choisi par les donateurs, parce que les Congrégations n’avaient pas alors
d’existence légale. »
La maison du Chêne-Vert qu’on donnait aux missionnaires était en
piteux état. On y fit quelques légères réparations ; puis le Père Le Valois
vint de la Tardière, où nous l’avons vu malade, y habiter avec le Frère Joseau,
qui apporta à la nouvelle communauté, un peu d’argent et un mobilier assez
considérable, dont on avait grand besoin. Le Père Le Valois fut nommé
confesseur des Filles de la Sagesse ; il s’acquitta de cet emploi avec autant
d’intelligence et de prudence que de piété et de zèle, jusqu’à sa mort en 1747.
Ce fut vers la Saint-Pierre de 1722, que les autres Pères ayant terminé le
cours de leurs travaux, vint rejoindre leur confrère.
Nous croyons devoir dire, ici, un mot de l’une des missions de celle de
Jaulnay du diocèse de Poitiers, la seule de cette année sur laquelle on ait
conservé quelques détails ; Monseigneur de Poudras, coadjuteur de Monseigneur de
la Poype, y donna la tonsure au fidèle compagnon du Bienheureux de Montfort,
connu sous le nom de Frère Mathurin. Une autre circonstance signala encore
cette mission, ce fut un pèlerinage à Notre-Dame-des-Larmes, dans l’église Saint-Michel
à Poitiers. Tout le peuple s’y rendit en procession et nu-pieds. Les jeunes
filles voilées ouvraient la marche. Les Pénitents venaient ensuite, puis le
clergé, suivi d’une grande multitude d’hommes et de femmes.
Ce qui attirait les pèlerins en ce sanctuaire, c’est que peu de temps
auparavant, la Sainte Vierge, représentée dans un tableau avec l’Enfant-Jésus dans
ses bras, avait laissé échapper d’abondantes larmes. Le fait s’était passé, en
présence de nombreuses personnes, qui l’attestèrent devant l’autorité ecclésiastique.
Plusieurs miracles étaient venus confirmer ce premier prodige. L’église
Saint-Michel, jusque-là peu fréquentée et en très mauvais état, fut décorée et
devint un rendez-vous de piété. Le Bienheureux de Montfort, pendant son séjour
à Poitiers, avait annoncé ce changement. Sa dévotion particulière pour le
prince des anges lui faisait désirer la restauration de ce sanctuaire presque
abandonné. Pour attirer du monde, il avait projeté d’y donner de pieux
exercices ; mais la permission lui ayant été refusée, il prédit qu’après sa
mort d’autres exécuteraient ce dessein, et qu’un jour cette église aurait une
grande célébrité : prédiction qui se réalisa pleinement, comme nous venons de
le voir.
A la suite de leurs missions, les Pères de la Compagnie de Marie
s’étaient rendus à Saint-Laurent pour habiter leur nouvelle demeure. Malgré les
réparations, elle était loin encore d’offrir un logement convenable. À force de
travail et de soin, elle devint à peu près habitable. Sans le prévoir, ils
avaient travaillé pour les Sœurs plutôt que pour eux-mêmes. L’année suivante un
échange eut lieu entre les missionnaires et les religieuses. Les bâtiments du Chêne-Vert,
étant plus vaste que ceux de la Maison-Longue, furent cédés aux Sœurs
qui donnèrent aux Pères la maison qu’elles habitaient. Cet échange se fit avec
toutes les formalités requises. Aussi, depuis cette époque, les Pères et les
Sœurs sont demeurées paisibles propriétaires.
Les missionnaires trouvèrent la Maison-Longue dans le plus pitoyable
état, parce que les Sœurs n’y avaient pu apporter aucune amélioration. Ils
firent comme ils avaient fait au Chêne-Vert, et travaillèrent de leurs propres
mains, afin de rendre plus logeable leur nouvelle demeure. Le marquis de
Magnane, leur ami et leur bienfaiteur, les y aida comme le dernier des
manœuvres, aimant à se faire pauvre avec les pauvres. Cet homme plein de foi et
de charité, qui a rendu de si grands services aux communautés naissantes de
Saint-Laurent, était né au château des Charbots, en Anjou, le 21 septembre
1664. Il reçut, dans la maison paternelle, une éducation délicate mais très
pieuse.
Il servit, dans sa jeunesse, avec grande distinction dans les guerres
de Louis XIV. Au milieu des camps, il sut donner l’exemple d’une haute sagesse
et d’une vertu éprouvée. Il avait surtout en aversion cette fureur si générale
alors, et encore trop commune aujourd’hui, qui fait que pour une bagatelle,
pour le plus léger point d’honneur, des hommes ôtent la vie à leurs
concitoyens, et parfois à leurs meilleurs amis. Cependant, un jour, il fut tellement
poussé à bout, par un jeune officier, qu’il eut le malheur d’accepter le duel.
Il se présenta, mais ce fut après avoir, à l’insu de son adversaire, brisé la
pointe de son épée entre deux pierres. Avec des armes si inégales, il poussa
néanmoins si vivement son provocateur qu’il rompit deux fois son épée, le
désarma et fit voir qu’il lui était aussi supérieur en adresse qu’en vertu. Cet
événement venu à la connaissance des autres officiers, le fit singulièrement
respecter.
Ce gentilhomme, de sentiments si nobles, après avoir longtemps porté
les armes avec honneur, quitte la carrière militaire et épousa une demoiselle
digne de lui par sa piété. Il eût de ce mariage un fils unique. Devenu veuf, il
profita de sa liberté pour se donner plus parfaitement à Dieu. Il eut même le
dessein de se faire prêtre, mais le pape Benoît XIII, qu’il alla consulter,
l’en dissuada et lui recommanda de continuer à se consacrer aux bonnes œuvres
sous l’habit laïque. C’est ce qu’il fit sans relâche jusqu’à large de 86 ans. Il
écrivit plusieurs opuscules, qui témoignent de sa foi, de sa piété et de son
zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Le marquis avait été en relation avec le Bienheureux de Montfort,
toujours accueilli par le châtelain de Magnane avec une touchante vénération. À
la mort du serviteur de Dieu, il reporta sur les enfants les sentiments de
respect et de vénération dont il était pénétré pour le Père. Nous l’avons vu
contribuer à l’établissement des missionnaires et des Soeurs. Dans les
dernières années de sa vie, il voulut même fixer son séjour parmi les Pères de
la Compagnie de Marie, qui furent heureux de pouvoir lui témoigner une
reconnaissance bien méritée. Il mourut, entre leurs bras, le 15 mars 1750, et
fut inhumé dans la chapelle de la Sainte Vierge de l’église paroissiale,
vis-à-vis le tombeau du bienheureux de Montfort.
Les missionnaires et leurs Frères étaient établis à Saint-Laurent,
heureux d’être enfin en communauté, à côté des restes de leur saint Fondateur,
où s’étaient déjà fixées les Soeurs de la Sagesse. Ils n’avaient pas tout à
souhait et pouvaient pratiquer à leur aise deux vertus qui leur étaient chères,
la pauvreté et la mortification.
La maison occupée par les Pères et les Frères était exiguë, délabrée,
mal distribuée. Quand on recevait des visiteurs, on devait céder les chambres
pour aller coucher sur la paille ; on le faisait d’un cœur joyeux. Leur
nourriture était presque réduite au seul pain dont heureusement ils ne manquaient
pas. Ils vivaient dans une simplicité et un détachement digne des premiers
siècles de l’Église. C’est ainsi que, par leurs exemples aussi bien que par
leurs discours, les enfants de Montfort prêchaient le dépouillement
évangélique.
Bienheureuse pauvreté, sœur de l’humilité et de la mortification,
diamant précieux qui a toujours servi de fondement aux congrégations
religieuses et peut seule les maintenir dans l’esprit de leur état ! Elle charme
les regards de Dieu, console l’Église, édifie la terre, maintient la discipline
et la régularité, trempe les âmes d’énergie et de vigueur pour le bien.
Saint-Laurent-sur-Sèvre, (Sanctus Laurentius ad Separim) berceau des deux
familles du Bienheureux de Montfort, tire toute sa gloire et sa réputation de ses
communautés. C’est une simple bourgade du diocèse de Luçon, situé sur la rive
gauche de la Sèvre nantaise au canton de Mortagne en Vendée. Saint-Laurent
avait appartenu aux diocèses de Poitiers, de Maillezais et de La Rochelle. Au
XIIIe siècle, c’était un doyenné, et il n’a cessé de l’être qu’après la Révolution
française.
Primitivement, Saint-Laurent possédait un prieur et un doyen ; mais le
24 octobre 1255, avec l’autorisation de l’évêque de Poitiers, eut lieu l’union
du prieuré au doyenné. Par suite de cette fusion, le doyen fut chargé de
l’office, tous les dimanches et fêtes, avec Matines, Laudes, Messes et Vêpres,
d’acquitter six messes par semaine et de chanter les premières Vêpres, le
samedi et la veille des fêtes.
Le doyenné de Saint-Laurent comprenait tout le canton actuel de
Mortagne et les paroisses suivantes : les Epesses, dans le diocèse actuel de
Luçon ; la Tessouale, Saint-Christophe-du-Bois, la Séguinière, la Romagne, Saint-André-de-la-Marche,
Roussay, Montigné, Torfou et Le Longeron, dans le diocèse actuel
d’Angers ; Le Puy-St-Bonnet, La Chapelle-Largeau, Moulins,
Saint-Aubin-Baubigné, pilier, Saint-Jouin-sous-Châtillon et Châtillon-sur-Sèvre,
dans le diocèse actuel de Poitiers. Plusieurs autres petites paroisses qui
appartenaient encore au doyenné de Saint-Laurent n’existent plus aujourd’hui.
Ce doyenné renfermait une abbaye célèbre, celle de Châtillon-sur-Sèvre, de
l’ordre de saint Augustin. Quatre paroisses étaient à la nomination du doyen.
Saint-Laurent, situé dans un bassin profond, où serpente paresseusement
la Sèvre nantaise, et entouré de collines escarpées qui l’encerclent d’une
ceinture de granit. Les maisons sont jetées sans alignement le long des rues
étroites et tortueuses. En dehors des monuments religieux, pas un édifice digne
de retenir l’attention ; peu d’industrie ou de commerce, à l’exception de la
vente des livres ou autres objets de piété. Blotti au fond de sa pittoresque
vallée, ce paisible le bourg, aux allures archaïques, à une physionomie
spéciale ; on peut dire que c’est le sanctuaire de la prière, de la méditation
et de l’étude. On l’a surnommé la « ville sainte de la Vendée. »
CHAPITRE IV
Le Révérend Père Mulot, Supérieur
général de la Compagnie de Marie. – Démêlés avec Monsieur le doyen de
Saint-Laurent. – Chapelles construites chez les missionnaires et chez les
Soeurs de la Sagesse. – Visite de Monseigneur l’évêque de La Rochelle. –
Arrivée du Père Hédan. – Les missionnaires acceptent l’aumônerie de l’hôpital
Saint-Louis à la Rochelle. – Nouvelle supplique adressée au Souverain Pontife
en faveur des Pères de la Compagnie de Marie.
À peine les missionnaires furent-ils en communauté qu’ils songèrent à
se donner un supérieur régulier. Le choix ne semblait pas douteux ; le Père
Mulot avait été désigné par Montfort ; il était déjà supérieur des Filles de la
Sagesse ; il possédait toutes les qualités désirables. Il fut élu par ses
confrères à la fin d’une fervente retraite. Dès lors, il se trouva à la tête de
toute la famille religieuse du grand serviteur de Dieu. Depuis cette époque, le
supérieur des Pères de la Compagnie de Marie a toujours été reconnu comme
supérieur des Filles de la Sagesse. C’était l’intention du saint Fondateur,
comme le déclare, dans son testament, la Mère Marie-Louise de Jésus qui était
au courant, mieux que personne, des intentions du Bienheureux de Montfort. Le
premier acte d’autorité du supérieur général fut de recevoir les vœux des trois
ou quatre autres missionnaires et de cinq ou six Frères auxquels il assigna un
costume particulier.
Une peine bien vive vint bientôt éprouver les communautés naissantes,
ce fut la violente opposition que leur fît Monsieur le doyen de Saint-Laurent,
pendant plusieurs années. Après avoir accueilli favorablement les Soeurs à leur
arrivée, il se tourna contre elle, quand il vit qu’elles ne voulaient pas se
borner à faire la classe aux petites filles, mais qu’elles recevaient des
novices et songeaient à faire, de leur maison, le chef-lieu de leur
Congrégation. L’arrivée des missionnaires, dont il prit aussi ombrage, acheva
de l’indisposer. Il fit, on peut dire, tout son possible pour ruiner les deux
communautés ; mais la main de Dieu les soutenait. Elles étaient d’ailleurs
ostensiblement protégées par Monseigneur de Champflour, affectueusement dévoué
aux enfants de Montfort, comme il l’avait été envers leur Bienheureux Père.
Monsieur le doyen de Saint-Laurent était un digne prêtre, plein de zèle et de
charité, mais accessible aux préventions, et se laissant aisément circonvenir.
Parfois les préventions, les moins fondées, naissent dans des âmes ne manquant pas
de droiture et l’on voit des hommes de bien se laisser aveugler par certaines
passions, qui les empêchent de discerner et de soutenir l’œuvre de Dieu.
Quand Monsieur le doyen de Saint-Laurent connût mieux les
missionnaires, qu’il trouva toujours disposés à lui rendre service, il les aima
sincèrement, leur donna toute sa confiance, et les consultait souvent dans ses
affaires spirituelles et temporelles. En attendant, il refusa d’être le
confesseur des religieuses ; il refusa aussi de présider la première profession
des Sœurs qui eut lieu à Saint-Laurent. Il ne voulait pas même que cette
cérémonie se fit dans son église, bien qu’on n’eut point encore de chapelle
convenable à la communauté. Cependant une lettre de l’évêque de La Rochelle
l’obligea à céder sur ce dernier point. Ce fut le 16 décembre 1722 que le Père Mulot
fit la cérémonie de la profession de quatre Filles de la Sagesse, avec toute la
solennité possible. Monseigneur de Champflour donna bientôt une nouvelle marque
de l’intérêt qu’il portait aux enfants de Montfort, en leur permettant de
construire une petite chapelle, dans chacune de leurs maisons. Il les
autorisait, en attendant, à disposer décemment une chambre pour le même usage.
La permission était datée de la Pommeray, le 20 septembre 1723. On construisit
immédiatement de petits oratoires : le Père Mulot béni celui des Sœurs ; celui
des Pères fut bénit par Monsieur Thomas, prêtre de la Communauté du
Saint-Esprit de Paris, venu à Saint-Laurent avec l’intention de s’y consacrer
aux missions. Plein de zèle, ce bon prêtre entreprit aussitôt de donner des
retraites dans les deux chapelles ; l’une pour les femmes dans la chapelle des Sœurs
; l’autre pour les hommes, dans celle des missionnaires. Avec le Père Mulot et
les autres Pères, il alla ensuite faire des missions à la Bernardière et à la
Madeleine de Nantes. Il désirait se joindre aux Pères de la Compagnie de Marie,
mais des ordres supérieurs l’obligèrent de rentrer dans sa première communauté,
qu’il honorait par ses talents et ses vertus. Il repartit donc pour Paris, d’où
il a toujours entretenu les relations les plus aimables avec la maison de
Saint-Laurent.
Peu de jours après la bénédiction des deux chapelles, l’évêque de La
Rochelle vint visiter les nouveaux établissements de Saint-Laurent. Ce fut un
grand sujet de joie pour toute la famille de Montfort, heureuse de lui
témoigner ses sentiments de respect, de dévouement et de reconnaissance. Le
vénérable prélat se montra comme un Père au milieu de ses enfants. Il voulut
bien prendre un repas chez les missionnaires. Un charitable seigneur voisin, le
marquis de la Guerche, averti de cette visite par le marquis de Magnane, et
connaissant le dénuement des Pères leur avait envoyé pain, vin, gibiers et
autre provisions pour faire honneur à leur hôte.
L’année 1723 vit arriver, du séminaire du Saint-Esprit, pour se joindre
aux missionnaires le Père Hédan, que le Bienheureux de Montfort avait vu dans
ce séminaire, en 1713. Il était né à Campénac, alors du diocèse de Saint-Malo,
en 1685. Il mourut le 1er janvier 1739, à l’hôpital Saint-Louis de La
Rochelle, où il remplissait les fonctions d’aumônier et fut inhumé dans le
cimetière de cet hôpital.
C’est en 1725 que les Soeurs de la Sagesse avait prit la direction de
cet établissement. Des abus sans nombre y existaient. Les Pères, qui avaient
toute la confiance de l’évêque acceptèrent la tâche difficile de travailler à
les détruire. Le Révérend Père Mulot envoya tout d’abord à Saint-Louis, en même
temps que les Sœurs, le Père Vatel doué de toutes les qualités propres à se
faire aimer et respecter, et à gagner ainsi la confiance de tout le personnel,
des administrateurs comme des pauvres et des malades. Il avait beaucoup de
science et sa piété égalait ses lumières ; son caractère était doux, bon et
compatissant, avec une fermeté suffisante pour extirper les abus : sa charité
le faisait tout à tous, et les différentes formes qu’elle prenait dans
l’exercice de son zèle en assurait toujours le succès.
On vit bientôt un changement notable dans la maison. Les jurements, les
chants obscènes, les querelles et les disputes, furent remplacés par le chant
des cantiques, la prière, la récitation du Saint Rosaire, les pieuses lectures
dans les salles et le réfectoire, la fréquentation des sacrements. Le zélé
aumônier s’appliqua à la décoration du lieu saint, et mit partout la décence
dans la maison de Dieu. Il voulut que, dans la chapelle, les hommes fussent
séparés des femmes ; il fit renfermer avec des balustrades les deux nefs
latérales, laissant libre, pour les personnes du dehors, la nef du milieu. Il
remplissait, à l’égard des pauvres, toutes les fonctions du saint ministère,
avec le plus grand zèle. Exhortations, catéchismes, instructions familières,
sermons, assiduité au confessionnal, vigilance attentive pour administrer les
malades, charité pour les exhorter, les encourager, les soulager dans tous
leurs besoins, rien n’était épargné.
Ce digne missionnaire ne resta qu’un an à Saint-Louis, et revint à
Saint-Laurent, où il s’occupa de la direction des Sœurs, il remplit aussi,
pendant quelque temps, les fonctions de vicaire de la paroisse, au défaut de
celui que l’on refusait depuis plus de dix-huit mois à Monsieur le doyen.
Celui-ci dût s’apercevoir que les missionnaires ne se souvenaient plus des
épreuves qu’il leur avait fait subir peu de temps auparavant.
Le Père Vatel avait une avec tant de succès rempli sa mission à
l’hôpital de La Rochelle et les Pères de la Compagnie faisaient tant de bien
dans le diocèse, que le pieux évêque désira avoir toujours l’un d’eux pour
aumônier à Saint-Louis. Les missionnaires ne pouvaient manquer de se rendre aux
désirs du prélat qui se montrait, en toute rencontre, leur père et leur
protecteur. Le Père, chargé de cette aumônerie, pouvait d’ailleurs rendre aux Sœurs
de grands services ; puis, il faisait là, pour ainsi dire, une mission
permanente, infiniment avantageuse aux malades, aux pauvres, aux domestiques de
la maison et même aux personnes du dehors. C’était le supérieur qui nommait
lui-même l’aumônier. Il pouvait le remplacer quand il voulait, pourvu que le
remplaçant fût agréable au seigneur évêque et au bureau.
C’est le Père Le Valois qui le premier fut envoyé à Saint-Louis avec le
titre d’aumônier. Sa première signature, sur les registres de l’hôpital, porte
la date du 23 septembre 1726. En 1728, il fut remplacé par le Père Hédan qui y
demeura jusqu’à sa mort, arrivée en 1739.
Voici les noms des Pères qui se sont succédé à l’hôpital Saint-Louis :
les Pères Le Valois, Balch, Besnard, Roustan, arrivée, Supiot, Julien, le
Cornec, Dizi, Micquignon, Morel, Dauche, Gaultier, Pouponot, Duchesnes, Serres,
Urien. Le Père Urien signa sur le registre des sépultures pour la dernière
fois, le 1er juin 1792, et, le 4 du même mois, il était remplacé par
un intrus. Depuis la Révolution, les Pères de la Compagnie n’ont point été
chargés de l’aumônerie de Saint-Louis, mais ils n’ont point cessé d’aimer cet
hôpital et ses pauvres et c’est toujours avec bonheur qu’ils ont annoncé la
parole de Dieu.
L’œuvre des missions demeurait néanmoins l’œuvre principale et presque
unique des enfants de Montfort. Ils s’en acquittaient, avec un zèle au-dessus
de tout éloge et à la grande satisfaction de tous les prêtres, qui les appelaient
dans leurs paroisses. Aussi pour témoigner aux missionnaires la reconnaissance,
plusieurs ecclésiastiques des plus distingués, munis des attestations des
évêques de La Rochelle, de Luçon et de Poitiers, adressèrent une supplique au Pape
Benoît XIII, en 1728, comme on l’avait fait en 1719, afin de demander à Sa
Sainteté des pouvoirs particuliers et extraordinaires pour ces dignes ouvriers
évangéliques.
Voici dans quels termes elle était conçue :
« Très Saint Père,
Votre Sainteté voudra bien permettre qu’on lui présente très humblement
que Louis Grignion de Montfort, missionnaire apostolique, mort en 1716, en
odeur de sainteté, après s’être acquis beaucoup de réputation par le grand
nombre de pécheurs qu’il a convertis, avait établi, avant de mourir, une
société de missionnaires appelé communément la Société de Marie, sous
l’invocation du Saint-Esprit. Ces missionnaires, très dignes héritiers du zèle
de leur instituteur, s’occupent continuellement à faire des missions en
plusieurs paroisses, et particulièrement en celles de Bretagne et du Poitou,
dont les fruits sont si abondants qu’ils font l’admiration de tous les fidèles.
Et comme la province du Poitou est encore remplie d’une quantité de
calvinistes, leurs travaux apostoliques paraissent très nécessaires pour
procurer la gloire de Dieu et de L’Église.
Suivant l’exemple de leur instituteur, ils méprisent entièrement les
biens temporels, ils renoncent aux bénéfices, et se font une loi d’attendre de
la providence leur subsistance, étant toujours prêts à exposer leur vie, et
même à aller dans les pays les plus barbares pour travailler au salut des âmes.
Il paraît, par les attestations des évêques, combien ils approuvent
leurs travaux ; mais, afin qu’ils en puissent encore retirer des fruits plus
abondants, prosternés humblement aux pieds de Votre Sainteté, ils la supplient
de vouloir bien leur accorder… Etc.
Le Souverain Pontife accorda ce qu’on lui demandait. Dans cette
supplique, on le voit, la Compagnie des missionnaires était appelée Société de
Marie.
Les Pères étaient en bien petit nombre ; mais ils suppléaient au nombre
par un zèle et une activité incroyable. Ils se montraient tout rempli de
l’esprit de Montfort, leur Père et leur modèle. Comme lui, ils s’adjoignaient de
bons prêtres, qui voulaient bien les aider dans leurs nombreuses et fatigantes
missions. Dans une histoire du serviteur de Dieu, imprimée en 1724, il est dit
: « ils sont déjà 60 ou 70 prêtres assemblés, qui travaillent avec bénédiction
dans les diocèses de La Rochelle, de Saintes et de Poitiers. » Il faut
reconnaître que la plupart de ces prêtres n’appartiennent réellement pas à la Compagnie,
mais ils aident des les missionnaires, en travaillant sous leur direction.
Malgré leur petit nombre, ils paraissaient disposés à accepter une
mission au Canada, dès l’année 1734. On y voulait les Pères de la Compagnie et
les Filles de la Sagesse ; des difficultés locales empêchèrent cette affaire
d’aboutir ; l’heure de la Providence n’était pas encore venue. On voit du
moins quel était le zèle de ces nouveaux apôtres de l’Évangile, qui aurait
voulu aller jusqu’au bout du monde planter la croix de leur divin Maître et
répandre les lumières de la foi chrétienne. Du reste, sans voler aux extrémités
de la terre, ils trouvaient moyen de satisfaire leur zèle pour le salut des
âmes, et on les voyait sans cesse occupés à défricher le champ du Père de
famille, avec une ardeur qui ne se démentait jamais.
CHAPITRE V
Réflexions sur les travaux des
Pères de la Compagnie de Marie avant la Révolution. – Missions prêchées par eux
en 1740, 1741, 1742 et 1743. – Noms des missionnaires existant à cette époque.
Nous regrettons vivement de n’avoir, sous les yeux, qu’une relation
incomplète des missions prêchées par les Pères de la Compagnie de Marie, depuis
la mort de leur saint fondateur jusqu’à ces jours de sombre mémoire, ou il ne
leur fut plus permis de monter dans la chaire de vérité ; une partie des
archives de la communauté a disparu dans la tourmente Révolutionnaire.
Cependant nous sommes encore heureux de posséder le compte rendu exact de
toutes les missions et retraites de quelque importance, prêchées par les Pères
depuis 1740 jusqu’en 1779. Cela suffit
pour nous montrer leur zèle et leur dévouement, et mettre en même temps sous
nos yeux une partie intéressante de leur histoire, dont aucune page n’a échappé
aux regards de Dieu.
Comme les diocèses dont nous avons à parler ont subi dans leurs circonscriptions
des modifications importantes, nous considérerons les paroisses évangélisées
par les missionnaires comme appartenant aux diocèses actuels.
C’est dans le diocèse de La Rochelle que les Pères ont donné un plus
grand nombre de missions, avant la Révolution. Il est vrai que ce diocèse
n’était point alors ce qu’il est aujourd’hui. Depuis cette époque, il est
agrandi de tout le diocèse de Saintes ; mais il a perdu tout l’ancien diocèse
de Maillezais, et c’est précisément dans cette contrée que les Pères de
Saint-Laurent ont paru plus souvent. Tout le territoire ou une grande partie du
territoire des cantons dont nous allons nommer les chefs-lieux appartenaient
alors au diocèse de La Rochelle : Maillezais, Chaillé-les-Marais, Saint-Hilaire-des-Loges,
Fontenay-le-Comte, l’Hermenault, la Chataigneraie et Mortagne-sur-Sèvre, dans
le département actuel de la Vendée ; Bressuire, Coulonges, Cerizay, Moncoutant,
Secondigny, Saint-Varent, Saint-Loup, Airvault, Argenton-Château et
Châtillon-sur-Sèvre, dans le département actuel des Deux-Sèvres ; Vihiers et
Cholet, avec quelques paroisses des cantons de Chemillé, Beaupréau et
Montfaucon, dans le département actuel de Maine-et-Loire.
Après le diocèse de La Rochelle, c’est dans celui de Nantes que les
Pères ont travaillé davantage, avant la Révolution.
La communauté de Saint-Clément de Nantes, qui avait été pour Montfort
la cause de tant de peine et de chagrin, donna à ses enfants de grands sujets de
joie et de consolation. Ils rencontrèrent là des amis véritables qui se firent
un bonheur de travailler avec eux, dans un grand nombre de missions. Il est
vrai que la communauté de Saint-Clément n’était plus composée comme autrefois. Les
mauvaises doctrines, dont elle était imbue, du vivant de Montfort, devinrent
plus scandaleuses encore, après la mort de son pieu fondateur, Monsieur
Lévêque, arrivée en 1704. Cette situation détermina Monseigneur de Sansay,
évêque de Nantes, à la dissoudre en 1729 ; il en dispersa tous les membres et
les remplaça par les Sulpiciens, qui y sont restés jusqu’en 1791. Pendant la Révolution,
la maison de Saint-Clément fut convertie en caserne ; elle a été acquise depuis
par les Ursulines.
Les Sulpiciens occupèrent à la fois le grand séminaire et
l’établissement de Saint-Clément ; ils furent même chargés de l’administration
de la paroisse, sur laquelle il était la communauté. À la demande de
Monseigneur de Bauveau, Monsieur Olier avait consenti à mettre quelques-uns de
ses sujets à la tête du séminaire, se réservant de les envoyer ailleurs, quand
ils auraient servi, pendant quelque temps, le diocèse de Nantes, et qu’on se
serait mis en mesure de les remplacer. Ils y restèrent dix ou douze ans, puis
se retirèrent ; mais ils revinrent sur les instances de Monseigneur de Sansay,
et demeurèrent fidèlement à leur poste, où ils sont encore, et dont ils n’ont
été éloignés momentanément que par la Révolution. Il n’est pas douteux qu’ils
aient grandement contribué à former ce clergé, dont la conduite fut admirable
pendant les jours mauvais. Il n’est pas douteux, non plus, que les missions aient
contribué à fortifier la foi et l’énergie chrétienne des populations de ce
diocèse, qui se montrèrent toujours dignes de leurs pasteurs spirituels.
Les Sulpiciens du grand séminaire et de la communauté de Saint-Clément avaient
fondé des missions, en plusieurs paroisses du diocèse de Nantes. C’est dans ces
paroisses surtout qu’on les voit collaborer avec les missionnaires de
Saint-Laurent. Messieurs Dupin, le Royer, Bouvet et Alno sont les membres de la
maison de Saint-Clément qui ont le plus souvent partagé leurs travaux.
Monsieur Alno était supérieur de la communauté, quand éclata la Révolution.
Il était natif de Guérande. Son zèle à défendre la foi contre les erreurs de la
constitution civile du clergé lui avait attiré beaucoup de persécutions à
Nantes ; ses jours y étaient en danger. Il put échapper à la fureur de ses
ennemis, qui étaient ceux de la religion ; il se réfugia en Italie. Une
communauté de Trappistes, établie à Casa-Mari, dans les États Romains, lui
servit de retraite. Il y passa trois années, pendant lesquelles il vécut de la
manière la plus édifiante, suivant tous les exercices du monastère et
pratiquant les mêmes austérités que les religieux. Une maladie grave lui fit
accepter l’offre d’un curé du voisinage, qu’il l’engagea à aller faire chez lui
sa convalescence. À peine arrivé dans ce presbytère hospitalier, il fut atteint
d’une violente dysenterie, pendant laquelle il donna les exemples les plus
touchants de résignation. Le mal ne cessa d’empirer et le saint prêtre succomba
le 24 septembre 1795, à l’âge de 54 ans. On tenait ses vertus, en si haute
estime, que les habitants du lieu et des environs se pressèrent en foule, pour
vénérer sa dépouille mortelle ; ils coupèrent même des morceaux de ses habits,
afin de les conserver comme reliques précieuses. Il reçut la sépulture dans
l’église du Mont-Saint-Jean, où il était décédé. Ces détails sont extraits de l’histoire
de la persécution en Bretagne à la fin du XVIIIe siècle ; nous sommes
heureux de leur donner une place dans l’histoire des missionnaires, qui furent
les amis de Monsieur Alno, et avec lesquels celui-ci a travaillé, pendant
plusieurs années, à la gloire de Dieu et à l’intérêt supérieur des âmes.
En parcourant la liste des missions et des retraites prêchées par les
Pères de la communauté de Saint-Laurent-sur-Sèvre, dans l’espace de moins de 40
ans, depuis 1740 jusqu’en 1779, on ne peut s’empêcher d’admirer l’ardeur et le
dévouement de cette petite troupe d’apôtres qui ne connurent jamais le repos,
et accomplirent, vu leur nombre restreint, une tâche véritablement prodigieuse.
Rien n’était capable d’entraver leur zèle. Montfort avait légué à ses enfants
son ardeur apostolique. Il avait voulu des missionnaires, prêts à prêcher
l’Évangile partout où ils seraient appelés ; ses enfants ne furent point
infidèles à leur vocation, et ne se montrèrent pas indignes de leur Père. Ils
évangélisèrent les peuples jusqu’à ce que la Révolution eût fermé les temples, brisé
les chaires et profané les autels ; lorsque la paix fut rendue à l’Église, ils
recommencèrent, dès qu’ils le purent, leurs travaux, qu’ils ont poursuivi sangs
trêve avec le même zèle et le même succès.
Le saint fondateur de la Compagnie était mort sur le champ de bataille
de la religion : ses deux premiers successeurs, les Pères Mulot et Audubon,
eurent la même gloire. Avant la Révolution, les supérieurs généraux pouvaient
se livrer aux travaux des missions ; ils n’étaient pas comme aujourd’hui, presque
entièrement absorbés par les exigences d’une administration étendue.
Quelques-uns des Pères ont prêché l’Évangile avec une ardeur qui tient du
prodige. ; Mais Dieu les soutenait dans leurs labeurs incessants. On voit par
le compte-rendu des missions, que le Père Albert a prêchées, de 1740 à 1771, 195
missions et retraites ; le Père Javeleau, de 1741 à 1779, 278 missions et 98
retraites. Le Père Javeleau n’a cessé de prêcher avec un zèle indomptable qu’au
moment où l’impiété fut devenue complètement maîtresse.
Avant la Révolution, les Pères de Saint-Laurent travaillaient
d’ordinaire ensemble. Ils n’étaient pas assez nombreux pour évangéliser
plusieurs paroisses à la fois. Ils tenaient d’ailleurs à se trouver en nombre
suffisant pour satisfaire aux besoins de toute la contrée sur laquelle ils
allaient répandre la parole de Dieu. Chaque paroisse, où se donnait la mission,
était comme un centre, où l’on se transportait de tout le voisinage, pour
entendre les prédications et recevoir les sacrements.
Ces exercices duraient un mois et même cinq et six semaines ; ils
étaient donnés par quatre, six ou huit missionnaires, aidés souvent encore par
d’autres ecclésiastiques ; ils ne pouvaient manquer d’exciter, parmi les
peuples, un grand mouvement religieux. Les populations entières s’attachaient
aux enfants de Montfort, comme à Montfort lui-même, et se montraient, en toutes
circonstances, reconnaissantes et dévouées. La voix des Pères de Saint-Laurent
était partout accueillie comme une voix amie, et leurs personnes entourées de
respect et l’affection. Les missionnaires se faisaient accompagner d’un ou deux
Frères coadjuteurs, qui leur étaient d’un grand secours pour le catéchisme, le chant
des cantiques, la récitation du chapelet, les cérémonies et tout ce qui
concerne le matériel des missions.
On sait que le Bienheureux de Montfort aimait à faire dans ses missions
des cérémonies éclatantes, capables de faire sur les peuples une salutaire et
durable impression. Ses successeurs l’imitèrent en cela, comme dans tout le
reste. Ils savaient que le plus sûr moyen d’atteindre l’âme, c’est de parler
fortement aux sens. L’Église, du reste, attache une grande importance à l’éclat
de son culte et de ses cérémonies. Le peuple aime la fête ; il aime ce qui
frappe l’imagination et remue le cœur. Une mission étant destinée à agir sur
toute une population et à lui imprimer un essor religieux, il faut, dans cette
circonstance, autant que possible, le chant des cantiques, les reposoirs, les
illuminations, les processions, les plantations de croix, toutes les cérémonies
capables d’impressionner les masses populaires. Sans cela, une mission passe
presque inaperçue. Il est d’expérience que les sermons les plus éloquents ont
rarement assez de puissance pour remuer seuls tout un peuple. Le zèle doit y
aider par de pieuses industries.
Les missionnaires comprenaient si bien l’importance des cérémonies
éclatantes, qu’ils en faisaient toujours quelques-unes, même dans les simples
retraites prêchées dans les paroisses, les collèges, les hôpitaux, voir les
maisons religieuses. Ils accompagnaient ces exercices d’une consécration à la
Sainte Vierge, d’une Amende honorable, surtout d’une Rénovation des vœux du Baptême,
quelquefois d’une procession générale. Dans les communautés, ils remplaçaient généralement
la Rénovation des promesses baptismales par la Rénovation des vœux de Religion.
Comme leur saint Fondateur, les Pères de la Compagnie de Marie avait
coutume de laisser aux paroisses un souvenir de leurs missions. Ils
établissaient la confrérie du Saint Rosaire ou une autre association ; ils
faisaient élever des chapelles en l’honneur de la Sainte Vierge, de
Saint-Michel ou de quelqu’autre saint vénéré dans le pays. Ils aimaient surtout
à ériger des calvaires et planter des croix, pieux rendez-vous pour les simples
fidèles qui venaient y prier en particulier, ou pour les paroisses entières s’y
transportant en procession. L’auteur d’un mémoire écrit par un janséniste
contre les missionnaires, en 1777, et dont nous aurons à parler, s’élève contre
les dépenses occasionnées par ces monuments religieux, comme si les
missionnaires avaient prélevé sur les populations un impôt forcé. Alors, comme
aujourd’hui, les fidèles étaient heureux de contribuer à l’érection de ces
chapelles et de ces calvaires ; ils le faisaient non seulement volontairement
et librement, mais encore joyeusement. Nous citerons ici une note du mémoire
précité attestant qu’on aimait à garder dans les paroisses un souvenir de la
mission. Nous y lisons : « Il est peu de bourg et de petites villes, en Poitou
principalement qui ne fixe l’attention des voyageurs par des monuments de ce
genre. Autour de Mortagne, on peut voir de ces calvaires à Evrunes, Saint-Christophe,
La Séguinière, Cholet, la Tessouale, Saint-Hilaire, la Verrie, Saint-Laurent,
Chambretaud, Moulins, Le Longeron, Saint-Martin-Lars, etc. etc.… »
Les ouvriers apostoliques laissaient aux peuples quelque chose de plus
précieux que des monuments matériels ; ils leur laissaient le souvenir de leurs
vertus et de leur enseignement. Aussi les évêques et les prêtres, qui les appelaient,
aimaient à faire l’éloge non seulement de leur zèle, mais encore de leur piété
et de leur doctrine. Comme le divin Maître, ils commençaient par pratiquer ce
qu’ensuite ils enseignaient aux autres. Hommes de foi et de charité, ils
faisaient passer, dans les cœurs des fidèles, les sentiments chrétiens dont ils
étaient eux-mêmes pénétrés. Ils savaient inspirer l’amour de la religion et de
ses ministres, de la Sainte Église et de son auguste chef. Après avoir médité
les vérités éternelles, ils les prêchaient avec force et onction. Ils ne
craignaient pas de stigmatiser le vice ; de s’élever avec énergie contre toutes
les erreurs courantes.
Comme Montfort, leur Père et leur modèle, ils eurent à endurer bien des
persécutions ; ils rencontrèrent, sur leur chemin, de vives oppositions ; ils
trouvèrent même parfois des obstacles au bien, chez des gens qui auraient dû les
seconder de tout leur pouvoir ; mais Dieu et Marie était avec eux. Ils ne
cessèrent de labourer, à la sueur de leur front, le champ du Père de famille,
et de jeter, dans le sillon, le froment sans mélange d’ivraie, semence
précieuse qui a produit au centuple.
Ce sera une éternel gloire pour la petite Compagnie de Marie, de ne
s’être jamais laissé entamer par l’erreur, mais d’avoir sans altération
enseigner la pure doctrine de l’Église, d’avoir combattu avec courage tous ceux
qui voulaient lui substituer des nouveautés doctrinales. Nous verrons les
enfants de Montfort aux prises avec les jansénistes, en différents diocèses ; nous
serons témoins des difficultés suscitées par les sectaires pour empêcher des
communautés de Saint-Laurent d’obtenir l’approbation royale, qui devait assurer
leur stabilité ; nous verrons aussi les cruelles épreuves que la Révolution
devait faire endurer à toute la famille du bienheureux serviteur de Dieu.
La première mission, relatée dans le compte-rendu, laissé par les Pères
de la Compagnie de Marie, avant la Révolution, est celle de Faye-l’Abbesse,
alors du diocèse de La Rochelle, aujourd’hui celui de Poitiers. Elle eut un
plein succès. Le peuple en suivit tous les exercices avec assiduité et
docilité. Commencée le 11 octobre 1740, elle se termina les 30 du même mois.
Elle était prêchée par les Pères Mulot, Vatel, Albert et Hacquet. Les mêmes
missionnaires ayant pris avec eux le Père Gâté, se rendirent à Saint-Varent,
dans le même diocèse ; ils n’obtinrent pas le même succès, soit à cause d’un
mauvais temps continuel, soit à cause des dispositions peu favorables d’un
peuple qui se montra froid et difficile à conduire. Une neige abondante tomba le
jour fixé pour la procession générale de clôture et empêcha la cérémonie.
Au commencement de 1741, les missionnaires passèrent dans le diocèse de
Nantes, où ils donnèrent des missions à Riaillé, à Oudon, à Saint-Mars-du-Désert,
à Maumusson et à Rezé. La mission de Riaillé fut médiocre. Le peuple, composé
en grande partie de forgerons, montrait peu de dévotion. Les prédicateurs
étaient les Pères Mulot, Vatel, gâté, Albert, Javeleau et Monsieur Dupin de Saint-Clément.
Ces mêmes missionnaires, à l’exception du Père Gâté, se rendirent ensuite à
Oudon qui profita mieux de la grâce de Dieu. Le peuple parut docile et plein de
bonne volonté, Oudon avait alors une garnison, et les soldats, qui la
composaient, ne montrèrent pas moins de piété que les habitants.
La paroisse de Saint-Mars-du-Désert possédait un digne et zélé pasteur,
à l’époque de la mission qui fut prêchée en 1741 ; néanmoins la mission fut
très mauvaise. Le peuple ne paraissait nullement porté à écouter la parole de
Dieu. Le jour même où elle se terminait, les Pères se rendirent à Maumusson, où
ils ne trouvèrent que des consolations. Jamais on ne vit plus d’assiduité aux
instructions ni plus grande affluence autour des confessionnaux. Les habitants
se montrèrent pleins de bonté, d’affabilité et de dévotion. Commencée le 24
avril, la mission se termina le 19 mai. Elle fut suivie de celle de Rezé qui
eut aussi un excellent résultat. Les habitants des îles de Trentemoult
déployèrent surtout un grand zèle pour se rendre aux exercices. Monsieur de l’Obrière,
doyen de la cathédrale de Nantes, en fit l’ouverture, et la clôture fut
présidée par Monsieur de Beaupoil, vicaire général du diocèse.
Après les vacances de 1741, les Pères de Saint-Laurent recommencèrent,
au mois d’octobre, le cours de leurs missions, et évangélisèrent Pierrefitte, Tessonnière,
Airvault et La Chapelle-Largeau, alors du diocèse de La Rochelle et aujourd’hui
celui de Poitiers. Ces deux premières missions furent assez satisfaisantes, mais
celle d’Airvault obtint un plein succès. Le peuple de cette paroisse se montra
rempli de docilité, de bonté et de reconnaissance. Commencée le 8 décembre, la
mission se termina le 14 janvier 1742. À la Chapelle-Largeau, les habitants ne
se montrèrent plus aussi dociles et aussi fervents qu’on l’eût désiré.
Les Pères passèrent ensuite dans le diocèse de Nantes, et commencèrent
par évangéliser Couffé et Saint-Herblon. La mission de Couffé dura un mois, du
18 février au 18 mars. Elle se faisait aux frais du curé, prêtre zélé et pieux.
Ce digne pasteur n’eut pas la consolation de voir ses paroissiens répondre à
son appel. Ils se montrèrent indociles, peu dévots et peu reconnaissants. Nous
n’avons pas les détails d’une autre mission qui fut donnée à Couffé, en 1789.
Nous savons seulement que cette seconde mission eut les résultats les plus consolants.
La population n’était plus la même qu’autrefois ; elle était devenue docile et
religieuse. Cette paroisse avait, à cette époque, pour vicaire Monsieur Verger,
qui entra dans la Compagnie et fut massacré à La Rochelle, pendant la Révolution,
comme nous le dirons plus tard. Le jour même où se termina la mission de
Couffé, en 1742, on fit l’ouverture de celle de Saint-Herblon, qui eut un
meilleur succès, bien que le peuple ne fût pas facile à conduire.
Le 22 avril, les Pères commencèrent dans la paroisse du Pellerin une
mission, qui fut excellente. Ils étaient accompagnés de Messieurs Le Royer,
Dupin et Vexier, de Saint-Clément. Monsieur Le Royer était alors supérieur de
cette communauté. Pendant ces pieux exercices suivis avec un zèle admirable, la
paroisse du Pellerin fut cruellement éprouvée par la mort de son digne curé. Du
Pellerin, les missionnaires se rendirent à Fougeray, qui appartient maintenant
au diocèse de Rennes. La population suivit tous les exercices avec un zèle
au-dessus de tout éloge et se montra pieux et reconnaissante. Les Pères étaient
aidés dans leurs travaux par Messieurs Guilbaud, Louvel et Vexier, de
Saint-Clément. Pendant la mission qui commença le 27 mai et se termina le 8
juillet, le Père Mulot tomba sérieusement malade ; mais Dieu lui rendit bientôt
la santé, et il put continuer avec un zèle étonnant, non seulement l’œuvre des
missions, mais encore l’administration générale de ses communautés.
Après les vacances de 1742, il se rendit à Nantes, dans le diocèse de
Nantes, avec les Pères Vatel, Audubon, Albert, Javeleau, Hacquet et Dizy, pour
y commencer une mission qui eut de bons résultats. Elle se faisait aux frais de
Madame Laveau. Elle fut suivie de celle de Cornillé, alors du diocèse de Nantes
et aujourd’hui de celui d’Angers. Cette dernière mission fut parfaitement
suivie par un peuple pieux, docile et affable. Les missionnaires allèrent
ensuite à Saint-Jouin-sous-Châtillon. Commencée le 27 janvier 1743, les pieux
exercices se terminèrent le 26 février et se firent avec la plus grande
ferveur. Au rapport des missionnaires, tous les habitants de Saint Saint-Jouin
et de Châtillon se montrèrent, bons, prévenants, gracieux, généreux et reconnaissants.
Tout le monde parut heureux et content, excepté les chanoines réguliers, qui
firent de l’opposition. L’abbaye de Châtillon, de l’Ordre de saint Augustin,
fut fondée en 1079. Elle avait sous sa direction les églises paroissiales de
Châteauneuf, les Châtelliers, la Flocellière, Montournais, Réaumur, Tilly, la
Couture, Saint-Vincent-du-fort-du-Lay et quelques autres. Après la mission de
Saint-Jouin, vint celle de Noirlieu, qui eut également un succès très
consolant. Elle fut parfaitement suivie par les habitants de la Chapelle-Gaudin,
où le Frère Mathurin allait faire le catéchisme.
La paroisse de Saint-Laurent-sur-Sèvre, qui possédait la maison-mère
des missionnaires, ne pouvait pas se plaindre d’être oublié par eux. Ils
aimaient à évangéliser une population, qui leur était sympathique. Ils lui
donnèrent, du 18 mars au 16 avril 1743, une mission, qui fut aussi fervente que
possible. Elle se faisait à leurs frais. Sitôt terminée, les enfants de
Montfort allèrent évangéliser les paroisses de Saint Christophe et de Vérines,
du diocèse de La Rochelle. La mission de Saint Christophe donna aux Pères plus
de consolation que celle de Vérines, où ils trouvèrent un peuple indifférent,
indévot et peu docile. Les habitants de Saint Christophe montrèrent du moins
qu’ils avaient bon cœur, s’ils ne donnèrent pas des preuves d’une grande
dévotion.
Avant la fin de 1743, les Pères prêchèrent encore trois missions, l’une
dans le diocèse de Nantes, à Saint-Jean de Corcoué ; les deux autres dans celui
de La Rochelle, à la Tessouale et à Saint-Pierre de Cholet, qui appartiennent
maintenant au diocèse d’Angers. La première fut suivie avec un enthousiasme non
seulement par les habitants de la paroisse, mais encore par ceux des paroisses
voisines. L’affluence était telle qu’à plusieurs processions on évalua à plus
de 6000 le nombre des assistants. Le Révérend Père Mulot, tombé malade au
commencement des exercices, fut obligé de retourner à Saint-Laurent. Il ne put
se trouver à la mission de la Tessouale, qui commençait quelques jours plus
tard.
Cette mission eut tout le succès désirable. Les missionnaires
trouvèrent là un peuple spirituel et porté au bien, qui avait besoin toutefois
d’un pasteur ferme et intelligent pour le diriger. Tel était alors le prieur de
cette paroisse. C’était un prêtre plein d’intelligence, de fermeté et de zèle.
Il eut la générosité d’offrir à ceux de ses paroissiens qui faisaient d’abord
des difficultés pour assister aux exercices, à cause du besoin de travail, de
les secourir durant la durée de la mission. On planta trois croix ; la première
avait 61 pieds de hauteur ; la seconde, 40 ; la troisième, 30.
L’année 1743 se termina par la mission de Saint-Pierre de Cholet, où le
peuple se montra plein de bonté, d’affabilité et de reconnaissance. La mission
produisit des fruits abondants. Plus de 3000 personnes s’approchèrent de la Table
Sainte, sans compter les communions d’enfants, qui furent très nombreuses. On
eut pourtant à essuyer quelques contradictions de la part des jansénistes et de
la bourgeoisie.
En 1743, les Pères n’étaient encore qu’au nombre de 13 ; voici leurs
noms : Mulot, Vatel, Guillemot, Le Valois, Croissant, Hacquet, Albert, Gâté,
Javeleau, Dizy, Balque, Audubon et Besnard. Nous dirons seulement un mot ici
des Pères que nous venons de nommer, et dont il n’a pas encore été question, en
nous réservant de parler plus tard des Pères Audubon et Besnard qui ont
gouverné tour à tour la Congrégation.
Le Père Croissant entré à Saint-Laurent en 1734, a rempli les fonctions
d’assistant, sous les Pères Audubon et Besnard. Il termina sa carrière, peu
avant la Révolution, sans qu’on sache l’époque précise de sa mort. Il demeura
presque toujours à la maison-mère, chargé de la direction spirituelle des Sœurs.
On ne le voit paraître qu’à une seule mission, à celle de Saint-Laurent, dont
nous avons parlé. Les Pères Hacquet, Albert et Javeleau était tout trois du
diocèse d’Angers. Le premier était né à Angers même ; le second à Beaupréau et
le troisième à Baugé. Ce sont ceux qui figurent le plus souvent dans le
compte-rendu des missions prêchées avant la Révolution. Le Père Hacquet est
entré dans la Compagnie en 1735 ; le Père Albert en 1736 et le Père Javeleau en
1740. Nous aurons à reparler de ces trois intrépides missionnaires.
Le Père Dizy, de la paroisse de Saint-Jacques de la Boucherie, à Paris,
était né en 1716. Il entra dans la Compagnie en 1740, et mourut aumônier de
l’hôpital Saint-Louis, de La Rochelle, en 1782. Il commença par donner des
missions, puis il fut placé comme aumônier à Saint-Louis, où il rendit les plus
grands services. Il fut vivement regretté des administrateurs, des Sœurs, des
malades, des pauvres et de toutes les personnes avec lesquelles il avait été en
relations. Les larmes, qui coulèrent à ses funérailles et les honneurs
particuliers qui lui furent rendus, dans cette triste circonstance,
témoignaient du respect, de l’affection et de la reconnaissance dont il était
entouré. La cérémonie funèbre fut présidée par Monsieur de Moussac, vicaire
général et doyen du Chapitre de La Rochelle. Le 3 novembre 1768, le pieux
aumônier avait érigé, dans la chapelle de l’hôpital, la confrérie du Sacré-Cœur.
Le Père Balque, entré dans la Compagnie en 1740, remplit, pendant
plusieurs années, les fonctions d’aumônier de Saint-Louis, sortit de l’hôpital
en 1754, pour prendre la direction des écoles charitables de La Rochelle puis rentra
à Saint-Laurent, où il mourut. Le Père Gâté qui se trouva à plusieurs missions,
de 1740 à 1744, ne paraît pas avoir pris d’engagements dans la Compagnie.
CHAPITRE VI
Travaux des Pères de la
Compagnie de Marie depuis le commencement de 1744 jusqu’aux vacances de 1747. –
Mort du Père Le Valois. – Mission de la fin de 1747 et du commencement de 1748.
– Mort du Père Vatel.
Au commencement de 1744, les Pères Mulot, Javeleau, Hacquet et Besnard
donnèrent deux missions : à Saint Porchaire, près de Bressuire, et à
Coulonges-Thouarsais, tandis que les Pères Guillemot, Audubon, Albert, Gâté et
Dizy en prêchaient deux aux autres, au Cerqueux et à Maulévrier. La mission de
Saint Porchaire, tiède au début, devint très fervente, grâce à l’exemple et au
concours des habitants de Bressuire qui s’y rendirent en foule. Le peuple de
Coulonges, un peu lâche et indolent à cette époque, se porta néanmoins avec
assez d’ardeur aux exercices. La population des Cerqueux était indifférente et
peu docile ; aussi le résultat y fut-il médiocre. Maulévrier, au contraire, se
montra docile et religieux, et donna aux missionnaires les plus grandes
consolations.
Le jour même où se terminèrent les missions de Maulévrier et de
Coulonges, on a commença une autre au May. Bien qu’elle eût duré un mois on la
trouva trop courte, parce que le peuple qui pourtant fit preuve de docilité,
avait tardé à se mettre en mouvement. Si l’on eût pu prolonger les exercices,
on eût obtenu un succès plus consolant. Un magnifique calvaire y fut érigé sur
la route d’Angers. La mission de Courlay, qui suivit, fut admirable sous tous
rapports. Le Père Besnard, après y avoir travaillé une semaine, tomba
dangereusement malade. Les missionnaires trouvèrent, dans la paroisse de
Courlay, une population remplie de bonté, de docilité et de reconnaissance ;
ils font observer que les changements trop fréquents de curés nuisaient considérablement.
La mission de Courlay était à peine terminée que les Pères, sans
prendre aucun repos, allèrent évangéliser le Bignon, au diocèse de Nantes. Ils
furent aidés, dans leurs travaux, par Messieurs Dupin et Vexier. Le peuple du
Bignon était dur, difficile à conduire, peu porté à la piété et malheureusement
trop adonné à l’ivrognerie. La mission fut néanmoins passable, après avoir été
inaugurée sous de fâcheux auspices. Le premier jour, il y avait eu rixe
sanglante entre les habitants de la paroisse et ceux de Vertou qui avaient envahi
leurs places. L’église fut rebénite le lendemain. Dans l’intervalle, le
Saint-Sacrement fut conservé dans une chapelle assez éloignée du bourg.
La mission suivante fut prêchée à Savenay par les Pères Mulot,
Guillemot, Audubon, Javeleau, Hacquet et Dizy, avec le concours des Messieurs
Dupin et Vexier et de Monsieur l’abbé de Lépronière. Les habitants de Cambon
s’y portèrent en foule, tandis que ceux de la ville de Savenay et de toute la
paroisse se montrèrent peu assidus.
Après quelque temps de repos à Saint-Laurent, les missionnaires
commencèrent le 13 septembre, une retraite de huit jours à la Tessouale. Elle
fut aussi fervente que possible et contribua grandement à assurer le fruit de
la mission donnée l’année précédente. Cette retraite fut clôturée par une
magnifique procession générale. Peu de jours après, nous trouvons les Pères à
Touvois, dans le diocèse de Nantes, où la mission fut suivie avec la plus
grande ardeur et produisit d’heureux résultats. Près de Touvois, au Val de
Morière, vivait alors une communauté de religieuses de Fontevrault, auxquelles
les missionnaires donnèrent quelques instructions. Ils se rapprochèrent ensuite
de Saint-Laurent, pour prêcher, aux Epesses, une mission qui fut assez
médiocre.
Ils allèrent de là évangéliser trois paroisses, dans les environs de La
Rochelle : Aigrefeuille, Angoulins et la Jarrie. C’est le jour même de Noël que
commença la mission d’Aigrefeuille, pour se terminer le 23 janvier 1745. Le
peuple se montre docile, et les exercices furent bien suivis. Il n’en fut pas
de même à Angoulins dont la population, d’une grande indifférence pour les
choses du salut, paraissait rivée aux intérêts matériels. Les Pères trouvèrent
plus de consolations à la Jarrie, tout le peuple se montra assidu, docile,
attentif et reconnaissant.
Les missionnaires s’embarquèrent ensuite pour l’île d’Oléron, alors du
diocèse de Saintes ; ils évangélisèrent, avec un plein succès, les paroisses de
Saint-Denis et de Saint Georges où le peuple donna des preuves non équivoque de
son zèle, de sa docilité, de sa piété et de sa reconnaissance. À Saint-Denis,
les Pères logeaient chez Madame de Chassiron. On planta à l’entrée du port une
belle croix que l’on nomme croix de bon port. Un navire hollandais,
étant venu s’échouer, pendant la mission, sur le Rocher d’Antioche, on
se servit des mâts et autres pièces de bois pour faire la croix et construire
un reposoir pour le Saint-Sacrement, à la procession générale. À Saint-Georges,
on érigea un calvaire encore plus magnifique que celui de Saint-Denis.
Une retraite des plus ferventes fut ensuite prêchée à l’hôpital
Saint-Louis de La Rochelle et fut admirablement suivie, par les personnes les
plus distinguées de la ville. L’évêque assista à plusieurs exercices et prêcha
lui-même trois fois.
Après les vacances de 1745, les Pères évangélisèrent Treize-Vents,
Saint-Loup et Moncoutant. La mission de Treize-Vents fut aussi fervente que
possible. Le peuple était animé d’excellentes dispositions. Plus tard, en 1756
et 1773, deux retraites, qui produisirent également d’heureux résultats, furent
données à cette paroisse. À Saint-Loup le résultat fut assez satisfaisant,
quoique le peuple parût peu soucieux d’entendre la parole de Dieu. La mission
de Moncoutant fut couronnée d’un plein succès, malgré le voisinage des
protestants qui composaient alors la moitié de la population, mais qui n’exerçaient
pas la moindre influence fâcheuse sur les catholiques.
Toutes les missions de 1746 et les deux premières de l’année suivante
ont été données dans le diocèse de Nantes ; à Joué, Ancenis, Saint-Colombin ;
Mussillac, Saint-Mars-la-Jaille, la Roche-Bernard, Noyal-Muzillac et
Pontchâteau. Les paroisses de la Roche-Bernard et de Noyal-Muzillac appartiennent
aujourd’hui au diocèse de Vannes. La mission de Joué fut peu fructueuse. Celle
d’Ancenis fut suivie avec beaucoup plus de zèle. Le clergé et les religieux de
la ville se montrèrent pleins d’affabilité pour les enfants de Montfort. Le
peuple, intelligent et délicat pour ce qui regarde la prédication, fut très
assidu aux exercices et en profita d’une manière consolante. Nous dirons ici
que plus tard en 1769, les Pères Hacquet et Julien prêchèrent, au collège
d’Ancenis, une retraite qui n’eût pas un grand succès. Les missionnaires notent
que les écoliers, qui étaient nombreux, paraissaient très dissipés.
L’éloignement de la chapelle, où se faisaient les exercices, pouvait être en
partie la cause de cette dissipation. Les missionnaires reconnaissent toutefois
que cette jeunesse, sous des allures un peu turbulentes, était susceptible de
beaucoup de bien. Ancenis, à l’époque de la retraite donnée au collège, avait
pour curé un prêtre vénérable, Monsieur Gallot.
D’Ancenis, les Pères se rendirent à Saint-Colombin, puis à Missillac.
Ces deux paroisses ne pouvaient leur donner plus de consolations. Ils
trouvèrent, à Saint-Colombin, un peuple attentif à la parole de Dieu,
reconnaissant, docile, mais enclin à la chicane. Pendant la mission,
Monseigneur de Sansay, évêque de Nantes, mourut à sa maison de campagne, peu
éloignée de la ville épiscopale. À Missillac, l’affluence fut telle autour des
confessionnaux, qu’à plusieurs reprises, une foule de femmes et de jeunes filles,
pour garder leurs places, passèrent la nuit dans l’église, occupées à chanter
des cantiques. Les missionnaires furent aidés par les trois prêtres de la
paroisse et Monsieur Tobie, vicaire de Crossac, qui entra plus tard dans la
Compagnie de Marie.
L’époque des moissons vint, comme de coutume, interrompre les travaux
des missionnaires ils les reprirent, le 16 octobre, à Saint-Mars-la-Jaille, où
ils rencontrèrent un peuple religieux et docile. On y venait en foule des
paroisses voisines. La mission de la Roche-Bernard fut aussi des plus
ferventes, nonobstant la vive opposition des Jansénistes, à la tête desquels
étaient deux prêtres, Messieurs Bouchu et d’Aliveau. Une croix magnifique,
ornée d’un beau Christ, fut élevée sur la place de l’église.
Sans le moindre répit, les intrépides apôtres se rendirent à
Pontchâteau, où la mission fut aussi fervente qu’on pouvait l’attendre d’un
peuple bon, zélé, dévot et constant dans la piété. Une compagnie de dragons du
régiment d’Asfeld, en garnison à Pontchâteau, se distingua par son assiduité
aux exercices. Les Pères se firent autoriser par le duc de Penthièvre, qui
visitait alors les côtes de Bretagne, à restaurer le calvaire de leur saint
fondateur, et obtinrent de Monseigneur de la Muzanchère, le nouvel évêque de
Nantes, les statues qui avaient été transportées, par Montfort lui-même, dans
la ville épiscopale. Toute la paroisse, à l’appel de son digne curé, s’était
unie aux missionnaires, pour solliciter cette restauration, dont fut chargé le
Père Audubon.
A Noyal-Muzillac, le peuple parût lâche, insouciant, peu avide de la
parole de Dieu ; aussi n’en recueillit-il qu’un mince profit spirituel.
Les enfants de Montfort venaient de donner de suite huit missions dans
le diocèse de Nantes, quand ils furent appelés à Saint-André-de-la-Marche,
alors du diocèse de La Rochelle, aujourd’hui de celui d’Angers. Ils trouvèrent
là une population docile, ponctuelle à assister aux instructions et portée à la
dévotion. Le diocèse de Nantes revit bientôt les ouvriers évangéliques, à Vue et
à Herbignac. La mission de Vue fut fervente, grâce à l’impulsion donnée par les
paroissiens de Rouans et de Frossay ; les habitants de Vue se montrèrent moins
ardents pour le bien que les étrangers. La population d’Herbignac manifesta, au
contraire, un zèle et une bonne volonté qui ne se démentirent pas un instant.
Pendant cette dernière mission, le 14 juin 1747, mourait à Saint-Laurent,
le Père Le Valois. C’était une perte pour la Compagnie de Marie, qu’il avait
longtemps arrête par le spectacle de ces rares vertus. Ce fut une perte aussi
pour la Congrégation de la Sagesse, dont il était le directeur spirituel,
depuis environ 26 ans. Il fut vivement regretté par les communautés de
Saint-Laurent et partout les habitants de la paroisse, qui avait pour lui une
profonde estime.
Après la saison des vacances, les Pères se rendirent à la Romagne, où
le peuple, docile et porté au bien, fut grandement affermi dans la vie
chrétienne. La mission de Fontenay-le-Comte qui suivit, fut prêchée dans
l’église Saint-Nicolas. Le succès en fut médiocre. Le menu peuple montra
cependant de l’assiduité et de la dévotion.
À Rochefort-en-Terre, paroisse très religieuse, la mission fut
admirablement suivie. Toutes les cérémonies se firent avec un éclat
extraordinaire. Monseigneur Bertin, évêque de Vannes, qui faisait presque tous
les frais de la mission, passa près de trois semaines avec les missionnaires.
Il prêcha plusieurs fois et présida la cérémonie des vœux du baptême, la
plantation de la croix et la procession générale de clôture. Monsieur l’abbé de
Fumel, son grand vicaire, fit une communion générale et porta le
Saint-Sacrement à la dernière procession. Monsieur l’abbé Buisson, chanoine,
fit la Communion des enfants. Les missionnaires furent encore aidés par
Monsieur Pichon, prêtre retiré à St Paterne de Vannes, par Monsieur Aimon,
aumônier de l’hôpital de cette ville et par Monsieur Mane, aumônier des
ursulines.
Monsieur de Fumel et Monsieur Debuisson, que nous venons de nommer, se
sont toujours montrés pleins d’estime et d’affection pour les Pères de la
Compagnie de Marie. Monsieur l’abbé de Fumel, né au diocèse de Toulon, en 1717,
devint vicaire général de Vannes en 1743, et évêque de Lodève en 1750. Monsieur
l’abbé Buisson, du diocèse de Chartres, devint chanoine de Vannes, en 1743, et
se démit de son titre en 1756.
Les missionnaires quittèrent Rochefort pour Saint Liphard, au diocèse
de Nantes, où la récolte spirituelle fut peu abondante. Il est vrai que le
temps fut très mauvais, mais aussi et, à cette époque, les habitants de cette
paroisse semblaient avoir plus de goût pour les procès que pour la dévotion. Ce
qui nuisît peut-être au succès, c’est une maladie dont fut atteint le Père
Mulot, et qui inquiéta vivement les missionnaires. Cette maladie empêcha le
vénérable supérieur d’accompagner ses confrères à la mission de Saint-André-des-Eaux,
qui fut des plus consolantes. Le peuple était parfaitement disposé. Les
habitants de Saint-Nazaire, de Guérande et d’Escoublac affluaient aussi aux
exercices. Monsieur le curé de Saint André et son vicaire aidèrent pour les
confessions.
La famille religieuse de Montfort fut de nouveau plongée dans le deuil
par la mort du Père Vatel. Ce pieux et zélé missionnaire, choisi par Montfort
lui-même, d’une manière si extraordinaire avait été l’une des pierres
fondamentales de la Compagnie de Marie, et il rendit, à la Congrégation de la
Sagesse, les plus éminents services. Tous ses confrères, qui avaient clôturé la
mission d’Herbignac la veille de sa mort, se rendirent à Saint-Laurent pour les
obsèques. Personne ne fut plus sensiblement frappé de cette perte que le
supérieur général qui regarda la mort du Père Vatel comme un présage prochain
de la sienne. En prévision de cette éventualité, il désigna alors le Père
Audubon pour son successeur.
Sa douleur et la pensée de sa fin prochaine ne l’empêchèrent point
d’aller prêcher, avant les vacances, à St Dolay et à Vertou. Ces deux missions
n’eurent par le résultat qu’on pouvait espérer. Le peuple de St Dolay ne se
montra ni docile ni fervent. Pendant la mission, Monseigneur de la Muzanchère,
évêque de Nantes, visita cette paroisse, appartenant alors à son diocèse. Il
était accompagné de ses deux vicaires généraux, Messieurs Hervisio et de
Raignon, et de son secrétaire, Monsieur Balion. Il présida la cérémonie des
vœux du Baptême. En se rendant à St Dolay, il passa, escorté d’un nombreux
clergé, au calvaire de Pontchâteau que l’on restaurait. Il alla se prosterner
devant la petite croix provisoire placée sur la sainte montagne et entonna le Vexilla
Régis qui fût chanté par les prêtres et la foule accourue de tout le
voisinage. Il fit ensuite une brève et pathétique exhortation sur la nécessité
et les avantages des croix et des souffrances.
A Vertou, les missionnaires furent aidés par Messieurs Le Royer et
Dupin. Vertou se ressentait de la proximité de la ville de Nantes ; la dévotion
était étouffée par le culte de l’argent et des intérêts terrestres. Les gabariers,
en particulier, étaient mal famés sous le rapport religieux. Le jansénisme,
très accréditée dans la paroisse, était peut-être le plus grand obstacle au
bien. La mission trouva surtout une vive opposition dans les Bénédictins, qui
étaient alors sans prieur et étaient infectés des erreurs janséniennes.
Monsieur l’abbé Raignon, vicaire général de Nantes, s’étant rendu à Vertou,
pour assister à la procession générale de clôture, fut témoin des sentiments
hostiles de ses religieux. Ils furent cause que la procession du
Saint-Sacrement n’eut pas lieu ; car, comme ils voulaient user de leurs droits et
assister en corps à la cérémonie, les missionnaires, pour ne pas communiquer
avec eux, durent supprimer la procession. La mission se termina par la
plantation d’une croix magnifique. Les Bénédictins remuèrent ciel et terre pour
l’empêcher, mais, malgré leur opposition, la cérémonie se fit avec solennité et
en leur présence ; ils y assistaient, en effet, mais confondus dans la foule.
CHAPITRE VII
Voyage de trois missionnaires à
Rome. – Missions de Tiffauges, Gétigné, Montigné, Saint-Julien-de-Vouvantes,
Donges, Questembert. – Mort du Révérend Père Mulot.
Attaché de cœur, comme Montfort, à la chaire apostolique, plein de
vénération pour le successeur de Pierre, le Révérend Père Mulot eût bien désiré
aller se prosterner aux pieds du vicaire de Jésus-Christ, pour lui offrir ses
hommages, recevoir ses bénédictions et ses conseils paternels ; mais le soin de
ses Congrégations ne lui permettait pas une aussi longue absence. Ne pouvant
lui-même aller à Rome, il prit le parti d’y envoyer trois de ses missionnaires,
pendant les vacances de 1748. Les Pères Albert, Hacquet et Besnard furent
désignés ; ils se mirent en route avec une grande joie et firent le voyage à
pied, comme leur saint Fondateur. Partis de Saint-Laurent le 28 juillet, ils
arrivèrent à Rome le 12 septembre. Ils y restèrent jusqu’au 30 du même mois.
Le 27 septembre, ils furent reçus en audience particulière par le
Souverain Pontife, Benoît XIV. Ils présentèrent au Pape les Règles des
missionnaires et des Soeurs de la Sagesse. Sa Sainteté leur donna sa
bénédiction ainsi qu’aux personnes qui les observaient. « Soyez assurés, dit le
Pape aux enfants de Montfort, que je ferai tout ce qui dépendra de moi pour
l’affermissement de vos Congrégations. » – « Alors, dit le Père Hacquet dans la
relation de cette audience, nous lui demandâmes notre mission apostolique,
c’est-à-dire une mission immédiate du Saint-Siège ; il nous l’accorda volontiers.
Nous lui dîmes donc : Mitte nos, Beatissimi Pater. Aussitôt, il
s’approcha de nous, mit ses mains sur notre tête et dit : Mitto vos. Les
trois missionnaires se retirèrent embrasés d’un zèle plus ardent encore pour
les intérêts de Dieu et des âmes et de dévouement plus tendre pour l’Église et
son chef visible.
La Compagnie de Marie et la Congrégation de la Sagesse reçurent, avec
une vive gratitude et un grand bonheur, la bénédiction et les encouragements du
Père commun des fidèles ; personne ne s’en montra plus reconnaissant et plus
heureux que le vénéré supérieur général qui, malgré le poids des ans,
continuait à travailler dans le champ du Père de famille.
Prenant avait il lui deux de ses confrères, il allait, le 1er
novembre, à Saint-Nicolas de Tiffauges où la mission fut parfaitement suivie.
Tiffauges avait alors de paroisses, Notre-Dame et Saint-Nicolas, toutes deux
relevant de l’abbaye de Saint-Jouin de Marne. Le seigneur du lieu était le
marquis de la Bretesche. Le jour même où se termina la mission de Tiffauges,
s’ouvrit celle de Gétigné ; le peuple y montra de l’empressement et de la bonne
volonté, malgré la vive opposition des jansénistes de Clisson.
Au moment de la mission, les curés de Gétigné et de Cugand étaient
relégués, pour cause d’hérésie, à l’abbaye de Saint-Jouin-de-Marne. Monsieur
Héard, chanoine régulier de Clisson, avait été chargé de diriger la paroisse de
Gétigné, et c’est lui qui faisait donner la mission. L’opposition des
jansénistes ne servit qu’à enflammer le zèle des prêtres voisins et de leurs
populations, demeurées attachées à la vraie foi. Plus de vingt-cinq paroisses
suivirent les exercices ; Cugand ce distingua entre toutes, par sa régularité.
Sans perdre de temps, les missionnaires se rendirent à Montigné, où la
mission fut suivie avec grande diligence par les habitants de la paroisse et
par ceux de Montfaucon. À quelques jours de là, les Pères étaient à Saint-Julien-de-Vouvantes.
Le peuple se montra peu docile et peu assidu aux exercices. Donges donna
beaucoup plus de consolations. Les habitants de Paimbœuf s’y distinguèrent par
leur assiduité. La Loire qui sépare ces deux paroisses, était presque constamment
sillonnée de barques chargées de passagers, qui faisaient retentir les rives du
fleuve de chants de religieux.
Monseigneur Bertin, évêque de Vannes, prélat remarquable par ces hautes
qualités, particulièrement par une inaltérable douceur, appela les Pères de la
Compagnie de Marie et les chargea d’évangéliser l’importante paroisse de
Questembert. Le Père Mulot s’y rendit le 13 avril, accompagnée des Pères
Guillemot, Albert, Javeleau, Hacquet, Audubon et Besnard. La mission fut aussi
fervente que possible. Le peuple était docile, reconnaissant, assidu aux
instructions, animés des meilleures dispositions.
Le moment était venu où le Père Mulot devait aller recevoir la
récompense de ses longs et fructueux travaux. Questembert devait être son
dernier champ de labeurs. L’église y était en très mauvais état. La nef
semblait une terre labourée à cause des irrégularités produites par les fosses
des morts qu’on y enterrait. Le zélé missionnaire, imitant le Bienheureux de
Montfort, se proposa de faire cesser cet abus et de réparer l’église. Un jour
qu’il prêchait avec feu sur ce sujet, il souhaita, dans un saint transport, que
« son corps pût servir à la maison de Dieu de pavé et le sang de son cœur de
ciment ». Cette parole devait être en quelque sorte réalisée. Les
paroissiens entrèrent dans les vues du saint missionnaire qui fit agrandir le
cimetière et transporter les corps enterrés dans l’église. Au cours de ces
travaux un clou de cercueil lui entra dans le pied gauche ; il avait pénétré si
avant, que le sacristain, alors auprès de lui, ne put le retirer qu’à
grand-peine. Quoique la douleur fût très vive, le Père Mulot n’en parut faire
d’abord aucun cas ; mais bientôt, il fut obligé de céder et de garder la
chambre, en proie à une horrible souffrance. Il avouait à ses serviteurs qu’il
avait souvent prêché la passion de Notre-Seigneur, mais que tout ce qu’il en
avait dit n’était rien auprès de ce qu’il endurait. « Si donc, ajouta-t-il, ce
mal, qui est si peu de chose comparé aux souffrances de mon divin Sauveur me cause
des douleurs si cuisantes, combien celles du divin Jésus ont-elles été
terribles ! » Cette pensée l’animait et lui faisait supporter ses tourments
avec une admirable patience. Il voulut même autant que possible, continuer son
travail, et étendue sur sa couche, il recevait encore les hommes qui s’étaient
déjà adressés à lui pour la confession. La mission était commencée depuis trois
semaines, quand survint cet accident.
Cependant, comme il arrive souvent qu’une maladie en attire une autre,
le vénérable vieillard eût tout à coup une attaque d’un rhumatisme qui
l’incommodait depuis longtemps à la tête : l’attaque fut si violente que son
cou devint tout rigide ; ses dents s’étaient tellement serrées qu’il ne pouvait
s’exprimer que par des paroles entrecoupées. Cette situation douloureuse,
accompagnée de convulsions, continua jusqu’au lendemain, jour de sa mort. Ayant
reçu les derniers sacrements avec une vive piété, il expira avec ce cri de
confiance sur les lèvres : « In te, Domine, speravi, non confundat in
aeternum. » C’était le lundi, 12 mai 1749, entre huit et neuf heures du
matin. Il était âgé de 66 ans.
Cette mort fit, sur tous les esprits, l’impression qu’a coutume de produire
la mort des hommes extraordinaires et singulièrement utiles à l’église. On
regretta vivement ce zélé et pieux missionnaire. Les peuples comprirent qu’ils
faisaient en lui la plus grande perte ; mais tout le monde demeurait convaincu
qu’il n’avait fait que passer des misères de cette terre à la vie bienheureuse.
C’est ainsi que s’exprimait Monsieur de Fumel, alors vicaire général de Vannes,
futur évêque de Lodève, dans une lettre à Monsieur Buisson, chanoine et grand
chantre de la cathédrale, qui travaillait avec les missionnaires, et qui avait
écrit à l’évêché pour annoncer la mort du supérieur. Non content de ce
témoignage de vénération, le vicaire général se rendit à Questembert, pour
présider aux obsèques. Le Père Mulot fut enterré, comme il l’avait demandé,
dans le cimetière qu’il venait d’agrandir.
Il eut la gloire de mourir en mission, ainsi que le vénérable serviteur
de Dieu qui l’avait appelé à le suivre dans la carrière apostolique, et dont il
avait été un si parfait imitateur. Le Bienheureux de Montfort, né en Bretagne,
était venu mourir dans la partie du diocèse de La Rochelle qui appartient
maintenant à la Vendée ; le Révérend Père Mulot, né dans la partie du diocèse
de La Rochelle appartenant à la Vendée, est allé mourir en Bretagne. La Vendée
garde le corps du Bienheureux de Montfort, et la Bretagne garde celui du Père
Mulot.
Les chanoines de la collégiale de Rochefort-en-Terre demandèrent une
relique des pieux missionnaires qui venait de terminer sa carrière, à la
mission de Questembert. On leur accorda ses poumons qu’ils renfermèrent dans un
cœur de plomb et déposèrent, dans le mur du chœur de leur église, après avoir
célébré pour le défunt un service solennel.
Les missionnaires conservèrent pour eux-mêmes le cœur de leur Père, et
l’ayant enfermé dans un cœur de plomb, ils l’emportèrent à Saint-Laurent. Ils
firent célébrer avec pompe, dans l’église paroissiale, un service funèbre
auquel assistèrent en très grande nombre des prêtres et des fidèles, accourus de
toutes parts. À l’issue du service, on alla en procession déposer le cœur du
saint missionnaire, dans un mur de la chapelle de la Sagesse, derrière l’autel
majeur. Par-dessus, on apposa une plaque en cuivre portant cette inscription :
« ici repose le cœur de Monsieur René Mulot, prêtre, successeur de Monsieur de
Montfort, supérieur des missionnaires de Saint-Laurent et des Filles de la
Sagesse, mort à la mission de Questembert, dans le diocèse de Vannes, le 12 mai
1749, âgé de 66 ans, après 33 ans de mission et de travaux apostoliques. »
Cette plaque est religieusement conservée à la communauté de la Sagesse
; mais on ignore ce qu’est devenu le plomb précieux renfermant le cœur du
missionnaire. La chapelle des Sœurs n’était qu’un simple oratoire qui a
disparu. A-t-on mis ce cœur dans le mur de la chapelle construite plus tard ?
Nous l’ignorons. Cette dernière chapelle elle-même a été transformée et est en
partie détruite. C’est donc un trésor perdu : puisse la divine Providence le
faire retrouver un jour ! Quoiqu’il en soit le souvenir des vertus du premier
successeur de Montfort et des services rendus à sa famille religieuse, est
toujours vivant dans la communauté de Saint-Laurent.
La tombe du Révérend Père Mulot se voit encore, dans le cimetière de
Questembert. Elle est toute en granit travaillé avec soin. Aux angles et sur
les côtés ont été sculptées des têtes de morts, des larmes, des croix et même
un bénitier, en partie dégradé. Sur une des extrémités, on voit un cœur avec
une couronne d’épines. Cette tombe mesure près d’un mètre de hauteur. Elle est
placée au milieu de la grande avenue, qui conduit de l’entrée du cimetière à la
chapelle Saint-Michel, à quatre ou 5 mètres de cette chapelle. Elle est
entourée des autres tombes des prêtres, décédés à Questembert depuis 1749. On y
lit cette inscription : « René Mulot, supérieur de Saint-Laurent, mort en odeur
de sainteté, le 12 mai 1749. »
Le Père Mulot avait été visiblement suscité de Dieu pour affermir
l’œuvre du Bienheureux de Montfort. Les communautés de Saint-Laurent lui
doivent, d’une certaine manière, autant qu’à leur saint fondateur lui-même.
Celui-ci n’avait eu que le temps de rassembler les matériaux, avec lesquels son
successeur devait bâtir de beaux et solides édifices. Il dirigea ses
Congrégations avec une rare intelligence, avec un heureux mélange de douceur et
de fermeté. Il sut maintenir la ferveur, dans la Compagnie de Marie, et par la
sainteté de ses exemples, et par la sagesse de ses règlements. Il se montra
constamment le père, le soutien, le guide éclairé de toutes les Filles de la
Sagesse. La Mère Marie-Louise de Jésus trouva en lui les lumières et les
conseils nécessaires pour gouverner sa congrégation, qui allait toujours se
développant, sous le souffle de la divine Providence.
Les soins constants qu’il donnait à ses communautés, ne l’empêchèrent
point, nous l’avons vu, de se livrer aux missions jusqu’à sa dernière heure. On
ne sait comment une santé débile pouvait suffire à tant d’occupations ;
Montfort lui avait promis que ces maux s’évanouiraient dès qu’il commencerait à
travailler au salut des âmes. Confiant en ces paroles, qu’il regardait comme
inspirées de Dieu, il s’était livré au ministère apostolique, avec un zèle
extraordinaire. Depuis que le Bienheureux serviteur de Dieu lui avait fait
connaître la volonté du ciel, en 1715, jusqu’à sa mort, en 1749, il n’a pas
donné moins de 220 missions. Que d’âmes sauvées ! Que de mérites amassés par
l’intrépide apôtre !
Il marcha, sans défaillance et d’un pas ferme, sur les traces de son père
et modèle, et il était manifeste qu’il était mû par le même esprit. Sa manière
de prêcher était tout apostolique, comme celle de Montfort, et il possédait
aussi, à un très haut degré, le don de toucher les cœurs, faveur qu’il avait
implorée par de ferventes prières. Il ne connaissait ni dangers, ni obstacles,
lorsqu’il s’agissait de la gloire de son divin Maître et du bien éternel de ses
frères ; si parfois il se voyait en butte aux contradictions, aux mépris, aux
railleries des mondains, il était au comble de ses vœux, persuadé que l’épreuve
est le partage de ceux qui travaillent, avec courage et succès, dans le champ
du Seigneur. Il chérissait la croix, et s’il la rencontrait sur son chemin, il
la baisait amoureusement.
Dieu se plaisait à lui soumettre les cœurs ; les peuples, frappés de
ses exemples et de ses discours, accouraient en foule à sa suite, pour lui
témoigner leur vénération et leur reconnaissance ; il n’en demeurait pas moins
pénétré de mépris pour lui-même, et rien ne pouvait ébranler en lui une
humilité profonde qui fut un des caractères distinctifs de son âme.
La mort d’un prêtre si saint et si zélé fut, on le comprend, un amer
sujet de deuil pour tous ceux qui l’avaient connu intimement, les populations
qu’il avait évangélisées, et surtout pour les communautés dont il était le
guide, le Père et le second fondateur. Monsieur le doyen de Saint-Laurent donna
des preuves non équivoques de sa douloureuse sympathie, à la nouvelle du triste
événement qui venait d’avoir lieu à Questembert. Nous l’avons vu céder à de
fâcheuses préventions contre les missionnaires et surtout contre les Sœurs.
Mais il n’avait pas tardé à revenir de ses préjugés contre les Pères, qui
s’étaient toujours montrés disposés à lui rendre service. Depuis longtemps il
les honorait de son estime et de sa confiance, les consultants dans toutes ses
affaires spirituelles et temporelles. Il avait surtout en singulière vénération
le Père Mulot. Depuis quelques années, il se montrait aussi plus favorable aux
Filles de la Sagesse. Il ne manquait pas, dans les premiers jours de janvier,
d’aller dire la messe dans leur chapelle ; il le faisait aussi au décès d’une
Sœur. Mais jamais il ne leur avait fait un aveu aussi formel de ses anciennes
préventions qu’au moment de la mort de leur vénéré Père.
Il se rendit dans la maison des religieuses, entra dans la chambre où
était la Mère Marie-Louise de Jésus avec toutes ses sœurs éplorées, et levant
les yeux et les mains vers le ciel : « Consolez-vous, mes Dames, leur dit-il ;
je suis assuré que Dieu est sur ces deux communautés. Elles ne manqueront
jamais, tant que vous serez fidèles à vos engagements. Je remercie mille fois
le Seigneur de vous avoir appelées dans ce lieu, et de s’être servi de moi pour
en faire les premières démarches. Cependant il y a des personnes qui ont fait leur
possible pour me détourner de ce dessein, et je reconnais clairement que
c’était le démon qui jouait son rôle. Je vous avoue que je n’ai point
actuellement de plus grande consolation que d’apprendre qu’il se fait de
nouveaux établissements. Il faut avouer que mon cœur nage dans la joie, et
qu’aujourd’hui c’est avec la plus grande sincérité que je prends également part
à vos peines et particulièrement à la croix dont le Seigneur vient de vous
affliger ».
A la mort du Père Mulot, 16 religieux prêtres avaient fait profession
dans la Compagnie. Quatre d’entre eux avaient cessé de vivre ; l’humble
Compagnie se composait de 12 Pères missionnaires et de six ou sept Frères
coadjuteurs. À la même époque, la Sagesse possédait déjà 26 établissements.
LIVRE DEUXIÈME
Depuis la mort du Révérend Père Mulot jusqu’au commencement de la
Révolution.
(1749 – 1789)
CHAPITRE PREMIER
Le Révérend Père Audubon,
Supérieur Général. – Missions de Montfaucon, Saint-Aubin-Baubigné,
Saint-Maurice-des-Noues, l’Hermenault, Mazières, Guéméné, Penfao, Béganne,
Carentoir et Basse-Goulaine. – Voyage Supérieur Général à Paris, pendant les
vacances de 1750. – Arrivée de plusieurs missionnaires. – Missions et retraites
prêchées depuis les vacances de 1750 jusqu’à la fin de 1751.
Le Révérend Père Mulot avait désigné pour successeur le Père Audubon
qui, sous tous les rapports, était digne de le remplacer. Aussi tous ses
confrères ne firent aucune difficulté pour ratifier ce choix.
Le Père Audubon était né aux Sables d’Olonne diocèse de Luçon, le 10
novembre 1710. Dès l’enfance il s’était fait remarquer par sa sagesse et sa
piété. Promu au sacerdoce à 23 ans, avec dispense d’âge, il passa quelques
années dans l’exercice des fonctions paroissiales ; mais, ayant été témoin du
zèle et des vertus du Père Mulot, il se sentit attiré à marcher sur ses traces
et à vivre sous sa paternelle autorité. Il n’osait pas cependant manifester la
pensée qu’il nourrissait dans son cœur, retenu par le sentiment de son
incapacité, ou plutôt par une humilité profonde, se persuadant qu’il était
incapable de remplir dignement un si haut et si difficile ministère.
Ce ne fut qu’après avoir été encouragé par l’un des missionnaires qu’il
surmonta ce sentiment de défiance excessive. Le Père Mulot n’eut pas de peine à
reconnaître en lui des talents et des qualités que son humilité lui cachait
avec le plus grand soin. La Sœur Marie-Louise de Jésus ne contribua pas peu à
sa vocation. Désireux de faire connaissance avec les missionnaires, il était
venu un jour à Saint-Laurent avec un prêtre de ses amis. C’est là qu’il
rencontra pour la première fois le Père Mulot, mais il ne lui communiqua rien
des sentiments qui occasionnaient sa visite. Il alla dire la sainte messe dans
la chapelle des Filles de la Sagesse ; après son action de grâces, il entra
dans la salle de communauté, où les Sœurs s’assemblaient pour le travail, afin
de leur rendre une visite de bienséance. La Mère Marie-Louise de Jésus, qui ne
l’avait jamais vu, qui même n’avait jamais entendu parler de lui, le pria de
vouloir bien l’écouter un instant. Après l’avoir introduit dans un appartement
voisin, elle lui dit d’un ton assuré et comme prophétique : « Monsieur, le bon
Dieu vous appelle ici avec les missionnaires ». Cette parole, il l’a souvent
déclaré lui-même, fixa ses incertitudes et le détermina à exécuter son projet.
Cependant comme il avait une mère qu’il aimait tendrement, il lui était
dur de s’éloigner d’elle. Mais connaissant cette parole du divin Maître : «
celui qui aime son Père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi », il
fit généreusement le sacrifice de ce qu’il avait de plus cher au monde. Il
entra chez les Pères de la Compagnie de Marie la veille de la Toussaint, 1742.
Il avait toutes les qualités d’un parfait missionnaire, d’un véritable apôtre.
Ses talents et son zèle furent vite appréciés. Il sut si bien gagner l’estime
et la confiance de ses confrères qu’ils le jugèrent apte à remplacer le
Révérend Père Mulot, à qui il était si difficile de donner un successeur,
pouvant adoucir les regrets qu’avait causés sa perte.
Il gouverna ses congrégations avec sagesse, douceur et fermeté,
maintenant la ferveur et le zèle, non moins par la force de son exemple que par
les autres moyens. Chéri des siens, singulièrement estimé des supérieurs
ecclésiastiques, respecté de tous, il remplit sa charge avec distinction et
répandit partout la bonne odeur de Jésus-Christ.
La première lettre qu’il écrivit aux Filles de la Sagesse, en qualité
de supérieure générale, est datée du 12 juin 1749 ; il écrivait de l’île
d’Oléron. Cette lettre dénote une profonde humilité et un zèle ardent pour
l’avancement spirituel de ces âmes d’élite qui lui étaient confiées. Dès
l’année suivante, il fit imprimer les Constitutions des Sœurs, puis un
directoire moins complet que celui que l’on possède aujourd’hui.
Les missionnaires avaient repris le cours de leurs travaux. Dès le 1er
juin, cinq d’entre eux avec le concours de Messieurs Le Royer et Dupin,
commençaient à Montfaucon, alors du diocèse de Nantes, une mission qui se
termina le 29 du même mois. Elle n’eut qu’un très mince résultat. Le peuple se
montra indifférent, peu dévot et encore moins généreux.
Une retraite prêchée à Saint-Laurent, au mois de septembre, donna
infiniment plus de consolations aux enfants de Montfort. « Jamais, disent-ils,
dans leur relation, jamais mission ne fut mieux suivie et par un plus grand
nombre de personnes. Les étrangers s’y portèrent en foule. On donna quatre
exercices par jour, deux le matin et deux le soir. On fit plusieurs cérémonies
avec beaucoup d’éclat. Monsieur le doyen fut malade pendant tout le temps de la
retraite ; mais le vicaire et plusieurs prêtres étrangers travaillèrent avec
les missionnaires.
Toutes les missions données jusqu’aux vacances de 1750 furent prêchées
par les Pères Audubon, Albert, Javeleau, Hacquet et Besnard, à l’exception
pourtant de celle de Basse-Goulaine, où le Père Audubon ne se trouva pas :
il se disposait alors à faire un voyage important pour ses congrégations.
À Saint-Aubin-Baubigné, la mission fut admirablement suivie par une
population pieuse, docile et reconnaissante. Monsieur le marquis de La
Rochejacquelein, qui, depuis quatre ans s’opposait à cette mission, revint de
ses préventions et se distingua par sa piété, ainsi que sa famille. À
Saint-Maurice-des-Noues, le résultat fut assez bon. Les Pères des Robinières y furent
un sujet d’édification. À l’Hermenault, le peuple montra peu d’ardeur.
À Mazières, le ministère fut plus consolant. Les habitants de Cholet,
des et Échaubrognes, de Trémentines, de Maulévrier et de toutes les paroisses
environnantes se rendirent en foule aux pieux exercices. Il paraît que Nuaillé,
qui dépendait alors de Mazières, avait besoin d’une surveillance particulière.
Monsieur le curé, déjà très malade pendant la mission, mourut peu de jours
après. Il eut pour successeur Monsieur Henri, son vicaire, qui s’était chargé en
grande partie des frais de la mission, Madame du Laté, habitait cette paroisse
; elle avait fourni la croix et tous les matériaux nécessaires pour la
construction du calvaire.
Les missionnaires passèrent tout le mois de mars à Guéméné-Penfao, au
diocèse de Nantes, où la mission fut très fervente. C’est là que les Pères
reçurent la nouvelle de la mort de leur bienfaiteur, Monsieur le marquis de
Magnane, arrivé dans leur maison de Saint-Laurent. À Béganne, Monsieur Buisson,
chanoine de Vannes, et Monsieur Moreau prêtre retiré à Baden, travaillèrent
avec les missionnaires. La population été docile, reconnaissante et remplie de
bonnes dispositions ; mais elle avait besoin d’être aiguillonnée. Cette mission
avait été accordée aux longues et pressantes sollicitations de Madame du
Léthier qui se signala par sa piété et sa générosité. Elle donna, en
particulier, l’arbre de la croix qui fut plantée sur une éminence dominant la Vilaine.
Sans prendre aucun repos, les Pères allèrent évangéliser l’importante
paroisse de Carentoir. Ils furent encore aidés dans leurs travaux par Monsieur
Buisson qui aimait à se trouver avec eux, par Monsieur Dupin, par Messieurs les
recteurs de Peillac et de Saint-Jacut et par Monsieur le supérieur des missions
de France accompagné de onze de ses confrères. Cette mission n’eut pas le
succès qu’on pouvait attendre d’un peuple attaché à la religion, et évangéliser
par un si grand nombre d’ouvriers. L’ivrognerie y faisait malheureusement de
grands ravages. Plusieurs succursales, dont la Gacilly était la plus
importante, rendaient difficile la desserte de la paroisse. Pour comble de
malheur, le doyen de Carentoir n’avait pas l’affection de ses paroissiens. Monseigneur
Bertin, évêque de Vannes, passa à Carentoir les huit derniers jours de la
mission. Il fit la cérémonie des vœux du Baptême, donna deux fois la
Confirmation, porta le Saint-Sacrement à la procession générale de clôture, et,
du haut du reposoir, prêcha sur l’amour de Dieu. Il bénit aussi la croix
souvenir et adressa la parole à une immense multitude.
A Basse-Goulaine, dans le diocèse de Nantes, Monsieur Le Royer et Dupin
travaillèrent avec les Pères. La mission fut médiocre pour la paroisse, mais fut
admirablement suivie par les habitants de Saint-Julien-de-Concelles.
Le Révérend Père Audubon n’était point à la mission de Basse-Goulaine.
Le soin de ses communautés l’avait retenu à la maison-mère, et il se disposait
à faire le voyage de Paris, afin de voir s’il lui serait possible d’obtenir
pour elles l’approbation royale. Il partit pour la capitale pendant les
vacances de 1750. L’air de modestie, de dignité, de sainteté, qui rejaillissait
sur toute sa personne, lui gagna l’estime et l’affection de tous,
particulièrement du Maréchal de Noailles, ministre de Louis XV, lequel le
regretta, à sa mort, comme l’un de ses proches. Il avait fait connaissance avec
plusieurs seigneurs de la cour qui se montrèrent disposés à accueillir sa
demande ; mais le malheur des temps empêcha pour le moment de mener cette
affaire à bonne fin.
Pendant son séjour à Paris, le Révérend Père Audubon visita le
séminaire du Saint-Esprit, dans l’espérance d’y trouver quelques jeunes
séminaristes, qui voudraient bien s’adjoindre à lui pour l’œuvre des missions.
Il fut assez heureux pour s’attacher quatre ecclésiastiques qui le suivirent à
Saint-Laurent ; c’étaient Messieurs Renault, Thoribé, Laude et Rivière. Les
trois premiers étaient du diocèse d’Amiens ; le dernier du diocèse de Coutances.
Le Père Renault avait toutes les qualités d’un bon missionnaire et d’un
bon religieux. Par ses prédications et ses exemples, il a fait le plus grand
bien dans les nombreuses missions qu’il a prêchées avant la Révolution. En
1763, après une mission donnée à Notre-Dame de Cholet, il trouva sa mère à
Saint-Laurent. Elle avait fait 150 lieues pour engager son fils à retourner
dans son pays ; mais elle ne put réussir dans son projet. La vocation du
missionnaire était trop solide pour être ébranlée par cette tentation. L’amour,
que l’on a pour sa famille, ne doit pas empêcher de s’en éloigner pour obéir à
Dieu. Du reste, la distance n’empêche pas d’aimer. La religion n’étouffe pas
les sentiments de la nature, elles les épurent et les perfectionne. Le Père
Renault était procureur de la communauté, quand vinrent les jours mauvais de la
Révolution. Son nom paraît sur un acte d’achat passé le 12 janvier 1795. Il
mourut, à la maison du Saint-Esprit le 18 mars 1800, à l’âge de 76 ans et fut
inhumé le lendemain, dans le cimetière de la paroisse par le Père Joubert.
Monsieur Thoribé n’était que diacre, quand il vint à Saint-Laurent.
C’était un sujet dont les talents et les vertus promettaient. Il n’eut pas le
bonheur de devenir missionnaire comme il le désirait ardemment ; Dieu se
contenta de sa bonne volonté. Il mourut peu de mois après son arrivée et fut
enterré aux pieds du Père Le Valois. Monsieur Rivière, qui semblait n’être venu
à Saint-Laurent que par affection pour Monsieur Thoribé, retourna dans son pays
après la mort de son ami, et fut placé par son évêque à la tête d’une paroisse.
Monsieur Laude travailla avec succès dans les missions pendant trois ans. La
vie apostolique était entièrement de son goût ; mais son évêque le rappela
auprès de lui pour porter secours à son père qui était dans le besoin, et il
lui donna une cure à Boulogne-sur-Mer, sa ville natale.
Ce fut le 6 juillet, 1750, au milieu de la nuit, que le Révérend Père
Audubon arriva à Saint-Laurent avec les jeunes ecclésiastiques qu’il avait recrutés
au séminaire du Saint-Esprit. Sa santé n’était pas robuste, mais il oubliait
les incommodités et les souffrances, quand il s’agissait de travailler à la
gloire de Dieu, au bien de ses communautés et au salut des âmes. Aussi dès que
la saison favorable aux missions fut arrivée, il s’y livra avec une nouvelle
ardeur qui était pour tous ses confrères un grand sujet d’édification et d’encouragement.
Prenant avec lui les Père Albert, Javeleau, Hacquet, Besnard et Rivière,
il alla passer à Bouin le mois de novembre et les huit premiers jours de
décembre. Les habitants de cette paroisse, qui étaient parfaitement disposés,
furent très assidus aux exercices de la mission est très attentifs à écouter la
parole de Dieu. Les bourgeois se signalèrent par leur zèle et leur ardeur. On
fit une procession magnifique, le jour de l’Immaculée Conception. Une riche
statue en argent y fut portée avec une pompe extraordinaire. Au retour, cette
statue de Marie ayant été placée sur un autel splendidement décoré, le digne
pasteur de Bouin prononça, au nom de toute sa paroisse, une sorte de
consécration à l’auguste Mère de Dieu, qui fut suivi des chants joyeux de la
foule, du roulement des tambours et des sons harmonieux de l’orgue.
Des occupations particulières empêchèrent le Révérend Père Audubon
d’accompagner ses confrères au Puiset-Doré, mais il les rejoignit à Oudon.
Malgré la pluie et les mauvais chemins, la mission du Puiset fut couronnée d’un
plein succès. Il en fut de même de celle d’Oudon. Le Père Hacquet quitta cette
mission, la veille de la clôture, pour aller prêcher une retraite de cinq jours
au collège de Beaupréau. Elle fut aussi édifiante que possible
De 1751 à 1779, les Pères de la Compagnie de Marie ont donné 28
retraites aux élèves du collège de Beaupréau. Il est plus que probable qu’ils
ont continué à prêcher les retraites de ce collège jusqu’à la Révolution. Ils
s’adressaient à une jeunesse qui les estimait, qui les aimaient, et à laquelle
ils étaient sincèrement attachés.
La retraite est ordinairement de cinq ou six jours et se passait dans
la ferveur. L’esprit des élèves était excellent, et les maîtres avaient toutes
les qualités désirables. Aussi les missionnaires ne cessent, en toutes
circonstances, de faire l’éloge des uns et des autres. Deux ou trois fois
seulement ils semblent désirer plus de fermeté et de vigilance de la part des
maîtres. La science et la vertu marchaient de front dans cet établissement qui
jouissait au loin comme auprès d’une réputation bien méritée. Dans les
retraites on avait coutume de faire plusieurs cérémonies : à l’amende honorable,
la rénovation des vœux du baptême, l’adoration de la Croix, et même une
procession générale dans laquelle on portait une statue de la Sainte Vierge. Cette
procession se dirigeait vers la chapelle du Chapitre, où il y avait prédication.
Les chanoines, en bons termes avec le collège et les missionnaires, prêtaient volontiers
leur concours. Le dimanche de la Sexagésime, 19 février 1754, on commença à
Coron, du diocèse actuel d’Angers, une mission qui fut des plus ferventes,
malgré des pluies continuelles et des chemins affreux. Le mauvais temps
ralentit un peu l’ardeur des paroisses voisines qui étaient remplies de bonne
volonté. Les habitants de la Salle-de-Vihiers ne furent point arrêtés cependant
par les difficultés et se rendirent en foule aux exercices. Malheureusement des
maladies régnaient dans la contrée, et la mort vint jeter le deuil dans
beaucoup de familles. Les missionnaires se transportèrent à Trémentines, où ils
obtinrent plein succès. Quoiqu’un peu hautain et difficile à conduire, suive
les exercices avec zèle, c’était Monsieur Cogné, vicaire qui faisait les frais
de la mission.
Les ouvriers évangéliques se rendirent de là à Autigny ; les exercices
y furent bien suivis. Le peuple qui se ressentait un peu du voisinage de la
Chataigneraie, avait besoin d’un pasteur pieux et ferme, comme l’était celui
qui faisait donner la mission. Aytre, aux portes de La Rochelle, reçut alors
les missionnaires : le résultat fut médiocre. On eut à surmonter beaucoup de
difficultés pour obtenir la construction d’un calvaire.
À l’hôpital Saint-Louis de la Rochelle, les Pères prêchèrent du 29 juin
au 2 août, une retraite ou plutôt une mission qui eut un succès étonnant. On ne
pourrait dire le nombre de personnes qui se rendirent aux trois exercices qui
avaient lieu chaque jour, en dépit d’une opposition qui agissait en public et
en secret. Pendant cette retraite on en prêcha une spéciale pour les soldats,
dans l’église paroissiale de Notre-Dame. Elle dura quinze jours avec deux
exercices par jour. Monsieur le curé de Notre-Dame et Monsieur l’aumônier du
régiment de Saintonge donnaient tour à tour les instructions du matin ; le Père
Hacquet prêchait tous les soirs. Cette retraite fut aussi édifiante que
possible. La garnison était composée alors des régiments de Saintonge et
d’Artois. En même temps une autre retraite de huit jours, avec trois exercices
par jour, était prêchée aux Dames Blanches. On voit que les zélés enfants de
Montfort ne perdaient pas leur temps. On voit aussi par le compte-rendu de
leurs retraites à l’hôpital Saint-Louis qu’ils étaient heureux de se trouver au
milieu d’un peuple qui avait connu et aimé leur fondateur et qu’ils disent être
bon, spirituel, reconnaissant et porté au bien. C’est sans doute pendant cette
mission que se passa le fait ainsi relevé les registres déposés à la mairie de
La Rochelle : « Une protestante, nommée Marie-Anne Marteau, a fait en 1751, à
l’hôpital Saint-Louis, adjuration entre les mains du Père Audubon, supérieur des
missions du Bas-Poitou et des Communautés de Saint-Laurent ». Cette
désignation de Missionnaires du bas Poitou est précieuse pour les Pères de
la Compagnie de Marie.
(Note
du Registre général des Pères de la Compagnie de Marie).
Quand ces retraites furent terminées, le Père Hacquet à la en prêcher une
autre de quinze jours dans la paroisse d’Évrunes. Elle eut tout le succès
désirable. Plusieurs habitants furent cependant insensibles à la grâce. Le
peuple se ressentait un peu du voisinage de Mortagne. On fit la cérémonie de la
rénovation des vœux du Baptême et, à la procession générale de clôture, on
porta la vraie Croix en triomphe.
Quelques jours après, on donna à la paroisse de Saint-Laurent une
retraite qui n’eut pas le même succès que celle de 1749. La saison était peu
favorable. Commencée le 29 août, elle se termina le 8 septembre. Monsieur le
doyen et Monsieur Michaud, vicaire, y travaillèrent beaucoup. Pendant le mois
d’octobre deux missions furent données par le Père Hacquet à la paroisse de
Saint-Pierre de Cholet et aux religieuses de la ville. La première dura quinze jours
et fut suivie avec un entrain admirable ; la seconde fut de huit jours. Le
missionnaire prêchait deux fois à la paroisse et quatre fois par jour à la
communauté. Le curé de Saint-Pierre était alors Monsieur Chabirand, prêtre
distingué sous tous les rapports.
Pendant les mois de novembre et de décembre, on donna deux missions : à
La Gaubretière et à Thouarsais. La première eut un succès consolant ; la
seconde fut assez froide. Le peuple de Thouarsais avait besoin d’être
aiguillonné.
CHAPITRE II
Travaux des Pères de la
Compagnie de Marie depuis le commencement de 1752 jusqu’aux vacances de 1755. –
Les Pères Roustan et Arrivé. – Second voyage du Supérieur Général à Paris. –
Mission de La Verrie et du Poiré-sous-Velluire. – Mort du Révérend Père
Audubon.
Rien n’était capable de ralentir le zèle des enfants de Montfort ; ils
étaient loin de pouvoir répondre à toutes les demandes et prenaient pourtant à
peine le repos absolument indispensable. Du commencement de 1752 à la fin
d’avril, quatre missions furent prêchées par eux dans le diocèse de Nantes : au
Pellerin, à Mesquer, à Escoublac et à Saint-Aignan ; les missionnaires de
Saint-Laurent paraissaient au Pellerin pour la seconde fois. La mission donnée
par les Pères Audubon, Albert, Javeleau, Hacquet et Renault aidés de Messieurs
Le Royer et Dupin, fut aussi fervente que celle de 1744. Les Pères qui étaient
au Pellerin, ayant pris avec eux le Père Laude, commencèrent à Mesquer, une
mission due à la générosité de Madame Kercado, elle fut suivie avec
empressement. De Mesquer, les missionnaires passèrent à Escoublac, où ils
obtinrent le même succès. Ils notent que le peuple de cette paroisse, qui
paraissait bien disposé, avait spécialement besoin d’un pasteur ferme et vigilant.
Le Père Audubon ne suivit point ses confrères à Saint-Aignan, où ceux-ci
rencontrèrent moins d’entrain et de zèle ; néanmoins la mission fut bonne pour
la paroisse ; mais on y vit peu d’étrangers.
Le temps des vacances étant passé, huit missionnaires partirent de
Saint-Laurent pour Saint-Nazaire ; c’étaient les Pères Audubon, Albert,
Javeleau, Hacquet, Besnard, Renault, Laude et Hamon. La mission, commencée le
huit septembre, fut terminé le 21 octobre. Elle fut des plus ferventes. Les
étrangers en suivirent les exercices presque avec autant de zèle et d’assiduité
que les habitants de la ville, lesquels se montrèrent pleins de bonté, de
docilité et aussi de piété. Cependant les principaux bourgeois de Saint-Nazaire
ne profitèrent pas de la grâce qui leur était offerte ; ils firent même de l’opposition.
À Moulins, non loin de Saint-Laurent, les missionnaires rencontrèrent
un peuple religieux qui leur donna toutes sortes de consolations. Il n’en fut
pas de même à Doix. Les habitants ne parurent pas attacher une grande
importance à la mission. Il est vrai qu’elle se donnait à une époque peu
favorable, à cause des travaux de la campagne qui étaient en retard dans cette
région. Cinq missionnaires allèrent passer le mois de décembre un Neuil, près
de La Rochelle ; ils n’eurent pas non plus à se louer du zèle des habitants qui
suivirent les exercices avec assez de froideur.
Du 1er janvier au 20 février 1753, une mission des plus
importantes fut prêchée à Notre-Dame de Niort par les Pères Audubon, Albert,
Javeleau, Hacquet, Besnard, Renault, Laude et Hamon. Elle fut très bien suivie
par un peuple porté au bien, docile et généreux. Cependant le clergé séculier
et les religieux, surtout les prêtres de l’Oratoire, firent une ardente
opposition. L’intérêt et le jansénisme en furent les principales causes. La noblesse
ne parut presque pas aux exercices ; il n’en fut pas de même d’un bon nombre de
magistrats qui donnèrent l’exemple. Les cérémonies subirent de grandes
contradictions. Le lieutenant de police voulut même se servir de son autorité
pour en empêcher quelques-unes. Les soldats de la garnison passaient alors pour
très débauchés et donnaient en effet, des leçons de libertinage,
malheureusement trop suivies.
Thouarcé, Malestroit, Port Saint-Père, Montoir et Bourgneuf eurent des
missions en 1753 ; les trois premières paroisses, depuis le commencement de
mars jusqu’à la fin de juin ; les deux dernières dans les mois de novembre et
de décembre. Monsieur le curé de Thouarcé, en Anjou, était d’abord opposé à la
mission donnée dans sa paroisse, sur la demande de l’évêque ; revenu de ses
préventions, il se montra plein d’égards et d’estime pour les missionnaires.
Ceux-ci lui rendirent d’ailleurs les plus grands services, en le défendant
auprès de ses supérieurs, contre les calomnies dont on le poursuivait. Monsieur
de La Rochefordière, archidiacre d’Angers, passa huit jours à Thouarcé, pendant
la mission, et il eut occasion de se convaincre par lui-même de l’innocence de
ce digne pasteur. Malade depuis longtemps, il mourut trois jours seulement
après le départ des missionnaires. Avant de remettre son âme entre les mains de
Celui qui l’avait envoyé travailler à sa vigne, il avait eu la joie de voir
toute sa paroisse renouvelée par cette fervente mission.
La mission de Malestroit, au diocèse de Vannes, à laquelle collabora
Monsieur Buisson, dura cinq semaines et fut admirablement suivi par une
population remplie de foi et de bonne volonté. Ce peuple cependant était, loin
d’être sobre et méritait de sévères reproches. Les soldats de cavalerie, qui se
trouvaient alors à Malestroit, firent assez bien leur devoir. Deux confréries
d’hommes et de femmes, établies dans la paroisse, y faisaient du bien ;
cependant elles avaient besoin de quelques réformes ; cette réforme eut lieu et
amena de bons résultats.
De Malestroit, les Pères allèrent à Port-Saint-Père, dans le diocèse de
Nantes. Cette mission à laquelle travaillèrent Monsieur Dupin et Monsieur
Richard, son confrère, n’eut pas le résultat qu’on escomptait. Le peuple, peu
avide de la parole de Dieu, semblait plus occupé des choses d’ici-bas que de
celles de l’au-delà. Il avait subi, il faut le dire, la néfaste influence de
son pasteur qui, on ne sait pour quelle cause, était très hostile. Il avait
fait son possible pour empêcher la mission, et s’était même opposé, de toutes ses
forces, à ce qu’un des grands vicaires du diocèse en fit l’ouverture ; à la
fin, il s’était pourtant radouci et avait changé entièrement de sentiments à
l’égard des missionnaires.
La mission de Montoir fut suivie par un peuple avide de la parole de
Dieu. Elle se faisait en grande partie aux frais de l’excellent curé, Monsieur
Moreau. Le territoire de Montoir s’étendait au loin dans les bruyères. La
paroisse actuelle de Saint-Joachin en faisait alors parti. Dans un des
villages, tous les habitants passaient pour sorciers. Cette ridicule croyance,
qui causait des défiances et des antipathies regrettables, fut combattue par
les missionnaires. Des pluies presque continuelles empêchèrent les processions,
à l’exception de celle qui accompagna les vœux du Baptême.
La mission de Bourgneuf fut satisfaisante quoique le peuple ne parut
pas très porté à la dévotion, ni très facile à conduire. À cette époque, il y
avait à Bourgneuf une société scandaleuse, composée de Messieurs et de Dames,
appelée société de la joie. Tous ses membres étaient imbus des idées
jansénistes. Ils avaient grand besoin d’être rappelés aux devoirs, mais
n’étaient pas disposé à profiter de la grâce. En 1754, les missionnaires
évangélisèrent Longué, au diocèse d’Angers, la Chapelle-Bertrand, Vouzailles et
Parthenay, au diocèse de Poitiers, et Saint-Denis d’Oléron, alors du diocèse de
Saintes, et aujourd’hui, celui de La Rochelle. La mission de Longué demandée avec
instances par le curé qui jouissait d’une grande réputation de sainteté, ne
pouvait avoir de meilleurs résultats. Le froid intense et le mauvais temps
n’empêchèrent point l’assiduité aux exercices. Tout le pays était alors atterré
par une grande mortalité, qui décida peut-être bien des pécheurs à mettre ordre
aux affaires de leur conscience. L’un des missionnaires, le Père Renault, fut
atteint lui-même d’une épouvantable variole, qui mit un instant ses jours en
danger.
À la Chapelle-Bertrand, les missionnaires n’eurent également qu’à se
louer du bon esprit de la population, qui répondit parfaitement à la grâce.
Pendant la mission, Monsieur le principal du collège de Thouars, demanda une
retraite de trois jours pour ses élèves. Cette retraite, un peu trop courte
pour produire tout les fait désirer, se termina par une procession à l’église Notre-Dame,
au château.
A Vouzailles, le résultat fut assez médiocre, peut-être à cause de la
vive opposition que firent les curés voisins, avant, pendant et après les
exercices. Les cœurs y étaient d’ailleurs durs, peu dévots et trop inclinés vers
la terre. Les missionnaires obtinrent beaucoup plus de succès à Saint-Jean de Parthenay.
Les fabriciens y faisaient tous les frais de la mission. Le peuple se montra
généreux, affable, reconnaissant et plein de piété. Tous les ecclésiastiques,
tant séculiers que réguliers, secondèrent de leur mieux le zèle des
missionnaires. Le Chapitre de Sainte-Croix se rendait processionnellement aux
cérémonies. On donna chez les Cordeliers, pendant huit jours, des exercices
particuliers aux Dragons qui étaient en garnison dans la ville. Plusieurs
instructions furent aussi adressées aux Ursulines et aux Dames de l’Union-Chrétienne.
Pour la seconde fois, la paroisse de Saint Denis, dans l’île d’Oléron
fut visitée par les Pères. Cette mission, sans être aussi fervente que la
première porta pourtant des fruits. On fut heureux d’y retrouver l’habitude de
la récitation du Rosaire établie en 1744. Cette campagne se termina par deux
retraites que le Père Hacquet prêcha, en août, au collège de Beaupréau et à la
paroisse Notre-Dame de la même ville.
La campagne suivante s’ouvrit à Savenay. La mission, comme celle qui
avait eu lieu dix ans auparavant, fut suivie avec zèle par les étrangers, et
avec peu d’ardeur par les habitants. Les principaux de la ville firent même de
l’opposition et ne parurent point aux exercices. À Sévérac, la population était
déjà excellente, remplie de dévotion, d’une grande docilité et la mission fut
très fervente. Monsieur le comte de Talhouet avait donné 200 livres pour en
couvrir les frais. Deux ou trois jours après, les infatigables prédicateurs
étaient à Saint-Vincent-de-Redon ; la mission y fut assez bonne ; mais on y vit
peu d’étrangers. Nous avons le regret de dire qu’en 1754, comme en 1772, date
d’une seconde mission, les missionnaires font aux habitants de Saint-Vincent,
le reproche de manquer trop souvent aux règles de la sobriété.
A Guenrouet, toute la population se montra fervente et docile. Cette
paroisse avait le bonheur de posséder un très digne curé et deux excellent
vicaires, qui prirent tous les frais à leur compte. Ils furent aussi obligés
d’aider aux confessions, les étrangers venant en si grand nombre que les
missionnaires ne pouvaient suffire. Au cours de la mission, on bénit l’église,
qui venait d’être réparée, en grande partie par les libéralités extraordinaires
des fidèles et notamment de Monsieur de Coislin, seigneur du lieu.
Avant les vacances de 1755, les enfants de Montfort évangélisèrent
encore Rezé, Mervent, Benon et Sainte-Luce. Ils étaient déjà passés une fois
avec succès à Rezé qui ne se démentit pas et où on érigea un magnifique
calvaire. Les missions de Mervent et de Benon furent couronnées d’un plein
succès. On vit à Benon un grand nombre d’étrangers, soit ecclésiastiques, soit
laïques. Sainte-Luce ne donna pas les mêmes consolations ; les paroissiens s’y
montrèrent négligents et on n’y vit presque point d’étrangers, si ce n’est les
habitants de Rezé qui avaient fait leur mission quelques mois auparavant. Les
missionnaires logeaient au château de Chassais, maison de campagne de l’évêque.
Les Pères se livraient au labeur avec une activité dévorante. En 1755,
ils avaient la consolation de voir deux nouveaux prêtres se joindre à eux, les
Pères Roustan et Arrivé. Le premier était du diocèse de Sisteron. Il venait du
séminaire du Saint-Esprit, où le Révérend Père Audubon l’avait vu en 1750. Dès
qu’il fut prêtre, il se décida à se consacrer aux missions. Il quitta Paris,
passa par son pays natal et arriva à La Rochelle au milieu d’un froid
rigoureux, après avoir fait à pied environ 200 lieues. Il se reposa, pendant
quelques jours, à l’hôpital Saint-Louis où était le Père Besnard, en qualité
d’aumônier puis, se rendit à Saint-Laurent.
L’année suivante, après avoir travaillé à quelques missions, il fut
désigné pour remplacer, à Saint-Louis, le Père Besnard devenu supérieur pour
laquelle il avait toujours conservé la plus filiale affection. Il resta, à ce
poste, jusqu’en 1758 ; il quitta, à cette époque, la Compagnie pour devenir
aumônier d’un régiment qui se trouvait à La Rochelle. Dans sa nouvelle
position, rien ne lui manquait sous le rapport temporel. Il était estimé et
aimé, de tout l’état-major et des personnes de qualité qui le connaissait ; sa
charge lui donnait 1200 livres de rente, sans compter les présents de valeur
qu’on lui faisait souvent. Heureux selon le monde, il pouvait compter sur un
brillant avenir, quand il vit son bonheur présent et toutes ses espérances
s’évanouirent en un clin d’œil. Une maladie terrible, qui ne dura que deux
jours, l’obligea à aller chercher des soins à l’hôpital, où il mourut entre les
bras du Père Arrivé, son successeur, qui lui administra les derniers
sacrements. Il les reçut avec de grands sentiments de foi. Il se reprochait de
n’avoir pas été fidèle à sa première vocation. Il parlait sans cesse du Père
Besnard qu’il avait en vénération et de son ancienne communauté pour laquelle
il avait toujours conservé la plus filiale affection.
Le Père Arrivé venait de Poitiers. Il avait été vivement sollicité
d’entrer chez les Jésuites ; mais il se décida pour les enfants de Montfort. Il
donna quelques missions avec beaucoup de succès, et il sut se faire estimer des
peuples par sa grande piété. On le voit apparaître pour la première fois aux
missions de Montfaucon et de St Gildas, en 1757. Il fut placé comme aumônier à
Saint-Louis, en 1758, et il dut rester à ce poste jusqu’au commencement de
1765. Il revint alors à la communauté pour y terminer sa carrière.
Pendant les vacances de 1755, le Père Audubon entreprit un second
voyage à Paris, dans le même dessein que celui de 1750. Il avait à cœur de
voir, avant de mourir, ses congrégations solidement établies ; ce qui ne
pouvait avoir lieu que par l’obtention de lettres-patentes. C’étaient des
lettres du roi, écrites sur parchemin et scellées du grand sceau, par lesquels
le souverain prenait un Ordre religieux sous sa protection et lui donnait une
existence légale dans tout le royaume. Les Ordres religieux, non approuvés par
le roi, manquait de stabilité.
Le Supérieur Général désirait ardemment procurer cet avantage à ses
Congrégations. Le mauvais état de sa santé lui faisait présager qu’il n’avait
plus longtemps à vivre. Il redoutait même de ne pouvoir achever le voyage de
Paris ; mais il voulait, disait-il, aller jusqu’au bout, et n’avoir rien à se
reprocher. Le malheur des temps lui faisait appréhender de ne pas voir aboutir
sa requête, car la Cour était tout occupée des guerres que soutenait alors la
France.
À Paris, il revit ses anciennes connaissances et il en fit de
nouvelles. Monsieur de la Boissière, seigneur de Saint-Loup, l’accompagna
plusieurs fois chez le ministre qui était alors Monsieur de Saint-Florentin.
Partout on faisait à ce vénérable religieux le plus grand accueil. S’il
n’obtint pas sur le champ ce qu’il désirait, ses démarches préparèrent du moins
la voie à une solution favorable.
Au retour de la capitale, le Père Audubon prit la
route de Normandie, et se rendit à Saint-Lô, pour y régler un établissement de Filles
de la Sagesse. Il revint par Dinan et Rennes, et passa à Louvigné, trouvant
partout à exercer son zèle, et donnant à ses religieuses l’exemple des plus
aimables vertus, dont elles conservèrent longtemps le souvenir. Il arriva à
Saint-Laurent accablé de fatigues, mais sans songer à s’accorder de repos. Le
jour ne suffisant pas pour son travail, il y consacrait une partie de ses
nuits. La saison de ses missions approchait, et il ne voulait pas être retenu à
la communauté par des affaires étrangères à cette œuvre.
L’intrépide apôtre, débordant de zèle, partit le 19
octobre, avec les Pères Albert, Javeleau, Renault, Roustan et Mauny (?), pour
la Verrie, non loin de Saint-Laurent : toute la population y fit preuve d’une
grande dévotion et d’une grande générosité. Toutefois, les habitants du bourg
paraissaient un peu moins dociles que ceux de la campagne.
Pour se rendre au Poiré-sur-Velluire, il fallait
traverser une rivière. En mettant le pied dans la barque, le Père Audubon fit
un effort qui augmenta considérablement la douleur d’une hernie qu’il avait
depuis l’âge de 22 ans. Cette infirmité lui faisait éprouver de grandes
souffrances dans ses missions, dans ses voyages, dans tous les travaux réclamés
par sa charge. Mais il montrait en toute occasion, une patience et un courage
tel qu’on eût cru qu’il jouissait d’une santé parfaite et n’éprouvait pas la
moindre incommodité.
Le 23 novembre 1755, le vaillant apôtre, malgré de
violentes douleurs, ouvrait la mission du Poiré. Il continua ses prédications
et tout son travail jusqu’à l’Immaculée Conception. Ce jour-là ses souffrances
devinrent si aiguës qu’elles le contraignirent à descendre de chaire, avant
d’avoir achevé son sermon. On manda de Fontenay un médecin et un chirurgien qui
proposèrent une opération jugée nécessaire. Le malade l’accepta après avoir
consulté ses confrères. Mais il voulut, avant toute chose, se confesser et
recevoir le Saint Viatique. Quand on lui apporta la divine Eucharistie, il
était assis sur son lit, revêtu d’un surplis et d’une étole. Lorsqu’on eut fait
les prières ordinaires, avant la communion, il prononça à haute voix ces
paroles : « Je crois fermement toutes les vérités du saint Évangile. Je veux
mourir enfant de l’Église catholique, apostolique, et romaine. Je renonce et
dis anathème à toutes les hérésies qui ont jusqu’ici déchiré le sein de cette
Église, en particulier au jansénisme, au quesnelline, etc. ». Après avoir reçu
le Saint-Viatique, il demeura longtemps immobile, adorant Dieu au-dedans de
lui-même ; et, de temps en temps, portant la main sur sa poitrine, il montrait
combien il était heureux de posséder Jésus dans son cœur.
On pratiqua l’opération, qui dura depuis cinq heures
jusqu’à huit heures, à différentes reprises, et toujours avec des douleurs
inexprimables et malheureusement inutiles. Mais non, ces douleurs n’étaient pas
inutiles, car le pieux malade savait en tirer profit. Pendant cette longue et
douloureuse opération, ses paroles les plus ordinaires étaient celles-ci : «
Jésus, ayez pitié de moi. Ah ! Mon Dieu !… Ah ! Mon Dieu ! »
Le chirurgien se retira sans avoir pu réussir. Les
missionnaires cherchant à exprimer à leur vénérable supérieur tout ce qu’ils
avaient eux-mêmes éprouvé de douleurs, pendant cette cruelle opération, il leur
répondit : « je suis ravi d’avoir accepté l’opération. Ah ! Que je suis
content. Je suis maintenant sur la croix. Ah ! Que je suis content de mourir en
mission ! C’est une grâce que je ne méritais pas ! » Il répétait souvent ces
dernières paroles : « Ah ! Que je suis content de mourir en mission ! »
Il reçut l’Extrême-Onction dans les sentiments de la
plus vive piété. En baisant le crucifix, il disait : « Je crois que mon
Rédempteur est vivant ». Quand on lui demandait s’il souffrait beaucoup, il
répondait d’un ton animé : « rien, rien » ; puis il répétait encore :
« je suis trop heureux de mourir en mission ! Si le bon Dieu me fait tant de
grâces, disait-il à ses confrères qui entouraient son lit de douleur, s’il me
comble de tant de consolations, c’est un effet de vos prières. Oh ! Que je vous
ai d’obligation ». Il voulut les embrasser les uns après les autres, en disant
à chacun : « Pax tibi », et en lui demandant pardon des peines qu’il avait pu
lui causer.
Il demanda son crucifix ; on crut qu’il désirait celui
du Père de Montfort, et on alla le lui chercher. « Ce n’est pas celui-là,
dit-il, c’est le mien que je demande, parce que la mort y est attachée ; je
veux la baiser, la caresser, la chérir ». Il la baisa, en effet, avec un
empressement marqué en disant : « J’embrasse, la mort, je chéris la mort ».
Trois heures environ avant de mourir, il disait à ceux
qui voulaient lui parler : « laissez-moi, laissez-moi, je suis occupé ». Il
levait les yeux au ciel et demeurait longtemps immobile, comme absorbé dans la
contemplation d’un objet ravissant. Cet état dura une heure. Il ne pouvait
presque plus parler ; on l’entendait cependant prononcer ces mots : « in
pace in idipsum dormiam et requiescam ». Près de deux heures avant de
rendre le dernier soupir, il fut très agité ; on eût dit qu’il voyait quelque
chose d’effrayant. Il fit signe qu’on approcha le bénitier qui était auprès de
son lit ; il y trempa une feuille de laurier et s’aspergea le visage plusieurs
fois ; il aspergea également son lit, en étendant le bras autant qu’il pouvait.
Il rentra ensuite dans le calme, et, baissant peu à peu, il expira doucement
vers une heure après minuit, le lundi, 15 décembre, jour de l’octave de
l’Immaculée Conception, âgé seulement de 45 ans.
Cette mort prématurée, mais non imprévue, mit fin aux
espérances que donnaient ses grands talents et ses rares vertus. Dans l’espace
de treize ans, cet intrépide ouvrier avait prêché 80 missions et six retraites.
Qu’on juge par là de son activité et de son zèle. Ses prédications ne
l’empêchaient point de s’occuper, avec autant d’ardeur que d’intelligence, de
l’administration de ses communautés. Pendant les six années de son généralat,
il eut la joie de voir la Congrégation de la Sagesse fonder plusieurs
établissements dont les principaux furent ceux d’Angoulême, de Dinan, de
Saint-Lô, de Cognac et de Poitiers.
Le Père Audubon fut inhumé au Poiré Sous Velluire au
milieu des larmes de ses confrères et de tout le monde. A la nouvelle de la
maladie de son supérieur, le Père Besnard était accouru de La Rochelle, où il
remplissait les fonctions d’aumônier, à l’hôpital Saint-Louis. Le mourant le
désigna alors à ses confrères pour lui succéder. Le Père Besnard resta au Poiré
les derniers jours de la mission qui eut tout le succès désiré.
CHAPITRE III
Le
Révérend Père Besnard, supérieur général. – Missions à Mortagne-sur-Sèvre, aux
Epesses, à Saint-Pierre de Cholet, à Vieillevigne et à Joué. – Voyage du
Révérend Père Besnard à Paris. – Arrivée de plusieurs missionnaires. – Travaux
des Pères de la Compagnie de Marie depuis 1755 jusqu’en 1759. – Mort de la Mère
Marie-Louise de Jésus
Le 24 décembre 1755, le Père Besnard fut élu général
par tous ses confrères ; ils ne pouvaient faire meilleur choix, car le nouveau
supérieur possédait toutes les qualités nécessaires pour la charge importante
qui lui était confiée. Né à Rennes dans la paroisse de Toussaint, d’une famille
distinguée, le 5 août 1717, un an après la mort du Bienheureux de Montfort,
lorsque toute la Bretagne retentissait encore des bénédictions que les peuples
donnaient au serviteur de Dieu pour les grands biens qu’il avait faits, le
jeune Besnard conçut dès son enfance, pour son saint compatriote, les plus vifs
sentiments d’estime et de vénération ayant lu sa vie lorsqu’il était dans les
Ordres sacrés, il forma dès lors le dessein de se joindre à ses missionnaires,
aussitôt qu’il serait en état de le faire. Il eut la joie de réaliser ce désir,
en 1743, alors âgé de 26 ans.
Il se livra tout de suite à l’œuvre des missions avec
l’ardeur de la jeunesse et avec le feu d’un cœur plein d’amour pour Dieu et
pour le prochain. Il aimait la vie de missionnaire et dans son activité
dévorante, il trouvait toujours trop long le temps qu’on lui laissait pour se
reposer. Un emploi, qu’il eût détourné de l’occupation qu’il affectionnait par-dessus
tout, n’eût pas manqué de contrarier ses goûts ; mais par obéissance et même
pour satisfaire le moindre désir de son supérieur, il était prêt à faire le
sacrifice qu’on pouvait lui demander. C’est ce qui arriva lorsqu’il fut nommé
aumônier à l’hôpital de La Rochelle.
Le Père Balque qui occupait ce poste, prit en 1754, la
direction des écoles charitables établies autrefois dans la ville par le
Bienheureux de Montfort et tenues par les Filles de la Sagesse. Le Révérend
Père Audubon était hésitant sur le choix de son successeur. Il parla de son
embarras aux missionnaires qui tous préféraient les missions à cet hôpital où
l’on faisait du bien, mais qui était comme marge de leur règle. Le Père Besnard
surmontant sa répugnance, s’offrit pour ce poste. Cependant, il ne put
s’empêcher de dire à la Mère Marie-Louise de Jésus que le sacrifice qu’il
faisait lui coûtait grandement, et qu’il pensait ne rester la que jusqu’à
l’arrivée d’un autre missionnaire qui aurait plus de goût que lui pour cet
emploi. Pendant l’année qu’il passa à La Rochelle, sa pensée était sans cesse
aux missions. Il remplissait néanmoins avec zèle ses fonctions d’aumônier,
quand le Père Audubon tomba malade au Poiré-sous-Velluire. C’est alors qu’il
fut désigné par son supérieur lui-même pour être son successeur ; choix qui fut
ratifié à l’unanimité.
La première mission, à laquelle le Père Besnard
assista comme supérieur général, fut celle de Mortagne-sur-Sèvre. Il avait avec
lui les Pères Albert, Javeleau, Renault et de Mauny. La baronnie de Mortagne
dont dépendait Saint-Laurent, appartenait alors au duc de Villeroy qui la
vendit plus tard au Marquis de la Tremblaye. Ce fut à la sollicitation de
Monsieur Hillerin, sénéchal, que les Pères de Saint-Laurent acceptèrent de
cette mission. Monsieur le curé de la paroisse d’abord y était opposé, ainsi
qu’un grand nombre d’habitants. Cependant le sénéchal, homme fort zélé pour la
gloire de Dieu, qui se chargeait lui-même de loger les missionnaires, détermina
enfin le curé à l’accompagner à Saint-Laurent pour en faire la demande.
Quand on connut que la demande avait été favorablement
accueillie, les ennemis du bien firent les plus grands efforts pour faire
avorter le projet. Mais d’autre part on priait avec ardeur, et les prières
furent exaucées. Il se produisit alors un revirement complet dans les esprits.
Les habitants sortirent en foule pour se rendre au devant des missionnaires
jusqu’à mi-chemin de Saint-Laurent ; ils avaient à leur tête Monsieur le curé,
Monsieur le sénéchal et les principaux personnages de la paroisse. Les ouvriers
évangéliques furent reçus au son de toutes les cloches, et avec les plus vives
démonstrations de joie de la population entière.
La mission fut couronnée d’un plein succès. Le
concours des étrangers y fut extraordinaire. Tous les officiers de Monsieur de
Villeroy l’donnèrent l’exemple de l’assiduité aux exercices et ceux des
habitants, qui avaient fait le plus d’opposition, avant la mission,
s’empressèrent de profiter de la grâce de Dieu. Les Révérends Pères Bénédictins
du couvent de Mortagne se prêtèrent de leur mieux à la bonne œuvre, bien qu’ils
ne partageassent pas les idées des missionnaires. Plus tard, ils se montrèrent
ouvertement hostiles aux communautés de Saint-Laurent. Dans leur compte-rendu, les
Pères disent qu’ils trouvèrent à Mortagne, un peuple spirituel, avide de la
parole de Dieu, assidu aux exercices et plein de générosité. La mission donnée
aux Epesses eut un meilleur succès que celle de 1744. Saint-Pierre de Cholet,
qui avait eu aussi les missionnaires de Saint-Laurent, fut évangélisé de
nouveau avec non moins de succès que la première fois. À Vieillevigne, dans le
diocèse de Nantes, la mission dura six semaines ; le peuple, qui était pauvre à
cette époque, se montra plein de douceur, de docilité et de piété. Joué reçut de
nouveau le bienfait d’une mission qui fut aussi fervente que celle de 1746. La
saison des grands travaux de l’été étant arrivée, les enfants de Montfort
rentrèrent à Saint-Laurent. Le repos qu’ils prenaient n’était pas de
l’oisiveté. Sans se livrer à un travail aussi pénible que les missions, ils
trouvaient encore à exercer leur zèle, soit dans les communautés de
Saint-Laurent, soit ailleurs. Ils étaient heureux aussi d’avoir quelques
loisirs pour s’adonner à l’étude ; ils n’ignoraient pas que les lèvres du
prêtre doivent posséder la science, et qu’ils avaient besoin, encore plus que
d’autres, d’une science approfondie et de connaissances multiples, pour remplir
dignement leur important et difficile ministère.
Pendant les vacances de 1756, le Révérend Père Besnard
fit le voyage de Paris, dans le but d’obtenir l’approbation de ses congrégations.
Comme le Révérend Père Audubon, il déploya une grande activité pour conduire
cette affaire à bonne fin ; mais il ne put, cette fois encore, arriver à un
résultat définitif. Il dut se contenter, pour le moment, de promesses qui lui
donnaient espoir. Du reste son voyage eut un autre résultat sur lequel il avait
compté. Il était parti de Saint-Laurent avec l’espérance de faire quelques
recrues au séminaire du Saint-Esprit. Il revint, en effet, accompagné de trois
jeunes prêtres, Messieurs Becquet, Rozé et Dravegne. Le premier, homme de
talent, était neveu de l’un des directeurs du séminaire. Il fut un excellent
missionnaire et demeura fidèle à sa vocation. Le second se livra également avec
ardeur et succès à l’œuvre des missions. On le vit paraître, pour la dernière
fois, à Fontenay-le-Comte, en 1759. On n’est pas certain s’il a persévéré. Le
troisième n’a fait que passer à Saint-Laurent.
Vers le commencement de 1756, arriva encore à la
communauté un notre missionnaire d’un grand talent et d’une grande piété ;
c’était le Père du Rocher. Il était de Nantes, il avait été chirurgien major
dans un régiment. S’étant marié, il eut des enfants ; la mort lui ayant enlevé
ses enfants et son épouse, il entra dans l’état ecclésiastique. Il renonça même
à sa fortune qui était considérable pour embrasser la pauvreté. Il n’était que
sous diacre, quand il se présenta chez les missionnaires. Honnête et pieux
chrétien dans le monde, il devint un religieux modèle, un prêtre fervent, un
zélé missionnaire, il prêcha une dizaine d’années, la dernière fois à la
mission de Montierneuf de Poitiers, en 1767. Il mourait quelque temps après à
Saint-Laurent.
Le temps des vacances de 1756 étant passé, le Père
Hacquet prêcha à Treize-Vents, une excellente retraite de huit jours ; puis,
dans la dernière semaine d’octobre, il partit avec les Pères Albert et Javeleau
pour le Gué-de-Velluire, Vouvant et Taugon-la-Ronde. Ces trois missions eurent
tout le succès désirable. À cette époque, Taugon et la Ronde, dans le diocèse
de la Rochelle, ne faisaient qu’une seule paroisse. Les habitants de la Ronde semblaient
moins dociles et moins portés à piété que ceux de Taugon. À Aigrefeuille, dans
le même diocèse, la mission fut passablement suivie, avec moins d’ardeur
pourtant que celle de 1744.
La plus importante mission à laquelle les Pères aient
travaillé, à cette époque, fut celle d’Angoulême, qui commença le 27 février,
premier dimanche de carême, et ne se termina que le 12 avril, mardi de Pâques.
Appelée par Monseigneur de Broglie, évêque d’Angoulême, les Pères Besnard,
Albert, Javeleau et Hacquet se rendirent dans cette ville, où ils eurent pour
collaborateur plusieurs prédicateurs célèbres du Midi, entre autres le Père
Bridaine, missionnaire royal. Ils trouvèrent une population polie, délicate,
spirituelle et même portée à la dévotion, qui suivit les exercices de la
mission avec entrain et assiduité. Le jour de l’Annonciation, une procession du
Saint-Sacrement parcourut toute la ville, au milieu d’une foule immense,
silencieuse et recueillie. Cette cérémonie se fit avec une pompe et une
solennité incomparable. Il en fut de même des autres cérémonies. L’évêque
d’Angoulême conserva un tel souvenir de cette mission donnée en sa ville
épiscopale qu’en 1751, il était heureux de témoigner sa reconnaissance aux
Pères de Saint-Laurent par l’attestation suivante : « Joseph Amédée de Broglie,
par la miséricorde de Dieu et l’autorité du Saint-Siège apostolique, évêque
d’Angoulême, conseiller du roi en sa course en ses conseils, etc,…
« Nous certifions que Messieurs Besnard, Hacquet
Javeleau et Albert, prêtres missionnaires du Poitou, firent une mission avec
Monsieur Bridaine, en l’année 1757, qu’ils y montrèrent le plus grand zèle et y
firent beaucoup de fruits. »
« Donné à Angoulême, en notre palais épiscopal, le 5
décembre 1771.
J. A. évêque
d’Angoulême.
Par
Monseigneur
Vigneron, chan. hon.
Pendant les mois de mai et de juin 1757, on prêcha
deux missions, l’une à la Chapelle-Launay, l’autre à Montfaucon. La première
fut admirablement suivie par les habitants de la paroisse et par les étrangers.
À Montfaucon, l’affluence des étrangers fut également extraordinaire. Les
habitants de la paroisse se montrèrent un peu plus froids ; cependant ils
suivirent les pieux exercices avec plus de zèle quand 1749.
Du 11 septembre au 8 octobre, une mission fut donnée à
Saint-Gildas, au diocèse de Nantes ; elle eut un plein succès. Le peuple se
montra docile et reconnaissant, et sut profiter admirablement de la grâce qui
lui était accordée. Les Bénédictins Saint-Gildas se prêtèrent de tout cœur à la
bonne œuvre. Plus tard, quand vint la Révolution, le sous-prieur de cette
abbaye eut le malheur de prêter serment à la Constitution civile du clergé, et
devint curé de Saint-Médard-sur-Ille, près de Rennes. Après la mission de Saint-Gildas,
les Pères évangélisèrent deux autres paroisses du même diocèse, Paimbœuf et
Boussay. Ces deux missions furent assez ferventes. Cependant on trouva que les
mœurs des habitants de Paimbœuf n’étaient pas assez sévères, et que le peuple
de Boussay, d’ailleurs plein de cœur et de générosité, était un peu trop adonné
aux plaisirs.
Après ces missions vint celle de
Saint-Hilaire-de-Voust, du diocèse actuel de Luçon, parfaitement suivie par une
population pieuse et docile. Les Pères allèrent ensuite répandre la semence de
la divine parole à la Chapelle-Saint-Laurent, au diocèse actuel de Poitiers et
à Saint-Maurille-des-Ponts-de-Cé, au diocèse d’Angers, où le résultat fut
consolant. Cependant aux Ponts-de-Cé, la mission souffrît un peu d’un conflit
regrettable entre Messieurs les curés de Saint-Aubin et de Saint-Maurille qui
tous deux voulaient les exercices dans leur église. Les choses finirent par
s’arranger à l’amiable. Toutes les cérémonies furent véritablement splendides.
On construisit un calvaire et on érigea une croix magnifique. Il n’y eut
pourtant point de communion générale des enfants à cause, nous dit-on, de leur
légèreté et de leur malice. Le peuple ni trop dévot, ni trop docile, se montra
néanmoins plein de cœur et de générosité.
À Champagné, du diocèse de Luçon, les missionnaires ne
trouvèrent pas un grand sujet de consolation chez un peuple qui, alors comme
aujourd’hui, était beaucoup plus préoccupé des choses de la terre que de celle
du ciel. Ils furent plus heureux à Mussillac, où la mission ne fut point
inférieure à celle de 1746.
Du 2 au 15 juillet, on donna les exercices d’une
retraite à l’hôpital général d’Angers. À l’occasion de cette retraite, nous
croyons devoir placer ici tout ce que nous avons à dire des autres retraites,
prêchées en divers établissements de cette ville par les Pères de la Compagnie,
avant la Révolution. Ils ont donné sept retraites à l’hôpital général, neuf aux
Incurables, onze au Bon Pasteur, deux à l’abbaye de Ronceray et deux à
l’établissement des Frères des Écoles Chrétiennes. Elles duraient de huit à dix
jours. La première retraite qui eut lieu à l’hôpital général, en 1758, fut
bonne pour les pauvres, mais meilleure encore pour les Sœurs qui y étaient en
grand nombre. Chaque jour, il s’y faisait quatre instructions, dont l’une était
uniquement pour les religieuses. Nous lisons dans le compte rendu de la
retraite de 1770 : « cette retraite, qui est presque publique, n’en vaut pas
mieux pour l’hôpital ; mais elle est excellente pour les étrangers. Les enfants
ont besoin d’une sérieuse réforme. Les supérieurs doivent veiller beaucoup sur
leur conduite et examiner de près les personnes auxquelles on les confie ». On
lit dans la relation de la retraite de 1776 : « Cette retraite fit un grand
bien aux Sœurs et aux aides parmi lesquels il y avait de la division, à cause
de la retraite de Mademoiselle Blanchard, supérieure, qui avait abandonné la maison
secrètement. Le bureau choisit à sa place la Sœur Thérèse, excellente
supérieure, qui cependant n’était pas du goût de tout le monde ».
La première retraite aux Incurables eut lieu en 1761.
Cet hôpital était parfaitement gouverné, grâce à la vigilance du pieux aumônier,
Monsieur Allard, et à l’intelligente activité des dignes demoiselles qui en
avaient la charge. Les retraites produisirent grands fruits dans cet
établissement, dont le personnel était très docile et très porté à la dévotion.
Les personnes du dehors, qui suivaient en grand nombre les pieux exercices, en
faisaient également leur profit. À la retraite de 1776, l’évêque d’Angers dit
la messe de communion et donna la confirmation.
C’est en 1760 que l’on prêcha la première retraite au
bon Pasteur. Elle fut très fervente comme toutes les autres qui la suivirent.
Les missionnaires se plaisaient à faire l’éloge des gouvernantes de cette
maison et du digne aumônier. Mais il trouvait qu’on appelait un trop grand
nombre de confesseurs auprès des enfants qui montraient de la puérilité et de
la mimique Liard dise dans leurs exercices de dévotion et de mettait pas assez
de rondeur et de simplicité dans la réception des sacrements.
Deux retraites ont été données aux Demoiselles
pensionnaires et aux domestiques de l’abbaye de Ronceray ; ces dernières
étaient au nombre de cinquante. Les Dames religieuses assistaient chaque jour,
à un exercice particulier, avec assiduité et piété. La respectable abbesse,
Madame d’Aubeterre, était entourée de religieuses dignes d’elle. L’école des
Arts-et-Métiers occupe actuellement cette ancienne abbaye de Bénédictines.
Deux retraites ont également été données aux
pensionnaires des Écoles Chrétiennes, dans leur maison appelée le Sabot à
l’Esvière. Cet établissement, qui renfermait des pensionnaires volontaires et
d’autres enfants placés en correction, était parfaitement tenu. Tous se
montrèrent animés des sentiments les plus pieux et firent des retraites très
édifiantes.
En 1758, les missionnaires prêchèrent, à Vertou, du 2
août au 27 septembre. Quoi que la saison ne parut pas favorable, les exercices
furent bien suivis. Les Bénédictins se montrèrent plus calmes quand 1748 ;
cependant ils s’opposèrent à ce qu’on portât le Saint-Sacrement en procession
le jour de la cérémonie de l’Amende honorable. Vers la fin de novembre, huit
missionnaires se transportèrent à Brissac, dans le diocèse d’Angers, pour
donner une mission qui fut suivie par toute la population. Les mois de janvier
et de février de 1759 furent employés aux missions de Marigny et de Coulonges-les-Royaux,
dans le diocèse actuel de Poitiers. La première eut un bon résultat, bien que
le peuple se montrât un peu dur et trop préoccupé des intérêts matériels. La
seconde eut encore un meilleur succès. Le peuple de Coulonges se montra avide
de la parole de Dieu et rempli d’excellentes dispositions.
Du 4 mars, premier dimanche de carême, au 17 avril,
mardi de Pâques 1759, une émission fervente fut prêchée dans l’église
Notre-Dame à Fontenay-le-Comte, le peuple, prévenu d’abord contre les
missionnaires, revint bientôt de ses préventions et se porta aux exercices avec
une ardeur admirable. « Le grand comme le petit, disent les Pères dans leur
relation, l’ecclésiastique et le magistrat, le noble et le roturier, tous
assistèrent aux exercices et donnèrent de très grandes preuves de leur piété et
de leur bon cœur ». Ce fut un grand sujet de joie pour le sage et zélé doyen
qui qui s’était chargé de presque tous les frais de la mission. Rien de plus
éclatant que les cérémonies, qui se firent au grand complet. Celle de l’Amende honorable
et des vœux du Baptême eurent lieu séparément pour les hommes et pour les
femmes, avec une solennité incomparable. La procession générale de clôture fut dès
mieux réussies. Pendant la mission un Père Carme prêchait la station du carême
aux heures marquées pour cet exercice. On donna une retraite avec quatre
instructions par jour, aux religieuses de l’Union Chrétienne, dans la semaine
de la Passion.
Le succès vraiment important, obtenu dans cette
mission, avait rempli de joie les cœurs des missionnaires lorsqu’un événement
douloureux vint jeter le deuil dans toute la famille de Montfort. La mère
Marie-Louise de Jésus, fondatrice et première supérieure générale de la
Congrégation de la Sagesse, mourut à Saint-Laurent le 28 avril, quelques jours
après la clôture de la mission de Fontenay. Les Pères, les Frères et les Sœurs l’entouraient
de tout leur respect, et avaient pour elle une vénération toute filiale. On
peut dire qu’elle était véritablement la mère de toute la famille religieuse du
Bienheureux serviteur de Dieu, qui lui avait légué son esprit et son cœur. Elle
fut pleurée de tous les habitants de Saint-Laurent et de tous ceux qui avaient
été en relations avec elle. Elle mourut à l’âge de 75 ans, après une vie
consacrée tout entière au service de Dieu et du prochain. Son corps fut déposé
dans la chapelle de la Sainte Vierge de l’église paroissiale, non loin de celui
du saint missionnaire qui lui avait fait connaître la volonté du ciel, en la
retirant du monde pour en faire la mère d’une nombreuse postérité religieuse.
Il nous est permis d’espérer qu’un jour la tombe de la Mère Marie-Louise de
Jésus sera glorieuse, comme celle de Montfort, et que les vertus de la fille
seront célébrées, dans l’Église, comme celles du Père.
CHAPITRE IV
Travaux
des Pères de la Compagnie de Marie depuis 1759 jusqu’à la fin de 1763.
Après avoir rendu les derniers devoirs à la Mère Marie-Louise
de Jésus, six missionnaires partirent de Saint-Laurent pour Saint Molf et la Chevrolière,
au diocèse de Nantes. Le Bienheureux de Montfort avait eu à supporter des
outrages et des humiliations de la part du pasteur de cette dernière paroisse,
pendant qu’il y donnait la mission. C’est aussi après avoir commencé une
mission à Saint Molf, qu’il avait l’ordre de quitter le diocèse de Nantes. Les
enfants du serviteur de Dieu furent plus heureux que leur Père dans ces deux
paroisses ; ils y furent accueillis avec joie par les prêtres et par les
fidèles. Rien ne vint les troubler dans leurs pieux exercices qui furent
convenablement suivis, sans qu’on y mit pourtant tout l’entrain désiré.
Dans les derniers mois de 1759, le Busseau et Cheffois
furent évangélisés à leur tour. Au Busseau, la mission fut parfaitement suivie
par les habitants de la paroisse et par une foule d’étrangers. On avait affaire
à un peuple d’un excellent caractère, doux, pieux et plein de générosité. La
mission de Cheffois ne fut pas aussi consolante. On y eût désiré un peu plus de
dévotion et de docilité. Les curés voisins, chanoines réguliers pour la
plupart, se montrèrent peu favorables.
Pendant les six premiers mois de 1760, des missions
furent prêchées à Tiffauges, dans le diocèse actuel de Luçon ; à Liré, dans
celui d’Angers, à Béganne, dans celui de Vannes, et à Saint-Sébastien, dans
celui de Nantes. La mission de Tiffauges fut prêchée dans l’église Notre-Dame,
mais par les soins et aux frais de Monsieur le curé de Saint-Nicolas ; elle fut
moins fervente que celle qui avait été donnée dans cette dernière paroisse, en
1748. On planta une très belle croix ; au moment où elle était presque debout,
elle tomba au milieu de l’épouvante générale ; heureusement elle ne blessa personne
et ne fut point endommagée. Un instant d’après, elle fut redressée sans
difficulté. Liré suivit avec un véritable enthousiasme les exercices de la
mission. Il en fut à peu près de même à Béganne. La mission de Saint Sébastien
fut loin d’être aussi consolante. Le peuple était trop adonné à la boisson et
au plaisir pour accueillir avec faveur les enseignements de l’Évangile.
Pendant les vacances de cette année, en prêcha
des retraites au collège de Beaupréau et aux différents établissements d’Angers
; nous allons dire un mot de celles qui furent prêchées au collège de
Château-Gontier. On n’en compte pas moins de treize depuis 1760 jusqu’en 1779.
Tout porte à croire que de semblables exercices furent encore donnés à cet
établissement après 1779, bien qu’on n’en ait pas conservé la relation. Ces
pieux exercices eurent toujours le meilleur résultat ; cependant les
missionnaires observent qu’il y avait habituellement trop de dissipation dans
la maison, que la surveillance n’était pas assez sévère et que l’autorité
n’était pas assez ferme. À la retraite de 1768, le Père Hacquet, qui était
seul, se trouva indisposé ; le principal fut obligé de donner trois sermons ;
le professeur de philosophie, celui de troisième et un autre prêtre prêchèrent
aussi chacun une fois.
Après les vacances, on évangélisa les deux paroisses
de Pouzauges et d’Aizenay. La mission de Pouzauges fut très fervente et suivie
non seulement par les habitants du lieu mais encore par ceux des paroisses
voisines. On trouva à Pouzauges une population douce, généreuse et portée au
bien. La mission rencontra pourtant une vive opposition dans plusieurs curés du
voisinage infectés du jansénisme, entre autres dans Monsieur Lambin, prieur de Réaumur,
qui cita même les missionnaires devant le siège de la châtaigneraie ; ils
avaient, disait-il fait faire la première communion à quelques enfants de sa
paroisse qui s’étaient mêlés avec ceux de Pouzauges. Cette affaire n’eut aucune
suite. Monseigneur l’évêque de Luçon, mis au courant de tout, approuva fort la
conduite des Pères qui étaient consolés de ces tracasseries par la docilité des
fidèles.
Des consolations semblables attendaient les
missionnaires à Aizenay. Le peuple de cette importante paroisse était doux,
généreux, dévot et instruit. La mission eut lieu malgré la vive opposition du
doyen, qui avait embrassé toutes les erreurs du jansénisme. Heureusement que
les paroissiens étaient loin de partager ses idées. L’évêque de Luçon, qui
était alors Monseigneur Jacquemet Gaultier d’Ancyse, le manda et l’obligea à
séjourner trois mois dans son séminaire. La mission se donnait dans cet
intervalle.
Le jansénisme avait malheureusement fait des progrès
dans le diocèse de Luçon, sous l’évêque précédent, Monseigneur de Vertamon de
Chavagnac, qui gouverna cette église depuis 1738 jusqu’en 1758. Son attachement
au parti avait rendu son administration très difficile. Il fit sortir les
Jésuites de son séminaire, où les avait appelé Monseigneur de Lescure, et,
pendant plusieurs années, il trouva une grande opposition dans son Chapitre qui
avait des idées toutes différentes des siennes.
Aizenay, évangélisé en 1760, par les Pères de
Saint-Laurent et qui l’a été bien des fois depuis, fut autrefois non seulement
le chef-lieu d’un doyenné, mais encore le siège d’un official qui connaissait des
causes matrimoniales et des crimes sur lesquels le doyen ne pouvait prononcer.
Le doyenné d’Aizenay était en dehors de tout archidiaconé avant l’érection du
siège épiscopal de Luçon. Le titre d’archidiaconé date pour Aizenay de la
sécularisation de l’abbaye de Luçon par le pape Paul II, le 12 janvier 1468. Le
dernier archidiacre, en 1791, était Charette de la Colinière. Le doyenné
d’Aizenay renfermait 42 paroisses et 3 abbayes.
Dans le courant de 1761, les Pères de la Compagnie de
Marie ont prêché huit missions dans les paroisses de Bouguenais,
Saint-Mars-la-Jaille ; Saint-Jean-de-Liversay, Besné, Noyal-Muzillac,
Rochefort-en-Terre, Saint-Amand-sur-Sèvre et Saint-Maurice-la-Fougereuse, sans
compter plusieurs retraites donner pendant les vacances.
A Bouguenais, aux portes de Nantes, le résultat fut
médiocre. Le peuple paraissait peu dévot et difficile à conduire. Monsieur le
chevalier de la Roussière avait légué dans son testament 500 livres pour faire
donner ces pieux exercices. Pendant que les missionnaires étaient à Bouguenais,
ils prêchèrent une retraite aux ferventes religieuses des Couëts, qui, pour en
conserver le souvenir, firent planter une croix auprès de leur monastère.
Le monastère des Couëts avait été occupé d’abord par
les religieuses de Saint-Benoît qui finirent par oublier une grande partie de
leurs obligations. En 1476, il n’y avait plus dans cette maison qu’une prieure
et six religieuses, sans observance et sans clôture. Informé de cet état de
choses, le Pape sans égard à l’opposition des Bénédictines, ordonna le
changement de Règle dans ce monastère, et enjoignit à Françoise d’Amboise,
prieure des Carmélites du couvent des Trois-Maries, à Vannes, de s’y
transporter et d’y établir des religieuses de son ordre.
Françoise d’Amboise, duchesse de Bretagne, avait
quitté le monde, à la mort de son vertueux époux, qui avait fait comme elle vœu
de chasteté perpétuelle, dès le moment du mariage. La sainte carmélite
s’éloigna du couvent des Trois-Maries, au milieu des larmes de ses pieuses
compagnes, et arriva aux Couëts au commencement de l’Avent 1476. Elle vécut 9 ans
dans ce monastère, et mourut le 4 novembre 1485. Lorsqu’en 1792, les
religieuses de cette maison furent obligées de s’éloigner, après avoir éprouvé
les plus indignes traitements, elles sauvèrent de la profanation le corps de la
Bienheureuse Françoise et l’emportèrent à Vannes. Les missionnaires qui
donnèrent la retraite aux Couëts, en 1761, ont dû prier avec ferveur auprès de
ce corps vénéré que l’on conservait précieusement dans le monastère, et autour
duquel les habitants de la contrée venaient souvent se prosterner avec respect
et confiance.
La mission de Saint-Mars-la-Jaille fut aussi fervente
que celle qui avait été donnée dans cette excellente paroisse en 1746. Monsieur
de la Ferronnay prit un soin particulier des missionnaires. Ceux-ci allaient
commencer ensuite une mission à Saint-Jean de Liversay, non loin de La Rochelle.
Bien que le peuple n’y fut pas très souple et très religieux, il suivit
cependant les exercices avec assez d’entrain et de bonne volonté.
À Besné, au diocèse de Nantes, la mission eut un
succès complet, comme on devait l’attendre d’une population sincèrement
religieuse. À Noyal-Muzillac, un changement heureux s’était opéré depuis la
mission de 1747. Cette fois, les habitants se montrèrent aussi ardents et aussi
reconnaissants qu’ils avaient paru lâches, insouciants et peu avides de la
parole de Dieu, quand, pour la première fois, les missionnaires s’étaient
présentés au milieu d’eux.
Après les vacances, on alla évangéliser
Rochefort-en-Terre, dans le diocèse de Vannes, et Saint-Amand-sur-Sèvre, dans
le diocèse actuel de Poitiers. À Rochefort, on trouva, dans le peuple, le même
zèle et la même piété qu’en 1748, et toutes les cérémonies se firent avec le
même éclat. La mission eut pour effet de calmer les esprits et les cœurs, le
départ de l’ancien seigneur de Rochefort et l’arrivée d’un nouveau ayant
occasionné des mécontentements et du désordre dans la ville. La bonne harmonie
était également rompue par suite de démêlés entre les chanoines et le recteur
de Pluherlin, au sujet des préséances.
Saint-Amand-sur-Sèvre donna peu de consolation aux
ouvriers évangéliques, le peuple s’étant montré assez indifférent. On n’y vit
qu’un petit nombre d’étrangers ; ils en étaient détournés par leurs prieurs,
des chanoines réguliers qui n’avaient pas des idées bien orthodoxes. Les Pères trouvèrent
une population mieux disposée à Saint-Maurice la Fougereuse, dans le même
diocèse, à laquelle se joignirent les gens d’Etusson dont, le prieur s’était
chargé des frais de la mission. Tous les dimanches et fêtes on allait prêcher à
Etusson. Les samedis, en donnait également plusieurs instructions aux
religieuses Bénédictines de la Fougereuse.
Depuis cette époque, les Pères, d’après leurs
relations écrites, ont prêché onze retraites à ces religieuses, la première en
1763, la dernière en 1778. Il est probable qu’ils en ont prêché d’autres dont
nous n’avons pas les détails. La première retraite, donnée par les Pères
Besnard et Javeleau, produisit le plus grand bien. Du consentement de toutes
les religieuses et à la grande joie des supérieurs, on y établit le commun pour
l’observation exacte de la Règle. La prieure était alors Madame de Bréchu, qui
était, pour sa communauté, un modèle de toutes les vertus. Les autres retraites
furent prêchées par le Père Javeleau, accompagné une fois par le Père Hacquet,
et une autre fois par le Père Hervé. Toutes ces retraites furent également
ferventes.
Dans les six premiers mois de 1762, on évangélisa tour
à tour le Boupère, Beaulieu et Saint-Georges-de-Montaigu, dans le diocèse de
Luçon ; Saint-Herblain et le Pellerin, dans celui de Nantes ; Saint Dolay, dans
le diocèse actuel de Vannes. Un froid très rigoureux nuisît à la mission de Boupère.
De plus le mélange avec les protestants y entretenaient les catholiques dans
une sorte d’indifférence religieuse. Cette mission se faisait aux frais de
Mademoiselle de la Plissonnière, malgré l’opposition de son frère, le marquis
de la Plissonnière, seigneur du lieu. À Beaulieu, le succès fut complet. La
population était très docile et très portée au bien. On obtint le même succès à
Saint-Georges-de-Montaigu, où Monsieur Bouvet, de Saint-Clément, vint prêter
son concours. Cette mission se donnait aux seuls frais de Madame la marquise de
la Plissonnière. On y vit souvent avec édification les principaux citoyens de
Montaigu.
A Saint-Herblain, la mission fut suivie avec assez de
zèle, bien que le peuple ne parût pas animé d’une grande ardeur pour ses
devoirs religieux. Monsieur le marquis de la Musse, conseiller au Parlement,
s’était chargé de tous les frais, y compris les dépenses nécessaires pour la
croix et le calvaire. Le Pellerin voyait les Pères de Saint-Laurent, pour la
troisième fois ; ils étaient assurés d’avance d’y trouver un peuple
parfaitement disposé à les accueillir et à profiter de la grâce. Les
missionnaires y étaient aidés par Monsieur Dupin, leur plus constant et plus
dévoué collaborateur. St Dolay s’était amélioré depuis 1748. Le peuple, dur et
indifférent à la première mission, parut cette fois plein de dévotion et de
docilité.
À la suite des vacances, pendant lesquelles on donna, comme de coutume,
plusieurs retraites, une mission fut prêchée à Péaule, dans le diocèse de
Vannes, et une autre à Saint-Étienne-du-Bois, dans celui de Luçon ; toutes deux
produisirent une salutaire action.
En 1763, les Pères prêchèrent aux Lucs, à Challans, à
Saint-Laurent-sur-Sèvre et à Notre-Dame de Cholet. Aux Lucs la mission fut
fervente ; ce peuple plein de bonne volonté avait à sa tête un pasteur zélé et
intelligent. Cependant, malgré le respect et l’estime dont ils l’entouraient,
les habitants des Lucs refusaient obstinément, depuis 18 mois, de clôturer de
mur leur cimetière, interdit de ce chef par l’évêque de Luçon. Pendant la
mission, ils s’exécutèrent de bonne grâce et firent ce que l’évêque demandait
d’accord avec leur curé. Ils ne s’en tinrent pas là à ces dépenses, mais
montrèrent encore une générosité empressée à construire un calvaire et à ériger
une croix.
Pendant les deux premières semaines de la mission qui
fut donnée à sa paroisse, Monsieur le curé de Challans était absent ; cet
éloignement fut peu favorable ; mais, depuis son retour, les exercices furent
suivis avec ferveur. Comme les habitants des Lucs, ceux de Challans montrèrent
le plus grand zèle pour l’érection d’un calvaire et d’une croix magnifiques. À
Saint-Laurent-sur-Sèvre, la mission se donnait auprès de Monsieur le doyen et
des missionnaires. Les Filles de la Sagesse en suivirent fidèlement les
exercices pour l’édification de tous. Aussi, cette année-là, il n’y eut point
de retraite particulière pour elles. On fit même venir, à cette occasion, des
autres établissements, les Sœurs qui devaient faire une retraite.
Les Pères de la Compagnie de Marie ont donné, avant la
Révolution à l’association des Vierges, fondée par le Bienheureux de Montfort,
trois retraites très édifiantes, en 1765, 1769 et 1773. L’association avait
alors un oratoire particulier pour ses réunions. Les Vierges des paroisses
voisines et les Tertiaires du Carmel et de Saint-François-d’Assise prirent part
à ces retraites ainsi que quelques autres personnes vertueuses. Cependant ce ne
fut pas sans difficultés que l’on reçut à la retraite de 1769, les Vierges de
La Verrie et les différentes Tertiaires, les unes, parce qu’elles avaient
introduit dans leur association des usages que l’on désapprouvait, les autres
parce qu’elles faisaient corps à part.
On était sur le point d’ouvrir une mission, à
Notre-Dame de Cholet, lorsqu’une rumeur malveillante se répandit à Châtillon, à
Mortagne, à Saint-Laurent et dans toute la contrée environnante. On prétendait
que le gouvernement s’opposait aux missions et était décidé à faire arrêter les
missionnaires, s’ils commençaient celle de Cholet. On annonçait, comme chose
certaine, que le subdélégué de l’intendant de Poitiers était chargé d’exécuter
l’ordre du ministre d’État. Monsieur Garreau, vicaire de Saint-Laurent, fit le
voyage de Châtillon et s’informa près de Monsieur le subdélégué des bruits qui
circulaient. Celui-ci affirma n’en rien connaître et se montra même très
courroucé contre ceux qui se servaient de son nom pour semer de pareilles
alarmes, disant qu’il fallait y voir une ruse du démon pour entraver le bien.
Informations furent prises jusqu’auprès de l’intendant de Poitiers et de
l’évêque : ni l’intendant ni l’évêque n’avaient eu vent de cette affaire, et,
par conséquent, les missionnaires n’avaient rien à redouter pour leur
apostolat.
À Cholet, la mission s’ouvrit par une procession
magnifique des deux paroisses de la ville. Une légère contestation s’éleva
d’abord, entre les deux curés, au sujet de la préséance, mais bientôt, tout se
calma. C’étaient même à qui ferait le plus de prévenances ; c’était acquis
cette heure-là pas le pas à son confrère dans toutes les cérémonies, qui se
firent avec le plus grand éclat. La mission produisit, dans toute la ville, les
plus heureux fruits de sanctification. Les dimanches et fêtes, on donnait un
sermon, à la messe, à l’église Saint-Pierre. Chaque samedi, on prêchait aussi
les religieuses.
Après plusieurs retraites en divers établissements,
dans les dernières semaines de juin, et pendant une grande partie du mois de
juillet, les missionnaires se transportèrent à Vue, dans le diocèse de Nantes,
où le résultat fut très médiocre. Quatre des prédicateurs tombèrent malades ;
un seul resta debout et prêcha constamment. Cette circonstance fâcheuse ne
pouvait manquer de nuire au succès.
Dans les derniers mois de l’année, on donna encore
deux missions, l’une aux Moutiers-sous-Chantemerle, l’autre à Saint-Aubin-Baubigné
: elles eurent tout le succès désirable surtout la dernière. La population des
Moutiers paraissait peu instruite, mais était docile. Elle n’accueillit pas
d’abord les envoyés de Dieu avec faveur, mais elle changea bientôt d’idées et
se montra dès lors très assidue aux exercices. À Saint-Aubin, quelques démêlés
entre Monsieur le curé et la dame du château partageaient la paroisse ; la
mission amena une réconciliation complète et durable qui fit cesser ces
funestes divisions
CHAPITRE V
Missions
à la Chapelle-Palluau, la Cornouaille, Malestroit, Glénac et Savenay. – Chapelle
du Père de Montfort à Saint-Laurent. – Arrivée de trois missionnaires. –
Mission d’Olonne et de Chantonnay, à la fin de 1764. – Missions et retraites de
l’année 1765.
Il fallait aux ouvriers apostoliques non seulement du
zèle, mais une force corporelle plus qu’ordinaire pour porter le poids
d’incessantes fatigues. Ce qui rendait leurs courses encore plus laborieuses,
c’est que presque toujours elles se faisaient à pied. Ils devaient parfois
passer ainsi d’un diocèse dans un autre plus ou moins éloigné. Si Dieu ne
multipliait pas leur nombre autant qu’ils l’auraient désiré, il semblait se
plaire à multiplier les forces de leurs corps et de l’énergie de leurs âmes.
En quatre diocèses, cinq paroisses furent évangélisées
par eux pendant les premiers mois de 1764. La Chapelle-Palluau, dans le diocèse
de Luçon ; la Cornouaille dans celui d’Angers ; Malestroit et Glénac dans celui
de Vannes ; Savenay dans celui de Nantes. La Chapelle-Palluau, était, à cette
époque comme aujourd’hui, l’une des paroisses les plus religieuses du diocèse
de Luçon. Aussi la mission eut-elle un plein succès.
Le peuple de la Cornouaille avait besoin d’être
aiguillonné ; il se porta néanmoins avec assez d’ardeur à la mission qui eut de
bons résultats. Il en fut de même à Malestroit et à Glénac, dont les habitants
méritaient le reproche sévère de méconnaître trop souvent les règles de la
sobriété. La mission de Malestroit répara autant que possible, les ravages
occasionnés par la présence, en cette ville, d’un régiment de Dragons, qui
étaient loin d’être édifiants. Les Pères Augustins, y avaient un couvent ; ils
se montrèrent de vrais amis pour les missionnaires et les secondaires de leur
mieux. Pendant la mission, on donna aux religieuses Ursulines les exercices
d’une retraite de huit jours. Elles en retirèrent les meilleurs fruits. Deux autres
retraites, également très édifiantes, furent prêchées dans cette communauté, en
1770 et 1772. Ces ferventes religieuses, observatrices fidèles de leur Règle,
avait la pauvreté en singulière estime ; elles étaient vêtues avec la plus
grande simplicité ; soutenues dans l’esprit de leur état par un directeur
pieux, sage et éclairé, elles étaient l’édification de tous.
La mission de Savenay, en 1764, fut bien suivie par les
étrangers, mais faiblement par les habitants de la ville. Ceux de la campagne
paraissaient mieux disposés ; la saison, il est vrai, n’était pas favorable.
Les démêlés que Monsieur le curé avait avec les Cordeliers et avec les
religieuses contribuèrent peut-être, plus que tout le reste, à éloigner le peuple.
À la Fête-Dieu, la procession, contre la coutume, n’entra ni dans l’une ni dans
l’autre église, sous prétexte d’affirmer des droits respectives. Le dimanche
suivant, où se fait aussi une procession du Saint-Sacrement, les religieux et
des religieuses se montrèrent moins exigeant.
Le Bienheureux de Montfort avait fait préparer une
croix qui devait être plantée, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, pendant la mission de
1716 ; mais il mourut avant la cérémonie projetée et cette croix ne fut dressée
que le jour de la sépulture du saint missionnaire. Elle était gardée comme un
précieux mémorial de l’homme de Dieu et, afin de la conserver, on avait
construit un édicule en bois pour l’abriter contre les injures de l’air. Un
dimanche, pendant la grand-messe, des enfants, gardant les bestiaux, firent du
feu près d’une haie peu éloignée de la croix. En un instant les flammes se
communiquèrent au buisson et atteignirent le monument qui fut presque
entièrement consumé, avant qu’on pût porter secours.
Il restait cependant une portion de la croix ; avec ce
bois, le Révérend Père Besnard fit faire en 1763, une croix de 12 pieds de
hauteur, avec des rayons dorés sur lesquels étaient les noms des différentes
croix ou épreuves de la vie. On éleva une petite chapelle en pierre pour y
placer cette croix. Une maladie grave du supérieur de missionnaires en fit
retarder l’inauguration jusqu’au premier dimanche d’octobre 1764. Jour de la
fête du Rosaire. La croix fut solennellement bénite par Monsieur le doyen de
Saint-Laurent, sur la place de l’église et portée ensuite dans la chapelle par
les Pénitents, en aube et nu-pieds, au milieu d’une grande foule, accourue de
tout le voisinage. La chapelle, aujourd’hui en ruines, était connue sous le nom
de chapelle du Père de Montfort, et située, non loin du calvaire actuel, sur le
chemin de La Verrie.
En 1764, la Compagnie de Marie reçut trois nouveaux
membres, les Pères Hervé, Henri et Julien Le Cornec. Le Père Hervé était de
Malestroit. Ce fut un prêcheur à la parole ardente. Il paraît, pour la dernière
fois, à la mission de Saint-Hilaire-du-Bois, du diocèse de Luçon, en 1779. Il
mourut à Saint-Laurent ; mais on ne connaît pas la date précise de sa mort. Les
Pères Henri et Julien le Cornec étaient frères. Ils étaient d’Orléans, ils
entrèrent le même jour dans la Congrégation. Pour les distinguer, on conserva à
l’aîné, Henri, son nom de famille Le Cornec, tandis que le plus jeune fut
désigné sous le nom de le Père Julien. Tous deux ont été aumôniers à l’hôpital
de La Rochelle ; mais le Père Julien a rempli cette charge plus longtemps que
son frère. Le Père Henri Le Cornec a été procureur de la Congrégation, et il a
laissé des notes précieuses sur les affaires temporelles des communautés de
Saint-Laurent. Il mourut en 1786, après avoir travaillé à de nombreuses
missions. On ne sait pas l’époque exacte de la mort de son frère, qui s’adonna
aussi aux missions pendant quelques années.
Après les vacances de 1764, deux missions furent
données dans le diocèse de Luçon, à Olonne et à Chantonnay. Le peuple d’Olonne,
auquel se joignirent les habitants des Sables, se porta, avec un entrain
admirable, à tous les exercices. Neuf missionnaires y travaillaient en même
temps. Ils logeaient au couvent des Cordeliers qui les secondèrent de leur
mieux. À Chantonnay, le résultat fut assez médiocre.
Montfaucon, Roche-Servière, Yzernay, Le Longeron et
Rezé reçurent le bienfait d’une mission, dans les premiers mois de 1765. Les
habitants de Montfaucon et de Rezé voyaient les fils de Montfort pour la troisième
fois. Ces missions eurent tous le succès que l’on pouvait désirer. Il y avait
autrefois deux paroisses à Roche-Servière, Notre-Dame et Saint-Sauveur. C’est
dans cette dernière que se donnait la mission de 1765. Elle fut admirablement
suivie, malgré l’opposition de Messieurs les curés de Notre-Dame et de Legé,
qui ne partageaient pas les idées des missionnaires.
Pendant les vacances, plusieurs Pères furent occupés à
donner des retraites au collège de Beaupréau, au Bon Pasteur, aux Incurables et
à l’hôpital général d’Angers, aux religieuses de Ronceray, à celles de la
Fougereuse, aux Vierges de Saint-Laurent et à l’hôpital général de Poitiers. On
voit que l’oisiveté n’était pas leur fait. Au mois de novembre, nous trouvons
cinq missionnaires à Ménigoute, dans le diocèse de Poitiers. Ils rencontrèrent
là un peuple docile, généreux et porté au bien. Les chanoines réguliers ne se
montrèrent pas hostiles, mais ne voulurent déranger aucun de leurs offices ;
ils n’assistèrent en corps à aucune cérémonie. La clôture de la mission se fit
cependant dans leur église. Parmi les missions, les mieux suivies et les plus
éclatantes d’avant la Révolution, on doit compter celle des Sables d’Olonne.
Jusqu’au XVIIe siècle, les Sables étaient un gros village de la paroisse
d’Olonne, ne possédant qu’une chapelle. L’acte d’érection de la paroisse des
Sables est du 9 novembre 1622. Le seigneur de la Trémouille, marquis de Royant
et comte d’Olonne, obtint l’érection de cette chapelle en titre paroissial ; il
en fut reconnu fondateur avec droit de nomination à la nouvelle cure, dont le
titulaire devait être docteur en Sorbonne. Cependant, pour reconnaître son
ancienne dépendance vis-à-vis d’Olonne, la fabrique des Sables fut obligée à
lui verser annuellement une redevance de 10 livres tournois, et le curé devait
conduire processionnellement sa paroisse à l’église d’Olonne, le jour de la
nativité de la Sainte Vierge.
En 1765, il y avait, aux Sables, un couvent de
Capucins, un couvent de Bénédictines, une communauté de religieuses de
l’Union-Chrétienne et un hospice desservi par les Sœurs de la Charité. Le
couvent des Capucins a été acheté par les Ursulines de Jésus ou religieuses de
Chavagnes, en 1822. Il avait été vendu déjà pendant la Révolution. Le couvent
des Bénédictines, dépendant de Sainte-Croix de Poitiers, fut fondé, en 1632,
par Charlotte Flandrine, fille de Guillaume de Nassau, prince d’Orange, pendant
qu’elle était abbesse de Sainte-Croix. L’hospice Saint-Joseph fut établi par
Monseigneur de Barillon, évêque de Luçon, qui fonda aussi l’hôpital de sa ville
épiscopale et celui de Montaigu. Ce fut encore ce même prélat qui établit aux
Sables la maison des religieuses de L’Union Chrétienne, laquelle, en 1787, fut
acquise par les Soeurs de la Sagesse. Ces dernières sont chargées aujourd’hui
de l’hôpital, des classes de jeunes filles et d’un asile de l’enfance.
Les Sables qui, l’année précédente, s’étaient portés en
foule à la mission d’Olonne, firent un chaleureux accueil aux missionnaires,
les Pères Besnard, Albert, Javeleau, Hacquet, Renaud, Supiot, le Cornec et
Julien. Ce peuple était un peu volage ; il semblait avoir la mobilité des flots
de l’océan dont il était riverain ; il était en même temps spirituel, bon,
généreux, susceptible de bien. C’est le portrait des Sables quand traçaient des
missionnaires. Les Sablais d’aujourd’hui
ne paraissent pas avoir dégénéré. Le peuple valait mieux que les grands qui,
nous dit-on, étaient censeurs, portés à l’impiété et au libertinage.
Pendant la mission, on donna une retraite aux
religieuses Bénédictines. L’article de la propriété fut un obstacle au bien.
Peu de religieuses communièrent à la fin des exercices. Celles qui voulaient rester
propriétaires de leurs biens, malgré leur vœu de pauvreté, furent condamnées
par la Sorbonne. On donna aussi des exercices particuliers aux religieuses de
L’Union Chrétienne qui en profitèrent mieux. Tous les soirs, pendant 15 jours,
on prêcha aux marins dans la chapelle du cimetière.
Monsieur Marchand, très digne curé des Sables, s’était
chargé d’une grande partie des frais. L’âpreté d’un froid continuel éclaircit
parfois les rangs de l’assistance, la mission fut néanmoins admirable à tous
égards ; elle fut couronnée par l’érection d’une croix et d’un calvaire grandioses.
Nous sommes heureux de pouvoir mettre sous les yeux de nos lecteurs une
relation écrite, à cette occasion, par un habitant des Sables. On verra avec
quelle splendeur les enfants de Montfort organisaient les démonstrations
religieuses, et comment les populations remplies d’enthousiasme, répondaient
aux désirs des missionnaires.
« Le 30 janvier, on annonça que la croix serait
plantée le lendemain. Pour cet effet, un missionnaire fit, à 2 heures, un
sermon très touchant sur les souffrances de Jésus-Christ. Aussitôt qu’il eut
fini, on fit l’adoration de la vraie croix que les missionnaires portaient avec
eux. Après le clergé, tous ceux qui devaient porter la croix approchèrent pour
faire l’adoration avant le peuple. Ils étaient sur deux lignes au milieu de la
nef, pieds et têtes nus, en pantalon blanc, tenant chacun un Christ à la main.
Le clergé à la sortie de l’église, s’achemina processionnellement sur la place
Carcado, où était la croix qu’on devait planter et que l’on bénit en ce lieu.
De là la procession se rendit au calvaire, qui était construit sur une dune de
sable, à environ cent toises au sud-est de la barrière Sainte-Croix ou de
Talmont, en l’ordre qui suit : une bannière rouge ouvrait la marche, suivie de
trois autres de la même couleur, à la distance de cent pas les unes des autres.
Les bourgeois sous les armes, à la tête desquels les tambours battaient une
marche lugubre, venaient les premiers, ayant à leur centre leurs drapeaux
traînants à demi déployés. Au milieu de cette file, on voyait deux rangs de
jeunes gens, pieds et têtes nus, et en pantalons blancs, comme les premiers
dont j’ai parlé, ayant de plus une couronne d’épines sur la tête, des christs entre
leurs bras et de longs chapelets au cou. Ils marchaient trente sur chaque file.
On en voyait d’autres vêtus de la même manière, portant de dix en dix pas les
instruments de la passion du Sauveur, comme le coq, l’éponge, la lance, le
fanal, les clous, la couronne d’épines, le voile de Sainte Véronique.
« La Croix paroissiale s’avançait accompagnée de deux
acolytes, de flambeaux et d’étendards de satin blanc. La croix rouge précédait
la vraie Croix portée sur les épaules de deux diacres, pieds nus, en
dalmatique. Elle était couchée sur un carreau de velours cramoisi, avec galons
et franges en or. Quatre porte-étendards et quatre porte-flambeaux marchaient
vêtus de blanc, avec des écharpes cramoisies, aux quatre coins du brancard,
ayant des couronnes d’épines sur la tête. Trois jeunes gens en aube, avec des
encensoirs, brûlaient l’encens devant la vraie Croix, et six prêtres en chape,
et pieds nus se tenaient sur deux rangs en arrière. Vingt jeunes gens les
suivaient dans le même ordre, pieds nus, vêtus de blanc, ayant des couronnes d’épines
sur la tête et des christs entre les bras. Au milieu d’eux quatre autres,
habillés de la même manière, portaient à égale distance, le soleil, le vase, la
ceinture et l’écrit donné par Pilate. Cent autres jeunes gens portaient la
croix qui devait être placée sur le calvaire, suivis de plus de soixante prêtres
qui marchaient sur deux rangs fermés par le curé des Sables, en avant desquels
était un chœur nombreux chantant les litanies. Les uns et les autres avaient
les pieds nus. À la suite, la noblesse de la ville et des environs marchait très
dévotement, ainsi que les principaux bourgeois et tout le peuple.
« On défila en cet ordre par la rue haute du Minage et
celle de Sainte-Croix, jusqu’au calvaire, où il y eu un sermon, après lequel un
champ de plusieurs cantiques ; puis on éleva la croix. Lorsque cette opération
fut faite, tous ceux qui portaient des christs et les ornements de la croix qui
venaient d’être plantée les déposèrent au pied de cette croix et reprirent leur
rang dans la procession, les bras en croix sur la poitrine. La procession
retourna à l’église par les rues des Capucins et de l’hôpital. A son retour, le
supérieur fit un discours au peuple et donna la bénédiction du Très Saint-Sacrement.
« Tous les jeunes gens des paroisses voisines qui
avaient aidé à porter la croix, l’année précédente, à la mission d’Olonne,
furent admis à porter celle des Sables avec ceux de la ville. Les Chaumois
participèrent au même avantage. L’arrangement, l’ordre et la décence qui
régnèrent en cette cérémonie la rendirent une des plus admirables que l’on pût voir,
et elle inspira beaucoup de piété à ceux qui voulurent y assister ».
De pareilles cérémonies, on le comprend, devait
profondément impressionner les peuples, on y accourait de toutes parts. Le même
habitant des Sables, que nous venons de citer, continue ainsi sa relation : «
le neuf février fut choisi pour la clôture de la mission, ou la procession des
étendards. Elle attira une grande quantité de peuple des campagnes voisines,
des villes de Nantes, Luçon et autres, de même que des îles de Ré, Noirmoutier et
Dieu… Hommes, femmes et enfants avaient été prévenus de se munir chacun d’un
étendard… Un des missionnaires, suivi d’une bannière rouge et d’une croix,
entonna le Veni Creator, à la sortie de l’église, et commença la marche
par la rue qui conduit à la place Carcado, et de là par celle qui mène par le
Minage au canton des Cercles et à la barrière de Nantes, et de là dans le champ
voisin qui est au-dessous, joignant le chemin qui conduit à cette dernière
ville.
« A dit pas de cette première bannière, marchait une
seconde, puis une troisième à pareille distance, jusqu’à six, auprès de chacune
desquelles suivait une croix, des chantres et un prêtre. Sur deux lignes
s’avançaient les femmes et les filles tenant leurs étendards élevés. À la suite
de ce premier cortège, on voyait des hommes ayant également des étendards à la
main, précédés de trois bannières, de trois croix, d’un chœur et d’un prêtre.
Un grand étendard où était brodée la Résurrection était porté à la tête d’une
seconde file.
« La confrérie des Dames de charité, les Sœurs de
Saint-Lazare, celles de Saint-François et de Saint-Dominique, marchaient aussi
sur deux colonnes, tenant un Christ dans leurs bras et un chapelet, leur voile
sur la tête et leur cordon pendant. À leur suite, venaient les Frères des
confréries du Saint-Sacrement, des Agonisants et de Saint-François, ayant
chacun une bannière, une croix et un chœur. Les Capucins et les Cordeliers
d’Olonne fermaient cette marche. Sur leurs pas tous les jeunes gens au nombre
de plus de 300, qui avaient porté les croix d’Olonne et des Sables au calvaire,
ainsi que leurs ornements, marchaient également sur deux lignes habillés de
blanc, avec un Christ et un grand chapelet entre les bras.
« On voyait ensuite le dais, sous lequel était porté
le Saint-Sacrement, précédé de douze drapeaux blancs et rouges, de douze encensoirs,
de douze enfants qui répandaient des fleurs et des parfums, de même que de
douze flambeaux, de soixante prêtres en chapes et d’un chœur nombreux qui
chantait des hymnes et des cantiques. Tous ceux qui portaient les drapeaux, les
croix, les flambeaux et les encensoirs avaient des rochets blancs sur des robes
rouges et des camails de la même couleur, bordés de galons et de franges or et
argent.
« À quatre heures, le Saint-Sacrement arriva sur le
champ de Mars, (ainsi appelé par ceux qu’il avait servi précédemment pour
l’exercice des troupes) suivi de la noblesse et de la bourgeoisie et d’un
peuple immense… On estime qu’il n’y avait pas moins d’étrangers en ville qu’il
y avait d’habitants ; donc la quantité devait s’élever à onze ou douze mille ».
Ainsi s’exprime un témoin de la mission donnée aux
Sables, en 1765. On ne pouvait déployer en tout lieu autant de richesse ; mais
partout les missionnaires savaient utiliser leurs ressources qu’ils avaient à
leur disposition pour donner de l’éclat aux cérémonies, veillant
particulièrement à ce que tout se fit avec ordre et piété.
CHAPITRE VI
Travaux
des Pères de la Compagnie de Marie depuis le commencement de 1766 jusqu’à la
fin de 1773.
Les courageux enfants de Montfort commencèrent bientôt
une mission à Luçon, siège épiscopal du diocèse auquel appartient maintenant la
maison-mère de Saint-Laurent.
Ancienne bourgade gallo-romaine, Luçon était au
VIIIème siècle, un simple domaine dépendant de l’abbaye de Noirmoutier. Ce
domaine fut un peu plus tard érigé un prieuré et devint le siège d’une abbaye
florissante. De 1040 à 1319, on compte 16 abbés dont les noms sont connus. Le
dernier a été Pierre de la Veyrie, qui fut élevé à l’épiscopat, en 1319, date
où fut créé le diocèse de Luçon par le pape Jean XXII.
Avant la Révolution, il y a eu à Luçon 36 évêque parmi
lesquels le fameux cardinal de Richelieu. Le dernier a été Monseigneur de Mercy
qui devint archevêque de Bourges, en 1801, et mourut en 1811. En vertu du
concordat de 1801, le diocèse de Luçon fut adjoint à celui de La Rochelle.
Trois évêques ont été chargés successivement de ces deux diocèses réunis : Monseigneur
Couet du Vivier de Lorry, Monseigneur de Mandolx et Monseigneur Paillou.
Le Concordat de 1817 sépara de nouveau le diocèse de
Luçon de celui de La Rochelle.
Commencée le 12 février 1766, la mission de Luçon fut
prêchée par les Pères Besnard, Albert, Javeleau, Hacquet, Renault, Supiot et Le
Cornec et fut donnée aux seuls frais de Monseigneur Jacquemet Gaultier
d’Ancyse. La présence du digne prélat aux exercices du soir et à toutes des
cérémonies, y attira constamment une affluence considérable. Sa grandeur prêcha
trois fois. Le Chapitre, composé de fervents chanoines, se prêta à tout de la
manière la plus aimable et la plus généreuse : offices anticipés ou retardés,
sacristie ouverte, ornements de toutes espèces, cierges et flambeaux en grand
nombre offerts pour les cérémonies, rien ne fut épargné pour favoriser le
succès de la mission. Le Chapitre assistait toujours en corps aux cérémonies
qui furent pompeuses et édifiantes. Les Pères Capucins différents de ceux qui
avaient accueilli le Bienheureux de Montfort, parurent plutôt défavorables. Les
grands de Luçon se montrèrent polis, affables et portés au bien.
Au cours de la mission, on donna une retraite de huit
jours aux Ursulines que troublait la question de la propriété. On donna aussi
des exercices particuliers, pendant la semaine Sainte, aux religieuses de
L’Union Chrétienne. Plus tard, deux retraites, également édifiantes, furent
aussi prêchées dans ces communautés. Le Puybelliard, le Bignon et Joué reçurent
ensuite la visite des missionnaires. Au Puybelliard, du diocèse de Luçon, on
n’obtint pas un grand succès. Le peuple était peu dévot et assez indifférent. Au
Bignon et à Joué, les Pères étaient aidés par Messieurs Dupin et Bouvet ; les
exercices furent suivis avec plus de zèle et produisirent plus de fruit qu’aux
missions précédentes.
Pendant les vacances, outre les retraites habituelles
au collège de Beaupréau et de Château-Gontier, on en donna au collège de La Rochelle
et aux Religieuses de la Providence de la même ville. Au collège de La Rochelle,
plusieurs régents, dans la conduite était fort irrégulière, firent de
l’opposition ; néanmoins le résultat fut satisfaisant. Monsieur le Principal donnait
le bon exemple et se distinguait par son assiduité, aux instructions. La
surveillance, soit au dedans, soit au dehors de l’établissement, laissait à
désirer. Les jeunes gens, qui paraissaient spirituels, était un peu adonnés au
luxe. Au couvent de la Providence, la retraite fut bien suivie, mais peu
efficace ; près d’un tiers des religieuses opposées au commun, firent beaucoup
de bruit. On refusa de faire publiquement la rénovation des vœux de religion.
Cette maison avait besoin d’un gouvernement ferme. Monsieur l’abbé de Menou était
alors supérieur spirituel. Les Pères Javeleau et Hacquet retournèrent, l’année
suivante, prêcher une autre retraite au collège de La Rochelle. Ils trouvèrent
chez les élèves peu de piété et d’attention à la parole de Dieu, et chez les
maîtres une surveillance fort imparfaite. Aussi la légèreté et la dissipation
régnaient dans la maison et paralysaient l’œuvre des missionnaires.
À la fin de 1766, des missions furent prêchées à
Carentoir et à Macérac. Carentoir était à peu près tel qu’en 1750, encore ravagé
par le vice de l’intempérance ; aussi la mission ne produisit pas tout le fruit
désiré. Macérac, qui manquait un peu d’ardeur pour le bien, montra cependant
assez d’élan en cette circonstance.
En 1767, on prêcha à Cambon, Bourgneuf, Montigné et à
Taugon-la-Ronde. Le peuple de Cambon, quoiqu’un peu léger et presque aussi
enclin au mal qu’au bien, au jugement des missionnaires, se montra très
attentif aux instructions. Messieurs Dupin et Bouvet travaillèrent aussi à
Bourgneuf : cette mission fut consolante ainsi que les deux autres, surtout
celle de Montigné.
Du 31 mai au 5 juillet, l’église des Bénédictins de
Montierneuf à Poitiers eut le bonheur d’avoir une mission prêchée par les Pères
Besnard, Albert, Javeleau, Hacquet, Renault et du Rocher. Les missionnaires se
retiraient à l’hôpital général. Monsieur de Beaupoil, de Saint-Aulaire, évêque
de Poitiers, faisait tous les frais ; il eut la consolation de voir sa
générosité récompensée et une action profonde et salutaire produite sur toute
sa ville épiscopale. Monsieur l’abbé de Cressac, chanoine de la cathédrale,
official et vicaire général, fit l’ouverture de la mission que favorisait, on
ne peut mieux, tout le clergé de Poitiers. À la procession de l’amende
honorable, Monsieur le doyen de la cathédrale porta le Saint-Sacrement. À la
procession générale de clôture, le Saint-Sacrement était porté par Monsieur
Côme, abbé régulier de Montierneuf, toutes les cérémonies se firent avec une
pompe extraordinaire et une piété touchante.
Pour garder le souvenir de ces jours de grâce et
remémorer les résolutions, on érigea une croix, ornée de cœurs dorés et
argentés. Elle fut portée par plus de 200 jeunes gens, vêtus de blanc, pieds
nus, avec une couronne d’épines sur la tête. Toutes les paroisses de la ville
se rendirent tour à tour et processionnellement à la croix, pendant neuf jours.
Durant leur séjour à Poitiers, on demanda aux Pères
deux retraites : à l’établissement des Pénitentes et aux Incurables. De 1765 à
1774, dans la même ville, quatre retraites ont été données aux Pénitentes,
quatre aux Incurables, cinq à l’hôpital général, une aux religieuses
franciscaines. Ces retraites, ordinairement de huit à dix jours, auxquelles le
public était admis, furent toujours admirablement suivies, et produisirent les
plus heureux résultats.
Pendant l’été de 1767, on prêcha, en divers
établissements de Poitiers et de La Rochelle, aux religieuses de la Fougereuse,
à la Providence de Saumur et à l’hôpital de la même ville. La retraite de la
Providence porta des fruits abondants. Monsieur Guitteau, curé de Saumur, était
supérieur de la maison. Il était également supérieur des religieuses de
l’hôpital. La retraite, donnée dans ce dernier établissement, était à la fois
pour les religieuses et pour les pauvres, qui en avaient besoin. Bien que tout
le monde parût convenablement disposé, on eût désiré plus de silence et de
recueillement.
En 1770, une autre retraite fut prêchée au même
hôpital, sans produire grand effet. On remarquait de la dissipation parmi les
gouvernantes, des sorties trop fréquentes et l’inobservance de la vie commune.
On changeait aussi trop fréquemment de confesseurs, ce qui empêchait la suite
dans la direction. Cet établissement avait besoin d’une supérieure ferme, d’un
directeur plus ferme encore et au courant des Règles et Constitutions. En cette
même année, les Pères donnèrent aussi une nouvelle retraite à la Providence.
Elle était presque publique et non moins nécessaire que celle de 1767. Elle
n’eut pas le succès désirable. Les gouvernantes se montrèrent peu habiles et
insubordonnés. Le règlement était presque lettre morte par la faute des
directeurs qui manquaient de fermeté. Cette maison était alors très pauvre. En
1773, des retraites furent encore prêchées à la Providence et à l’hôpital de
Saumur, sur lesquelles il ne nous reste aucun détail. Les vacances de 1767
étant terminées, Vezins en Anjou et Pouillé, au diocèse de Nantes, furent
évangélisés à Vezins, le peuple était spirituel, attentif à la parole de Dieu
et porté au bien. Pouillé se montra également bien disposé. Tous les exercices
furent suivis avec zèle et piété, malgré un froid intense.
En 1768, les Epesses, Machecoul, Vay, Derval et Vertou
furent tours à tour visités. Aux Epesses qui voyaient les Pères de
Saint-Laurent pour la troisième fois, toutes les espérances furent dépassées.
On ne planta pas de croix, bien que l’argent du comte d’Armaillé, seigneur du
lieu, en eût offert une, la croix plantée précédemment étant encore en bon
état. À Machecoul, où Messieurs Dupin et Bouvet prêtèrent leur concours, la
besogne fut excellente. Au cours des exercices, on prêcha une retraite de sept
jours aux religieuses du Calvaire. À Vay, le résultat fut bon, bien que la
population ne fût pas facile à émouvoir.
À Derval, on vint en foule de toutes les paroisses
voisines. La raison, que les missionnaires donnent de ce mouvement et de la
grande assiduité aux exercices, est assez singulière et s’explique pourtant. «
Il est vrai, disent-ils que les cidres avaient manqué et qu’ils étaient fort
chers ». Ce n’est pas la première fois qu’on l’a constaté, les consciences sont
moins chargées de fautes, dans les années où les pommiers sont moins chargés de
fruits, les excès de l’intempérance ne pouvant être qu’une entrave au bien.
A Vertou, où collabora Monsieur Bouvet, le peuple se
montra mieux disposé que dans les missions précédentes, et les Bénédictins,
dont les idées s’étaient assainies, se mirent en très rapports avec les
missionnaires et assistèrent assidûment aux exercices. Monseigneur l’évêque de
Dol présida la cérémonie de clôture, après avoir donné la confirmation à une
foule de personnes.
Pendant la saison des grands travaux de la campagne,
on prêcha des retraites dans les hôpitaux, les collèges et les communautés
religieuses.
Trois retraites ont ainsi été données à l’hôpital général
de Niort, en 1768, 1771, 1779 ; elles étaient autant, et plus peut-être, pour
les étrangers que pour les personnes de la maison. La première fut aussi
fervente que possible ; dans cette circonstance, d’abondantes aumônes furent
faites à la maison. La retraite de 1771 fut parfaitement suivie par les
étrangers qui se montrèrent très attentifs. Toutes les places étant envahies
par les personnes du dehors, on se vit obligé de donner chaque soir un exercice
uniquement pour le personnel de l’hôpital, qui sans cela n’eût pu profiter de
la retraite. La troisième retraite n’eut pas le même succès. Les trop grandes
chaleurs y mirent obstacle ; peut-être aussi y avait-il des confesseurs en trop
grand nombre.
En 1769, les Pères Prêchèrent encore une retraite aux
Religieuses Hospitalières de Niort. Elle eut le meilleur résultat pour les
religieuses, dont la pauvreté en particulier était très édifiante, et pour les
nombreuses personnes étrangères qui y assistèrent.
Après les vacances de 1768, huit missionnaires évangélisèrent
Vieillevigne, qui l’avait été, une première fois, douze ans auparavant et où la
mission ne fut pas moins consolante que la première. À Lamaire, dans le diocèse
actuel de Poitiers, la mission, due à la générosité du digne pasteur fut
combattue par les curés du voisinage, mais n’en réussit pas moins.
Huit missions et douze retraites furent prêchées en
1769, par les infatigables enfants de Montfort. Au Gué-de-Velluire, au diocèse
de Luçon, il y eut moins de ferveur quand 1756. Au château et à Saint-Georges,
dans l’île d’Oléron, presque tous les enfants insulaires assistèrent à ces deux
missions. Pendant celle du Château, on donna une retraite de quinze jours aux
soldats ; elle eût fait merveille, si les officiers se fussent montrés plus
favorables, et si ont eût été plus libre dans l’église des Récollets, où se
tenaient les exercices. À Malville et à Saint-Hilaire-du-Bois, au diocèse de
Nantes, le succès fut complet. Saint-Hilaire-du-Bois avait à sa tête un prêtre
exemplaire et digne de toute la confiance de ses paroissiens.
À Guenrouet, Le Cellier, et Oudon, le résultat ne
pouvait être plus satisfaisant. Au Cellier, les Pères furent heureux de voir un
grand nombre d’ecclésiastiques se réunir chez le vénérable curé, qui était
l’ami et le modèle de tous ses confrères. En 1770, les missionnaires allèrent à
Brains, au diocèse de Nantes, puis à Sixt, alors du même diocèse, mais
aujourd’hui relevant de Rennes. Le peuple de Brains paraissait instruit et il
se montra constamment attentif à la parole de Dieu. Le peuple de Sixt se montra
également assidu et attentif aux instructions. ; Mais malheureusement le vice
de l’intempérance y était profondément enraciné, malgré le zèle des prêtres. On
y érigea un calvaire magnifique. La résidence du curé était alors beaucoup trop
éloignée de l’église, ce qui n’allait pas sans inconvénient.
À Guégon, dans le diocèse de Vannes, le peuple était
bien disposé ; comme à Sixt, les missionnaires eurent à guerroyer contre
l’intempérance. La procession de clôture ne se fit ni avec ordre ni avec piété
à cause de la foule et de la dissipation apportée par les habitants de
Josselin. A Saint-Jean-de-Corcoué, dans le diocèse de Nantes, et à
Saint-Hilaire-de-Loulay, dans celui de Luçon, on rencontra une population on ne
peut plus religieuse. A Saint-Jean-de-Corcoué, la croix que l’on voulait élever
s’abattit tout à coup et causa un accident qui vint troubler la joie générale,
mais dont on ne nous dit pas la nature. À Saint-Hilaire-de-Loulay, la mission était
due, en grande partie, aux libéralités des Dames Parîs et de-la-Lande.
À Saint-Philbert-de-Bouaine, un temps désagréable
n’empêcha pas le peuple, bon et religieux, de suivre avec ardeur les exercices.
La mission avait pour principale bienfaitrice les Dames de la Chauvinière et de
l’Écorce. La mission de Nalliers due, en grande partie, à la générosité de
Madame de la Coudraie, n’eut point le même succès. Elle fut suivie avec
négligence, par un peuple assez indifférent aux choses du salut et très attaché
aux intérêts terrestres.
En 1771, on évangélisa Malestroit, dans le diocèse de
Vannes, les Touches, Carquefou, Fégréac et Basse-Goulaine, dans celui de
Nantes. Ces missions furent couronnées d’un plein succès ; la plus fervente de
toutes fut celle de Carquefou. Le peuple, doux, tranquille, docile à la voix de
ses pasteurs, attentif à la parole de Dieu, ne négligea rien pour profiter de
la grâce.
À Saint-Clémentin, dans le diocèse actuel de Poitiers,
et à Château-Thébaud, dans le diocèse de Nantes, les résultats furent aussi
très consolants.
Le cinq janvier 1772, les Pères commençaient à
Montfaucon une mission qui fut suivie avec un entrain admirable, non seulement
par la population, mais par toutes les paroisses voisines. Monsieur l’abbé de
la Brulaire, qui travailla à cette mission, se chargea d’une grande partie des
frais, et donna l’arbre de la croix. Une certaine antipathie qui existait entre
cet ecclésiastique et les curés du voisinage gêna un peu les missionnaires. Au
bourg de Batz, à l’extrémité du diocèse de Nantes, le peuple était bon,
attentif à la parole de Dieu, même dévot, mais un peu léger. La mission, suivie
aussi avec zèle par les étrangers, eut à souffrir quelques contradictions de la
part de certains habitants du Pouliguen, qui dépendait alors du bourg de Batz.
La croix et le calvaire, qui était très beau, furent démolis, après la mission,
sous prétexte d’intérêts matériels, mais en réalité par la malice des
opposants.
À Triaize et à la Boissière, dans le diocèse de Luçon,
la mission fut parfaitement suivie surtout à la Boissière, où l’on ne rencontra
que bonté, docilité et piété. À Sainte-Luce, du diocèse de Nantes, la mission
eut, à peu près, le résultat très médiocre de celle de 1755. Elle fut
contredite par plusieurs curés du voisinage. Le curé prévenu contre ses
supérieurs et contre les missionnaires, s’opiniâtra à vouloir organiser et
présider lui-même toutes les cérémonies, toutes les communions générales, même
la bénédiction de la croix-souvenir ; cette satisfaction personnelle lui fut
accordée, mais sans grand profit pour le bien général. Pendant tout le cours de
cette mission, les évêques de Nantes et de Dol se trouvaient à Chassais, maison
de campagne de l’évêché de Nantes. Ils se montrèrent pleins d’affection pour
les missionnaires. Ceux-ci prenaient logement chez Monsieur de Bois-Briand dans
la paroisse de Doulon, et reçurent de sa part l’hospitalité la plus cordiale.
Après la halte de l’été, Camoël, Missillac,
Saint-Vincent-de-Redon, Couëron, Montaigu, la Réorthe, Sainte-Hermine et la
Séguinière reçurent les messagers de l’Évangile. Camoël, actuellement du
diocèse de Vannes, appartenait autrefois au diocèse de Nantes. Le peuple,
docile et porté au bien, suivit tous les exercices avec une ferveur admirable.
La mission se faisait, en grande partie, aux frais des Demoiselles Jacquelot,
personnes respectables à tous égards et sa. L’excellent curé, exemple vivant de
sa paroisse, fit aussi l’édification des missionnaires. À Missillac, la mission
fut aussi fervente que les deux précédentes. Cependant le mauvais temps ne
permit pas aux habitants du Marais d’assister aux exercices, comme ils
l’auraient désiré. Le seigneur de la Bretêche vint en aide au recteur pour les
dépenses, mais se contenta d’envoyer ses domestiques aux exercices sans donner
lui-même l’exemple. À Saint-Vincent de Redon, le peuple se porta avec assez
d’ardeur à la mission, comme il avait fait en 1754. Couëron, qui pourtant ne
paraissait pas d’plus dociles, montra encore plus de zèle et de bonne volonté.
La ville de Montaigu, où se donnait la mission en
1773, avait compté autrefois quatre paroisses : Saint-Jacques,
Saint-Jean-Baptiste, Notre-Dame et Saint-Nicolas. D’après Dom Fonteneau, ce fut
le 15 juillet 1627, qu’eut lieu l’union de la cure de Notre-Dame à celle de Saint-Jean.
La mission se donnait dans cette dernière paroisse. Elle fut admirablement
suivie ; tout le peuple se montra plein d’intelligence et animée des meilleures
dispositions. Les prêtres du Chapitre et des paroisses voisines aidèrent pour
les confessions qui furent très nombreuses. Les Dames de la ville se chargèrent
de tous les frais et secondèrent le zèle de l’excellent pasteur. L’évêque de
Luçon séjourna quatre jours dans la paroisse, et donna la confirmation et porta
le Saint-Sacrement dans la procession générale qui fut très solennelle. La
noblesse, bien composée et très respectable, revint de ses préventions contre
le prélat qu’elle n’aimait pas. La plupart des bourgeois se distinguaient aussi
par leurs sentiments délicats et leur conduite honorable.
Le Chapitre de Montaigu, qui était en relations
tendues avec le curé, assista cependant à la procession générale, sur
l’invitation de celui-ci. Il prétendait, quand il était invité, avoir droit de
présider aux processions. Cette fois, il ne pouvait y avoir conflit, car
l’évêque était là et présidait lui-même.
Le chapitre Saint-Maurice de Montaigu fut fondé en
1438, peut-être même dès 1356, par le seigneur de Montaigu, qui portait le nom
de Maurice. La collégiale de Saint-Maurice fut placée d’abord dans l’enceinte
du château, et, lorsqu’elle fut détruite, les chanoines s’établirent rue de
l’ancienne-porte, où l’on voit encore les ruines de leur église.
Il y avait aussi à Montaigu, des religieuses : leur
établissement avait été fondé en 1612 par Paule et Charlotte de Fresque,
aïeules de l’amiral Aubert du petit Thouars, dont la famille est originaire de
Saint-Sulpice le Verdon, au diocèse de Luçon ; il appartenait primitivement à
l’ordre de St Benoît et était connu sous le nom de Saint-Sauveur. Il fut approuvé
le 22 septembre 1626, par l’évêque du diocèse, Aimeri de Bragelongne longue. En
1642, ces religieuses demandèrent à Monseigneur de Nivelle, évêque de Luçon, à
se soumettre à l’ordre de Fontevrault ; ce qui leur fut accordé. Il y avait
ordinairement, dans le couvent, de vingt à vingt-cinq religieuses. Cette
communauté eut le bonheur d’héberger quelques instants le Bienheureux Père de
Montfort, en 1711 ; au cours de la mission de 1773, à Montaigu, les enfants du
serviteur de Dieu donnèrent une retraite de huit jours aux religieuses qui
surent en profiter.
La mission de la Réorthe, au diocèse de Luçon, fut
assez médiocre. Elle se donnait aux frais de l’évêque, Monseigneur Jacquemet
Gauthier, dont la maison de campagne était à Châteauroux, dans cette paroisse.
Cette maison avait été bâtie par Monseigneur de Lescure qui montra tant
d’estime et d’attachement au Bienheureux de Montfort. Il pouvait apprécier un
saint lui qui était regardé comme un des plus saints évêques du royaume.
À Sainte-Hermine, la mission était donnée au frais de
Monsieur Cautoli vicaire, vicaire général de Luçon. Elle fut bonne pour la
paroisse et pour Saint Hermand qui y prit par. Monsieur et Madame de Curzon
contribuèrent beaucoup au bien par leur zèle et leur générosité. Messieurs les
curés de Sainte-Hermine et des Moutiers-sur-le-Lay employèrent tous ceux qu’ils
avaient d’intelligence et de goût pour faire une croix véritablement splendide.
Le calvaire était également très beau et placé dans un site idéal. C’est
Monsieur le vicaire général qui prêcha à la plantation de la croix.
À la Séguinière, le peuple, intelligent et porté au
bien, assista ponctuellement aux exercices. Le bourg, cependant, était alors
très dissipé. On restaura un ancien calvaire construit du temps du Bienheureux
de Montfort, et ont y mit une nouvelle croix. La croix, plantée par le
serviteur de Dieu, fut réparée et placée à l’extrémité de la grande rue.
Deux missions terminèrent l’année 1773, à
Saint-Aubin-Baubigné et à la Gaubretière. Elles furent parfaitement suivies. À
Saint-Aubin, les Dames du château donnaient l’exemple à tous. À la Gaubretière,
le mauvais temps n’arrêta point l’élan des habitants, mais ralentit un peu le
concours des étrangers. C’était Monsieur Moreau, curé des Epesses et prieur de
la Gaubretière, qui faisait donner cette mission, auprès de laquelle Monsieur
le curé de la paroisse contribua, aussi, largement.
CHAPITRE VII
Travaux
des Pères de la Compagnie de Marie depuis le commencement de 1774 jusqu’en
1779.
Dans les premiers mois de 1774, on prêcha cinq
missions : à Bazoges-en-Pareds, au Pellerin, au Bois-de-Céné, à Sucé et
Saint-Méloir. C’est sur les rives de l’Arcançon, qui arrose la fertile plaine
du Bas-Poitou, qu’avait été édifiée la bourgade de Pareds ; elle devint le
siège d’un archiprêtré, lors le de l’établissement des premières subdivisions
ecclésiastiques. Cette localité, descendue depuis à l’état de simple village de
la paroisse de la Jaudonnière, a continué à imposer son nom à différents lieux,
tels que Bazoges-en-Pareds, Mouilleron-en-Pareds, Saint-Sulpice-en-Pareds,
Chavognes-en-Pareds, témoignage irrécusable de son ancienne suprématie. À Bazoges-en-Pareds,
la mission ne pouvait avoir un meilleur résultat. Le peuple se montra assidu,
attentif et parfaitement disposé. Le mauvais temps n’empêcha pas les étrangers
d’affluer.
Au Pellerin, la mission fut fervente : c’était la
quatrième fois que les Pères de Saint-Laurent y venaient en 32 ans : le
bien, qu’ils avaient accompli, entretenu par d’excellents prêtres, ne pouvait
manquer de porter ses fruits. Aussi, les missionnaires notent-ils avec joie que
le peuple paraissait de plus en plus vertueux et fidèle aux pratiques de la vie
chrétienne.
Au Bois-de-Céné, la mission réussit, malgré la vive
opposition des religieux Camaldules qui occupaient alors l’Ile-Chauvet.
L’abbaye de l’Ile-Chauvet, fondée selon les uns, par Charles le Chauve, et plus
probablement, selon d’autres, par les moines de l’Absie et les seigneurs de la
Garnache, était primitivement de l’ordre de Saint Benoît. Les religieux,
d’ordinaire au nombre de sept ou huit, avaient sous leur dépendance le prieuré
régulier de la Jarrie-Vieille-Seigle, dans la paroisse de Landevieille. L’abbé
nommait aussi à trois chapelles régulières desservies, dans l’église de cette
paroisse, sous les noms de St Julien, St Antoine et Saint-Sébastien, ainsi qu’à
une autre chapellerie nommée Sainte-Catherine. Claude du Puy-du-Fou devint, en
1569, le premier commandataire de l’Ile-Chauvet. En 1588, à l’époque des
guerres civiles, l’abbé Nicolas Girard fut témoin du sac de son abbaye par les
capitaines calvinistes de bourg et de Granville. Les Bénédictins finirent par
se retirer, et furent remplacés par les Camaldules, dans le premier supérieur,
Placide Aubert, paraît en 1680. Le dernier abbé titulaire de l’Ile-Chauvet,
2774 à 1789, fut Monsieur de Cacqueray, vicaire général d’Angers. Le dernier
prieur ou supérieur a été Arsène Cochois ; il a laissé une notice sur l’abbaye
; c’est lui qui la gouvernait au moment où les enfants de Montfort donnèrent la
mission du Bois-de-Céné, en 1774. Les missionnaires furent obligés de combattre
les dangereuses doctrines, répandues dans le pays par les Camaldules, qui
étaient de chauds jansénistes : ils avaient heureusement l’appui du digne curé qui s’était chargé lui-même de
tous les frais.
À Sucé, dans le diocèse de Nantes, le peuple fut
attentif à la parole de Dieu et docile à la voix de son digne pasteur. À St
Méloir, dans le diocèse actuel de Rennes, le succès fut consolant. Le peuple
paraissait cependant difficile à conduire, et la tempérance n’était pas sa
vertu favorite.
Parmi les retraites, prêchées en été, signalons celle
des Bénédictines de Dol ; elle était bien nécessaire dans une maison où les
règles de la pauvreté religieuse n’étaient point observées. On n’y connaissait
point le commun, et chaque religieuse en dépit de ses vœux vivait en
propriétaire. L’évêque de Dol, Monseigneur Urbain René de Hercé, apôtre et père
de son troupeau, (fusillé plus tard à Vannes parmi les émigrés de Quiberon)
promis de remédier au mal et de soutenir les instructions du prédicateur, le
Père Javeleau.
Savenay fut ensuite évangélisé : c’était la quatrième
fois dans l’espace de 30 ans. Les premières missions avaient été médiocres en
apparence ; mais la semence, jetée en terre ne laissait pas de germer et elle
devait produire en abondance. En 1774, la mission fut excellente pour Savenay,
comme pour toutes les paroisses voisines. À Savenay et à Bouée, on eut dit un
autre peuple. Les bourgeois et les dames de la ville donnaient l’exemple de
l’assiduité aux exercices et édifiaient de toute manière. Ce fut une grande
joie pour le digne curé et pour les missionnaires. Les religieuses
contribuèrent généreusement à fournir tout ce qui était nécessaire pour le
matériel. Les Cordeliers, chez lesquels se faisait le catéchisme, se montrèrent
également heureux de rendre tous les services possibles. Le clergé accourait de
tous côtés et prêtait son concours empressé et assidu, de concert avec tous les
ecclésiastiques de la ville. Les cérémonies se firent avec une magnificence et
une pompe extraordinaire.
À Longèves et à Chantonnay, dans le diocèse de Luçon,
le résultat fut très consolant, bien que ces deux paroisses ne parussent pas
très pieuses. La mission de Chantonnay fut donnée en grande partie aux frais de
Madame de la Chauvinière. Un idolâtre d’environ 20 ans y reçut le saint Baptême.
On transporta solennellement au calvaire, érigé en 1764, une statue de la Sainte
Vierge.
Le jour même de Noël, s’ouvrit, à Notre-Dame de Niort,
une mission qui se termina le 3 février. Elle fut parfaitement suivie. On y
accourait nombreux, mais en bandes parfois bruyantes. Tous les prêtres de la
ville, réguliers et séculiers, confessèrent constamment : ce qui empêcha les
missionnaires d’être accablés par la besogne. On crut devoir s’élever contre la
Franc-Maçonnerie ; cela échauffa la bile des Francs-Maçons qui firent du bruit
pendant quelques jours, mais finirent par se calmer. Les missionnaires étaient
logés à l’hôpital général, situé en dehors de la ville est un peu loin de
l’église, ce qui n’allait pas sans inconvénient. Les chemins étaient mauvais et
les portes de la ville ne s’ouvraient qu’à une heure tardive le matin.
Le 12 février 1775, les Pères Besnard Javeleau
Hacquet, Renault, Supiot, Hervé, Urien Gaultier et Dauche commencèrent, à
Saint-Clément de Nantes une mission qui fut close le 23 mars. Ils furent aidés,
dans leur travail, par Messieurs Alno et Dupin. Les Pères logeaient chez les
Sulpiciens de Saint-Clément, et prenaient leurs repas chez le curé de la
paroisse. Cette mission produisit des fruits au-delà de toute espérance ; la
croix et le calvaire, laissés en souvenir, étaient superbes.
Peu de jours après, le 1er avril, Nantes
avait la douleur de perdre un de ses plus saints évêques, Monseigneur Mauclerc
de la Muzanchère, qui n’eut pour ennemis que les jansénistes. Né au diocèse de
Luçon, il avait connu de bonheur les Pères de Saint-Laurent, et, partageant
leurs luttes contre les idées hétérodoxes, il s’était montré, de tout temps,
leur protecteur dévoué.
À Saint-Mars-la-Jaille, la mission fut parfaitement
suivie par les habitants du lieu et par les étrangers. Les Pères font le plus
bel éloge du prêtre qui dirigeait alors la paroisse. Ce vénérable pasteur resta
caché dans le pays pendant la Révolution. Un jour, un de ses neveux, accompagné
de deux amis, vint le visiter dans sa retraite. Le vieillard, apercevant de
loin ces trois hommes, les pris pour des émissaires qui venaient s’emparer de
lui. Pour s’échapper à leur poursuite, il courut se jeter au milieu d’épaisses
broussailles. Dans cette fuite précipitée, il s’infligea des piqûres dont les
suites furent mortelles.
À Saint-Étienne de Montluc, les travaux des Pères furent
couronnés d’un plein succès. Il en fut de même à Trémentines où le peuple fut
plus souple et plus docile qu’à la mission de 1751. Le bourg était cependant
dissipé. La paroisse était gouvernée, à cette époque, par un homme de talent et
de piété, ami dévoué des communautés de Saint-Laurent.
Le Loroux-Bottereau, du diocèse de Nantes, fut ensuite
évangélisé, avec un succès merveilleux par neuf missionnaires. La population ne
pouvait être plus docile et plus assidue. Des démêlés, survenus entre Monsieur
le curé et Monsieur Rousseau, chapelain, à propos de leurs droits respectifs,
causaient quelques désaccords dans le troupeau ; cependant, la mission n’en fut
pas moins excellente pour la paroisse et pour les étrangers. Tous les frais
étaient soldés par la générosité d’une demoiselle Merlet. À Saint Herblon, le
succès fut consolant, bien que le peuple ne parût pas facile à mener.
L’année 1776 s’ouvrit par une mission à Sainte-Croix
de Nantes par les Pères Besnard, Javeleau, Hacquet, Renault, Supiot, Hervé,
Urien, Dauche et Morel. Ils avaient pour collaborateur le Père Beurier,
eudistes, Monsieur Guillou de La Rochelle, un prêtre du mont Valérien de Paris
et Messieurs Alno et Bouvet. Monsieur le curé, d’ailleurs plein d’intelligence
et de zèle, avait cru devoir garder le silence sur la mission projetée. Les
paroissiens, extrêmement froissés de ce silence, qu’ils considéraient comme un
manque de confiance, se mirent en opposition ouverte. Ils refusèrent les
ornements, les cierges, les chandeliers, même le son des cloches. Il ne fut
possible d’avoir ni calvaire, ni croix. Par surcroît de malchance, le supérieur
de la mission, le Révérend Père Besnard, tomba gravement malade et fut obligé
de se retirer. Le Père Beurier se chargea, à sa place, de la conférence du
soir. Le nouvel évêque de Nantes, Monseigneur de Sarra, présida la cérémonie
d’ouverture et de clôture. La mission, bien que défavorablement accueillie par
les notables, ne laissa pas de faire du bien aux personnes du peuple.
À Saint-Jouin-sous-Châtillon, six Pères firent une
mission aussi fervente que celle de 1743. Les chanoines seuls firent de
l’opposition, comme ils en avaient fait 33 ans auparavant. La Verrie et Doix,
évangélisés ensuite, profitèrent admirablement de la grâce.
À Mauvet et à Joué, les Pères avaient pour
collaborateurs Messieurs Alno, Bouvet et Villeloys, de Saint-Clément, Monsieur
de Mélient, chanoine de la cathédrale, et Monsieur Bédard, vicaire de Cambon.
Ces deux missions furent excellentes. À la Chevrolière, où le succès fut
beaucoup plus consolant qu’en 1759, Messieurs Alno, Bouvet et Villeloys
travaillaient encore avec les Pères ainsi que Monsieur Picard, vicaire de
Saint-Clément de Nantes.
Chambretaud, dans le diocèse de Luçon, fut évangélisé
du 18 août au 5 septembre. Cette courte mission, dans une saison en apparence
peu favorable, eut cependant les meilleurs résultats. On s’adressait, il est
vrai, à une population éminemment chrétienne, qui se montra avide de recueillir
la manne de la divine parole. On y vit beaucoup d’étrangers. À Notre-Dame-de-Vihiers,
du diocèse d’Angers, mais alors relevant de La Rochelle, la mission fut aussi
fervente que possible, bien qu’elle fut ouvertement contredite par le curé du
Château qui ne partageait pas les idées de son confrère de Notre-Dame.
À la fin d’octobre, dix missionnaires, les Pères Javeleau,
Hacquet, Renault, Supiot, Hervé, Micquignon, Urien, Gaultier, Dauche et Pinaud
se rendirent à Saint-Nazaire, où la mission ne fut pas moins édifiante que
celle de 1752. Elle procura même aux ouvriers évangéliques plus de
consolations, car les principaux bourgeois, qui avaient fait de l’opposition la
première fois, furent très favorables. En 1776, les Pères n’eurent aucun
reproche à adresser à l’excellent curé, qui, cédant à son bon cœur, faisait des
dépenses excessives. Tout le clergé de Saint-Nazaire se montra dévoué aux
missionnaires. La mission était due aux libéralités et au zèle de Monsieur
Richard, supérieur du séminaire d’Issy et prieur du dit lieu. À Saint-André-des-Eaux,
la mission rappela, par sa ferveur, celle de 1748.
Sept paroisses ont été évangélisées pendant l’année
1777 : Nozay, Sion, la Tessouale, Sainte-Lumine-de-Clisson, Beaulieu, La Ronde et
Allonne. Nozay et Sion, dans le diocèse de Nantes, profitèrent parfaitement de la
grâce. À Nozay, la mission était donnée par les soins de Monsieur le vicaire,
en l’absence du curé, retiré dans sa famille pour cause de maladie. Monsieur de
Cornulier offrit aux Pères, dans son château, une généreuse et douce
hospitalité. On trouva la paroisse de Sion pauvre matériellement et
spirituellement ; heureusement que, depuis quelque temps, elle avait à sa tête
deux excellent prêtres dont le zèle n’était pas demeuré stérile. Vu l’indigence
générale, on renonça à ériger une croix et un calvaire.
À la Tessouale, la mission fut aussi fervente que
celle de 1743. Le peuple montra le même zèle et la même ardeur. Le prieur, un
chanoine régulier, fit preuve de la même générosité que son prédécesseur
d’autrefois, et se chargeant d’une grande partie des frais. Son vicaire,
marchant sur ses traces voulut aussi contribuer pour sa part. À St Lumine, dans
le diocèse de Nantes, et à Beaulieu, dans celui de Luçon, les populations se
montrèrent animées des meilleures dispositions. La mission de Beaulieu se donnait
en partie par la libéralité de Madame de la Maronnière des Forges.
La mission de La Ronde fut parfaitement suivie par une
excellente population qui avait à sa tête un prêtre très zélé. À Allonne, la
mission, donnée au frais et par les soins du prieur du lieu et de celui de
Secondigny, eut un succès consolant ; mais elle aurait peut-être produit plus
de fruits encore, s’il n’y avait pas eu tant de confesseurs étrangers.
Les missions de 1778 furent celles de Taugon-la-Ronde,
la Chapelle-Palluau, Soudan, Marsac, Vertou, Montfaucon et
Saint-Hilaire-du-Bois. À Taugon-la-Ronde, la mission fut bonne, et à la
Chapelle-Palluau, elle fut plus consolante encore. Cette dernière était due en
grande partie, à la générosité des demoiselles Lancier. À Soudan, le résultat
fut médiocre malgré le zèle de l’excellent curé, Madame de Bonamour faisait
tous les frais. Les missionnaires notent, dans leur compte rendu, que la
fainéantise et l’ivrognerie, avec la pauvreté sordide qui en est la suite,
dégradait ce peuple et le désaffectionnaient des intérêts surnaturels.
Les habitants de Marsac montrèrent des dispositions
bien différentes. Ils suivirent avec entrain la mission qui produisit tout le
bien désirable. Il en fut de même à Vertou, qui voyait les Pères de
Saint-Laurent pour la quatrième fois. Cependant, il faut le dire, Monsieur le
curé et ses deux vicaires se montrèrent peu favorables ; tandis que les
bénédictins qui avaient fait de l’opposition les autres fois, se mirent en très
bons rapports avec les missionnaires et assistèrent assidûment à tous les
exercices, excepté à la procession de la Fête-Dieu. Messieurs Alno et Bouvet travaillèrent
à la mission de Vertou.
Ils accompagnèrent également les Pères à Montfaucon,
où les exercices furent suivis avec un zèle admirable par les habitants du lieu
et par toutes les paroisses voisines. À Saint-Hilaire-du-Bois, au diocèse
d’Angers, la mission fut fervente. Cependant une maladie grave, qui désolait
tout le pays, ôta quelque chose à la joie et à l’entrain des religieux
habitants.
Du 7 février au 19 mars 1779, les Pères Javeleau,
Hacquet, Renault, Supiot, Hervé, Micquignon, Urien, Dauche et Pineau prêchèrent
à Herbignac, au diocèse de Nantes, où la mission eut les meilleurs résultats.
On y commença alors la construction d’une chapelle sous le titre de Notre-Dame
de la Miséricorde. À Pénestin, alors du diocèse de Nantes, maintenant de celui
de Vannes, tous les exercices furent parfaitement suivis. Pénestin, d’abord
annexe d’Assérac, venait d’être érigé en paroisse ; un chanoine de Nantes,
Monsieur Duchesne, avait fait un bien considérable à cette localité.
Trois autres missions furent encore prêchées dans le
diocèse de Nantes, avant les vacances de 1779 : à Saint-Sébastien, à Vue et à
Saint-Hilaire-du-Bois. À Saint-Sébastien, le succès fut médiocre. Cependant la
campagne montra de la bonne volonté. Les habitants de Nantes, particulièrement
ceux de Pont-Rousseau, se rendaient aux exercices, beaucoup plus par curiosité
et distraction que par dévotion et y causaient du trouble. On planta trois
croix sur différents points de la paroisse.
La mission de Vue fut bonne pour la paroisse et pour
les étrangers. Messieurs les curés du lieu du voisinage, qui étaient en
désaccord avec leur évêque, ne parurent pas d’abord favorables ; mais ils
changèrent bientôt de sentiments, quand ils virent que les missionnaires
s’occupaient du bien des âmes et nullement de leurs démêlés avec l’autorité.
Depuis 30 ans, Vue avait eu à sa tête onze curés pourvue. Ces changements
fréquents étaient loin de faire du bien aux troupeaux. La paroisse de
Saint-Hilaire-du-Bois était plus fortunée sous ce rapport. Elle était encore
dirigée par le digne prêtre qui avait fait donner la mission en 1769. Il
pourvut lui-même à toutes les dépenses de ces deux missions qui furent admirablement
suivies par une population solidement chrétienne.
Pendant les vacances, on donna des retraites au
collège de Beaupréau, à celui de Château-Gontier, au Bon Pasteur d’Angers, à
l’hôpital de Niort et enfin aux Ursulines de Guérande. Pendant la retraite du
collège de Beaupréau, on travaillait à de nouvelles constructions, ce qui fut un
sujet de dissipation pour les élèves.
Les enfants de Montfort continuèrent à prêcher jusqu’à
ce qu’il leur fut interdit de monter dans les chaires chrétiennes ; mais, comme
on l’a dit ailleurs, les relations de ses missions n’ont point été conservées ;
une partie des annales de la Congrégation ayant péri pendant la tourmente
révolutionnaire. Nous savons cependant que des missions furent prêchées en 1780,
à Oudon et Saint-Jacques de Clisson, à Cambon, à Machecoul, au Beignon, et à
l’Hermenault. Rezé, Bourgneuf, Malestroit, Rochefort-en-Terre, Besné, eurent
également des missions, en 1781. On sait aussi que des exercices furent donnés,
en 1789, à Couffé et à Nort. Si la liste de tous les travaux des Pères de la
Compagnie de Marie n’est pas parvenue jusqu’à nous, nous avons au moins
l’assurance que rien n’a échappé aux regards de Dieu.
CHAPITRE VIII
Lettres
patentes obtenues du roi Louis XV, malgré de violentes et injustes oppositions.
– Visite de Monseigneur de Coussol, évêque de La Rochelle. – Achat de terrains,
de maisons et constructions nouvelles sous le généralat du Révérend Père
Besnard. – Arrivée de plusieurs missionnaires. – Mort du supérieur général.
Deux fois le Révérend Père Audubon avait fait le
voyage de Paris, dans le dessein d’obtenir du roi des lettres patentes, qui
devait donner à ses communautés une existence légale, et il n’avait réussi qu’à
préparer les voies pour la solution de cette affaire importante. Dès l’année
qui suivit son élection, le Révérend Père Besnard avait entreprit le même
voyage, mais sans aucun résultat définitif. En 1771, de nouvelles instances
furent faites auprès du gouvernement ; la demande adressée au roi était accompagnée
de recommandations écrites des évêques de La Rochelle, de Nantes, de Vannes, de
Rennes, de dol, de Saint-Malo, d’Angoulême, de Saintes et de Poitiers et de
plusieurs autres personnages importants, soit civils, soit militaires. Cette
demande, si bien appuyée, devait avoir son effet, mais seulement deux ans plus
tard.
Les congrégations de Saint-Laurent avaient des
protecteurs nombreux et puissants ; mais elles trouvaient aussi une opposition
violente chez des hommes qui avaient embrassé les funestes erreurs du jour.
Cette opposition était d’autant plus redoutable qu’elle agissait dans l’ombre.
C’était le temps où jansénistes et incrédules unissaient leurs efforts contre
les Jésuites et contre tous ceux qui partageaient leurs idées religieuses,
lesquelles n’étaient autres que celles de l’Église catholique. Tous les moyens
furent employés non seulement pour empêcher des communautés de Saint-Laurent
d’obtenir des lettres-patentes ou l’enregistrement de ces lettres, mais encore
pour anéantir les communautés elles-mêmes. La Compagnie de Jésus ayant été
proscrite de France vers cette époque, il semblait qu’il n’était pas difficile
de faire disparaître des Congrégations qui étaient bien loin d’avoir la même
solidité.
Malgré une ardente et continuelle opposition, les
lettres-patentes furent obtenues au mois de mars 1773. Cette défaite des
ennemis de la famille religieuse du Bienheureux de Montfort ne fit que les
exaspérer. Un mémoire calomnieux fut adressé par Monsieur Boutillier de St
André, sénéchal de Mortagne-sur-Sèvre, à Monsieur Joly de Fleury, procureur
général au Parlement de Paris. Lors de la présentation des lettres-patentes à
l’enregistrement, ce même mémoire fut envoyé à Monsieur Vincent, lieutenant
particulier et assesseur civil du présidial de Poitiers. Une copie de ce
mémoire fut expédiée au Révérend Père Besnard par Monsieur de Beauregard,
subdélégué de l’intendant de Poitiers, qui engageait le Supérieur Général à
réfuter, article par article, toutes les faussetés accumulées dans cet écrit.
La réfutation en fut faite avec beaucoup de modération, de sagesse et de
prudence.
Entre-temps, on agissait auprès du duc de Villeroy,
seigneur de Mortagne-sur-Sèvre, et auprès d’autres personnages influents, pour
empêcher l’enregistrement des lettres-patentes. Le duc de Villeroy était sur le
point de céder, au Marquis de la Tremblaye, la baronie de Mortagne, dont
dépendait Saint-Laurent-sur-Sèvre. Le frère du marquis, chaud partisan du
jansénisme, écrivit au duc, le 20 juillet 1773, pour le prier d’appuyer de tout
son pouvoir, auprès du Parlement, le mémoire du sénéchal de Mortagne. Il
terminait ainsi sa lettre : « Je ne demande que du temps, et me charge de tout après
l’acquisition. En renonçant à Mortagne, il sera beau, Monsieur le duc, d’en
être encore le bienfaiteur ». Ainsi Monsieur le chevalier de la Tremblaye se
figurait que, dès que son frère aurait acquis la baronie de Mortagne, c’en
serait fait des communautés de Saint-Laurent.
Non content de s’adresser à Monsieur le duc de
Villeroy, il écrivit encore à Monsieur Filleau, procureur général au conseil
supérieur de Poitiers, une lettre que nous croyons devoir citer :
« Monsieur,
« Je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous, mais les
devoirs importants que vous remplissez, avec l’estime et la considération
générale et mon amour pour l’humanité, son mes titres auprès de vous.
« Nous sommes menacés de l’établissement d’une société
de missionnaires dans le bourg de Saint-Laurent-sur-Sèvre, dépendant de la
baronie de Mortagne, que mon frère, actuellement absent du royaume, est sur le
point d’acheter du duc de Villeroy. On m’annonce que les lettres-patentes sont
déjà obtenues, et qu’ils disent hautement être assurés de l’enregistrement au
conseil supérieur de Poitiers. Si l’acquisition de cette terre était consommée,
et si les lois nous fournissaient des armes contre ce funeste établissement,
nous nous y opposerions de tout notre pouvoir.
« Nous vous porterions, Monsieur, le cri de tous les
honnêtes gens contre cette société digne assurément de toute votre attention.
Nous vous peindrions tous les dangers du fanatisme et de la superstition dont
la maison de ces prêtres est devenue l’asile et le foyer. Nous vous
dévoilerions l’imbécillité du peuple qui, de 20 lieues à la ronde, où
ces énergumènes vont répandre leurs principes jésuitiques, apporte à
leurs pieds le denier de la veuve et de l’orphelin.
« Les traits les moins affligeants du tableau que nous
mettrions sous vos yeux seraient l’extinction totale de la faible lueur de
raison qui nous reste dans ce coin de terre ; je ne sais quelles idées sombres
et sinistres que ces organes de la superstition jettent dans l’esprit même
de ceux qui ne se croient pas peuple ; enfin, les cultivateurs changés par
eux en vraies bêtes de somme, et tous les effets du despotisme religieux sur la
stupidité.
« Ce n’est pas à vous, Monsieur, qu’il serait besoin
d’en dire davantage et de montrer, dans l’avenir, qui ne peut se dérober à l’homme
de génie, les conséquences d’un semblable établissement. Mais nous ne
sommes que de simples particuliers dans les circonstances présentes ; et, bien
éloignés du rôle infâme de délateurs, nous devons nous borner à former des vœux
pour que des Prothées, qui ne manqueront pas de prendre, à vos yeux, la seule
forme qui puisse vous séduire, ne parviennent pas cependant à suspendre vos
vertus.
Signé : LE CHEVALIER DE LA TREMBLAYE.
Cette diatribe, qui n’articule aucun fait précis, loin
d’incriminer les missionnaires, fait plutôt leur éloge. On y voit que de 20
lieues à la ronde le peuple vient les trouver. N’est-ce pas dire que ces
prêtres ont l’estime et la confiance des populations qui les entourent ? Ce
n’est pas sur le peuple seulement qu’ils exercent une grande influence, mais
encore sur ceux qui ne se croient pas peuple. Donc, les hommes
intelligents, instruits, haut placés dans la société, approuvent ainsi leur
conduite et leurs enseignements. Les missionnaires de Saint-Laurent répandent
autour d’eux les principes jésuitiques. Il était alors de bon temps de
décrier les Jésuites, de leur imputer sans preuve des délits monstrueux, et,
sous couleur de rendre la paix à la chrétienté, on réclamait leur suppression :
ce n’était là qu’un stratagème pour atteindre l’Église elle-même dont
l’institut de Saint Ignace était l’un des plus fermes remparts. C’est un éloge,
pour le zèle et la doctrine de l’humble milice de Montfort d’avoir était
associée aux Jésuites dans la haine des ennemis de la Sainte Église, les impies
et les hérétiques.
Toute cette opposition furibonde échoua complètement.
Les lettres-patentes furent enregistrées au Parlement de Paris, le 11 août,
1773, et au conseil supérieur de Poitiers, le 24 décembre suivant. Il semble
que l’opposition devait dès lors désarmer ; il n’en fut rien ; on ne désespéra
pas de faire revenir le roi et les parlements sur leurs décisions. On s’évertua
à prouver que les lettres-patentes avaient été extorquées par la fraude ; que toutes
les conditions exigées pour leur enregistrement n’avaient pas été remplies ;
que, par suite, les communautés de Saint-Laurent ne pouvaient revendiquer une
existence légale ; que d’ailleurs ces communautés étaient inutiles, même
nuisibles et devaient être proscrites.
C’est la thèse soutenue dans un mémoire qui parut en
1777. Ce n’était qu’un tissu de faussetés ridicules de calomnies grossières
puisées pour la plupart dans le mémoire de 1773. L’auteur, qui appartenait à un
ordre religieux, avait embrassé avec ardeur les errements jansénistes. Ce qui
avait surtout le don d’exciter sa haine, c’était de voir que les missionnaires
de Saint-Laurent partageaient les idées des Jésuites qu’il abhorrait et dont la
suppression, par un bref de 1773, lui avait causé quelques joies.
Comme ce mémoire renferme la lettre de Monsieur le
chevalier de la Tremblaye ; qu’on y trouve les mêmes idées et souvent les mêmes
expressions ; qu’on y fait un pompeux éloge de ce seigneur que l’on dit être bien
connu par ses rares qualités du cœur et de l’esprit, on est incliné à
croire que le mémoire et la lettre, viennent à peu près de la même source.
Le mémoire de 1773, pourrait bien aussi être un frère
de celui de 1777, tant ils se ressemblent. Il n’est pas invraisemblable que des
hommes, ayant les mêmes idées, dominés par les mêmes passions, habitant à peu
près le même lieu, se soient concertés pour une attaque de ce genre. Quoi qu’il
en soit, voici comment le mémoire de 1777 parle tout d’abord de l’établissement
de Saint-Laurent.
« Cet établissement a subsisté sous trois supérieurs
généraux, pendant plus de 50 ans, sans avoir d’existence légale. Recherché plusieurs
fois, il s’est toujours soustrait à des poursuites d’un certain genre. Sans
biens-fonds et sans richesses apparentes, il était regardé sans envie et même
sans conséquence. La charité des Filles de la Sagesse, l’humilité première des
missionnaires, et surtout ce zèle religieux à la portée du peuple et qui
l’attire, donnaient à cet établissement un grand nombre de partisans parmi ceux
mêmes qui ne se croient pas peuple. Mais le vrai chrétien, le vrai dévot l’a
toujours vu comme l’asile et le foyer de la superstition ; et le sage, dont,
l’œil attentif se fixe sur tout ce qui peut être avantageux ou nuisible à ses
semblables ; les hommes, a prononcé dès longtemps que si ce nouvel Institut n’était
arrêté dans sa course, il causerait autant de mots que la société dont il
s’efforce de suivre les traces ».
Parlant de l’autorité du supérieur général des
communautés, dont il voudrait voir la suppression l’auteur dit qu’il veut bien
croire que les Constitutions n’exigent pas en droit le despotisme du supérieur,
mais il ajoute : « Cette maxime jésuitique existe pourtant dans le fait, et il
est certain que la volonté du supérieur fait la loi unique ; que, semblables
aux jésuites, les missionnaires n’ont point de régime ; que les sujets sont
dans les mains du supérieur comme un bâton dans celle du vieillard, et qui leur
fait entreprendre tout ce qu’il veut ».
On voit que le mémoire voudrait envelopper dans une
même proscription et les Jésuites et les Missionnaires de la Compagnie de
Marie. Heureusement pour ceux-ci, ils trouvent à se consoler de la haine de
quelques-uns par l’estime dont les honorent les neuf évêques, qui les ont
recommandés au roi, et par l’affection que leur témoignent le peuple de
vingt lieues à la ronde et ceux même qui ne se croient pas peuple.
Ils trouvent encore un autre sujet de consolation dans
l’estime et l’affection de Messieurs les curés qui de toutes parts les
appellent dans leurs paroisses pour y donner des missions. Aussi, c’est avec
l’accent du désespoir, que l’auteur du mémoire de 1777 s’écrit, après avoir
cherché à prouver que les missions causent une grande perte de temps et
d’argent : « Par quelle fatalité donc, Messieurs les curés, qui ont des
lumières principalement en Poitou, qui sont magistrats et pasteurs tout
ensemble, à qui l’Église et l’État confient les plus chers intérêts, par quelle
fatalité, dis-je, se déterminent-ils à appeler ces prêtres, vraies sangsues, et
à faire entendre à leur brebis une voix qui n’est pas celle du pasteur !
Comment ne sentent-ils pas que ces missions interceptent cette confiance si
désirée, si nécessaire, qui les honore et qui est le plus grand avantage de
leur ministère ? Si par défaut de santé, ou trop peu de confiance dans leurs
propres forces, ils veulent, par des moyens extérieurs, renouveler la ferveur
et ranimer le zèle de leurs paroissiens, n’ont-ils pas des curés, leurs
confrères, des vicaires, dans l’étendue de leurs conférences, dont ils
connaissent les sentiments et les lumières, qui pourraient remplir cet emploi,
et pour qui ils le rempliraient à leur tour ? Mais non, c’est une fantaisie
dont il faut se passer, avec des dépenses qui seraient faites plus à propos
pour le soulagement de leurs pauvres ».
Voilà comment les enfants de Montfort trouvaient à
leur tour des oppositions au bien, et même des persécutions violentes qui
tendaient à la ruine de leur société ; mais rien une découragea leur zèle, rien
n’éteignit leur charité même à l’égard de leurs ennemis les plus acharnés.
En 1782, ils avaient le bonheur de recevoir la visite
de Monseigneur de Crussol, évêque de La Rochelle, qui venait bénir la chapelle,
nouvellement construite à la communauté de la Sagesse. Le prélat était à l’Hermenault,
quand les Pères Micquignon et Urien allèrent l’inviter, au nom du supérieur
général, à faire cette cérémonie. Il y consentit très volontiers. Le vendredi,
4 octobre, il arrivait à Saint-Laurent et descendit chez les missionnaires qui
le reçurent, avec la joie la plus vive, dans leur humble maison. Le lendemain,
il visita la communauté de la Sagesse, examina la chapelle, les ornements et
tout ce qui pouvait être employé au service divin et trouva que tout dépassait
ses espérances. Le dimanche, à huit heures, il bénit solennellement la chapelle
et officia pontificalement. Le soir, il chanta les vêpres et donna la
bénédiction du Saint-Sacrement dans l’église paroissiale, puis il revint à la
communauté de la Sagesse, afin d’y bénir une cloche qui eut pour parrain
Monsieur Sapinaud de Bois-Huguet et pour marraine Madame Duvau de Chavagnes.
Pendant sa visite à Saint-Laurent, le prélat engagea
le Révérend Père Besnard à construire une maison et une chapelle pour les
missionnaires qui n’avaient pas une demeure convenable. Il fixa lui-même
l’emplacement de cette maison qui ne tarda pas à être construite. C’est celle
encore occupée par les missionnaires de la Compagnie de Marie.
Presque tout le terrain compris entre cette maison et la
rue, qui conduit de l’église paroissiale à l’établissement actuel de
Saint-Gabriel, a été acquis avant la Révolution. Plusieurs maisons de peu de
valeur longeaient cette rue et celle qui monte de l’église au cimetière.
Derrière ces habitations étaient situés des jardins ou des prés de très faible
étendue, appartenant à divers propriétaires, et séparés seulement par des
fossés et des buissons. Cet ensemble de terrains s’appelait les Sablées ou
les Sablières. C’est ce qui compose aujourd’hui le grand jardin de la
Communauté du Saint-Esprit. C’est le Révérend Père Besnard qui a acheté à peu
près toute ces maisons et tous ces divers terrains des familles Fonteny,
Prisset, Thibault, Charenton, Grolleau, Poirier, Retailleau et Gilbert.
Il n’avait trouvé que la Maison Longue, avec
une cour et un petit jardin, et une autre maison, située en face de l’église,
et bâtie par les Pères dans les premières années de leur résidence à
Saint-Laurent. Dans la partie de cette dernière maison, la plus rapprochée de
l’église, était la première chapelle bâtie en 1723 ; elle existait encore il y
a quelques années, mais a été affectée depuis à un magasin d’objets pieux.
Depuis la Révolution, l’enclos du Saint-Esprit s’est accru encore par suite de
nouveaux achats ou par des échanges. On a eu à traiter avec les familles
Grolleau, Lhomédé, Chaillou, Poirier, Ferchaud, Charrier et Amiot et avec la le
conseil municipal.
Un des plus grands sujets de joie pour le Révérend
Père Besnard était voir arriver de nouveaux renforts. Le Père Tobie signait, en
qualité de prêtres missionnaires, l’acte mortuaire de la Mère Marie-Louise de
Jésus en 1759 ; il était entré, dans la Compagnie l’année précédente, après
avoir été vicaire à Crossac, Il ne fait que passer dans la Congrégation, où il
a laissé le souvenir de son nom et de ses vertus. Le Père Magnier arriva à
Saint-Laurent, en 1768, en même temps que le Père Micquignon. Il paraît à la
mission de Vieillevigne, en novembre de cette même année, puis, l’année
suivante, à celles du Gué-de-Velluire, du Château et de Saint Georges d’Oléron.
Le Père Urien, paraît pour la première fois, à une
retraite donnée aux Vierges de Saint-Laurent, dans leur oratoire, au mois
d’octobre 1769. Il était né à Miniac en Bretagne. Ce fut le missionnaire plein
de talent, de zèle et de piété. On le voit à presque toutes les missions
jusqu’en 1779. Il fut pendant quelque temps aumônier à Saint-Louis de La
Rochelle. C’est lui qui signa le dernier sur le registre de cet hôpital, le 1er
juin 1792. Après avoir fait pendant 38 ans, l’ornement et l’édification de la
Compagnie, il mourut à Saint-Laurent, le 5 février 1806, laissant une grande
réputation de sainteté ; sa mémoire est restée en vénération dans les
communautés auxquelles il a rendu les plus signalés services. Pendant la
révolution, il se montra un intrépide confesseur de la foi.
En 1770, arriva Monsieur Guillou, de La Rochelle, qui
ne se lia jamais à la Compagnie. Ordinairement il alla prêcher seul où on
l’appelait. Il était nécessaire de l’abandonner à ses idées et à ses plans, à
sa façon d’agir et de faire le bien. C’était un saint, mais un saint aux
manières singulières et originales. Son genre de vie ne pouvait être adopté de
tous. Il poussait la mortification jusqu’à une sorte d’excès. Il finit par
s’éloigner de Saint-Laurent. Après la Révolution, il y revint plusieurs fois et
travailla aux retraites annuelles des Sœurs, qui avaient une grande confiance
dans sa vertu. Il mourut à Paris, presque aveugle, relégué dans un galetas, par
amour de la pauvreté et de la mortification.
Les Pères Blouin et Gaultier arrivèrent en 1773. Le
premier était de la Jumellière, au diocèse d’Angers ; le second de Rennes. Le
Père Blouin fit sa première mission à la Gaubretière. Il fut presque toujours
occupé à Saint-Laurent. Il mourut à Saint-Laud d’Angers le 9 août 1824. Le Père
Gaultier se livra avec ardeur et succès à l’œuvre des missions jusqu’en 1786. À
cette époque il fut placé à l’hôpital de La Rochelle, où on le voit encore à la
fin de mai 1791 l’orage qui grondait sur la France l’obligea sans doute à se
retirer dans son pays, d’où il ne revint pas.
Du 21 juin 1775, au 24 août 1781, on voit figurer le
nom du Père Morel sur les registres de l’hôpital de La Rochelle. Ce Père qui
est mort à Saint-Laurent, n’a donné que trois missions, au Loroux Bottereau, à
Saint Herblon et à Sainte-Croix de Nantes. Le Père Pineau, du diocèse d’Angers,
travailla à la plupart des missions qui furent données de 1776 à 1779. Nous
avons lieu de penser qu’il travailla encore pendant quelques années dans sa
carrière apostolique ; mais nous n’avons aucun détail sur ces derniers travaux
et sur sa mort. En 1782, arrivèrent à Saint-Laurent les Pères Lagogué, Leloup,
Pouponnot et Joubert. Les deux premiers n’ont fait que passer dans la
communauté. Nous aurons à parler ailleurs du Père Pouponnot.
Le Père Joubert était né à St Maurille des Ponts de Cé.
Après avoir fait d’excellentes études au séminaire d’Angers, il avait exercé
les fonctions de vicaire dans sa paroisse natale, où il avait été appelé par
Monsieur le curé, qui aurait voulu lui céder sa cure ; mais il la refusa. Son
attrait le portait vers les missions. Un successeur ayant été donné au digne
Pasteur de Saint Maurille, qui s’était retiré, le vicaire rentra à
Saint-Laurent. Pendant ces jours troublés, il fut un des généreux défenseurs de
la foi. Il ne quitta point la Vendée au plus fort de la terreur. Lors de la
pacification, il allait, comme ses confrères, dans les paroisses voisines,
surtout à Yzernay, pour remplacer les curés qui avaient disparu dans la
tempête. Il tomba malade à Ingrandes, où il était allé exercer son ministère.
S’étant fait transporter à Saint-Laurent, il mourut au milieu de ses frères, le
12 mars 1805.
Le Père Poitevin n’a fait que passer dans la
Congrégation. Entré à Saint-Laurent en 1784, il y termina sa carrière l’année
suivante. Au moment où il quittait cette vie, deux nouveaux missionnaires se
présentaient à la communauté, le Père Duchesne, dont nous aurons à reparler et
le Père Bloquet, du diocèse d’Amiens, sur lequel nous n’avons aucun détail. En
1786, les Pères Serres et Duguet arrivèrent à leur tour à Saint-Laurent, pour
se joindre aux enfants de Montfort.
En 1788, le Père Perrin, du diocèse de Fréjus, fut
admis dans la Congrégation. C’était un prêtre d’un grand mérite. Il passa
presque tout le temps de la Révolution à Poitiers, où il rendit les services
les plus signalés aux Filles de la Sagesse. Retiré à Paris, vers la fin de la
tourmente révolutionnaire, il s’occupa activement et utilement des communautés
de Saint-Laurent. Plein de zèle il gémissait de ne pouvoir encore se livrer aux
travaux des missions, bien que la paix fut en partie rendue à l’Église. Il se
décida alors, quoiqu’à regret, à quitter la Compagnie, à laquelle il demeura
toujours attaché par le cœur, et il partit pour la mission de l’Indoustan, où
il passa quelques années. A son retour, il écrivit la relation de ses voyages
et de ses travaux. Il mourut chanoine de Fréjus. Il voulut, avant sa mort que ses
sermons fussent remis aux Pères de la Compagnie de Marie.
Le Révérend Père Besnard arrivait au terme de sa
longue et sainte carrière. Il était épuisé par ses nombreux travaux encore plus
que par les années. Sa vue était considérablement affaiblie, et, en 1786, il
fit le voyage de Paris pour subir l’opération de la cataracte. Il allait
laisser ses communautés dans la tristesse, à la veille d’un orage qui grondait
déjà ; mais le moment de la récompense était venu pour lui. Il mourut au milieu
de sa famille en pleurs, le 22 avril 1788, à l’âge de 71 ans. La maison du Saint-Esprit,
qui était en construction au moment de sa mort, porte la date de 1788 sur une
pierre placée au-dessus de la porte qui s’ouvre vers le levant.
Charles Olivier Besnard, fils de noble homme Thomas
Besnard et de Dame Boutelle Granger, était né à Rennes. Le simple missionnaire
pendant 12 ans, supérieur général pendant 33 ans, il se montra en toute
occasion, digne enfant et successeur de Montfort. Il poursuivit l’œuvre des
missions avec zèle ; en même temps, rien n’était négligé par lui de tout ce qui
regardait le matériel et le spirituel de ses Congrégations. Il sut encore
trouver le temps d’écrire une foule de lettres, de faire des règlements utiles,
de recueillir des notes intéressantes sur le Père de Montfort. Ces notes ont
été d’un grand secours pour les biographes du serviteur de Dieu. Il colligea,
avec le plus grand soin, ce que les Pères Mulot et Vatel en avaient écrit. Il
se mit en rapport avec plusieurs ecclésiastiques, qui avaient accompagné le
Bienheureux dans ses missions, ou avec d’autres personnages qui avaient eu des
relations avec lui. Il parcourut différents lieux que le saint missionnaire
avait habités ou évangélisés, et il ne composa son travail que sur les récits
de témoins oculaires ou sur des témoignages assurés provenant de témoins qui
avaient vu et entendu.
On peut voir dans l’Histoire de la Sagesse tout ce que
le Révérend Père Besnard a fait pour cette Congrégation. Nous nous contenterons
de dire ici, que c’est sous son généralat que l’on commença à accepter des
Sœurs converse, que l’on organisa le noviciat des Sœurs de chœur. C’est pendant
qu’il était supérieur général que les Sœurs réunirent la première assemblée
capitulaire dont il soit question ; l’on examina avec soin dans cette assemblée
et l’on adopta définitivement des Constitutions, qui s’observaient
provisoirement et qui avaient été écrites, en grande partie sous les yeux de la
Mère Marie-Louise de Jésus. C’est encore sous son généralat qu’a été construit
le premier bâtiment que l’on aperçoit, en entrant dans la communauté de la
Sagesse, avec la chapelle qui en faisait parti et qui a depuis changé de
destination. Il fonda aussi un grand nombre de nouveaux établissements.
TABLE DES MATIÈRES
LIVRE PREMIER
Depuis
la mort du Bienheureux de Montfort, fondateur de la Compagnie de Marie, jusqu’à
celle du Père Mulot. (1716 – 1749).
Chapitre I
Situation
des Congrégations religieuses établies par le Bienheureux de Montfort, au
moment de sa mort. – Les Pères Vatel et Mulot appelés aux missions par Montfort
lui-même. Page 2
Chapitre II
Les Pères Vatel et Mulot retirés
à Saint-Pompain. – Missions aux Loges et à Saint-Hilaire-sur-l’Autise. – Trois
nouveaux missionnaires se joignent aux premiers. – Supplique adressée au
Souverain Pontife en faveur des successeurs de Montfort. – Arrivée du Père Le
Valois. Page 5
Chapitre III
Nouvelle mission à
Saint-Laurent-sur-Sèvre. – Maison achetée dans cette paroisse pour les
missionnaires et les Frères. – Mission de Jaulnay. – Monsieur le marquis de
Magnane. – Les enfants de Montfort établis autour du tombeau de leur Père. –
Saint-Laurent-sur-Sèvre. Page
8
Chapitre IV
Le Révérend Père Mulot,
Supérieur général de la Compagnie de Marie. – Démêlés avec Monsieur le doyen de
Saint-Laurent. – Chapelles construites chez les missionnaires et chez les Soeurs
de la Sagesse. – Visite de Monseigneur l’évêque de La Rochelle. – Arrivée du
Père Hédan. – Les missionnaires acceptent l’aumônerie de l’hôpital Saint-Louis
à la Rochelle. – Nouvelle supplique adressée au Souverain Pontife en faveur des
Pères de la Compagnie de Marie. Page 12
Chapitre V
Réflexions sur les travaux des
Pères de la Compagnie de Marie avant la Révolution.
– Missions prêchées par eux en
1740, 1741, 1742 et 1743. – Noms des missionnaires existant à cette époque. Page
15
Chapitre VI
Travaux des Pères de la
Compagnie de Marie depuis le commencement de 1744 jusqu’aux vacances de 1747.
– Mort du Père Le Valois. – Mission de la fin
de 1747 et du commencement de 1748. – Mort du Père Vatel.
Page
21
Chapitre VII
Voyage de trois missionnaires à
Rome. – Missions de Tiffauges, Gétigné, Montigné, Saint-Julien-de-Vouvantes,
Donges, Questembert. – Mort du Révérend Père Mulot. Page
25
LIVRE II
Depuis
la mort du Révérend Père mulot jusqu’au commencement de la révolution. (1749 –
1789)
Chapitre I
Le Révérend Père Audubon,
Supérieur Général. – Missions de Montfaucon, Saint-Aubin-Baubigné,
Saint-Maurice-des-Noues, l’Hermenault, Mazières, Guéméné, Penfao, Béganne,
Carentoir et Basse-Goulaine. – Voyage Supérieur Général à Paris, pendant les
vacances de 1750. – Arrivée de plusieurs missionnaires. – Missions et retraites
prêchées depuis les vacances de 1750 jusqu’à la fin de 1751. Page 29
Chapitre II
Travaux des Pères de la
Compagnie de Marie depuis le commencement de 1752 jusqu’aux vacances de 1755. –
Les Pères Roustan et Arrivé. – Second voyage du Supérieur Général à Paris. –
Mission de La Verrie et du Poiré-sous-Velluire. – Mort du Révérend Père
Audubon. Page
33
Chapitre III
Le
Révérend Père Besnard, supérieur général. – Missions à Mortagne-sur-Sèvre, aux
Epesses, à Saint-Pierre de Cholet, à Vieillevigne et à Joué. – Voyage du
Révérend Père Besnard à Paris. – Arrivée de plusieurs missionnaires. – Travaux
des Pères de la Compagnie de Marie depuis 1755 jusqu’en 1759. – Mort de la Mère
Marie-Louise de Jésus
Page
38
Chapitre IV
Travaux
des Pères de la Compagnie de Marie depuis 1759 jusqu’à la fin de 1763.
Page
42
Chapitre V
Missions
à la Chapelle-Palluau, la Cornouaille, Malestroit, Glénac et Savenay. –
Chapelle du Père de Montfort à Saint-Laurent. – Arrivée de trois missionnaires.
– Mission d’Olonne et de Chantonnay, à la fin de 1764. – Missions et retraites
de l’année 1765. Page
46
Chapitre VI
Travaux
des Pères de la Compagnie de Marie depuis le commencement de 1766 jusqu’à la
fin de 1773.
Page
50
Chapitre VII
Travaux
des Pères de la Compagnie de Marie depuis le commencement de 1774 jusqu’en
1779.
Page
55
Chapitre VIII
Lettres
patentes obtenues du roi Louis XV, malgré de violentes et injustes oppositions.
– Visite de Monseigneur de Coussol, évêque de La Rochelle. – Achat de terrains,
de maisons et constructions nouvelles sous le généralat du Révérend Père
Besnard. – Arrivée de plusieurs missionnaires. – Mort du supérieur général.
Page
59