Fonteneau- vie populaire
Life
VIE POPULAIRE
DU VÉNÉRABLE SERVITEUR DE DIEU
Louis-Marie GRIGNON DE MONTFORT
FONDATEUR
Des Pères de
la Compagnie de Marie, des Sœurs de la Sagesse et des Frères du Saint-Esprit
PAR
Le R. P. FONTENEAU
De la
compagnie de Marie
NANTES
IMPRIMERIE BOURGEOIS
1 rue
Saint-Clément, 57.
1885
APPROBATION DE Mgr L'ÉVÊQUE
DE LUÇON.. 3
AU LECTEUR.. 4
CHAPITRE PREMIER.. 8
CHAPITRE II. 18
CHAPITRE III 27
CHAPITRE IV.. 37
CHAPITRE V.. 46
CHAPITRE VI 56
ARTICLE PREMIER.. 56
ARTICLE II 67
TABLE DES MATIÈRES. 75
APPROBATION
DE Mgr L'ÉVÊQUE
DE LUÇON
Nous approuvons avec une
satisfaction particulière et recommandons à la piété des fidèles la Vie
populaire du Vénérable Père de Montfort.
Que Dieu, qui est
admirable dans ses Saints, daigne, en bénissant cet ouvrage, développer la
dévotion à notre infatigable apôtre, provoquer la générosité chrétienne en
faveur de l'église nouvelle qui doit renfermer son glorieux tombeau et hâter le
jour si désiré où il nous sera permis do rendre au Père de Montfort un culte
public et solennel.
Luçon, le 23
Janvier 1885.
CLOV. Jh,
Evêque de Luçon.
PERMIS D’IMPRIMER
R. P. GUYOT,
Supérieur général.
AU
LECTEUR
AVIS IMPORTANT
Bien que le nom du V.
Père de Montfort soit répété souvent, avec confiance et amour, dans tout
l'Ouest de la France, et qu'il ait même retenti beaucoup plus loin, il est
certain que les diverses circonstances de sa vie édifiante ne sont point encore
assez connues. C'est dans le désir de les mieux faire connaître que nous
livrons au public une Vie populaire et
abrégée du saint Missionnaire.
Nous avons sans doute
pour unique but la gloire de Dieu, l'honneur de son pieux serviteur et l'édification
des fidèles ; mais nous voudrions atteindre ce but de deux manières :
premièrement, en exposant aux regards des lecteurs l'édifiant spectacle des
vertus de Montfort ; secondement, en employant à une œuvre importante qui ne
lui est pas étrangère le produit que l'on peut tirer de la vente de ce petit
livre.
Tout le monde sait que
la grande affaire de la Béatification du Vén. serviteur de Dieu semble toucher
à sa fin. La question de ses écrits et celle de ses vertus ont été jugées, à
Rome, d'une manière favorable. On s'occupe aujourd'hui de la question de ses
miracles qui paraît bien avancée. Le Souverain Pontife Léon XIII porte le plus
grand intérêt à cette cause, comme il l'a répété plusieurs fois. Nous avons
donc tout lieu d'espérer que le Vén. Père de Montfort sera bientôt proclamé
Bienheureux.
En attendant ce jour
tant désiré, il est urgent de construire, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, une église
plus digne de renfermer le tombeau du grand serviteur de Dieu. Qui n'a pas
gémi, en voyant la pauvreté de ce tombeau lui-même, qu'il faudra aussi
remplacer nécessairement par un monument plus convenable ?
La vieille église si
étroite, si sombre, si peu solide, et ne possédant qu'un petit nombre d'autels,
serait loin de suffire aux pèlerinages et aux grandes manifestations religieuses
que l'on peut prévoir pour l'avenir. Il faut donc une église nouvelle plus
digne d'abriter les cendres vénérées de Montfort, et plus capable de recevoir
les foules pieuses qui viendront prier auprès de son tombeau.
Le livre que nous
offrons au public, et que chacun voudra avoir entre les mains, sera vendu au
profit de cette œuvre, qui intéresse d'une façon particulière, non-seulement la
paroisse de Saint-Laurent et le diocèse de Luçon, mais encore tous les diocèses
où le zélé et saint missionnaire a répandu la semence de la divine parole, et
tous ceux où ses enfants spirituels ont passé, en faisant le bien.
La publication de ces
pages édifiantes ne procurera pas sans doute par elle-même d'abondantes
ressources à l'œuvre en question ; mais elle excitera, nous l'espérons, la
générosité d'un grand nombre de personnes qui pourront offrir une somme bien
plus considérable que le prix d'un mince volume. Il en est qui trouveront ainsi
l'occasion de payer à Montfort une dette de reconnaissance pour un bienfait reçu
; il en est d'autres qui feront leur offrande au serviteur de Dieu, afin
d'obtenir, par son intercession, les faveurs spirituelles ou temporelles dont
ils peuvent avoir besoin. L'aumône vaut souvent mieux que la prière.
Nous faisons appel à la
bienveillance de MM. les Ecclésiastiques et de toutes les personnes pieuses,
pour favoriser, à leur manière et selon leur pouvoir, une œuvre si importante
pour la gloire de Dieu et l'honneur de son serviteur fidèle.
Toutes les offrandes ou
souscriptions volontaires devront être adressées directement à Monsieur le Curé
de Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée).
n
La Vie populaire du Vén. de Montfort se vend également à
Saint-Laurent-sur-Sèvre, chez l'Auteur et chez M. L.-J. Biton , libraire, seul
dépositaire.
VIE POPULAIRE
du Vénérable Serviteur de Dieu
Louis-Marie GRIGNON DE MONTFORT
PRIX DU VOLUME :
Broché, 1 Fa. — Par la Poste, 1 vr 25. Reliure riche, imitation toile, i
fr. 25. — Par la Poste, 1 fr. 80.
Fne remise de 15 c. est faile uniquement pour dos dislribuliions de prix.
CHAPITRE PREMIER
Depuis la naissance de Louis-Marie Grignon de Montfort jusqu'à l'époque de
sa promotion au Sacerdoce (1673-1700).
Louis-Marie G-rignon de Montfort est né, le .11 janvier 1073, dans la ville
de Montfort-la-Cane ou Montfort-sur - Meu, appartenant alors au diocèse de
Saint-Malo, et faisant aujourd'hui partie de celui de Rennes. Son porc était
Jean-Baptiste Grignon, sieur de la Bacheleraie, avocat au bailliage de
Montfort, et sa mère Jeanne Robert, fille de noble homme Jean Robert, sieur de
Launay, échévin de la ville de Rennes. Louis était l'aîné d'une famille qui
comptait neuf enfants, trois garçons et six filles. Au nom de Lotlis qu'il avait
reçu au baptême il ajouta celui de Marie, quand on lui administra le sacrement
de Confirmation. Plus tard il quitta son nom
La Vie populaire du Vén. de Mont fort se vend également
à Saint-Laurent-sur-Sèvre, chez l'Auteur et chez M. L.-J. Biton , libraire,
seul dépositaire.
PRIX DU VOLUME :
broché, 1 Fr. — Par la
Poste, 1 fr 25.
Reliure riche, imitation
toile. 1 fr. 25. — Par la Poste, 1 fr. 50.
Une remise de 15 c. est
faite uniquement pour des distributions de prix.
VIE POPULAIRE
du Vénérable Serviteur de Dieu
Louis-Marie GRIGNON DE M0NTF0RT
CHAPITRE
PREMIER
Depuis la naissance de Louis-Marie Grignon de Montfort jusqu'à l'époque de
sa promotion au Sacerdoce (1673-1700).
Louis-Marie Grignon de
Montfort est né, le 31 janvier 1673, dans la ville de Montfort-la-Cane ou
Montfort-sur-Meu, appartenant alors au diocèse de Saint-Malo, et faisant aujourd'hui
partie de celui de Rennes. Son père était Jean-Baptiste Grignon, sieur de la
Bacheleraie, avocat au bailliage de Montfort, et sa mère Jeanne Robert, fille
de noble homme Jean Robert, sieur de Launay, échevin de la ville de Rennes.
Louis était l'aîné d'une famille qui comptait neuf enfants, trois garçons et
six filles. Au nom de Louis qu'il avait reçu au baptême il ajouta celui de
Marie, quand on lui administra le sacrement de Confirmation. Plus tard il
quitta son nom paternel et se lit appeler Montfort, parce qu'il était né et
avait été baptisé dans cette ville.
De bonne heure il montra
la plus grande horreur pour le vice et la plus grande inclination pour la
vertu. Son ardent amour pour Dieu, qui éclatait d'une manière expressive et
touchante dans toutes ses paroles et dans toute sa conduite; sa tendre dévotion
à Marie, qui fut, toute sa vie, l'un des caractères distinctifs de sa piété;
son respect et son attachement pour ses chers parents ; son affection pour ses
frères et ses sœurs, dont il était le modèle; le soin qu'il mettait à porter au
bien les enfants de son âge par toutes sortes d'industries et d'encouragements,
tout annonçait ce qu'il deviendrait un jour.
La bonté de son cœur
d'enfant et son zèle précoce pour- la gloire de Dieu et le bien des âmes se
manifestèrent, dès ses premières années, dans ses relations avec sa mère et
l'une de ses sœurs, du nom de Louise, qu'il aima d'une affection toute
particulière. Quand il voyait sa mère dans le chagrin, il s'approchait d'elle
avec amitié pour la consoler et l'exhorter à la patience. Ange consolateur
auprès de sa mère, il devenait un apôtre auprès de sa sœur qu'il cherchait à
porter à la piété par de douces paroles : « Ma petite sœur, lui disait-il, vous
serez toute belle, et tout le monde vous aimera, si vous aimez Dieu. »
La vertu se développant
et se fortifiant avec l'âge, il est aisé de comprendre qu'il ne dut rien négliger
pour se préparer saintement à faire sa première Communion. Oui pourrait dire
avec quels sentiments de fui et d'amour, avec quelle angélique piété, il reçut
pour la première fois dans son cœur le Dieu de l'Eucharistie ? Comme ce Dieu si
bon dut se plaire à répandre les trésors de sa grâce dans une âme si pure et si
aimante !
Il était dans sa
douzième année, quand son père, voyant en lui les plus heureuses dispositions,
le plaça à Rennes, pour y faire ses études. Il entra en sixième au collège de
cette ville, qui florissait alors sous l'habile direction des Pères de la
Compagnie de Jésus. Confié à ces savants et pieux instituteurs de la jeunesse,
il se distingua bientôt parmi tous ses condisciples par les progrès rapides
qu'il fit dans la science et dans la piété. Sa grande sagesse et sa solide
vertu ne tardèrent pas à lui procurer le bonheur de faire partie d'une
Congrégation de la Sainte-Vierge établie dans le collège, et qui se composait
de ce qu'il y avait do plus fervent parmi les écoliers. Il avait pris pour
directeur de sa conscience le Père Descartes qui possédait un rare talent pour
conduire les âmes à la plus haute perfection. Il ne pouvait manquer de faire de
rapides progrès sous la direction d'un maître si saint et si habile. Il profita
encore merveilleusement îles leçons et des exemples que lui donna le Père
Gilbert, son professeur de rhétorique.
A celle époque, un
vénérable prêtre de Rennes, M. Bellier, rassemblait chez lui quelques jeunes
gens, auxquels il faisait des conférences de piété, et qu'il envoyait dans les
hôpitaux, pour y servir les pauvres, leur faire de bonnes lectures et leur
apprendre le catéchisme : le jeune Louis de Montfort fut heureux de trouver
celle occasion de s'édifier et de faire du bien. Il partageait son temps entre l'élude,
la prière el les bonnes œuvres. Le seul délassement qu'il crut pouvoir se
permettre, et pour lequel il avait beaucoup d'attrait, fut le dessin. Sans avoir
pris de leçons d'aucun maitre, il exécutait ce qu'il voulait avec assez de
facilité e| do perfection. Un jour, un conseiller du Parlement trouva tellement
de son goût une image de piété dessinée par lui, qu'il lui donna une pièce d'or
pour l'avoir. Cette somme servit au jeune artiste pour se procurer accès auprès
d'un peintre et recevoir de lui quelques leçons dent il sut profiter.
S'il aimait à dessiner
les images des saints, il niellait encore plus de soin el d'application à
reproduire en lui leurs vertus. Voici ce que dit .M. Blain, qui était alors son
condisciple, et qui se montra toujours son ami le plus sincère et le plus
constant : « Ce que la vertu a de plus héroïque et de plus sublime semblait en
lui comme naturel, tant la grâce était éminente. Il ne faisait qu'entrer dans
la carrière, et déjà il avait laissé bien loin derrière lui les plus avancés.
Au recueillement le plus
profond, à l'oraison la plus continue, à la pénitence la plus austère et à la
mortification la plus universelle, il joignait une paix, une douceur, une
tranquillité d'âme, que je n'ai jamais vues s'altérer au milieu des contradictions
et des humiliations les plus sensibles. Il veillait tellement sur tous ses
sens, qu'on ne voyait en lui ni gestes, ni regards, ni paroles, ni manières,
rien, en un mot, qui fût inconsidéré. Ses yeux étaient presque toujours
baissés; et un air de piété répandu sur son visage et sur toute sa personne le
singularisait déjà en quelque sorte, et le faisait distinguer de presque tous
ses compagnons d'étude. »
M. Blain rapporte de lui
un trait de charité qui impressionna vivement ceux qui en furent témoins.
« Un de ses condisciples
était si pauvre el si mal vêtu qu'il était un objet de raillerie. M. Grignon,
pour le vêtir, se fit mendiant et ne rougit point d'implorer ses condisciples.
Mais tout ce qu'il put amasser ne faisant que la moitié de la somme nécessaire,
il trouva un moyen de la compléter, en menant le pauvre écolier à un marchand
auquel il dit : « Voici mon frère et le votre ; j'ai quêté dans la classe
ce que j'ai pu pour le vêtir ; si cela n'est pas suffisant, c'est à vous ;'i
ajouter le reste. » Ce trait de simplicité et de charité, le premier qu'on
connaisse de mille autres, obtint sa récompense. La charité produisit la
charité. Le marchand accorda ce que M. Grignon lui demandait, et le pauvre
écolier fut vêtu convenablement. »
Dans les dernières
années de ses études classiques, Louis de Monfort n'était pas seul dans la
ville de Rennes ; sa famille était venue l'y joindre. Il avait deux frères
moins âgés que lui ; son père voulut aussi leur faire donner une éducation
convenable; mais ses modiques ressources ne lui permettant pas d'entretenir
trois enfants en pension, il prit le parti de quitter Montfort et d'aller
s'établir à Rennes, pour surveiller lui-même et l'aire à moins de frais
l'éducation de ses trois fils. Louis, qui était dans une classe supérieure à
celle de ses deux frères, leur servait de précepteur.
Après avoir achevé ses
humanités, le vertueux jeune homme commença son cours de philosophie, qu'il
continua et termina avec le plus grand succès. Mais c'était encore du coté de
la vertu que ses progrès furent véritablement admirables. Il restait souvent
des heures entières au pied des saints autels, à genoux, immobile, le visage
enflammé, et comme dans une espèce d'extase. Souvent on le voyait passer un
temps considérable devant une image delà Sainte Vierge que l'on vénérait dans
l'église des Carmes. C'est là que, par une grâce singulière, il reconnut
clairement que Dieu l'appelait à l'état ecclésiastique. Aussi sa philosophie
était à peine terminée qu'il se livra avec ardeur à l'étude de la théologie. Il
était alors dans sa vingtième année.
Cependant la divine
Providence, qui sembla toujours le conduire par la main comme un enfant docile,
ne devait pas le laisser plus longtemps dans la ville de Rennes; elle voulait
faire briller ses vertus sur un autre théâtre. Mademoiselle de Montigny, que
des affaires importantes avaient conduite de Paris à Rennes, et qui demeurait
chez le père du saint jeune homme, lui parla du séminaire de Saint-Sulpice
d'une manière si avantageuse qu'elle lui inspira le désir d'y entrer, pour
faire sa théologie et se préparer au sacerdoce. De retour à Paris, elle écrivit
aux parents de Louis qu'il trouverait une place au Séminaire, et qu'elle se
chargeait de fournir tout ce qui était nécessaire à sa pension.
Cette bonne nouvelle fut
reçue avec joie par toute la famille, surtout par le pieux écolier qui ne tarda
pas à partir pour la Capitale. Il lit ce long voyage à pied, sous une pluie
presque continuelle. Arrivé à Paris, il alla d'abord loger chez sa bienfaitrice
qui le conduisit, non pas au séminaire de Saint-Sulpice, comme il s'y
attendait, mais clans une petite Communauté ecclésiastique fondée récemment par
un saint prêtre, M. de la Barmondière, ancien curé de Saint-Sulpice. Il fut
placé dans cette maison, parce que le prix de la pension était très modique. On
peut croire que sa charitable bienfaitrice n'avait pas assez de ressources pour
faire davantage. Quoi qu'il en soit, Montfort se trouva comme dans un paradis,
car cette communauté était toute parfumée de la piété du vénérable Supérieur et
de ses élèves.
Son bonheur était à son
comble, mais il ne fut pas de longue durée. Bientôt il fut soumis à une rude épreuve
qui eut jeté le découragement dans une âme moins forte que la sienne. On cessa
de payer la pension qu'on lui avait promise, ce qui le mettait dans le cas
d'être congédié d'une maison à laquelle il était très attaché, parce qu'il y
trouvait de grands moyens de sanctification. Cependant le Seigneur n'abandonna
point son serviteur qui s'appuyait uniquement sur lui. Le vertueux Supérieur
consentit à garder son pieux séminariste, dont il savait apprécier toutes les
qualités; mais afin qu'il ne lût pas à charge à la Communauté qui était très
pauvre, il fut réglé qu'il serait l'un de ceux dont l'emploi était d'aller
veiller les morts de la paroisse, et que la rétribution attachée à cet office
pénible lui tiendrait lieu de pension. Le jeune étudiant accepta avec joie cet
arrangement qui lui donnait l'occasion de pratiquer l'humilité, la pauvreté et
la mortification, et de faire des réflexions sérieuses sur la brièveté de la
vie, sur la fragilité et la vanité des choses de la terre. A l'école, et, pour
ainsi dire, en présence même de la mort, il contemplait à loisir le néant de
toutes les grandeurs humaines et se pénétrait de plus en plus de ces
importantes vérités qu'il sut, dans la suite, prêcher avec tant de force, et si
bien insinuer dans l'esprit et dans le cœur de ses auditeurs, soit par ses
éloquents discours, soit par ses admirables cantiques.
La vue des cadavres
auprès desquels il veillait lui faisait quelquefois la plus vive impression.
Deux entre autres lui parlèrent tellement au cœur qu'il n'en perdit jamais le
souvenir. L'un était le corps d'un homme de qualité qui, à la sortie d'un lieu
de débauche, fut frappé d'un coup mortel qui le conduisit au tombeau. Il
répandait une telle infection que ceux qui le portaient au cimetière ne purent
s'empêcher d'en témoigner du dégoût et de l'horreur. L'autre était le corps
d'une dame de la Cour que l'on idolâtrait pour sa beauté. Son visage fut
tellement défiguré, en moins de vingt-quatre heures, qu'on ne pouvait rien voir
de plus horrible et de plus hideux.
Ces longues heures de la
nuit passées auprès des morts eussent été pour tout autre une pénitence déjà
assez rude; mais c'était trop peu pour ce fervent séminariste. Disciplines
sanglantes et renouvelées tous les jours, haires, cilices, ceintures et
bracelets de fer hérissés de pointes, tout devint ^habituellement à son usage.
Il se servait successivement de ces instruments de pénitence, et jamais il
n'était sans porter sur son corps la mortification de Jésus-Christ. En même
temps, il se livrait avec ardeur à l'étude de la théologie, et Dieu bénissait
tellement son travail que son habile et vertueux bienfaiteur ne balançait pas à
le préférer à tous ses condisciples pour la science, quoiqu'il y eût dans la
Communauté d'excellents sujets.
Une nouvelle épreuve
attendait encore le saint jeune homme. Il eut la douleur de perdre son père,
son guide, son seul soutien, M. de la Barmondière, qui mourut le 18 septembre
1694. Ce coup fut terrible pour son cœur; mais sa confiance en Dieu n'en fut
nullement ébranlée. En écrivant à l'un de ses parents, à Rennes, il commençait
par rendre hommage aux vertus de son ancien Supérieur, et, après avoir payé le
tribut de reconnaissance qu'exigeaient de lui tous les bienfaits qu'il en avait
reçus, il lui parlait de l'état d'incertitude dans lequel il se trouvait ; puis
il ajoutait : « Je ne m'embarrasse point, j'ai dans les doux un père qui
ne peut me manquer; Il m'a conduit ici ; il m'y a conservé jusqu'à présent, il
me fera toujours éprouver ses miséricordes ordinaires, quoique pour mes péchés
je ne mérite que des châtiments. » Quelle humilité et quel abandon à la divine
Providence !
Cette confiance en Dieu
ne fut point trompée. La Communauté de M. de la Barmondière ayant cessé
d'exister, à la mort du Supérieur, ses élèves durent se placer ailleurs. Ceux
d'entre eux qui avaient des ressources suffisantes entrèrent dans les
séminaires de Saint-Sulpice. Montfort les y eût accompagnés bien volontiers ;
mais le moment marqué par la Providence n'était pas encore venu. En attendant,
il se trouva heureux de pouvoir être admis dans une Communauté semblable à la
première et encore plus pauvre; elle était dirigée par M. Boucher.
Tout dans cette maison
était propre à contenter son goût pour la pauvreté et la mortification ; mais
il arriva bientôt qu'une mauvaise nourriture, jointe à une étude sérieuse et
continue, acheva de détruire sa santé, que ses veilles et ses austérités
avaient déjà altérée. Il fut saisi d'une fièvre violente, et comme
l'Etablissement n'était pas en mesure de lui fournir les secours et les remèdes
nécessaires, dans une maladie qui paraissait devoir être longue, il fut
transporté à l'Hôtel-Dieu, où il eut la consolation de se trouver au milieu des
pauvres. Il eût été plus heureux encore, s'il eût été confondu dans la foule;
mais on crut devoir le placer dans la salle des prêtres, quoiqu'il ne fût que
dans les Ordres inférieurs.
Les Sœurs de l'Hôpital,
qui n'avaient pas eu de peine à voir que ce n'était pas là un malade ordinaire,
le traitaient avec un respect et une charité toute particulière. Elles ne
pouvaient s'empêcher d'admirer sa douceur, sa patience, sa modestie et ses
autres vertus, qui étaient pour elles un grand sujet d'édification. Cependant
le danger augmentait de jour en jour, les remèdes étaient sans effet, et la
mort paraissait comme certaine. Le malade seul ne perdit jamais l'espoir de sa
guérison, et, quand il semblait n'avoir que quelques heures à vivre, il annonça
son rétablissement prochain d'uni1 manière si positive qu'on ne put attribuer
cette assurance qu'à une communication surnaturelle. Ce que le saint jeune
homme avait annoncé arriva, et sa convalescence fut aussi rapide que l'avait
été le progrès de sa maladie.
Après avoir édifié les
Sœurs, les médecins, les malades et les pauvres de l'Hôtel-Dieu, il sortit de
cette maison pour entrer au petit-séminaire de Saint-Sulpice, dont la divine
Providence lui avait enfin ouvert la porte. Il est bon d'observer qu'il ne faut
pas confondre le petit-séminaire, dont il est ici question, avec ce que nous
appelons aujourd'hui un petit-séminaire. Le petit-séminaire de Saint-Sulpice ne
différait du grand que par le prix de la pension qui était plus modique. On y
faisait d'ailleurs les mêmes études; on y avait des maîtres aussi habiles et
aussi vertueux, et on y trouvait le même esprit.
Là le pieux séminariste
eut pour Supérieur M. Brenier, et il choisit M. Bouin pour directeur de sa
conscience ; il passa cinq années dans cette sainte maison, de 1695 à 1700. Il
s'y montra-tel qu'on l'avait vu chez M. de la Barmondière, et chez M. Boucher,
un prodige de perfection. Son recueillement, sa charité, son obéissance, son
humilité, ses austérités continuelles étonnaient les plus avancés dans la
pratique des vertus les plus sublimes. « Dès les premiers jours, dit un de ses
condisciples, il parut, au milieu de cette fervente jeunesse, comme un aigle
qui s'élève et va se perdre dans la nue, laissant bien loin après lui ceux qui
paraissaient les plus parfaits. »
Il n'y avait pas
longtemps qu'il était au séminaire de Saint-Sulpice, quand sa soumission fut
mise à une épreuve assez rude : il lui fut défendu, on ne sait pourquoi,
d'aller désormais prendre des leçons eu Sorbonne, il devait se contenter de
celles que l'on donnait à la Maison. Il se soumit sans se plaindre, et il crut
que ce devait être un motif de plus pour lui de se livrer à l'étude de la
théologie avec plus d'ardeur que jamais, sans rien retrancher toutefois de ses
exercices de piété. Aussi ses progrès dans la science de son état égalaient
presque ses progrès dans la vertu; c'est ce qui parut surtout un jour qu'il eut
à soutenir une thèse sur la grâce, en présence de ses condisciples qui ne
purent venir à bout de l'embarrasser un seul instant, comme ils avaient projeté
de le faire.
En parlant des vertus et
des qualités qui parurent en Montfort, pendant les années qu'il passa à
Saint-Sulpice, nous ne devons pas omettre une circonstance dans laquelle il
donna une grande preuve de son zèle tout de feu et de sa rare intrépidité. Un
jour, il rencontra dans un lieu écarté deux jeunes gens qui se ha liaient en
duel. A la vite d'une action si criminelle et du péril affreux que couraient
des âmes rachetées au prix du sang de Jésus-Christ, il prend le Crucifix qu'il
avait toujours sur lui, s'avance hardiment vers les deux combattants qui
tiennent l'épée à la main et leur parle avec tant de force et de sagesse qu'il
réussit à les séparer et à les réconcilier ensemble. L'un d'eux fut si frappé
de cette action héroïque que, dès ce moment, il prit la résolution de quitter
le siècle, et, peu après, il entra au séminaire de Saint-Sulpice, où il raconta
lui-même ce que nous venons de dire.
Tant de vertus sublimes,
tant de qualités éminentes dans Louis de Montfort devaient, ce semble, lui
attirer l'estime et l'affection de tous ceux qui le connaissaient. Dieu ne
permit pas qu'il en lut ainsi; il le destinait à marcher, toute sa vie, dans le
chemin de la Croix et à donner au monde l'exemple de la plus admirable patience
; et, de bonne heure, il voulut le fortifier contre les humiliations et les
épreuves qui devaient lui venir de toutes parts. Pendant son séjour à
Saint-Sulpice, il eut beaucoup à souffrir de la part de ses condisciples et
même de ses maîtres. Il y avait dans ses gestes, dans son ton, dans ses
manières, dans son maintien, quelque chose de simple qui n'était pas du goût de
tout le monde, et qui lui attirait souvent des railleries de la part de ses
condisciples, et quelquefois des réprimandes de la part de ses directeurs. On
lui reprochait comme ridicules et bizarres certaines actions qui lui étaient
familières, comme se mettre à genoux, au milieu de la classe, pour faire sa
prière, quand il fréquentait les écoles de Sorbonne ; se tenir également à
genoux, à la porte d'une maison, ou sur les marches d'un escalier, en attendant
la personne qu'il allait visiter ; garder un profond recueillement, sans
prendre part à une conversation, quand elle roulait sur des matières profanes
et qui lui étaient étrangères ; se prosterner et baiser la terre, au milieu des
rues et des places publiques, lorsqu'il entendait proférer des blasphèmes;
marcher à travers la ville, les yeux baissés, la tète découverte, tenant son
chapelet ou son crucifix à la main, comme dans une église.
Si on avait été
convaincu alors, comme on le fut depuis, de la sublimité et de la solidité de
sa vertu, on n'eût certainement pas porté un jugement aussi sévère sur sa
personne et sur les actions extraordinaires que nous venons de signaler; mais
le pieux séminariste n'eût pas amassé autant de mérites. On doit penser en
effet qu'il dut grandement s'enrichir devant Dieu, en acceptant, avec une
patience qui ne se démentit jamais, des épreuves qui lui étaient d'autant plus
sensibles qu'elles lui venaient le plus souvent de son Supérieur et du
directeur de sa conscience.
Pendant ses deux
premières années au séminaire de Saint-Sulpice, il avait été dirigé, avec une
grande prudence et une grande bonté, par M. Bouin qui ne pouvait s'empocher de
reconnaître en lui des vertus peu communes. S'il remarquait duos le pieux
séminariste quelques façons d'agir qui n'étaient pas ordinaires, il en
respectait le mobile qui était assurément très louable. Il n'en fut pas de même
de M. Léchassier qui succéda à M. Bouin dans la direction de Montfort, et le
traita toujours avec une rudesse que l'on a de la peine à expliquer. Il amena
même le Supérieur, M. Brenier, à agir avec-la même rigueur contre un
séminariste que celui-ci avait laissé en repos, pendant que M. Bouin en était
chargé. Voyant marcher cet élève dans une voie extraordinaire, ils voulurent
éprouver sa vertu et firent passer parle creuset un or déjà si pur.
Cette épreuve fut
supportée par Montfort avec tant de courage et de patience que M. Brenier se
déclara vaincu et à bout de ressources. Il rendit à son pieux élève toute la
confiance qu'il méritait. Il l'honora même de ces emplois qui, dans les
séminaires, ne s'accordent qu'au talent, à l'amour de l'ordre, à la régularité
et à une vertu solide. On le nomma maître des cérémonies; il fut chargé de
faire le catéchisme aux enfants les plus dissipés d'un des quartiers du faubourg
Saint-Germain ; on lui donna le soin de la bibliothèque de la maison, et delà
chapelle de la Sainte Vierge, dans l'église de Saint-Sulpice ; on le choisit
encore, pour aller avec un de ses condisciples faire, au nom du Séminaire, un
pèlerinage à Notre-Dame-de-Chartres. Inutile de dire que les emplois dont il
fut chargé étaient remplis avec le plus grand zèle et la plus grande fidélité.
Nommé maître des
cérémonies, il vint à bout, en peu de temps, d'une chose que beaucoup d'autres,
avant lui, avaient inutilement tentée: ce fut de rassembler et de ranger par
ordre tout ce qui regardait les différentes fonctions dans l'exercice du culte
divin, afin que chacun pût se mettre aisément au courant de son emploi. Quelque
mal disposés que fussent les enfants du faubourg Saint-Germain, auxquels il
était chargé de faire le catéchisme, il savait si bien s'emparer de leur esprit
et de leur cœur, qu'il en obtenait tout ce qu'il voulait. Les plus indociles
eux-mêmes étaient tellement touchés de ses paroles qu'ils fondaient en larmes
et donnaient des signes d'un véritable changement. Il fit avec la plus grande
piété le pèlerinage de Chartres. Le long du chemin, il n'interrompait ses
prières et ses oraisons que pour adresser quelques paroles d'édification à ceux
qu'il rencontrait. Quelquefois, en traversant les vastes plaines de la Beauce,
il s'éloignait un peu de son compagnon de voyage, pour aller parler de Dieu aux
cultivateurs occupés des travaux de la campagne. Arrivé à Chartres, il se
rendit aussitôt au lieu de son pèlerinage. Le lendemain, il y revint de bonne
heure; il y communia, et, pondant six heures, il demeura à genoux devant
l'image de l'auguste Vierge Marie. Oh ! avec quelle ferveur il pria pour ses
maîtres, pour ses condisciples et pour lui-même ! Il s'éloigna un instant pour
prendre un léger repas; puis il se hâta de revenir aux pieds de sa bonne Mère,
où il resta prosterné jusqu'au soir. Ce ne fut pas sans quelque peine qu'il
quitta le sanctuaire vénéré de la Mère de Dieu.
Cependant le moment
approchait où ce vertueux séminariste devait franchir les derniers degrés du
sanctuaire. Pour se rendre plus digne de cet honneur incomparable, et attirer
sur lui des grâces plus abondantes, il demanda à son confesseur et obtint la
permission de devancer les vœux solennels imposés par l'Eglise, en faisant le
vœu de chasteté perpétuelle. « Pour le prononcer, dit M. Blain, il choisit l'église
de Notre-Dame de Paris, où il avait coutume de communier tous les samedis. Là,
il s'abandonna aux mouvements de la plus tendre piété et consacra à Dieu une
victime exempte des souillures dont la jeunesse a trop souvent coutume de se
flétrir. Je ne sais pas si le don de chasteté lui coûta beaucoup dans la suite;
mais je sais qu'avant son entrée à Saint-Sulpice il n'avait éprouvé aucun
combat. Il a toujours vécu comme un ange dans un corps mortel. Je suis persuadé
qu'il est mort vierge et que sa chair est entrée innocente dans le tombeau. »
Ainsi s'exprime l'un des prêtres qui ont le plus connu le serviteur de Dieu et
qui ont pénétré plus avant dans les secrets de son cœur.
Obéissant à l'appel de
ses directeurs avec la simplicité d'un enfant, mais avec cette sainte terreur
qu'inspire aux à mes les plus pures l'approche du redoutable sacerdoce, Louis
de Montfort avait reçu les Ordres sacrés. On l'invita à monter plus haut. Toute
sa vie si innocente et si mortifiée avait été une préparation à cet état sublime
qui était l'objet de ses pensées habituelles et de ses vœux les plus ardents;
mais à l'approche de l'instant solennel, il crut n'être pas encore assez bien
préparé et il eût voulu attendre, bien qu'il fût âgé de 27 ans. Il opposa
d'abord des difficultés et des larmes à l'appel qui lui était fait, mais il
fallut enfin céder à un ordre formel. Il fut ordonné prêtre le samedi des
Quatre-Temps de la Pentecôte, le 5 juin 1700, par Mgr de Flamanville, évêque de
Perpignan, que le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, avait délégué pour
faire l'ordination de son diocèse. Le jeune diacre fut d'autant plus heureux de
recevoir de ce vénérable prélat l'imposition des mains, que, pendant quelque
temps, il avait eu l'honneur d'être son itère ou son auxiliaire dans les
catéchismes qu'il faisait avec un succès prodigieux à près de mille laquais,
dans l'église de Saint-Sulpice, quand il n'était pas encore évêque.
Dieu seul pourrait nous
dire ce qui se passa dans l'âme do son fidèle serviteur, au jour de son ordination,
et dans les jours suivants, surtout au moment où il lui fut donné de monter
pour la première fois au saint autel, et d'immoler de ses mains consacrées la
Victime pure et sans tache. Laissons parler ici son ami M. Blain : « Le grand
jour de son ordination, nous dit-il, Montfort fut tellement pénétré de sentiments
de piété et de reconnaissance envers Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'il obtint
de son directeur la permission de passer le reste du jour devant le
Saint-Sacrement, pour remercier Dieu d'une grâce si extraordinaire, et il en
consacra plusieurs à se préparer pour dire sa première messe. Le lieu qu'il
choisit pour la dire fut celui dont il avait eu tant de soin, depuis son entrée
au Séminaire, la chapelle de la Sainte-Vierge, derrière le chœur, dans l'église
de Saint-Sulpice. J'y assistai: j'y vis un homme comme un ange à l'autel. »
CHAPITRE
II.
Depuis l'époque où Louis-Marie Grignon de Montfort est élevé au Sacerdoce
jusqu'à son voyage de Rome (1700-1706).
A peine élevé au
Sacerdoce, Montfort, tout dévoré du zèle delà gloire de Dieu et du salut des à
mes, songea à aller prêcher l'Evangile jusque dans le Nouveau-Monde. Il disait
quelquefois aux ecclésiastiques qui demeuraient avec lui : « Une faisons-nous
ici, mes chers amis? Pourquoi sommes-nous des ouvriers inutiles, pendant qu'il
y a tant d'âmes gui périssent au Japon et aux Indes, faute de prédicateurs et
de catéchistes pour les instruire des vérités nécessaires au salut ? »
Ayant appris que M. Tronson, Supérieur de Saint-Sulpice, devait faire partir
plusieurs ecclésiastiques pour aller au Séminaire de Montréal que dirigeaient
les prêtres de sa Communauté,
il s'offrit pour les accompagner au Canada, alla d'annoncer l'Evangile aux
infidèles de ces contrées. Mais le sage Supérieur, persuadé que Dieu le voulait
ailleurs, n'accepta point sa proposition. Son Directeur, M. Léchassier,
s'opposa également à ce lointain voyage, dans la crainte, peut-être exagérée,
qu'emporté par son zèle il ne se perdit dans les vastes forêts d'Amérique, en y
courant chercher les sauvages. Dieu le réservait pour la France, où il devait
opérer de si grandes merveilles. Mais, ô desseins
admirables de la Providence ! la famille religieuse qu'il devait laisser après
lui était destinée à le remplacer au Canada, 183 ans plus tard, et avec des
circonstances vraiment étonnantes. Dieu s'est servi des Sulpiciens, en 1700,
pour retenir en France le Vén. de Montfort, qui désirait ardemment aller
répandre sur le sol canadien la semence de la parole évangélique; Dieu s'est
servi encore des Sulpiciens, en 1883, pour conduire au Canada les enfants de
Montfort.
M. Rousselot, prêtre de
Saint-Sulpice et curé de Notre-Dame de Montréal, né à Cholet, près
Saint-Laurent-sur-Sèvre, connaissait parfaitement les communautés fondées par
le serviteur de Dieu. lia cru ne pouvoir mieux l'aire que de s'adresser à elles
pour leur confier une œuvre importante, dont il s'occupait activement, de
concert avec de pieux et généreux chrétiens de la ville où il exerçait le plus-
consolant et le plus fructueux ministère. Il s'agissait d'établir deux grands
orphelinats agricoles, l'un de jeunes gens, l'autre de jeunes filles. De vastes
terrains ont été achetés pour cela. Des constructions ont été faites rapidement
pour recevoir des Pères de la Compagnie de Marie, des Frères coadjuteurs et des
Sœurs de la Sagesse, avec quelques orphelins. Déjà l'œuvre a commencé à
fonctionner en 1883. Elle ira se développant toujours davantage sous le souffle
vivifiant de la divine Providence, nous en avons le doux espoir, et, dans peu
d'années, à la place de ces forêts qui tombent sous le tranchant de la hache,
et sur ce sol que l'on cultive pour la première fois, on verra s'élever une
église, des Communautés, des maisons nombreuses formant une paroisse
sincèrement catholique, qui portera le nom de Notre-Dame-de-Montfort. C'est
Monseigneur l'Evêque de Montréal lui-même qui a désigné ce nom. Voilà donc le
nom de Montfort donné à une petite portion de cette terre immense du Canada
qu'il aurait voulu évangéliser ; voilà donc sa famille religieuse réalisant les
projets do zèle qu'il avait conçus, dès les premiers jours de son sacerdoce !
Pendant qu'il songeait à
cette mission lointaine, arriva à Paris un saint prêtre de Nantes, nommé M.
Lévêque, qui, depuis longtemps, s'adonnait également aux missions et à tous les
genres de bonnes œuvres. Il s'était associé quelques ecclésiastiques et en
avait formé la Communauté de Saint-Clément. Ayant fait connaissance avec
Montfort, il songea à s'attacher ce jeune prêtre, dont il entendait célébrer le
zèle, les talents et toutes les vertus. Il réussit avec d'autant plus de
facilité que celui-ci se réjouissait de faire sous un tel maitre l'apprentissage
de la vie apostolique, et que la décision de son directeur était conforme à ses
désirs.
M. Lévêque et Montfort
partirent de Paris dans le mois de septembre, et arrivèrent à Nantes an bout de
peu de jours. S'étant embarqués à Orléans pour descendre la Loire, ils
rencontrèrent trois libertins qui ne cessaient de proférer des blasphèmes et
des paroles malhonnêtes. Le jeune missionnaire avait trop de zèle pour le
souffrir. Après avoir cherché inutilement à leur imposer silence, il leur
prédit qu'ils seraient châtiés de leur faute. Ce qui arriva peu de jours après.
Deux de ces débauchés tirèrent l'épée dans une querelle et se blessèrent
mutuellement, le troisième faillit périr des suites de son intempérance.
Après leur arrivée à
Nantes, les deux missionnaires ne tardèrent pas à aller ensemble évangéliser la
campagne, et ils continuèrent leurs travaux jusqu'à la fin de février de
l'année suivante. En faisant connaissance avec les différents membres de la
Communauté de Saint-Clément, le pieux serviteur de Dieu n'eut pus de peine à
s'apercevoir que la plupart d'entre eux étaient loin de ressembler à leur
vénérable Supérieur. Presque tous ils étaient imbus des erreurs janséniennes et
remplis de l'esprit orgueilleux et fourbe qui caractérisait cette secte. Il
songea donc n se retirer; mais il ne le voulut point faire, avant d'avoir
consulté par lettre son ancien directeur de Saint-Sulpice, M. Léchassier, qui
l'engagea à ne point partir avant d'avoir reçu le consentement de M. Lévêque.
Il obéit, et se résigna a demeurer avec des hommes qui n'étaient pas dévoués
comme lui à l'autorité de l'Eglise et du Siège apostolique. Cependant une
circonstance particulière ne larda pas à lui permettre une assez longue absence,
qui fut pour lui une diversion aux ennuis qu'il éprouvait et une occasion de se
frayer le chemin qu'il devait parcourir plus tard.
A la sollicitation de
Madame de Montespan, bienfaitrice de lu famille de Montfort, Madame de Rochechouart,
sa sœur, abbesse de Fontevrault, avait accueilli dans son monastère l'une des
sœurs du serviteur de Dieu, qui y prit le voile au mois d'avril 1701. Ce fut à cette occasion qu'il s'éloigna de
Nantes pour quelque temps. Invité à la prise de voile de sa sœur, il crut devoir
se rendre à cette invitation. Il fit le voyage à pied; mais il n'arriva à Fontevrault
que le lendemain do la cérémonie. Il y trouva Madame de Montespan qui
l'accueillit avec bonté. Elle songea même à lui faire obtenir un canonicat,
mais il lui fut impossible de persuader cet amant passionné de la pauvreté.
Elle réussit au moins à le faire consentir à s'en remettre à la décision de Mgr Girard, évêque de
Poitiers, et elle l'engagea fortement à lui faire une visite. Pressé par la
bienfaitrice de sa famille, il se décida enfui à se présenter devant le prélat,
avec l'intention toutefois de ne pas accepter la faveur qu'on pourrait lui
offrir. A son grand contentement, il n'en fut pas sérieusement question.
Mgr Girard était absent
de sa ville épiscopale, quand le vertueux prêtre y arriva, le dernier jour
d'avril. Sa première visite fut pour l'Hôpital, où il alla s'offrir pour servir
les pauvres. Tout d'abord il entra dans la chapelle et y passa quatre heures en
prière, en attendant le souper. Les pauvres l'ayant aperçu furent tellement
édifiés de sa modestie, de son recueillement, de sa piété, qu'ils songèrent à
le demander pour aumônier ; il n'y en avait point alors dans la Maison. Ils
furent également touchés de sa pauvreté, car il portait une soutane bien
misérable, et ils voulurent se cotiser pour lui fournir un vêtement plus
convenable. Montfort lui-même racontait tout cela avec simplicité et humilité
dans une longue lettre qu'il adressait à M. Léchassier le 4 mai 1701.
De retour à Poitiers, Mgr
Girard reçut la visite de Montfort ; il fut également informé du désir des
pauvres et des malades de l'hôpital qui faisaient instances pour conserver, en
qualité d'aumônier, ce prêtre étranger qu'ils regardaient comme un saint.
L'évêque en écrivit à M. Léchassier, dont la réponse fut telle qu'après sa
réception on crut pouvoir se rendre aux désirs des pauvres. Cependant, avant la
conclusion de cette affaire, le prélat fut obligé de s'absenter encore. Le
missionnaire resta un mois k Poitiers, menant une vie vraiment apostolique. Les
grands-vicaires le tirent loger au Séminaire. Presque tous les jours, il
faisait le catéchisme aux pauvres et aux enfants de la ville, qu'il rassemblait
sous les halles. Il allait aussi visiter les pauvres de l'hôpital qu'il
catéchisait matin et soir. Non content de leur donner des instructions et des
consolations, il leur distribuait les aumônes qu'il recevait pour lui-même. Il
eut la joie de pouvoir réunir autour de lui un grand nombre d'écoliers, avec
lesquels il forma une pieuse association, d'où sont sortis d'excellents prêtres
et de fervents religieux. Cependant, comme la conclusion de l'affaire de
l'Hôpital traînait en longueur, et qu'il n'avait point encore rompu ses
engagements avec M. Lévêque, il retourna à Nantes, après avoir pris, comme
toujours, l'avis de son directeur ordinaire.
Dès qu'il fut de retour
à Nantes, il se mit à prêcher dans les campagnes. Il fut envoyé tout d'abord à
Grand-Champ, où il passa dix jours et lit beaucoup de bien. Pendant que le zélé
missionnaire poursuivait ailleurs ses courses apostoliques, Mgr Girard, pressé
par les nouvelles instances des pauvres de l'hôpital de sa ville épiscopale, le
supplia de se rendre enfin à leurs désirs. Montfort finit par prendre ce parti,
après avoir consulté son directeur et obtenu le consentement de M. Lévêque. Il
quitta donc la Communauté de Saint-Clément vers la fin de septembre 1701, et se rendit à Poitiers. Ce ne fut
cependant que quelques jours après la Toussaint qu'il fut reçu comme aumônier à
l'Hôpital. Il est impossible de dire tout le bien qu'il y fit en peu de temps
et toutes les vertus qu'il y pratiqua.
Ecoutons son premier
historien: « Son désintéressement, sa mortification, et l'amour qu'il avait
pour les pauvres parurent avec éclat ; car non-seulement il ne voulait pas
recevoir les honoraires qu'on avait coutume de donner aux autres Directeurs,
mais il choisit la plus pauvre de toutes les chambres pour y loger, celle où
l'on plaçait les malades infectés d'un mal contagieux. Il défendit qu'on lui
donnât d'autre nourriture que celle des domestiques. Souvent même il dînait
avec les pauvres et mangeait de leurs restes. Comme il n'y avait presque aucun
ordre dans cet hôpital, il commença par y établir des règlements fort sages,
premièrement pour la nourriture et ensuite pour le spirituel. »
Pendant que le saint
aumônier s'occupait avec zèle et succès à soulager les pauvres et les malades
de l'hôpital, il eut la douleur d'apprendre que sa sœur Louise qui avait été
placée dans la Communauté de Saint-Joseph, à Paris, se trouvait clans le plus
grand embarras. Elle était sur le point do quitter la Maison, parce qu'on n'y
voulait admettre que les jeunes filles de la Capitale, et que d'ailleurs elle
était trop pauvre pour payer sa pension. Son frère, qui avait toujours eu pour
elle une affection toute particulière, crut qu'il ne pouvait s'empêcher de lui
porter au moins le secours de ses conseils. Il se détermina donc à faire le
voyage de Paris, pendant la vacance du siège épiscopal de Poitiers; car Mgr
Girard venait de terminer sa carrière. Il fit ce long voyage à pied et sans
argent, comme tous les autres, et Dieu, qui connaissait son amour des croix et
le profit qu'il en retirait, ne lui ménagea point les épreuves, ni pendant la
route, ni dans la Capitale.
Sa piété envers la
Sainte-Vierge et son affection pour ses anciens directeurs lui firent prendre
la route de Saumur et d'Angers. Il eut le bonheur de faire une visite au
sanctuaire de Notre-Dame des Ardilliers, pour laquelle il conserva, toute sa
vie, une dévotion particulière, puis continua son chemin. Arrivé à Angers, il
alla se présenter devant M. Brenier, qui avait été son Supérieur à
Saint-Sulpice, et qui venait de prendre la direction du grand-séminaire de
cette ville. Quelles ne furent pas sa surprise et sa douleur, quand il se vit
rejeté par son ancien Supérieur d'une manière dure et sévère, en présence de
tous les séminaristes qui étaient en récréation! M. Brenier s'était de nouveau
laissé circonvenir par les ennemis du saint prêtre.
Celui-ci arriva à Paris,
épuisé de fatigues, avec les pieds tout ensanglantés. Pour guérir ses plaies,
il fut obligé de passer quinze jours à l'Hôtel-Dieu, où il avait laissé un
précieux souvenir de ses vertus. Après bien des pas et des démarches, et
surtout après de longues et ferventes prières, il réussit enfin à faire entrer
sa sœur chez les religieuses du Saint-Sacrement de Rambervilliers, dans la
Lorraine. C'est là qu'elle fit profession le 2 février 1704, sous le nom de
Marie-Catherine de Saint-Bernard. Elle survécut longtemps à son frère, car elle
ne mourut qu'en 1750, après avoir édifié sa Communauté par une sainte vie.
Montfort resta plusieurs
mois à Paris, et il y fut un sujet d'édification pour toutes les personnes qui
se mirent en relations avec lui, particulièrement pour les religieuses du
Saint-Sacrement de la rue Cassette, chez lesquelles il allait de temps en temps
dire la messe. Pendant qu'il demeura sans emploi, il se rendait tous les jours
prendre un maigre repas au parloir de cette Communauté, en se faisant
accompagner d'un pauvre, avec lequel il partageait ce qu'on lui offrait, et
qu'il servait toujours le premier.
En s'occupant de sa
sœur, le saint missionnaire ne pouvait manquer de chercher un aliment à son
zèle et à sa charité d'apôtre. Peu de temps après son arrivée dans la Capitale,
il se présenta à la Salpêtrière peur aider à soigner les malades qui étaient au
nombre d'environ cinq mille. Ses services ayant été acceptés, il fit dans cette
maison un bien immense. Mais le succès même qu'il obtenait servit à exciter
contre lui l'envie qui, sous divers prétextes, se glisse quelquefois dans les
cœurs exempts de tout autre vice. Au bout de quelque temps, il fallut se
retirer. Peu après, on lui donna une mission des plus délicates, qu'il remplit
au gré de tout le monde. Il s'agissait de ramener la concorde parmi les Frères
Ermites du Mont-Valérien. Jaloux de l'édification que donnaient ces bons
solitaires, l'esprit de ténèbres avait réussi à semer la division parmi eux.
Montfort y ramena la paix et la concorde par ses paroles toutes brûlantes de
charité et surtout par la force de ses exemples.
L'abandon do ses amis
d'autrefois fut pour le serviteur de Dieu la plus pénible épreuve qu'il eût à
supporter pendant son séjour à Paris. M. Léchassier entre autres le reçut avec
une rudesse qu'il est bien difficile d'excuser entièrement. M. de la Chétardie,
curé de Saint-Sulpice, qui avait été l'un de ses plus grands admirateurs,
refusa à son tour de le recevoir et de lui parler, quand il se présenta pour
lui faire une visite. Cependant le Seigneur lui conserva encore quelques amis
dans son délaissement. M. Blain le visitait souvent dans un petit réduit, où il
eut bien de la peine à le rencontrer. Le Père Descartes, jésuite, qui l'avait
eu pour écolier au collège de Bennes, se chargea avec bonté de sa direction,
comme il l'avait fait autrefois. Mer de Saint-Valery, évoque de Québec, rendait
hommage à sa vertu, ainsi que quelques Sulpiciens qui ne se méprenaient pas sur
son compte.
D'autres amis fidèles
lui restaient à Poitiers et désiraient ardemment son retour, c'étaient les pauvres
de l'Hôpital. Ils firent tant auprès de Mgr de la Poype, qui avait succédé à Mgr
Girard, ils écrivirent en même temps une lettre si touchante à M. Léchassier
pour le prier de leur renvoyer leur père, que Montfort, instruit de tant de
supplications, se décida à retourner dans son hôpital de Poitiers. Il continua
à y faire le Lien comme par le passé.
C'est alors qu'il jeta
les fondements d'une Congrégation religieuse qui devait être, dans la suite,
l'un des plus beaux ornements de l'Eglise de France. La divine Providence lui
avait mis, pour ainsi dire, sous la main la pierre fondamentale de ce bel
édifice, en lui adressant Mademoiselle Marie-Louise Trichet, fille d'un
procureur au Présidial de Poitiers. Après l'avoir fait entrer dans une petite
association composée des jeunes tilles de l'Hôpital les plus vertueuses, mais
aussi les plus disgraciées du côté de la nature, et l'avoir préparée, par la
pratique de l'humilité, de l'obéissance et de la mortification, à s'enrôler
sous la bannière de la divine Sagesse, il lui fit prendre le saint habit de la
religion, le 2 février 1703. Il voulut qu'à son nom de baptême Marie-Louise
elle ajoutât celui de Jésus.
Cette première Fille de
la Sagesse n'avait pas 19 ans accomplis. Elle resta 10 ans dans l'hôpital de
Poitiers, occupée à soigner les pauvres et les malades avec une charité et un
dévouement incomparables, pratiquant les vertus les plus sublimes, servant
ainsi de modèle à toutes les religieuses qui devaient plus tard faire partie de
sa Congrégation. Montfort donnait lui-même l'exemple à Marie-Louise et à toutes
les personnes qui l'entouraient. Les plus grands saints n'ont pas poussé plus
loin que lui la pratique de l'humilité, de la pauvreté, de la mortification,
delà charité ; jamais ils n'ont paru dévorés d'un plus grand zèle pour la
gloire de Dieu et le salut des âmes.
Il semble qu'une
conduite si parfaite et tant de services signalés rendus à l'Etablissement dont
il était l'aumônier, devaient attirer à l'homme de Dieu la bienveillance de
tous les habitants de cette Maison ; il n'en fut pas de môme. Il eut beaucoup à
souffrir de la part de quelques pauvres, mais surtout de la part des
gouvernantes de l'Hôpital. Comprenant qu'il lui était impossible de faire le
bien qu'il désirait, et d'ailleurs se sentant toujours attiré vers les
Missions, il résolut alors de s'éloigner, après avoir pris conseil du Père de
la Tour, son confesseur, de Marie-Louise de Jésus elle-même et de plusieurs
autres personnages respectables.
Le saint prêtre était
dans la trente et unième année de son âge, et tout ce qu'il avait fait de bien
jusque-là ne lui semblait rien. Il alla s'offrir à Mgr de la Poype, pour donner
dans son diocèse des missions et des retraites. Le pieux évêque accueillit avec empressement cet ouvrier si plein de zèle qui
d'ailleurs ne voulait recevoir qu'au ciel la récompense de son travail. Il
commença par donner une mission à Montbernage, faubourg de Poitiers, et cette
mission produisit les fruits les plus abondants. Le Vénérable serviteur de Dieu
laissa à Montbernage un durable souvenir de son passage, en y érigeant une
chapelle qui fut dédiée à la Sainte-Vierge, sous le titre do Reine des Cœurs,
où les fidèles devaient se réunir pour réciter le chapelet. Il y plaça lui-même
une statue que l'on conserve encore. Après avoir établi cette chapelle, il ne
recula point devant une entreprise beaucoup plus considérable qu'il conduisit à
bonne lin; ce fut la restauration de l'ancienne église de Saint-Jean-l'Evangéliste,
qui, selon la tradition delà ville, avait servi autrefois de temple aux faux
dieux.
Une seconde mission
prêchée dans l'église des religieuses du Calvaire n'eut pas un moindre succès
que celle de Montbernage ; mais elle se termina par un incident très fâcheux.
Le zélé missionnaire avait engagé une foule de personnes à livrer aux flammes
tous les livres hérétiques et immoraux qu'elles possédaient, ainsi que les
tableaux et gravures obscènes qu'elles avaient dans leurs maisons. On les
réunit sur la place publique, où ils devaient être brûlés après un sermon.
Pendant que le prédicateur était en chaire, quoiqu'un s'avisa, on ne sait
pourquoi, de placer une figure étrange sur cet amas de livres et de tableaux.
Le bruit se répandit alors que le missionnaire allait brûler le diable. C'en
fut assez pour exciter contre lui les Jansénistes et les libertins qui
cherchaient toutes les occasions de lui nuire. Le bruit de la ville fut porté
aux oreilles de M. l'abbé de Villeroy, vicaire-général, qui se rendit aussitôt
sur le lieu où les livres avaient été déposés, et, devant tout le peuple,
adressa au pieux missionnaire les reproches les plus sévères et les moins
mérités. Celui-ci les écouta avec humilité, à genoux, tête nue, et sans ouvrir
la bouche pour se défendre. Le lendemain, M. Ré vol, autre vicaire-général,
crut devoir relever en chaire le mérite de Montfort autant que M. de Villeroy
l'avait abaissé, la veille.
L'homme de Dieu commença
alors une autre mission dans le faubourg Saint-Saturnin, contigu à celui de
Montbernage. Il eut le bonheur de faire cesser d'affreux désordres qui avaient
lieu depuis bien longtemps dans un jardin situé à l'extrémité du faubourg, et
que l'on appelait le Jardin des Quatre-Figures, à cause de quatre ligures
colossales qu'on y avait placées. Il annonça que ce jardin deviendrait un lieu
de prières desservi par des religieuses. C'est là, en effet, qu'a été construit
l'hôpital des Incurables, desservi par les Filles de la Sagesse, depuis 1758.
Pendant son séjour à
Poitiers, Montfort appela à lui le premier des Frères de la Communauté du
Saint-Esprit, connu sous le nom de Frère Mathurin. Le trouvant en prière dans
l'église des Pénitentes, il fut touché de sa dévotion, et il se contenta de lui
dire : « Suivez-moi. » Ce jeune homme se mit dès lors à sa suite, et, après
l'avoir accompagné jusqu'à sa mort, il demeura constamment attaché à ses
successeurs.
Au milieu de ses
pénibles travaux, le Vénérable serviteur de Dieu n'omettait rien de ses
austérités et de ses mortifications habituelles. Il jeûnait presque tous les
jours et ne prenait qu'un léger repas au soir; ceux qui le voyaient do près ne
comprenaient pas comment il pouvait vivre avec si peu de nourriture. Après les
fatigues de la journée, il passait encore une partie de la nuit en prière.
Souvent on le vit, dans le Jardin des Quatre-Figures, en oraison, pendant de
longues heures, à genoux et les bras étendus en croix.
Le spectacle do tant de
vertus était bien capable de faire une vive et salutaire impression sur tous
ceux qui en étaient les témoins. Quelques événements extraordinaires
contribuèrent encore à augmenter la réputation de sainteté qu'il s'était
acquise dans toute la ville. Après avoir offert le saint sacrifice de la messe
pour Madame d'Armagnac, femme du gouverneur de Poitiers, qui était
dangereusement malade et abandonnée des médecins, il lui annonça lui-même
qu'elle recouvrerait la santé et continuerait ses œuvres de charité envers les
pauvres. Dès ce moment, cette pieuse dame commença à se trouver mieux, et,
pendant douze années, elle put encore faire le bien.
Un jour que le saint
missionnaire s'était déterminé à prêcher dans l'église de la Résurrection, où
il avait fait une mission, il connut surnaturellement que des personnes qui
l'attendaient dans l'église des Pénitentes, où il avait promis de prêcher à
cette même heure, avaient instamment demandé à Dieu, par l'intercession de la
Sainte-Vierge, qu'il vînt prêcher dans l'église où elles étaient, s'il devait y
faire plus de bien que dans celle de la Résurrection. Il s'y rendit en effet,
et sa parole produisit les plus heureux fruits.
Le démon ne pouvait
manquer d'employer contre l'homme de Dieu tous les efforts de sa rage et de le
tourmenter de toutes manières. Aussi plusieurs fois, pendant qu'il était à
l'hôpital de Poitiers, on s'aperçut que l'esprit de ténèbres le faisait
cruellement souffrir. Un soir, sur les dix heures, on l'entendit crier dans le
jardin, comme s'il eût été frappé par une autre personne, et cependant il était
seul. A plusieurs reprises, on l'a entendu se plaindre et on l'a vu traîner par
terre, sans pourtant apercevoir la personne qui le traînait. « O Sainte Vierge,
ma bonne Mère, disait-il, venez à mon secours. » S'étant retiré dans une maison
de campagne peu éloignée de Poitiers, pour y passer huit ou dix jours en
retraite, il y fut encore assailli par le démon. Un jeune homme qui
accompagnait le missionnaire a attesté qu'il entendit plusieurs fois un grand
bruit dans la chambre où celui-ci était seul', comme s'il s'y fût trouvé trois
ou quatre personnes qui se fussent battues avec la dernière violence. Il
distinguait parfaitement la voix du saint prêtre qui disait à son agresseur: «
Je me moque de loi; je ne manquerai pas de force et de courage, pendant que
j'aurai Jésus et Marie avec moi; je me moque de toi. »
Du reste, cet amant
passionné de la Croix était destiné à recevoir de toutes parts des persécutions
et à essuyer toutes sortes d'humiliations. Ses vertus et ses succès, ainsi que
son attachement bien connu pour le Pape, excitèrent la jalousie de quelques
Jansénistes qui mirent tout en œuvre pour indisposer contre lui le pieux évêque
de Poitiers. Ils y réussirent, et le missionnaire, qui avait commencé une
retraite pour les religieuses de Ste-Catherine, reçut l'ordre de sortir du
diocèse. Cet ordre l'affligea, sans le troubler, et sans lui arracher la
moindre plainte.
Obligé de se séparer
d'une population qu'il aimait, et qui s'était montrée si docile à sa voix, il
songea à mettre à exécution un projet que depuis longtemps il nourrissait dans
son cœur, c'était d'aller à Rome visiter le tombeau des
Apôtres et se prosterner
aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ. Avant de partir, il adressa une sorte de
circulaire à tous ceux qui avaient profité des missions qu'il venait de donner
à Poitiers; il leur parlait avec l'autorité, la tendresse et la familiarité
d'un apôtre et d'un père.
CHAPITRE
III
Depuis le voyage de Montfort à Rome jusqu'à sa sortie du diocèse de Nantes
(1706-1711).
Le Vénérable serviteur
de Dieu fit le voyage de Rome à pied, et en jeûnant tous les jours. Sa dévotion
pour l'auguste Vierge ne pouvait manquer de l'arrêter quelque temps à Lorette.
Chaque jour, il allait dire la messe à l'autel de la Sainte-Chapelle, où le
mystère de l'Incarnation a été annoncé à la très-digne Mère de Dieu, où elle a
conçu le Verbe Incarné par l'opération du Saint-Esprit. Un habitant de la
petite ville de Lorette, l'ayant vu célébrer la Sainte-Messe avec une dévotion
extraordinaire qu'il ne remarquait pas dans les autres prêtres, en fut si
édifié qu'il le pria de venir prendre ses repas et son logement dans sa maison
; ce qu'il fit. Il continua ensuite sa route vers Rome, et, dès' qu'il aperçut
le dôme de l'église de Saint-Pierre, il se prosterna «à genoux, en versant
d'abondantes larmes, ôta sa chaussure, et acheva le reste du chemin nu-pieds.
Il arriva à Rome, épuisé de fatigue. Après quelques jours de repos, il eut le
bonheur d'être reçu par le Souverain Pontife, Clément XI. Cette audience lui
fut accordée le 6 juin 1700. Montfort adressa d'abord au Pape un petit discours
latin qui fut écouté avec bonté, puis il lui exprima le désir qu'il avait
depuis longtemps de porter l'Evangile chez les Idolâtres. « Mon fils, lui
répondit le Pape, vous avez en France un champ assez vaste, pour exercer votre
zèle ; n'allez point ailleurs, et travaillez toujours avec une parfaite
soumission aux évoques, dans les diocèses desquels vous serez appelé ; Dieu par
ce moyen donnera sa bénédiction à vos travaux. »
La France, agitée plus
que jamais, en ce temps-là, par les troubles qu'y causaient les nombreux
partisans du Jansénisme, était particulièrement l'objet de la sollicitude de
Clément XI qui venait de condamner lui-même les nouvelles erreurs. Ce fut pour
ce motif qu'il détermina à ce royaume la mission du serviteur de Dieu. Il lui
enjoignit surtout de s'attacher à bien enseigner la doctrine chrétienne aux
enfants et au peuple, de chercher à faire refleurir partout l'esprit du
Christianisme par le renouvellement des promesses du baptême. Il lui conféra le
titre de Missionnaire apostolique et lui accorda le privilège de faire
plusieurs bénédictions.
Assuré de la volonté de
Dieu, Montfort quitta Rome pour revenir en France. Il arriva, le 25 août, au
prieuré de Ligugé, près de Poitiers, où le Frère Mathurin l'attendait. Il n'en
fut reconnu qu'avec peine, tant il était brûlé par le soleil et affaibli par la
fatigue. Il dit la messe à Ligugé et se rendit aussitôt à Poitiers, où il
comptait se reposer pendant quelques jours; mais un ordre de l'évêque l'en
empêcha. Dès le soir même, il quitta cette ville, où on ne voulait pas lui
permettre de dire la messe, il alla, à cinq ou six lieues de là, chez un
vertueux ecclésiastique de ses amis, qui le reçut avec empressement. Là, il lit
une retraite de huit jours, pour se préparer à de nouveaux travaux.
Avant de se mettre à la
disposition des évêques pour donner des missions et retraites dans leurs
diocèses, il voulut faire encore deux pèlerinages, l'un à Notre-Dame des Ardilliers,
l'autre au Mont-St-Michel. Il prévoyait qu'il aurait besoin plus que jamais du
secours d'en haut pour remplir dignement la mission importante et difficile
dont l'avait chargé le Pape Clément XI. En passant à Saumur, il rendit un
service signalé aux Sœurs de Sainte-Anne de la Providence, dans la personne de
leur fondatrice, la Mère Jeanne de la Noue, morte en odeur de sainteté, en
1736. Il l'engagea à ne point quitter la route extraordinaire dans laquelle
elle marchait et à ne rien retrancher de ses austérités que d'autres
regardaient comme excessives. Il adressa aussi plusieurs exhortations à toutes
les religieuses de la Communauté, qui conservèrent toujours pour lui la plus
grande reconnaissance.
Il se dirigea ensuite
vers le Mont-Saint-Michel, et il trouva sur son chemin l'occasion de donner une
nouvelle preuve de son humilité et do sa charité. Ayant rencontré un pauvre
chargé d'un pesant fardeau, il lui fit tant d'instances pour lui permettre de
l'aider, qu'il obtint enfin de prendre ce fardeau sur ses épaules. Il le porta
jusqu'au soir, puis il entra dans une hôtellerie avec son compagnon de voyage,
pour y souper et y passer la nuit. Tout d'abord l'hôtesse refusa de recevoir ce
pauvre qui se présentait avec le prêtre; mais celui-ci l'apaisa, en promettant
de payer lui-même toute la dépense, qui assurément ne dut pas être
considérable.
Lorsque le zélé
missionnaire eut terminé son double pèlerinage; il se livra avec plus d'ardeur
que jamais aux travaux des missions dans les diocèses de Rennes, de St-Malo et
de Saint-Brieuc. Il ne passa à Rennes qu'une quinzaine de jours, pendant
lesquels il prêcha en plusieurs églises, notamment dans celle des religieuses
du Calvaire et dans l'un et l'autre séminaire. Il se rendit ensuite à Montfort,
sa ville natale. S'étant arrêté dans un petit village pour y prendre son
logement, il envoya le Frère Mathurin demander à une pauvre femme, qui avait
été sa nourrice, si elle consentirait à loger, pour l'amour de Dieu, un prêtre
et son compagnon. Cette femme était absente ; niais son gendre refusa de recevoir
les voyageurs. Ils ne furent pas plus heureux, en allant frapper à deux autres
portes. Enfin ils furent reçus chez un vieillard, l'homme le plus pauvre du
village, qui leur offrit joyeusement un peu de pain noir pour leur souper et un
peu de paille pour leur coucher.
Cependant le vieillard,
en considérant attentivement le prêtre étranger, reconnut en lui le fils de M.
Grignon de la Bacheleraie. La nouvelle s'en répandit bientôt dans tout le
village. Chacun s'empressa alors d'apporter au saint prêtre ce dont il pouvait
avoir besoin ; mais il refusa tout. Sa nourrice ne fut pas la dernière à se
présenter pour lui demander pardon du refus qu'il avait essuyé de la part de
son gendre, et pour le supplier de se retirer dans sa maison. Montfort ne
voulut point accepter de demeurer chez elle; mais, pour no pas trop la
contrister, il consentit à prendre un repas à sa table. Pendant ce repas, il
lui donna une salutaire leçon, en lui disant, par charité plutôt que sous forme
de reproche : « Andrée, Andrée, vous avez bien soin de moi, mais vous n'êtes
pas charitable. Oubliez M. de Montfort, il n'est rien. Pensez à Jésus-Christ,
il est tout; c'est toujours lui qu'il faut voir dans la personne des pauvres. »
L'homme de Dieu quitta
bientôt sa ville natale pour se rendre à Dinan, où il resta plusieurs mois. Il
prit tout d'abord son logement chez les Prêtres de la Mission. Trois ou quatre
jours après son arrivée, il alla dire la messe au Couvent des Dominicains, où
était alors religieux l'un de ses frères, qui prenait soin de la sacristie. Il
n'eut point de peine à reconnaître ce frère qu'il n'avait pas vu depuis
plusieurs années; mais il n'en fut point reconnu. Le Serviteur de Dieu se
contenta de lui dire, sans autre compliment : « Mon cher frère, je vous prie de
me donner des ornements pour dire la messe. » Ce religieux qui était prêtre
trouva mauvais que l'étranger lui donnât simplement le titre de Frère. Comme
pour se venger de cette sorte d'injure, il lui présenta les plus pauvres ornements
de la sacristie et plaça à l'autel deux minces bouts de cierges. Après la
messe, Montfort remercia le sacristain, en l'appelant encore son frère, et le
pria de lui conserver les mêmes ornements pour le lendemain. Le Dominicain de
plus en plus courroucé demanda le nom de ce prêtre au Frère Mathurin qui
l'avait accompagné ; mais ce fut inutilement, car le missionnaire lui avait
défendu de dire son nom. Dans l'après-midi, le religieux, ayant rencontré le
Frère Mathurin, insista tellement pour savoir quel était ce prêtre, que
celui-ci finit par lui dire qu'il s'appelait Grignon de Montfort, parce qu'il
était originaire de Montfort-la-Cane. « Mais c'est mon frère! » s'écria le
Dominicain, en faisant force exclamations sur son détachement.
Le lendemain, quand le
saint prêtre se présenta pour dire la messe, son frère lui reprocha doucement
de ne pas s'être fait reconnaître. De quoi vous plaignez-vous? lui répondit le
Serviteur de Dieu; je vous ai appelé mon frère; ne l'êtes-vous pas dans l'ordre
de la nature et de la grâce? » Le religieux lui fit réparation, en lui donnant
ses plus beaux ornements, et en prônant partout sa vertu.
Pendant son séjour à
Dinan, Montfort eut occasion de faire éclater son zèle dans une mission que
donnèrent à la ville les missionnaires du diocèse. Il s'offrit à travailler
avec eux. Dans son humilité, il se chargea de préférence du catéchisme,
fonction que lui avait recommandée le Souverain Pontife, et dont il
s'acquittait parfaitement. A Dinan, comme partout ailleurs, il donna des
preuves de son ardente charité pour les pauvres. Il en nourrissait un grand
nombre comme par miracle. Un soir, ayant rencontré un pauvre tout couvert
d'ulcères, il le prit sur ses épaules, le porta à la maison des missionnaires,
et, ayant trouvé la porte fermée, il se mit à crier qu'on l'ouvrît à
Jésus-Christ. Chargé de son malade infect, il alla droit à sa chambre, et le
plaça dans son lit, après l'avoir réchauffé, tandis que lui-même demeura toute
la nuit en prière.
Il sut faire passer les
sentiments charitables qui l'animaient dans les cœurs de plusieurs personnes
pieuses, qui formèrent une société pour le soulagement des pauvres. Mais
personne ne profita mieux de ses leçons et de ses exemples que M. le comte et Mme
la comtesse de la Garaye, qui firent de leur château un hôpital, où ils
soignèrent eux-mêmes les pauvres et les malades, pendant 40 ans. Ils fondèrent
ensuite à Dinan une maison de charité avec un revenu suffisant pour l'entretien
de quatre Filles de la Sagesse.
Après la mission de
Dinan, Montfort donna une retraite aux soldats de la garnison; le succès en fut
complet. Il alla ensuite faire une autre mission à Saint-Suliac ; puis il se
rendit à Bécherel, pour prêcher une retraite à plus de deux cents personnes
appartenant aux Tiers-Ordres de Saint François et de Saint Dominique. Il se
joignit alors à M. Leuduger, célèbre missionnaire de Saint-Brieuc, qui l'avait
invité à travailler avec lui et les prêtres qu'il s'était associés. Le nouveau
coopérateur de M. Leuduger donna avec lui plusieurs missions et retraites; les
principales furent celles de Beaulon, du Verger, de Merdrignac, de Plumieux, de
La Chèze, de Saint-Brieuc, et de Moncontour. Partout ses travaux furent
couronnés des plus merveilleux succès ; partout il fit éclater les plus
éminentes vertus.
A La Chèze, il restaura
avec une sorte de magnificence une vaste chapelle dédiée à la Sainte-Vierge,
sous le nom do Notre-Dame de Pitié, qui avait été abandonnée, et n'était plus
qu'une masure remplie de ronces et d'épines. Le grand apôtre de Bretagne, saint
Vincent-Ferrier, avait prédit, longtemps auparavant, qu'un homme de Dieu la
restaurerait. Montfort y lit placer une statue de Notre-Dame de Pitié qu'on y
voit encore, et qui est toujours pour le peuple un objet de dévotion. Cette
chapelle est devenue l'église paroissiale. Au château de la Grange, tout près
du bourg de La Chèze, on visite, avec respect et piété, une petite chambre que
l'on dit avoir été habitée par le Vénérable serviteur de Dieu, et dans laquelle
on voit une pierre appelée l'Oreiller du P. de Montfort.
Le saint missionnaire
passa trois mois à Saint-Brieuc, et prêcha plusieurs retraites chez les Filles
de la Croix, chez les Ursulines et en d'autres maisons. Parmi les nombreuses
conversions qu'il opéra, on peut compter celle de deux demoiselles qui
assistaient à l'une de ces retraites. Elles avaient une telle aversion pour
l'état religieux, qu'elles ne voulaient pas même visiter celles de leurs amies
qui l'avaient embrassé, de peur qu'il ne leur prit envie de les imiter. La
première fois qu'il les vit, l'homme de Dieu les appela par leur nom, sans les
avoir jamais connues. Il les recommanda aux prières de la retraite, et dit
qu'elles seraient la conquête de Jésus et de Marie. En effet, peu de temps
après, il les fit entrerait Couvent des Ursulines, où elles firent profession.
Un jour, il engagea la Supérieure de cette Communauté, la révérende Mère de la
Rivière, à fonder un établissement d'Ursulines à Quintin, en lui assurant
qu'elle réussirait dans son entreprise, mais qu'elle essuierait bien des
contradictions ; ce qui ne manqua pas d'arriver.
En quittant
Saint-Brieuc, Montfort se rendit à Moncontour, pour y donner une mission avec
M. Leuduger et les autres prêtres qui l'accompagnaient. En arrivant, il trouva
un grand nombre de jeunes gens et de jeunes filles qui dansaient sur la voie
publique, le jour du dimanche. Il se mit à genoux au milieu de cette jeunesse
folâtre, disant à haute voix : « Que tous ceux qui sont du parti de Dieu
fassent comme moi ; qu'ils se prosternent pour réparer l'outrage qu'on fait à
sa divine majesté. » Aussitôt tout le peuple, frappé d'étonnement et de crainte
religieuse, obéit à la voix du missionnaire et se mit en prière, pour demander
miséricorde. Quelques jours après, par une démarche hardie, il fit voir ce qu'il
faut penser des parures trop mondaines. A l'issue d'une messe qu'il avait dite
à l'Hôpital, il invita les assistants à venir baiser un Christ, auquel le
Saint-Père avait attaché des indulgences, et qu'il portait toujours sur lui ;
mais il refusa cette faveur aux personnes dont la parure se ressentait trop de
la vanité du siècle; il la refusa même aux gouvernantes de l'Hôpital, donnant
pour raison qu'elles élevaient des jeunes filles clans le goût des vaines
parures du monde.
Ce fut probablement à la
mission de Moncontour que le Vénérable serviteur de Dieu encourut la disgrâce
du Supérieur des missionnaires de Saint-Brieuc. M. Leuduger renaît de parler,
avec beaucoup de force et d'onction, sur la prière pour les morts et la
nécessité de soulager les âmes du purgatoire. Montfort, n'écoutant que son
zèle, crut pouvoir profiter des bonnes dispositions des auditeurs pour faire
une quête, afin d'offrir à quelques prêtres des honoraires de messes pour le
soulagement des défunts. Cette action, au fond fort innocente, lui attira
l'indignation de tous ses confrères, qui s'étaient fait une règle de ne jamais
rien demander. On lui fit un crime de sa quête, et on le pria de se retirer.
Plus tard, M. Leuduger comprit qu'il avait eu grand tort de se séparer d'un
pareil collaborateur. Ne voyant que lui pour le remplacer comme chef des
missions en Bretagne, il lui proposa de venir continuer son œuvre ; mais la
divine Providence le voulait ailleurs.
Le Serviteur de Dieu se
retira tout d'abord, avec le Frère Mathurin et un autre Frère nommé Jean, dans
la solitude de Saint-Lazare. C'était une petite demeure qu'il s'était procurée
dans le prieuré de ce nom, tout près de sa ville natale. Il fit réparer une
chapelle qui s'y trouvait et décora l'autel d'une manière convenable. Il y plaça
une statue de la Sainte-Vierge qu'il appela Notre-Dame-de-la-Sagesse.
Il fut heureux de
pouvoir prêcher à Montfort même une mission qui ne fut pas moins fructueuse que
toutes les autres. Il se proposait d'ériger un magnifique calvaire avec une chapelle,
où les principales circonstances de la Passion devaient être représentées ;
mais ses ennemis persuadèrent au duc de la Trémouille, seigneur du lieu, de
s'opposer à cette entreprise qui était déjà commencée. Malheureusement les
Jansénistes de la ville et du voisinage étaient appuyés par l'évêque du diocèse
qui partageait leurs idées. Ce prélat étant venu à Montfort, sur ces
entrefaites, on lui peignit le missionnaire sous des couleurs si défavorables
qu'il lui retira brusquement tous les pouvoirs qu'il lui avait donnés.
Cependant, un instant après, le recteur de Bréal, qui ignorait ce qui s'était
passé, demanda à l'évêque de vouloir bien lui accorder M. de Montfort pour
prêcher une mission dans sa paroisse. Le prélat, qui se repentait peut-être
déjà de ce qu'il venait de faire, se rendit au désir de ce prêtre. A la prière
du missionnaire, il le rétablit même dans ses pouvoirs pour tout le diocèse. Il
n'en usa pas longtemps. Après la mission de Bréal, il en fit une autre à
Romillé, au mois d'août 1708. A son retour à Montfort, l'orage qui se formait
depuis quelques mois contre lui éclata avec une nouvelle violence.,Il comprit
alors qu'une opposition si vive et si persistante le mettait dans
l'impossibilité de faire le bien dans son diocèse, et, après avoir choisi une
gardienne pour la chapelle de Saint-Lazare, il passa dans le diocèse de Nantes,
où il avait fait l'apprentissage de la vie apostolique.
Il resta deux ans et
quelques mois dans ce diocèse. S'il y trouva les croix les plus lourdes, il y
rencontra aussi de grandes consolations. Il donna successivement des missions à
Saint-Similien de Nantes, à Vallet, à la Chevrolière, à Vertou, à Saint-Fiacre,
à Cambon, à Crossac et à Pontchâteau.
A la mission de
Saint-Similien, il prêcha, selon sa coutume, avec tant de force contre le vice
et le scandale, que des écoliers libertins et d'autres impies, qui se croyaient
atteints par ces reproches, résolurent de s'en venger. Ils allèrent l'attendre
dans une rue et se jetèrent sur lui pour l'assommer ; mais le peuple arracha le
missionnaire des mains de ces misérables. Quelques jours après, son zèle
l'exposa encore à un grand danger. En venant de la Communauté de Saint-Clément,
il se trouva au milieu d'une troupe de soldats et d'ouvriers qui se battaient
avec fureur, en vomissant des imprécations et des blasphèmes. Il parvint
heureusement à les séparer, puis apercevant une table de jeu qu'on lui dit être
presque tous les jours la cause de rixes semblables, il s'en approche, la
renverse et la brise. Les soldais auxquels elle appartenait voulurent l'obliger
à la payer, mais comme il ne possédait aucun argent, ils l'entraînèrent
violemment vers le Château, afin de l'y mettre en prison. Le peuple se chargea
encore de le délivrer des mains des soldats. On se pressait en foule autour de
la chaire, du haut de laquelle Montfort annonçait la parole de Pieu, et bien
des personnes laissaient de côté leurs repas pour ne point perdre l'occasion de
l'entendre. Une demoiselle d'une admirable candeur, qui fut depuis Supérieure
de l'hôpital de Guérande, s'était rendue dès le matin à Saint-Similien, pour
assister aux instructions du saint missionnaire. Elle resta si longtemps à
l'église sans prendre aucune nourriture, que dans l'après-midi, elle fut sur le
point de tomber de faiblesse. Sans en rien laisser apercevoir, elle sortit et
alla s'asseoir sur une pierre pour se reposer. Elle y était à peine qu'une
femme inconnue, d'un aspect modeste et vénérable, s'approcha d'elle, lui offrit
un morceau de pain, puis disparut. La demoiselle assura depuis qu'elle n'avait
jamais mangé de pain si délicieux. Ce Jésus si compatissant, qui avait nourri
des milliers de personnes avec quelques pains et quelques poissons, n'aurait-il
pas envoyé son auguste Mère au secours de sa fidèle servante, si avide de se
rassasier du pain de sa divine parole ?
De Nantes le Vénérable
Serviteur de Dieu se rendit à Vallet, pour y prêcher une mission qui porta les
fruits les plus abondants. In seul homme ne profita pas de la grâce de Dieu, et
fit même de l'opposition; mais il fut puni d'une manière terrible. Un des
derniers jours de la mission, tandis que tout le monde était à l'église, pour
entendre le sermon, lui, il était resté dans sa maison. Un orage éclate, la
foudre le frappe et le tue, sans lui laisser le temps de se reconnaître.
A Vallet comme partout
ailleurs, le dévot serviteur de Marie établit la récitation du Rosaire. Les
habitants, après y avoir été fidèles pendant quelques années, finirent par en
abandonner la pratique. Montfort sut les faire revenir à leur première ferveur,
en leur témoignant toute la peine que leur négligence lui avait causée. En
effet, après la mission de Roussay, en 1713, il refusa de passer par Vallet,
quoique ce fût son chemin pour retourner à Nantes, et qu'on l'en priât avec
instance. Une femme s'étant jetée à genoux pour le conjurer de se rendre au
désir de tout un peuple : « Non, non, dit-il, je ne passerai point par Vallet;
on a abandonné mon chapelet. »
Ce reproche toucha
vivement les habitants de cette paroisse, et la récitation du Rosaire y fut
rétablie. Elle subsistait encore quinze ans après, lorsque le P. Mulot,
successeur du Vén. de Montfort, vint donner à Vallet une nouvelle mission.
A la Chevrolière l'homme
de Dieu eut beaucoup à souffrir de la part du curé lui-même, qui, n'ayant pu s'opposer
à l'ouverture de la mission, malgré tous ses efforts, employa tous les moyens
imaginables pour en empêcher le succès. Une conduite si peu sacerdotale ne
servit qu'à faire briller avec plus d'éclat la patience et le zèle du saint
missionnaire, qui eut à lutter encore contre une maladie cruelle dont il fut
délivré subitement et comme par miracle à la plantation d'une croix. Ni sa
maladie, ni les efforts du pasteur de la paroisse n'empêchèrent la grâce divine
de produire dans les âmes l'effet qu'il pouvait désirer.
Dieu sembla vouloir
consoler son serviteur des persécutions qu'il avait essuyées à la Chevrolière,
en l'envoyant à Vertou, où il ne rencontra que des sujets de joie. Ce n'était
pas là précisément ce que cherchait cet amant passionné des croix. Aussi, comme
il n'avait rien à souffrir, il ne put s'empêcher d'en témoigner son chagrin à
M. des Bastières qui prêchait la mission avec lui: « Mon cher ami, lui dit-il,
que nous sommes mal ici!... Nous y sommes trop à l'aise... Nous y sommes trop
aimés... Point de croix ! Quelle croix ! Quelle affliction pour moi! » Pendant
cette mission, Montfort guérit subitement le Frère Pierre qui l'accompagnait et
qui se trouvait si mal qu'on songeait à lui donner l'Extrême-onction. Il lui
commanda de se lever pour servir les missionnaires à table, et le malade obéit.
A la fin de cette
mission, le serviteur de Dieu fit dresser un bûcher comme à Poitiers, pour
brûler les mauvais livres qu'on lui avait apportés; chacun y jeta ses livres au
feu. Mademoiselle des Marques, jeune fille de condition, s'approcha comme les
autres du bûcher. Elle n'avait point de mauvais livres à y jeter ; mais sous
les yeux de ses parents et de tout le peuple étonné de son sacrifice, elle
livra aux flammes les parures qu'elle avait jusqu'alors trop aimées; depuis
elle y renonça pour toujours.
Après la mission de
Saint-Fiacre qui eut tout le succès désirable, le Vénérable serviteur de Dieu
alla passer quelque temps à Nantes, et donna une retraite à la maison des
Pénitentes. Il se rendit à Cambon, au commencement du Carême de 1709. Tout y
était dans un triste état, le temple matériel comme les temples spirituels;
mais le saint missionnaire, avec son intelligence et son zèle ordinaire,
parvint à opérer complètement la restauration de l'église et des âmes. Vers la
fin de la mission, Montfort et M. clos Bastières coururent un bien grand
danger. Des assassins, qui savaient que les deux missionnaires devaient aller à
Pontchâteau, se tinrent cachés tout le jour sur le bord de la route; mais comme
on avait heureusement été averti de ce projet, le voyage n'eut pas lieu. A
Crossac comme à Cambon, le serviteur de Dieu fit le plus grand bien aux âmes et
il parvint à restaurer convenablement l'église qui était dans l'état le plus
déplorable.
La mission de Crossac
fut suivie de celle de Pontchâteau, célèbre entre toutes les autres et parla
magnificence du calvaire que le pieux apôtre du divin Crucifié y érigea et par
les peines et les humiliations qu'il eut à y endurer. Il sut profiter des
bonnes dispositions des habitants de la paroisse, qui étaient très religieux,
et de celles de tous les habitants des paroisses voisines, pour faire élever
une véritable montagne au milieu d'une vaste lande. Tous les jours, pendant
quinze mois, des centaines d'ouvriers travaillèrent à celle œuvre colossale
avec un zèle et une activité qui tenaient du prodige. Les gentilshommes, les
grandes dames, les bourgeois et les prêtres rivalisaient d'ardeur avec les
ouvriers ordinaires. L'homme de Dieu animait toute l'entreprise. Toutefois il
ne laissa pas, pendant la durée de ce travail gigantesque, de donner les
exercices de la mission dans les paroisses de Landemont, St-Sauveur-de-Landemont,
la Boissière, la Remaudière, Besné, Herbignac, Camoël, Assérac, Saint-Donatien
de Nantes et Bouguenais.
Le magnifique ouvrage
étant enfin terminé, l'autorisation de bénir la croix plantée sur le sommet de
la montagne fut accordée par l'évêque de Nantes, et la cérémonie fixée au 14
septembre 1710. Tout était prêt, lorsque, la veille du jour où devait avoir
lieu la cérémonie, arriva de l'Evêché une défense expresse de passer outre. Le
missionnaire partit sur-le-champ pour Nantes et ne revint que le lendemain delà
fête, sans avoir rien obtenu. Cependant, comme tous les habitants de la contrée
étaient venus pour la cérémonie, tout se fit selon qu'il avait été réglé, à
l'exception de la bénédiction de la Croix. Ce ne fut, pus tout encore,
l'épreuve devait être à son comble. Par ordre supérieur le calvaire fut démoli.
Après trois mois de travail, la montagne fut à peu près détruite, et les douves
qui l'entouraient en partie comblées.
Les Jansénistes,
toujours à la poursuite de Montfort, étaient indignés de voir s'élever un
monument qui rappellerait dans l'avenir son zèle et son influence sur les
religieuses populations de ces contrées. Ils mirent donc tout en œuvre pour le
décrier auprès de l'évêque et do l'autorité civile. On représenta le
missionnaire comme un homme ambitieux qui traînait à sa suite des milliers de
personnes, et le calvaire de Pontchâteau comme une forteresse environnée de
douves et de souterrains, où les ennemis pourraient se cantonner en cas de
descente. L'affaire fut portée jusqu'à la Cour, et, sur le rapport de quelques
personnes mal instruites ou malintentionnées, parut un ordre exprès de démolir
le calvaire. Depuis ce temps, il a été rétabli, comme l'avait annoncé le
Serviteur de Dieu, et la montagne qui s'élève au milieu de la plaine porte bien
haut la croix do Jésus-Christ. Après 174 ans, le nom de Montfort est encore en
vénération dans tout le pays, et ses enfants spirituels ont établi une double
Communauté et un séminaire à l'ombre du religieux monument.
La ruine du calvaire de
Pontchâteau ne fut pas la seule cause de douleur et d'humiliation pour l'homme
de Dieu: l'évêque de Nantes, ajoutant foi trop facilement à toutes les
accusations calomnieuses de ses ennemis, finit par retirer les pouvoirs qu'il
lui avait donnés pour son diocèse. Cette triste et humiliante nouvelle lui
parvint dans la paroisse de Saint-Molf, où il venait de commencer une mission.
Sans se plaindre et sans chercher à se justifier, il quitta cette paroisse et
se retira chez les Jésuites de Nantes, pour y faire une retraite de huit jours.
Il édifia, par sa patience et sa soumission toute pleine de joie, les
charitables Pères qui l'avaient reçu dans leur maison, et auxquels il n'avait
rien dit de ses propres peines, et M. des Bastières qui était venu pour le
consoler. Ce fut à la suite de cette retraite qu'il se fit admettre dans le
Tiers-Ordre de Saint Dominique. Il y fit profession selon les formes
ordinaires, le 10 novembre, dans le Couvent des Dominicains de Nantes.
Le soin de sa
sanctification et les entraves mises à son zèle n'empêchèrent pas cet
incomparable apôtre de se rendre utile en plusieurs manières. Il jeta les
fondements d'un hôpital d'incurables et contribua à l'établissement d'une
maison destinée à recevoir, pendant leur convalescence, les malades sortant de
l'Hôtel-Dieu. Il forma, sous le nom d'Amis de la Croix, une confrérie de
personnes pieuses, à laquelle il donna des règlements pleins de sagesse. Enfin,
dans un débordement de la Loire, il fit preuve d'un courage et d'une charité au
dessus de tout éloge, en exposant lui-même sa vie pour porter secours aux
inondés qui étaient en grand danger de périr.
Tels furent les derniers
souvenirs de son passage que l'homme de Dieu laissa à la ville de Nantes, dont
il crut devoir s'éloigner, à cette époque, puisqu'il ne lui était plus permis
d'y travailler au salut des âmes par la prédication du Saint Evangile et
l'administration des Sacrements.
CHAPITRE
IV
Depuis la sortie de Montfort du diocèse de Nantes jusqu'à son voyage de
Rouen (1711-1714).
En quittant Nantes, le
Vénérable de Montfort passa dans les diocèses de Luçon et de La Rochelle, où il
devait terminer sa carrière apostolique. Il eut le bonheur de trouver dans ces
deux diocèses des évêques d'un grand mérite et d'une grande vertu, qui
l'honorèrent, jusqu'à la fin de sa vie, de toute leur estime, et se montrèrent
toujours ses dévoués protecteurs. Il est vrai qu'ils faisaient la même
opposition que lui aux funestes erreurs du temps et qu'ils étaient entourés de
prêtres qui partageaient les idées de leurs premiers pasteurs.
Appelé par Mgr de
Champflour, évêque de La Rochelle, à travailler dans son diocèse, le Serviteur
de Dieu quitta Nantes vers la fin de mars 1711 ; mais avant de se rendre à La
Rochelle, il voulut remplir la promesse qu'il avait faite à M. le Curé delà
Garnache, au diocèse de Luçon, de donner à ses paroissiens les exercices d'une mission.
Elle eut comme toutes les autres les plus heureux résultats. A l'entrée du
bourg, sur un point culminant, se trouvait une chapelle en ruines, dédiée à
saint Léonard ; le pieux missionnaire entreprit de la restaurer, de la décorer
et d'y placer une statue de la Sainte-Vierge, sous le titre de : Notre-Dame-de-la-Victoire.
Ayant obtenu la permission de l'évêque et des habitants, il y lit travailler
selon le plan qu'il donna lui-même. Mais comme il eut besoin de retourner à
Nantes, pendant qu'on achevait les travaux, il promit au digne curé et à ses
paroissiens de revenir, le 12 mai de l'année suivante, pour bénir la chapelle.
Après quelques jours
passés à Nantes, il se mit en route pour La Rochelle. Sur son chemin se
trouvait la paroisse de Saint-Hilaire-de-Loulay, dont le curé lui avait demandé
la faveur d'une' mission. Montfort s'y rendit; mais quelle ne fut pas sa
surprise, quand, au lieu d'une réception amicale, il ne se vit accueilli que
par des reproches sévères ! Les ennemis du missionnaire avaient réussi à faire
changer les dispositions de ce prêtre. Il était tard, et le Vénérable serviteur
de Dieu, extrêmement fatigué et trempé de pluie, ne trouva un asile ni au
presbytère, ni dans une hôtellerie, où il se présenta. Il fut heureux de
rencontrer un gîte pour lui et pour son compagnon de voyage chez une pauvre
femme qui n'avait à leur offrir pour lit qu'un peu de paille et pour nourriture
qu'un peu de pain. Le lendemain, le saint prêtre alla dire la messe à Montaigu,
chez les Religieuses de Fontevrault, qui le reçurent comme un ange envoyé du
ciel.
Arrivé ù Luçon, il se
rendit d'abord au Séminaire, dirigé alors par les Jésuites, ses amis de tous
les lieux et de tous les temps. Son intention était d'y faire une retraite de
quelques jours. Il édifia les Pères et les séminaristes par sa grande piété. Un
jour qu'il disait la messe, on le vit, après la consécration, rester près d'une
demi-heure en extase; il fallut user de violence pour le rappeler à lui. Il ne
pouvait manquer de faire une visite à l'évêque, qui le reçut avec bonté et
l'invita à prêcher, le lendemain, dans sa cathédrale. Après avoir expliqué
l'Evangile du jour qui traitait de la prière, le zélé missionnaire fit tomber
son discours sur la prière du Rosaire, son sujet favori. Tout l'auditoire était
ému, et le prélat paraissait satisfait. Cependant, au moment où le prédicateur
parlait avec le plus d'énergie, et tonnait avec force contre les hérétiques
albigeois, il s'aperçut que deux chanoines jetaient curieusement les regards
sur l'évêque. Il craignit alors d'avoir laissé échapper quelques paroles indiscrètes,
dans le feu de l'improvisation. Descendu de chaire, il demanda la cause de ce
qui avait pu distraire quelques chanoines. On lui dit qu'il aurait probablement
plus ménagé ses termes, en parlant des Albigeois, s'il avait su que l'évêque
était d'Albi, et on lui conseilla d'en faire ses excuses au prélat. Mgr de
Lescure et le pieux missionnaire s'en tirèrent à leur honneur. L'évêque, charmé
de l'humilité du prêtre étranger, lui dit du ton le plus aimable : « M. de
Montfort, d'une mauvaise souche il sort parfois d'excellents rejetons. » Il ne
voulut point le laisser partir, sans lui faire promettre de revenir prêcher
dans son diocèse, dès qu'il le pourrait.
Le Serviteur de Dieu se
rendit alors à La Rochelle, où il arriva bien tard. Il alla, avec son compagnon
de voyage, loger dans une hôtellerie. Mais quand il fallut payer les dépenses
du souper et du coucher, qui ne s'élevaient pourtant qu'à la modique somme de
douze sous, il avoua ingénument qu'il n'avait point d'argent. Il proposa au
maître de la maison de lui laisser son bâton en gage, en promettant de payer
plus tard ce qui lui était dû. Le saint voyageur se rendit ensuite à l'Hôpital
pour dire la messe et visiter les malades, auxquels il parla avec son onction
ordinaire.
Une personne de piété,
appelée Mlle Prévost, qui avait été témoin de la ferveur avec laquelle il
s'était acquitté de ces actes de religion, en parla à son directeur, le P.
Collusson, professeur de théologie au Séminaire. Celui-ci, qui connaissait
parfaitement Montfort, n'eut pas de peine à comprendre qu'il s'agissait de lui.
Il engagea cette charitable demoiselle aie recevoir dans sa maison ; ce qu'elle
fit avec joie. On devine aisément que la dette contractée à l'auberge par l'homme
de Dieu dut être bientôt payée, et que le bâton qu'on y avait laissé ne tarda
pas à revenir à son propriétaire.
Lorsque Montfort se
présenta à l'Evêché, il y fut reçu avec la plus complète satisfaction. Le pieux
prélat lui témoigna, dès le commencement, une entière confiance que rien ne put
jamais altérer. Au lieu de se tenir sur la défiance, comme d'autres prélats mal
renseignés ou mal conseillés, Mgr de Champflour donna au missionnaire les
pouvoirs les plus étendus.
Cependant, avant de le
faire prêcher dans la ville, il voulut qu'il essayât ses forces dans une petite
paroisse voisine de La Rochelle, appelée Lhoumeau. Dieu répandit sur ses
travaux les plus abondantes bénédictions. Rappelé dans la ville, il y prêcha
successivement quatre missions, avec un succès prodigieux : la première à
l'hôpital St-Louis, pour tout le monde ; la seconde, pour les hommes seulement,
dans l'église des Dominicains; la troisième, pour les femmes, dans la même
église ; la quatrième, pour les soldats, toujours dans l'église des
Dominicains, qu'il avait choisie, parce qu'elle était la plus vaste de la
ville, et sans doute aussi parce qu'il voulait se mettre sous la protection de
Saint Dominique, et, à son exemple, propager la pratique du Rosaire et la
dévotion à la Sainte-Vierge.
Les conversions furent
nombreuses et éclatantes, même parmi les soldats et les Calvinistes; mais la
conversion qui fit le plus de bruit fut celle de Mme de Mailly. Sa naissance,
son esprit, son attachement à l'hérésie la rendaient particulièrement chère à
son parti. Non content d'attaquer le vice du haut de la chaire, Montfort allait
le poursuivre, avec un zèle de feu et un courage incroyable, jusque dans les
maisons de débauche, jusque dans les plus dangereux repaires. On peut dire que
la ville de La Rochelle fut remuée de fond en comble par l'homme de Dieu, qui
entraînait les petits et les grands par la puissance de sa parole et l'exemple
irrésistible des plus admirables vertus.
Il voulut laisser un
souvenir de ses missions à La Rochelle, en érigeant deux croix: l'une en pierre
à la porte Dauphine; l'autre en bois à la porte St-Nicolas. Lorsque cette
dernière fut élevée, et pendant que le missionnaire prêchait avec son zèle
accoutumé sur l'amour des croix et des souffrances, plus de cent personnes,
tant ecclésiastiques que laïques, aperçurent un grand nombre de croix en l'air.
C'est M. des Bastières qui raconte ce prodige.
Les conversions
nombreuses et éclatantes opérées par le Serviteur de Dieu devaient
nécessairement lui attirer la haine des libertins, dos impies et des hérétiques
; aussi employèrent-ils contre lui tous les moyens que l'enfer a coutume de
mettre en œuvre contre ceux qui travaillent efficacement au salut des âmes. On
en vint même jusqu'il attenter à sa vie. Un soir, des malheureux l'attendirent
longtemps dans une rue, où il devait passer, afin de lui faire un mauvais parti
; mais il fut inspiré de prendre une autre voie, pour se rendre où il voulait
aller. On trouva le moyen de glisser du poison dans un bouillon qu'il devait
prendre, en descendant de chaire. Ce poison ne produisit pas tout l'effet qu'on
désirait, car Montfort prit aussitôt du contre-poison ; mais on ne peut douter
qu'il ait grandement contribué à ruiner sa santé.
On no s'en tint pas là.
Ses ennemis acharnés à sa perte ayant appris qu'il devait passer à l'Ile-Dieu,
où l'appelait l'évêque de Luçon, s'entendirent avec des corsaires de Guernesey,
afin qu'ils s'emparassent de lui. Comme les vaisseaux corsaires avaient paru en
mer, depuis plusieurs jours, les matelots de La Rochelle et des Sables-d'Olonne
refusèrent absolument de s'embarquer, pour conduire dans l'ile le missionnaire
qui voulait se rendre. Celui-ci alla jusqu'à Saint-Gilles, et lit tant par ses
supplications et ses promesses qu'il détermina un maîtredechaloupe à le passer
avec ceux qui l'accompagnaient. Dès qu'on fut à quelque distance de la terre,
on aperçut deux vaisseaux de Guernesey, qui venaient sur la barque à pleines
voiles, Tout le monde était saisi de terreur; Montfort seul paraissait sans
aucune crainte. Il chantait des cantiques, et engageait les autres à en faire
autant ; mais le pilote, les matelots et les passagers ne se sentaient
nullement disposés à chanter. On se mit alors à réciter le chapelet. Dès qu'il
fut terminé, le Serviteur de Dieu dit à ses compagnons de voyage : « Ne
craignez rien, mes chers amis, notre bonne Mère, la Sainte-Vierge, nous a
exaucés; nous sommes hors de danger. » En effet le vent changea aussitôt, et on
vit les vaisseaux corsaires virer de bord et s'éloigner.
La mission de l'Ile-Dieu
eut tout le succès que l'on pouvait désirer, malgré l'opposition du gouverneur
et de quelques-uns de ses amis. Montfort établit la récitation du Rosaire dans
trois chapelles situées en différents endroits de l'ile, et fit planter une
croix sur un lieu élevé et couvert de pierres. L'une de ces pierres était d'une
grosseur énorme, et plusieurs hommes ensemble ne pouvaient la remuer ; mais on
rapporte que le missionnaire n'eut qu'il y mettre la main pour la faire rouler
jusqu'en bas. Après avoir passé deux mois à l'Ile-Dieu, il se rendit à Nantes,
pour visiter et encourager ses pieux établissements; puis, comme il l'avait
promis, l'année précédente, il revint, le 12 mai, à La Garnache pour bénir la
chapelle de Notre-Dame-de-la-Victoire. La cérémonie se fit avec une grande
piété.
Le soir même de la
bénédiction de cette chapelle, il commença une mission à Sallertaine, au milieu
d'une population très mal disposée.
La paroisse était dans
l'état le plus déplorable; on peut dire que tous les désordres s'y rencontraient
à la fois; mais elle changea tellement de face qu'au départ de l'homme de Dieu
elle semblait être devenue l'asile de toutes les vertus. Le missionnaire obtint
de l'évêque la permission de réparer et d'orner une chapelle de l'église et de
la mettre sous l'invocation de Notre-Dame-de-Bon-Secours. Il éleva aussi un
magnifique calvaire, qui, sans avoir les proportions gigantesques de celui de
Pontchâteau, constatait encore l'immense ascendant de sa parole et une grande
générosité des habitants. Malheureusement ce calvaire ne resta pas longtemps
debout ; pour le détruire on employa les mêmes moyens qu'on avait employés
ailleurs.
La mission de
Sallertaine touchait à sa fin, quand le zèle du missionnaire lui attira une
insulte publique. Il avait cru devoir apostropher une demoiselle qui ne se
tenait pas d'une manière convenable dans l'église. Celle-ci s'en plaignit à sa
mère qui résolut de s'en venger. Armée d'une canne, elle attend le missionnaire
sur la rue, et, aussitôt qu'il parait, elle lui adresse des menaces qu'elle
accompagne en mémo temps de plusieurs coups. Le Vénérable serviteur de Dieu se
contenta de lui dire : « Madame, j'ai fait mon devoir; mademoiselle votre fille
devait faire le sien. »
A peine la mission de
Sallertaine était-elle terminée que l'infatigable apôtre commença celle de
Saint-Christophe; c'était le 11 juin. Une partie des habitants de la paroisse
qu'il venait d'évangéliser l'avait suivi jusqu'à Challans, et les habitants de
Saint-Christophe, ayant leur curé à leur tète, étaient venus à sa rencontre.
Montfort espérait adresser quelques paroles à tout ce monde dans l'église de
Challans ; mais le pasteur du lieu ne crut pas devoir le permettre. Il conduisit
alors son peuple sous les Halles, pour lui faire une pieuse allocution. Pendant
qu'il parlait, des marchands, qui passaient pour se rendre à une foire voisine,
se mirent à injurier l'homme de Dieu. Ceux qui l'écoutaient attentivement en
furent indignés, et l'insulte des passants ne serait pas restée impunie, si
Montfort lui-même n'eût arrêté l'impétuosité d'un zèle mal réglé, en faisant chanter
un cantique. Lorsqu'il arrivait à Saint-Christophe, un homme, on ne sait par
quel motif, vint à lui et lui donna un soufflet. On voulut s'en saisir; mais le
missionnaire ne le permit pas, disant qu'il serait bientôt à lui. Un effet, cet
homme se convertit sincèrement.
Les habitants de
Saint-Christophe se trouvant dans d'excellentes dispositions, la mission ne
pouvait manquer d'avoir les plus heureux résultats. Elle fut surtout
remarquable par un prodige opéré à la prière du Serviteur de Dieu et par deux
prédictions frappantes qui eurent leur accomplissement: Il multiplia la pâte
dans une huche, tandis que la fille du
sacristain, Jean Cantin, était occupée à boulanger. Il prédit à un homme et à
sa femme, qui ne voulaient pas se dessaisir de contrats usuraires, et réparer
les scandales qu'ils avaient donnés, qu'ils mourraient pauvres et qu'ils
n'auraient pas le son des cloches à leur enterrement. La prédiction s'est
vérifiée de point en point. Ces gens perdirent leur fortune, et tous deux sont
morts le Jeudi-Saint et ont été enterrés le Vendredi-Saint, jour auquel on ne
sonne point les cloches; la femme, le 7 avril 1730; le mari, le 3 avril 1738.
Montfort prédit encore que la croix que l'on plantait dans la mission resterait
debout jusqu'à ce qu'il se fit une autre mission dans la paroisse, bien qu'elle
partit trop faible pour résister longtemps à la violence des vents. Elle
subsista en effet jusqu'en 1785, époque d'une autre mission, et tomba d'elle-même,
au moment où l'on songeait à planter une autre croix.
La mission de
Saint-Christophe fut la dernière que prêcha le Serviteur de Dieu dans le
diocèse de Luçon, où il travaillait depuis environ cinq mois, avec une ardeur
tout apostolique et un succès complet. Avant de le quitter, il alla faire à La
Garnache quelques exercices de piété, qu'il appelait la préparation à la mort,
puis il retourna à La Rochelle. A peine y était-il arrivé que les Hospitalières
lui ayant demandé une retraite, il consentit à la prêcher, à condition que les
personnes du dehors y seraient admises. Cette retraite eut un succès merveilleux.
Il s'y fit plusieurs conversions éclatantes, entre autres celle de Mlle Bénigne
Pagé, fille d'un trésorier de Fiance, qui quitta le monde qu'elle avait trop
aimé pour entrer chez les religieuses de Sainte Claire.
C'est à cette époque que
plusieurs personnes de piété, dans l'intention de retenir l'homme de Dieu à La
Rochelle, lui procureront, dans la paroisse de Saint-Eloi, un petit logement dont
il devait jouir jusqu'à sa mort. Cet ermitage remplaça pour lui la solitude de
Saint-Lazare. Il y passa la belle saison de l'année 1712, et, quand l'hiver eut
interrompu les travaux agricoles, et l'amené les jours favorables aux missions
des campagnes, il recommença sa carrière laborieuse. Il alla évangéliser
successivement Thoiré, Saint-Vivien, Esnandes et autres lieux.
A Esnandes une croix
devait être plantée, la veille de Noël. Cette cérémonie attira une foule
d'étrangers. Quelques-uns d'entre eux s'installèrent dans une auberge et se
mirent à chanter, à danser et à se livrer à toutes sortes d'excès. Montfort ne
craignit pas de pénétrer dans cette maison pour faire cesser le scandale ; mais
il ne fut pas mieux reçu de l'aubergiste que des étrangers. Alors le
missionnaire annonça au maitre de la maison que de grands malheurs tomberaient
sur lui et sur ses enfants. Cette prédiction se vérifia d'une manière terrible.
Peu de jours après la clôture de la mission, l'aubergiste fut saisi d'un
violent tremblement auquel on ne put apporter aucun remède. On ne l'appelait
que le Tremblant. Il mourut dans la plus grande misère, ainsi que sa femme et
ses enfants.
En quittant Esnandes,
Montfort alla passer quelques jours dans sa solitude de Saint-Eloi, puis il ne
tarda pas à reprendre le cours de ses missions. Il se rendit d'abord à Courçon,
qui avait grand besoin de sa parole évangélique et de l'exemple de ses vertus.
La division la plus profonde régnait entre le pasteur et le troupeau et entre
les brebis elles-mêmes. La charité semblait entièrement bannie de cette pauvre
paroisse. Le saint missionnaire mit tout on œuvre pour la faire revivre dans
les cœurs, et il réussit au-delà de toute espérance. Pendant un sermon de
l'hommedePieu sur le pardon des injures, le curé, touché jusqu'aux larmes, pria
le prédicateur de s'arrêter, et demanda humblement pardon à ses paroissiens du
scandale qu'il leur avait donné par ses emporte-monts et ses rancunes. Cet
exemple fut suivi à l'instant par tout le peuple, qui ne pouvait à son tour
retenir ses larmes et ses sanglots. Tous les habitants se hâtèrent de demander
pardon à leur pasteur des outrages dont ils l'avaient accablé, puis les hommes
s'embrassèrent entre eux en signe d'une réconciliation parfaite; les femmes en
firent autant de leur côté. Cette réconciliation générale fut solide et
durable. Tousse rappelèrent la promesse qu'ils s'étaient faite au pied des
autels et s'édifièrent mutuellement par leur charité. Quel prince de la chaire
ou de la tribune a jamais remporté un si beau triomphe oratoire ?
Le Serviteur de Dieu
était occupé à prêcher dans les environs de La Rochelle, quand le curé de la Séguinière
l'invita à donner une mission à sa paroisse. Il y établit l'usage de réciter le
chapelet à l'église et dans les maisons, et fit rebâtir une chapelle en ruines,
qu'il dédia à la Sainte-Vierge sous le titre de: Notre-Dame-de-Toute-Patience.
La mission de la Séguinière n'était pas terminée que l'homme de Dieu tomba
malade. En vain le curé, que Montfort appelait le curé selon son cœur,
voulut-il le retenir quelques jours, afin qu'il pût se reposer; en vain les
demoiselles de Beauveau, sœurs de Mgr. l'évêque de Nantes, le pressèrent-elles
de rester à leur maison de campagne, pour le même motif, il se décida à partir
pour Paris, dans l'intention de commencer une œuvre dont la pensée l'avait
toujours occupé depuis longtemps.
Déjà il avait jeté les
fondements de la Congrégation de la Sagesse; déjà il s'était associé quelques
Frères qui devaient être les prémices de la Communauté du Saint-Esprit ; mais
il voulait une Compagnie de prêtres destinés à poursuivre, après lui, le
travail si fructueux des missions. Cette idée germait depuis longtemps dans son
âme. Dieu lui avait inspiré cette pensée dès les jours de sa jeunesse
sacerdotale; car nous voyons que, dans une lettre écrite à M. Léchassier, le 6
novembre 1700, il lui disait: « Je ne puis m'empêcher, vu les nécessités de
l'Eglise, de demander continuellement, avec gémissement, une petite et pauvre
Congrégation de bons prêtres qui s'exercent aux missions sous l'étendard et la
protection de la Sainte-Vierge. »
Il lui sembla que le
moment était venu de travailler à cette œuvre; mais, avant, d'agir, il voulut
consulter Mgr de Champflour qui approuva son projet. Retiré dans sa solitude de
Saint-Eloi, il se mit à rédiger la Règle de ses missionnaires. On conserve
encore cette Règle telle qu'elle a été écrite par Montfort lui-même. Le saint
fondateur, ainsi que le remarque un de ses historiens, s'est contenté de faire
une simple esquisse et d'y mettre l’essentiel, auquel le reste pouvait être
aisément ajouté, dans la suite, soit par lui-même, soit par ses successeurs. Dans
ces derniers temps, sans rien changer à l'esprit de la Règle et à ses points
essentiels, on a du la compléter et y apporter quelques modifications
nécessaires, pour la faire approuver parle Souverain Pontife.
Après la mission de la
Séguinière, le Serviteur de Dieu se rendit donc à Paris, dans l'espérance
d'attacher à son œuvre quelques jeunes ecclésiastiques. M. l'abbé Desplaces,
l'un de ses compatriotes, avait fondé dans la Capitale la Communauté du
Saint-Esprit. Montfort lui avait proposé autrefois de venir partager ses travaux;
mais celui-ci ne pouvait abandonner l'établissement qu'il avait commencé. Il
dit du reste au pieux et zélé missionnaire qu'il pourrait, quand le temps
serait venu, choisir parmi ses écoliers ceux qu'il jugerait propres aux
missions. Montfort n'oublia point cette promesse ; et, bien que M. Desplaces
eût cessé de vivre, depuis près de quatre ans, il se rendit au séminaire du
Saint-Esprit, où directeurs et élèves lui firent le plus honorable accueil. Le
Serviteur de Dieu eut la consolation de voir qu'il avait fait un voyage utile à
sa Compagnie, en inspirant à quatre séminaristes le désir de suivre un jour ses
pas : ce furent messieurs Vatel, Thomas, Hédan et Le Valois. M. Vatel est le
seul qui ait travaillé avec lui ; les autres ne vinrent qu'après sa mort se
joindre à ses successeurs.
Le Vénérable de Montfort
trouva à Paris une autre consolation qui n'est pas du goût de tout le monde,
celle d'être humilié et de souffrir pour Jésus-Christ. Il se vit repoussé par
ses amis d'autrefois, lesquels désapprouvaient hautement ceux qui, comme les
directeurs du Séminaire du Saint-Esprit, l'accueillaient avec bienveillance.
Mais tous ces rebuts et ces mépris ne serviront qu'à faire éclater d'une
manière plus admirable sa douceur, son humilité, sa patience et sa charité.
Cependant le saint missionnaire, durant son séjour de deux mois dans la Capitale,
sut exercer efficacement son zèle pour la sanctification des âmes. On ne pourrait
dire tout le bien qu'il fit dans le séminaire du Saint-Esprit, soit par ses
touchantes exhortations, soit par ses exemples de vertus. Tous ceux qui le
voyaient ou l'entendaient se trouvaient embaumés du parfum de sa piété, et se
sentaient pénétrés d'un plus ardent amour de Dieu et d'une plus grande
confiance en Marie. Il établit la dévotion du saint Rosaire en trois Communautés
religieuses et détermina plusieurs personnes ecclésiastiques et laïques à le
réciter en entier chaque jour. Il donna aussi au Couvent de l’Ave Maria une
retraite qui fut des plus édifiantes.
Après cette retraite, il
songea à quitter Paris ; mais Dieu voulut qu'avant son départ il laissât à la
Capitale une preuve frappante de la puissance merveilleuse qu'il lui avait
confiée; à cause de sa sainteté; car il guérit subitement, par l'imposition des
mains, un petit enfant dont la tète était toute rongée de teigne. Sa mère le
lui présenta, on disant qu'elle avait en vain employé tous les remèdes pour sa
guérison, mais qu'elle le priait instamment de la demander à Dieu. «
Croyez-vous, dit alors le saint prêtre, que les ministres de J.-C. aient le
pouvoir de guérir, au nom de leur maître, les différentes maladies et d'imposer
les mains? — Oui, monsieur, répondit cette femme, je le crois, et je suis
persuadée que si vous demandez à Dieu la guérison de mon enfant, elle vous sera
accordée. » Dans ce moment, Montfort mettant la main sur la tête du monde, dit
ces mots : « Que le Seigneur vous guérisse, mon enfant, et récompense en vous
la foi de votre mère ! » Aussitôt la teigne sécha, tomba, et l'enfant fut
parfaitement guéri. Mme de Mailly, dont il a été parlé ailleurs, fut témoin de
cet événement.
En retournant à La
Rochelle, l'homme de Dieu passa par Poitiers; mais à peine y fut-il arrivé que
l'évêque, toujours prévenu contre lui, lui ordonna de quitter la ville dans les
vingt-quatre heures. Ses ennemis no le perdaient pas de vue, et l'évoque avait
encore été trompé une fois par leurs incessantes calomnies. Le pieux voyageur
se retira, le soir même, dans un petit ermitage peu éloigné, qui appartenait
aux Révérends Pères Capucins. Il y resta peu de jours; mais il eut le temps de
s'assurer qu'un grand nombre de ceux qu'il avait engendrés à Jésus-Christ
étaient demeurés fidèles. Ce qui lui causa la joie la plus sensible, ce fut de
retrouver la Sœur Marie-Louise de Jésus aussi fervente, plus fervente encore
qu'il ne l'avait laissée, portant seule, depuis dix ans, le saint habit de la Sagesse.
Il fut heureux de lui donner une première compagne dans la personne de Mlle
Catherine Brunet qui prit à sa profession le nom de Sœur de la Conception.
Montfort arriva à La
Rochelle vers la fin d'août 1713, et, bien qu'épuisé de fatigues et usé par ses
mortifications continuelles, il se rendit presque aussitôt à Mauzé, pour y
prêcher une mission, dans la compagnie de deux Pères Jésuites du Séminaire, les
Pères Doye et Collusson.
Vers le milieu de la
mission, le Serviteur de Dieu fut atteint d'une maladie cruelle qui mit sa vie
en danger. On le transporta à l'hôpital de La Rochelle, où, après doux mois de
souffrances terribles et de patience admirable, Dieu lui rendit enfin la santé.
Comme il n'était pas encore en état de soutenir le travail des missions, il
essaya ses forces en donnant les exercices de la préparation à la mort, dans la
paroisse de Courçon et à l’hôpital de La Rochelle. Il se rendit ensuite au
Vanneau, dans le diocèse de Saintes, vers le commencement de mars 1714, pour y
prêcher une autre mission. Le démon, jaloux du bien qui se faisait dans cette
paroisse, chercha à l'entraver, en suscitant encore des calomniateurs qui
réussirent à tromper l'évêque sur le compte de Montfort et de ses compagnons de
travaux; niais le digne cure du Vanneau étant parti pour Saintes n'eut pas de peine
à tirer le prélat de son erreur. De retour à La Rochelle, le zélé missionnaire
alla évangéliser encore un grand nombre de paroisses, parmi lesquelles on cite
Saint-Christophe, Vérines, Saint-Médard, le Gué-d'Alleré, Saint-Sauveur,
Nuaillé, La Jarrie, Croix-Chapeau et Maronnes; il passa même dans l'Ile
d'Oléron. Nous n'avons aucun détail sur ces différentes missions qui lurent
sans doute bénies de Dieu comme les précédentes.
CHAPITRE
V
Depuis le voyage de Montfort à Rouen jusqu'à sa mort (1714-1716).
Le Vénérable serviteur
de Dieu se détermina à faire, en 1714, un long voyage dont les mémoires
contemporains ne nous disent pas le motif. Peut-être l'entreprit-il uniquement
pour conférer avec M. Blain, son ancien ami, qui habitait Rouen, dans l'espoir
de profiter de ses conseils pour l'établissement de sa Compagnie de Marie;
peut-être même voulait-il l'engager à entrer dans cette Compagnie. Quoi qu'il
en soit, il partit de La Rochelle, dans le courant de juin.
Il passa par Roussay et
y donna une mission sur laquelle Dieu répandit ses plus abondantes
bénédictions. Là il eut occasion de déployer toute l'énergie de son zèle contre
des libertins qui, renfermés dans un cabaret peu éloigné de l'église,
troublaient les pieux exercices par leurs jurements, leurs railleries et leurs
chansons obscènes. Un jour que le vacarme avait été encore plus grand que de
coutume, pendant le sermon, le courageux missionnaire, après avoir terminé son
discours, ne craignit pas d'aller droit à cette maison. Il aborde les
tapageurs, leur parle avec une fermeté qui les étonne et les atterre, et les
force à sortir de cet endroit. Deux d'entre eux semblaient vouloir faire
quelque résistance ; Montfort les prend l'un et l'autre par la main et les
conduit ainsi à la porte, en leur disant d'un ton menaçant que s'ils
retournaient, il leur arriverait quoique chose de pire. Depuis ce moment, le
scandale cessa tout-à-fait. Tout porte à croire que, dans cette circonstance,
le zélé missionnaire n'agissait que par une inspiration spéciale. Après avoir
fait éclater ainsi son courage et son zèle, il donna, dans une autre occasion,
une preuve de sa douceur et de son humilité, en descendant de chaire et en se
jetant aux pieds d'un misérable qui était venu le charger d'injures jusque dans
l'église, pendant le sermon. La mission de Roussay faillit se terminer par un
accident terrible; mais l'homme de Dieu était là pour détourner le malheur par
sa prière. Une haute et lourde croix devait être plantée dans un emplacement
très étroit et encombré par la multitude. Elle était presque debout,
lorsqu'elle tomba tout-à-coup du côté où le peuple était le plus entassé, sans
faire de mal à personne. Le saint missionnaire restaura une chapelle en ruines
et établit la récitation du Rosaire. Cette pieuse pratique gagna bientôt les
paroisses voisines dont les habitants avaient assisté à la mission.
De Roussay Montfort
s'achemina vers Nantes, où il resta quelques jours, occupé à soigner les
pauvres malades réunis dans son petit hospice, et à confirmer dans leur ferveur
les associations pieuses qu'il avait fondées, en particulier celle des Amis de
la Croix établie par lui dans la paroisse de Saint-Similien. En passant à Rennes,
le Vénérable serviteur de Dieu éprouva une peine bien sensible, car il ne put
obtenir la permission d'exercer publiquement le ministère de la parole. Pour
s'en consoler et utiliser son loisir, il fit une retraite de huit ou dix jours.
La Croix fut le principal objet de ses méditations, et tout plein des grandes
pensées qu'il avait puisées dans ses entretiens avec Dieu, il écrivit à ses
chers Amis de la Croix une lettre admirable, que l'on croirait tombée de la
plume de saint Paul ou de quelque grand docteur de l'Eglise. Etant allé visiter
le marquis de Magnane, qu'il connaissait particulièrement, et qui se trouvait
chez M. Dorville, subdélégué de l'intendant de Bretagne, il fit connaissance
avec le maître de la maison et sa famille, qu'il édifia par le spectacle de ses
éclatantes vertus.
En quittant Rennes, il
prit la route d'Avranches, où il arriva un peu tard, la veille de l'Assomption.
Le lendemain matin, il se présenta à l’Evêché, pour obtenir la permission de
dire la messe; mais cette permission lui fut refusée. Il lui était dur de ne
pas célébrer les saints mystères dans une fête aussi solennelle : homme de
ressources, il trouva moyen de se tirer d'embarras. Prenant un cheval de poste,
il partit aussitôt, et arriva, avant midi, à Villedieu, paroisse du diocèse de
Coutances, où il eut le bonheur d'obtenir ce qui lui avait été refusé à
Avranches. Il continua ensuite sa route vers Saint-Lô, avec son
compagnon de voyage, le Frère Nicolas.
Après cinq lieues de
marche, il arriva fort tard dans un village, et se présenta dans une auberge,
où on ne voulut pas le recevoir. Ayant aperçu une croix plantée sur le bord du
chemin, il se trouva heureux de passer la nuit au pied de ce signe auguste de
notre rédemption. Le lendemain, il se rendit à Saint-Lô, et alla tout d'abord
visiter la Communauté du Bon-Sauveur, où il établit la dévotion du saint
Rosaire et l'usage des cantiques spirituels, surtout parmi les pensionnaires.
Il rencontra dans cette sainte maison un jeune vicaire, M. Le François, qui se
montra plein de respect et d'affection pour le missionnaire, dont il avait
entendu parler d'une manière très favorable par l'un de ses oncles, recteur
dans une paroisse do Bretagne. Le jeune prêtre conduisit le Serviteur de Dieu à
l'hôpital, où, sur la demande de l'aumônier, M. de Langles, il consentit à
donner une retraite qui ne tarda pas à se changer en mission pour toute la
ville. Les exercices en furent suivis avec un empressement incroyable.
Jamais les connaissances
ecclésiastiques et la science théologique de Montfort ne se sont révélées avec
aillant d'éclat que dans cette mission. Mais il employait encore une autre
ressource que celle de la prédication pour gagner les âmes à Jésus-Christ,
c'était celle de la prière et de la pénitence. Il se préparait presque toujours
à monter en chaire, en prenant la discipline. A ses amis qui l'en blâmaient, il
répondait gaiement que le coq chante mieux, quand il s'est battu les flancs. Il
termina les exercices de la mission par la plantation d'une croix, hors de la
ville, sur une éminence qui domine la rivière. Longtemps on conserva l'usage
d'y aller en procession, surtout le Vendredi-Saint. Il établit aussi à Saint-Lô
la dévotion du Rosaire.
Dès que la mission fut
terminée, l'homme île Dieu se hâta de prendre la route de Rouen. A Bayeux il
alla saluer l'évêque qui lui offrit les plus amples pouvoirs pour son diocèse;
mais il n'en fit aucun usage. Il se rendit aussitôt à Rouen et arriva chez son
ami, M. Blain, vers midi, ayant fait, le matin, six lieues à pied, à jeun et
chargé d'instruments de pénitence.
M. Blain a laissé dans
des pages du plus haut intérêt la relation de l'entrevue qu'il eut avec cet
incomparable missionnaire. Il ne lui cacha rien de tous les reproches qu'on lui
faisait sur sa conduite étrange, sur ses manières singulières et
extraordinaires, sur son zèle trop ardent, qui lui attirait des humiliations
profondes de Ut part même de ses supérieurs. Il lui dit qu'il ne trouverait
jamais des gens qui voulussent le suivre dans la vie pauvre et mortifiée qu'il
menait; que, s'il voulait s'associer dans ses travaux d'autres ecclésiastiques,
il devait en rabattre de la rigueur de sa vie et de la sublimité de ses
pratiques de perfection, pour condescendre à leur faiblesse,' ou les faire
élever à sa hauteur par l'infusion de la grâce. A tout cela Montfort répondit
avec tant de sagesse, avec tant de foi, avec tant d'humilité, que M. Blain en
était dans l'admiration. « Je lui fis plusieurs antres questions que je
croyais sans réplique, ajoute le narrateur; mais il y satisfit avec des paroles
si justes, si concises et si animées de l'Esprit de Dieu, que je demeurais
étonné qu'il me fermât la bouche. »
Cette entrevue ne fit
qu'augmenter encore le respect et la vénération de M. Blain pour son ami. Ne
doutant nullement de sa sainteté et du don prophétique que Dieu lui avait
communiqué, il le consulta sur une affaire importante. Il s'agissait de savoir
s'il devait accepter ou refuser une cure dans la ville de Rouen : « Vous y
entrerez, dit Montfort, vous y aurez bien des croix, et vous la quitterez. » La
prédiction s'est réalisée de point en point.
Le lendemain de son
arrivée à Rouen, le Vénérable serviteur de Dieu dit la sainte messe dans la
Cathédrale, à l'autel des Vœux, dédié à la Sainte-Vierge. Il alla ensuite faire
une visite à une religieuse du Saint-Sacrement qu'il connaissait, et adressa
quelques mots d'édification à toute la Communauté. Le soir, il parla encore
dans une maison de maîtresses d'écoles, établie par son ami. Le jour suivant,
il partit par un bateau que l'on appelait la Bouille. « C'était, dit M. Blain,
une véritable arche de Noé remplie de toutes sortes d'animaux. » Chose
étonnante ! après avoir essuyé les sarcasmes et les railleries de cette foule
grossière et ignorante, qui était de passage sur le bateau, il réussit à s'en
faire écouter avec recueillement et la détermina à réciter avec lui le Rosaire.
Arrivé, le samedi, dans
une paroisse de campagne, il demanda et obtint quoique avec peine la permission
de dire la messe. Le curé qui l'examinait de près fut touché de sa piété, et
l'invita à rester chez lui jusqu'au lendemain, pour adresser quelques paroles
d'édification à ses paroissiens. Ce qu'il fit à la grande satisfaction de tout
le monde. Il continua sa route, presque toujours en silence, la tète
découverte, les yeux arrêtés sur son crucifix, priant et méditant sans cesse.
En passant à. Aigrefeuille, au diocèse de Nantes, il dit la messe dans la
chapelle de Saint-Sauveur nouvellement construite. Comme il approchait de
Nantes, le Frère Nicolas, qui était encore jeune, se trouva si fatigué de ses
trois cents lieues, faites à pied, en deux mois, qu'il ne pouvait plus avancer.
Le charitable Père voulut le porter sur ses épaules; mais celui-ci l'ayant
refusé, le missionnaire prit d'une main son vêtement qui était fort lourd, et
de l'autre le soutenant par le bras, il le lit cheminer ainsi pendant trois
lieues. Comme on rencontrait sur la route une foule de personnes, à l'approche
do la ville, le Frère tout confus disait à son pieux conducteur : « Mon l'ère,
que va dire tout ce monde? — Mon fils, répondait Montfort, que va dire le bon
Jésus qui nous regarde? »
Arrivé à Nantes, le
Vénérable serviteur de Lieu se rendit à sa petite maison de la Providence. Il
n'y resta que le temps nécessaire pour disposer la chapelle à recevoir les
statues de son calvaire de Pontchâteau, qu'il se hâta d'aller chercher dans
cette ville, où il les avait laissées. Cédant ensuite aux pressantes
sollicitations de la famille Dorville qui l'appelait à Rennes, il alla y passer
quelques jours, qui furent pour cette famille vertueuse des jours de joies et
de bénédiction. Pendant son séjour à Bennes, il montra que Dieu lui donnait des
lumières tout-à-fait extraordinaires, en révélant à \ M™ Dorville et au Frère
qui l'accompagnait des choses qui leur étaient personnelles, et dont il ne
pouvait avoir naturellement la Connaissance. Il fallut enfin s'éloigner de
cette respectable famille qui l'avait reçu avec tant de bonheur et se rendre à
La Rochelle, où on l'attendait. Son départ causa une vive douleur à M. Dorville
qui le suivit hors de la ville, et qui ne se sépara de lui qu'en versant des
larmes. Montfort en aut
G
touché; il fit sur son
pieux ami le signe de la croix, en lui disant à trois reprises : « Monsieur, je
vous souhaite bien des croix. » Le souhait fut accompli ; les épreuves vinrent
trouver ce généreux chrétien, sans abattre le courage héroïque qu'il avait
puisé dans l'exemple et les instructions de l'homme de Dieu.
Celui-ci, au lieu de
trouver dos croix sur sa route comme à l'ordinaire, ne recueillit partout que
des bénédictions et des marques de l'affection la plus sincère. Les peuples
qu'il avait évangélisés accouraient sur son passage et se pressaient autour de
lui. « Mes petits enfants, mes chers enfants, leur disait-il, je souhaite que
le Seigneur vous bénisse et qu'il fasse de vous des saints. » On ne se séparait
de lui qu'en fondant en larmes, dans la pensée qu'on ne le reverrait plus.
Arrivé à La Rochelle,
dans le mois de novembre, le courageux missionnaire recommença bientôt ses
travaux apostoliques. Il alla d'abord évangéliser la paroisse de Fouras qui se
trouvait dans le plus misérable état sous tous les rapports, mais qui sembla
changer de l'ace. De Fouras il passa dans l'ile d'Aix, où il obtint un plein
succès. Les insulaires et les soldats firent la mission avec piété; les
officiers donnaient l’exemple. Montfort revint ensuite à La Rochelle, et, sans
prendre aucun repos, malgré ses excessives fatigues et le délabrement de sa
santé, il entreprit d'évangéliser à la fois deux paroisses voisines l'une de
l'autre, Saint-Laurent-de-la-Prée et une autre dont on ignore le nom, mais qui
pourrait bien être Breuil-Magné. Là il eut beaucoup à souffrir du mauvais état
de ces deux paroisses, du froid rigoureux de l'hiver, de la disette qui mettait
ses coopérateurs dans une grande détresse et des calomnies indignes dont l'un
d'entre eux ne craignit pas de le charger. Tout cela ne servit qu'à faire
éclater davantage ses héroïques vertus, et Dieu le consola, en donnant une
abondante bénédiction à ses travaux.
De retour à La Rochelle,
le Serviteur de Dieu continua dans la ville, ses prédications. Le jour de la
Purification de la Sainte-Vierge, pendant qu'il prêchait dans l'église des Dominicains,
son visage pâle et amaigri par les jeûnes devint tout à coup lumineux; c'était
comme une auréole de gloire qui l'entourait, si bien que ses amis, qui le
fixaient attentivement, ne le reconnaissaient qu'au son de la voix; son visage
était transformé. Cet événement confirma tous les habitants de La Rochelle dans
la haute idée qu'ils avaient de sa sainteté. Au commencement du Carême, il
donna une retraite aux Religieuses de la Providence, à condition que tous les
fidèles y seraient admis. C'est alors que M. Adrien Vatel se joignit à lui.
C'était l'un des quatre jeunes ecclésiastiques du séminaire du Saint-Esprit qui
lui avaient témoigné le désir de le suivre.
Accompagné de ce nouveau
coopérateur, le saint missionnaire alla évangéliser la paroisse de
Taugon-la-Ronde, où il ne trouva que respect, sympathie et docilité. Fort de la
confiance qu'on avait en lui et de l'empire absolu qu'elle lui donnait sur le
pasteur et sur le troupeau, il établit dans cette paroisse deux confréries: la
première pour les hommes, sous le nom do Pénitents blancs ; la seconde pour les
filles, sous le nom de Société des Vierge. De Tougon Montfort se rendit à
Saint-Amand-sur-Sèvre, qui dépendait alors du diocèse de La Rochelle et qui
fait partie maintenant de celui de Poitiers. Il trouva là des désordres
nombreux et des superstitions grossières; mais il eut la consolation de voir
s'opérer dans la paroisse le changement le plus merveilleux.
La mission de Saint-Amand
ayant achevé d'épuiser ses forces, il consentit à aller prendre un peu de repos
à la Séguinière, chez les demoiselles de Beauvau qui l'en sollicitaient.
Cependant il prêcha encore plusieurs fois dans cette paroisse, et il y fit faire,
avec tout l'appareil possible, une procession générale à la chapelle de
Notre-Dame-de-Toute-Patience. Après huit jours passés à la Séguinière, il alla
visiter à Nantes son hôpital des Incurables, et se rendit ensuite à Mervent pour
y prêcher une mission. Malgré son état de faiblesse, il y déploya le même zèle
et obtint le même succès que partout ailleurs. Il y opéra la guérison d'une
fille qui, depuis six semaines, avait l'œil extraordinairement enflé, et
endurait de cruelles douleurs.
Pendant cette mission,
il songea à se choisir un ermitage dans la vaste forêt de Vouvant, et il n'eut
pas de peine à trouver un lieu convenable : c'était une caverne profonde
creusée dans l'un des flancs d'une colline escarpée. Aidé des habitants de la
paroisse de Mervent, il s'y prépara une demeure solitaire dans laquelle il
espérait se retirer de temps en temps pour méditer et prier Dieu. Cette grotte
où Montfort fut honoré, dit la tradition, d'une apparition de la Sainte Vierge,
est aujourd'hui un lieu de pèlerinage.
La mission de Mervent
étant terminée, le Vénérable serviteur de Dieu retourna à La Rochelle, pour
mettre la dernière main à une œuvre importante dont il avait jeté les
fondements depuis quelques années; nous voulons parler de rétablissement des
écoles chrétiennes pour les garçons et pour les filles.
Les premiers historiens
de Montfort nous disent son affection pour l'enfance et le zèle qu'il mettait à
fonder partout des écoles. «Plein de l'esprit de son divin Maître, dit M. Picot
de Clorivière, il avait toujours aimé tendrement la petite enfance, et soit à
la ville, soit à la campagne, il se plaisait à se voir entouré d'une troupe
d'enfants, à qui il apprenait les éléments de la doctrine chrétienne, et
partout où il faisait la mission, un de ses principaux soins était de pourvoir
les paroisses de bons maîtres et de bonnes maîtresses d'école, disant que ces
écoles étaient la pépinière de l'Eglise; que c'était là que les enfants, comme
de tendres arbrisseaux, ayant été taillés et cultivés avec soin, devenaient
dans la suite propres à porter leurs fruits, et que faute de cette première
culture, ils demeuraient toujours stériles et infructueux. » M. Grandet, qui
vivait du temps du Serviteur de Dieu, dit à son tour : « La première occupation
de M. Grignon de Montfort était d'établir dans le cours de ses missions des
écoles chrétiennes pour les garçons et pour les filles, et il voulait que les
maîtres fussent habillés de noir, au moins en soutanelles, pour leur faire
porter plus de respect, et les maîtresses vêtues d'une grande coiffe (cape) qui
les prit de la tète jusqu'aux pieds. » M. Grandet nous fait connaître encore la
méthode d'enseignement et le règlement qu'il faisait observer dans les classes.
Encouragé par Mgr de
Champflour, qui se chargeait de tous les frais de l'entreprise, l'homme de Dieu
établit son œuvre à La Rochelle. L'école des garçons s'ouvrit la première. Il y
mit trois maîtres, et un prêtre fut chargé de veiller sur leur conduite, de
dire la messe aux enfants et de les confesser tous les mois. Bientôt après, il fit
venir de Poitiers la Sœur Marie-Louise de Jésus et sa compagne, Sœur de la
Conception, pour leur donner la direction de l'école des filles. Il aimait à
visiter ces établissements qui furent pour lui, dès leur origine, le sujet
d'une grande consolation. Les habitants de la ville ne se lassaient pas
d'admirer le changement opéré dans les enfants qui fréquentaient les écoles
établies par le pieux et intelligent missionnaire.
Lorsque le zélé
serviteur de Dieu eut organisé convenablement les classes de La Rochelle, il
quitta cette ville qu'il ne devait plus revoir. Il se rendit à Fontenay, pour
commencer une mission dans l'église de Saint-Jean. Cette église ne se trouvant
pas assez vaste pour contenir la foule, il se vit obligé de prêcher deux
missions : l'une pour les femmes, l'autre pour les hommes. Toutes deux eurent
le résultat que l'on pouvait désirer; mais la première fut troublée par un
événement tragique qui jeta la consternation dans toutes les âmes.
Les soldats de la
garnison eurent la permission d'assister à cette mission, parce qu'ils
s'attendaient à partir, avant que la mission des hommes fût commencée. Ils se
rendirent assidûment aux exercices, le matin et le soir, et s'y comportèrent
d'une manière convenable. Malheureusement il n'en fut pas ainsi du commandant,
M. du Ménis. Un jour, il se présenta au sermon, sans avoir l'habit militaire. Il
se tenait appuyé sur le bénitier, avec son chapeau sur la tète, et cherchait à
troubler les personnes qui l'entouraient. Avant de monter en chaire, le saint
missionnaire s'approcha de cet homme qu'il ne connaissait pas et le pria avec douceur
de se tenir mieux à l'église, ajoutant que les exercices qui se faisaient alors
étaient pour les femmes et que dans quelques jours la mission serait donnée aux
hommes. Au lieu de se rendre aux justes remontrances de Montfort, le commandant
n'y répondit que par des blasphèmes; puis il en vint jusqu'à frapper rudement
le saint prêtre qui, un instant après, monta en chaire et prêcha avec autant de
présence d'esprit, de force et d'onction que s'il ne fût rien arrivé.
Montfort établit à
Fontenay la confrérie des Pénitents et celle des Vierges. Il y fit aussi
planter une croix. Il obtint encore par ses prières la guérison d'une
demoiselle nommée Gustan, fille du trésorier de l'église de Saint-Jean. Après
avoir pris quelques jours de repos dans son ermitage de Mervent, il revint à
Fontenay pour donner une retraite aux Religieuses de Notre-Dame. C'est pendant
cette retraite qu'il gagna à sa Compagnie de Marie M. Mulot, qui fut son
successeur immédiat, et gouverna sa famille religieuse avec une grande sagesse
jusqu’a sa mort, en 1749. Il alla ensuite prêcher à Vouvant une mission qui fut
l'une des plus stériles qu'il ait faites. Un succès plus consolant l'attendait
à Saint-Pompain, où il établit les deux confréries des Pénitents et des
Vierges. Cette mission fut immédiatement suivie de celle de Villiers-en-Plaine,
qui eut le même résultat. Los discours et les exemples du saint missionnaire
firent, l'impression la plus salutaire sur M. et Mme d'Orion, qui se trouvaient
à leur château de Villiers. Ce qui acheva de les convaincre de sa sainteté,
c'est qu'on le vit en extase dans le jardin du château, à genoux, et cependant
élevé au-dessus de la terre.
La pensée de ses
Congrégations semblait l'occuper alors plus que tout le reste. Il ne cessait de
prier et de faire prier pour obtenir des enfants spirituels qui continueraient
après lui l'œuvre si importante des missions et toutes les autres œuvres de
charité qu'il avait déjà établies ou qu'il avait en vue. Sachant que la
vocation religieuse est le chef-d'œuvre de la grâce, il recommanda surtout sa
Compagnie de missionnaires à la glorieuse Mère de Dieu, la Reine des Apôtres.
Afin d'obtenir sa puissante protection, il conçut la pensée d'un pèlerinage
solennel à N.-D.-des-Ardilliers. Ce pèlerinage fut fait avec la plus grande
piété par les Pénitents de Saint-Pompain, au nombre de trente-trois; ils
avaient à leur tète MM. Vatel et Mulot. Au retour des Pénitents de Saint-Pompain
il voulut faire le même pèlerinage avec quelques Frères qui s'étaient attachés à lui. Qui
pourrait dire avec quelle confiance, avec quel amour il adressa sa prière à
Marie, dans son vénéré sanctuaire qu'il visitait pour la dernière fois?
De Saumur l'homme de
Dieu se rendit à Saint-Laurent-sur-Sèvre, pour y commencer une mission. Ce fut
là son dernier voyage sur la terre, car de Saint-Laurent il devait s'élancer au
ciel. La mission se fit avec un élan admirable et une piété touchante. Le saint
missionnaire établit dans la paroisse les deux confréries des Pénitents et des
Vierges; la dernière existe encore. Il songeait aussi à laisser un autre
souvenir de la mission, en érigeant un calvaire, lorsqu'on apprit la prochaine
arrivée de Mgr de Champflour. Cette nouvelle remplit de joie les cœurs de tous
les habitants ; mais personne ne parut plus heureux que le Serviteur de Dieu. Il
ne négligea rien pour faire à l'évêque diocésain une réception convenable. Il
organisa une procession pour aller à sa rencontre, et se donna tant de
mouvement et de peine que sa santé délabrée ne put y tenir; il fut attaqué
d'une fausse pleurésie.
Le mal se déclara avec
une telle violence qu'au retour de la procession, il fut obligé de se retirer.
Cependant il eut encore le courage de prêcher, le soir, devant l'évêque, et il
le lit de manière à impressionner vivement tout son auditoire qui fondait en
larmes. En descendant de chaire, il se mit au lit. Tous les remèdes furent
employés, mais inutilement; la maladie était mortelle. Le moment de la
récompense était arrivé pour le Vénérable serviteur de Dieu. Il demanda et
reçut les derniers sacrements de l'Eglise avec la plus ardente piété, et, après
avoir exhorté M. Mulot à continuer l'œuvre des missions, et avoir béni avec son
crucifix tous ceux qui venaient le voir, il s'endormit du sommeil des justes,
le 28 avril 1716, sur les - 1)7 —
8 heures du soir. Il
était âgé de 43 ans deux mois et 28 jours.
La nouvelle de celte
mort jeta la consternation dans toutes les âmes, et l'on vit arriver à
Saint-Laurent plus de dix mille personnes, qui venaient de près ou de loin
assister à la sépulture de cet apôtre de Jésus-Christ. Tous les ecclésiastiques
des environs s'y trouvèrent; M. le Doyen de Saint-Laurent fit la cérémonie.
Le corps du Serviteur de
Dieu avait été exposé dans l'église paroissiale. On y lit toucher une quantité
de croix, de chapelets, de médailles et autres objets. Pour empêcher de couper
ses cheveux ou ses vêtements, les Pénitents, qu'il avait établis, furent
chargés de se tenir autour de ses restes vénérés, afin d'en éloigner la foule.
L'humble et pieux missionnaire avait demandé que son corps fût enterré dans le
cimetière, et son cœur placé sous le marchepied de l'autel de la Sainte-Vierge;
mais après sa mort, on crut que son corps tout entier méritait de reposer dans
la chapelle de l'auguste Mère de Dieu, qu'il avait tant honorée, aimée, prêchée
et chantée, et dont il avait partout répandu la dévotion avec un zèle si ardent
et si pur. Sa tombe glorieuse est un précieux trésor confié par le ciel à la
pieuse paroisse de Saint-Laurent, qui s'est toujours montrée digne de l'honneur
que Dieu lui a fait.
Montfort fut
littérateur, orateur, poète, artiste, mais par dessus tout il fut un saint.
Toutes les populations qui l'ont connu l'ont dit bien haut.
Espérons que l'Eglise le
dira un jour; qu'elle le dira bientôt. Déjà Rome a parlé ; elle a approuvé les
écrits du Serviteur de Dieu, elle a déclaré qu'il avait pratiqué toutes les
vertus dans un degré héroïque ; elle s'occupe en ce moment de la question de
ses miracles qui paraît toucher à sa fin. Avec quels transports de
reconnaissance et d'amour la parole sacrée du successeur de Pierre sera
accueillie par toutes les contrées que Montfort a évangélisées ! On peut
affirmer que tous ces pays sont encore embaumés du parfum de sa sainteté. Le
souvenir de ses vertus, de ses enseignements et de ses miracles, est encore
vivant aujourd'hui dans les contrées qui entourent son tombeau, comme s'il ne
faisait que d'y descendre.
On aime à prier dans les
chapelles qu'il a restaurées, devant les images de Marie qu'il a placées dans
ses sanctuaires. On aime à visiter encore sa solitude de Saint-Lazare, son ermitage
de Saint-Eloi, sa grotte de Mervent. On aime à se prosterner au pied de son
calvaire de Pontchâteau. On aime à chanter les nombreux cantiques qu'il a
composés. On aime à lire ses écrits si pleins de doctrine et de piété. On aime
à réciter le saint Rosaire qu'il a prêché, en méditant les mystères de la
religion, selon la formule qu'il a laissée lui-même. On aime à prier auprès de
son tombeau glorieux, où un grand nombre de personnes reconnaissent avoir reçu
des faveurs signalées.
CHAPITRE
VI
Gloire du Vén. de Montfort. — Ses Congrégations religieuses. — Affaire de
sa Béatification.
Si cette vie corruptible
n'est, dit le pape saint Grégoire, qu'une mort prolongée, on peut dire que la
mort des saints n'est pas une véritable mort, mais une vie qui se prolonge, non-seulement
dans la bienheureuse éternité, mais encore sur celte terre, où tout passe et
disparait avec tant de rapidité. Le souvenir de leurs vertus, de leurs
bienfaits, les prodiges qu'ils continuent à opérer, à travers les siècles,
leurs tombeaux vénérés, leurs fêtes que l'on célèbre dans l'Eglise, leurs noms
que l'on reçoit au baptême et que l'on porte avec honneur, quelquefois les
livres édifiants et instructifs qu'ils ont laissés, les Congrégations
religieuses qu'ils ont fondées, tout les fait vivre après leur mort.
C'est ainsi que le Vén.
Père de Monfort, descendu dans la tombe au commencement du siècle dernier,
semble être encore vivant au milieu do nous. Parler des Congrégations
religieuses qu'il a établies, de l'affaire de sa Béatification, de son tombeau
glorieux, de ses écrits, de ses vertus et de ses miracles, c'est raconter
encore sa vie, c'est toujours continuer son histoire qui se prolonge après sa
mort. C'est là ce que nous allons faire dans ce chapitre, que nous diviserons
en deux articles.
ARTICLE
PREMIER
Congrégations
établies par le Vén. de Montfort.
Le Vén. serviteur de
Dieu ne travaillait pas seulement pour le temps où il vivait, il songeait
encore à l'avenir, et personne ne fut plus ardent que lui pour établir des
œuvres durables. C'était pour conserver le bien déjà fait, et pour le
développer toujours davantage dans la suite, qu'au sein des villes et des
campagnes qu'il évangélisait, il avait coutume d'établir la pratique du saint
Rosaire, et de fonder des confréries ou associations de Vierges, de Pénitents,
de Soldats de Saint-Michel, d'Amis de la Croix, de Filles de la Croix. Mais on
peut assurer que rien ne le préoccupait autant que l'œuvre des missions,
l'éducation des enfants et le soin des malades. C'est dans l'intérêt de ces
œuvres si belles et si importantes, auxquelles il avait donné son cœur et
consacré sa vie, qu'il songea à instituer trois Congrégations qui devaient
composer sa famille religieuse : la Compagnie de Marie, la Congrégation de la
Sagesse et celle des Frères du Saint-Esprit.
Les prêtres
missionnaires de la Compagnie de Marie devaient se livrer entièrement et
uniquement à l'œuvre admirable des missions; les Filles de la Sagesse devaient
s'occuper de l'instruction des jeunes filles et du soin des malades ; les
Frères du Saint-Esprit devaient être consacrés à l'instruction de l'enfance et
employés aux travaux manuels.
Lorsque le Vén. P. de
Montfort termina sa sainte et glorieuse carrière, ses œuvres les plus
importantes étaient loin d'être consolidées. L'arbre qu'il avait planté dans le
jardin de l'Eglise n'avait pas encore eu le temps de jeter de profondes racines
; la moindre tempête était capable de le renverser. Mais la divine Providence,
sur laquelle il avait toujours compté, et qui ne l'avait jamais trompé dans ses
espérances, ne pouvait manquer de protéger sa famille naissante, qu'il avait engendrée
dans son zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Quatre Filles de la
Sagesse étaient occupées à faire la classe aux petites filles pauvres de La
Rochelle. Leur Vénérable Père leur avait fait de belles promesses pour
l'avenir; mais il les quittait au moment où elles avaient le plus grand besoin
de lui. Quatre Frères de sa Communauté avaient prononcé leurs vœux, et quatre
autres n'avaient encore contracté aucun lien durable. De tous les prêtres qui
avaient partagé ses travaux apostoliques, deux seulement paraissaient disposés
à continuer l'œuvre des missions, sans cependant avoir pris aucun engagement :
c'étaient les Pères Vatel et Mulot. Le premier était du diocèse de Coutances;
le second était né à Fontenay-le-Comte, alors du diocèse do La Rochelle,
aujourd'hui do celui de Luçon. Après avoir médité, prié et consulté, ils se
décidèrent enfin à continuer l'œuvre de Montfort.
Bientôt quelques
nouveaux ouvriers évangéliques vinrent se joindre à eux. En 1722, vers la fête
de Saint-Pierre, ils se réunirent pour la première fois en Communauté dans une
maison achetée pour les recevoir à Saint-Laurent-sur-Sèvre, auprès du tombeau
de leur saint fondateur. Déjà les Filles de la Sagesse habitaient Saint-Laurent
depuis deux ans. Mer de Champflour, évêque de La Rochelle, leur avait donné le
P. Mulot pour supérieur, et les missionnaires à leur tour le choisirent
également pour leur supérieur, à la fin d'une fervente retraite. Dès lors il se
trouva à la tète de toute la famille religieuse du grand serviteur de Dieu.
Depuis cette époque, le supérieur des Pères de la Compagnie de Marie a toujours
été reconnu comme supérieur des Filles de la Sagesse. C'était l'intention du
saint fondateur, comme le déclare, dans son testament, la Mère Marie-Louise do
Jésus. Le premier acte d'autorité du supérieur général fut de recevoir les vœux
de trois ou quatre Pères et de cinq ou six Frères auxquels il assigna un
costume particulier.
Le R. P. Mulot a
gouverné les Communautés de Saint-Laurent pendant plus de 30 ans. On peut dire
que ces Communautés lui doivent, d'une certaine manière, autant qu'à leur vrai
fondateur. Celui-ci lui avait laissé quelques rares matériaux avec lesquels il
devait construire de beaux et solides édifices. Il dirigea ses Congrégations
avec une grande intelligence, accompagnée de la douceur et de la fermeté que
requiert une pareille administration. Les soins constants qu'il leur donnait ne
l'empêchèrent pas de se livrer aux missions jusqu'à la fin de sa vie. Depuis
que Montfort l'avait appelé à sa suite, en 1715, jusqu'à sa mort, en 1749, il
n'a pas donné moins de 220 missions. Que d'âmes sauvées, et que de mérites
obtenus par ce pieux et intrépide apôtre ! Il mourut à Questembert, dans le
diocèse de Vannes, le 12 mai 1749, à l'âge de 66 ans. Sa tombe y est encore
entourée de la vénération publique.
Il eut pour successeur
le R. P. Audubon, des Sables-d'Olonne, qui ne fit pas éclater moins de vertu
dans sa conduite personnelle, moins de sagesse dans la direction de ses
Communautés, ni moins de zèle pour l'œuvre des missions et le salut des aines.
Lui aussi il eut la gloire et le bonheur de mourir sur le champ de bataille de
la vie apostolique. Ce fut pendant une mission qu'il donnait au Poiré-sous-Velluire,
à la fin de 1755, qu'il termina sa sainte, mais trop courte carrière. Il
n'était âgé que de 45 ans. Dans l'espace de treize ans, cet ardent apôtre de l'Evangile
avait prêché 80 missions et plusieurs retraites.
Le R. P. Besnard, qui
lui succéda, était né à Rennes, le 5 août 1717, un an après la mort du Vénérable
de Montfort. Il entra dans la Compagnie de Marie en 1743. Il se livra, dès le
commencement, à l'œuvre des missions, avec toute l'ardeur de la jeunesse et
avec tout le feu d'un cœur tout plein d'amour pour Dieu et le prochain. Il
aimait la vie du missionnaire, et dans son activité dévorante, il trouvait
toujours trop long le temps qu'on lui laissait pour se reposer. Après son
élection, il prêcha encore un grand nombre de missions. Dans les dernières
années de sa vie, il fut entièrement absorbé par les occupations que lui
donnaient ses Communautés. Depuis 1743 jusqu'en 1770, nous comptons au moins
1G20 missions et une dizaine de retraites prêchées par lui. Il gouverna la famille
de Montfort pendant 33 ans, et mourut à Saint-Laurent, le 22 avril 1788, à l'âge
de 71 ans. Il ne négligea rien de ce qui regardait le temporel et le spirituel
de ses Congrégations. Il obtint du roi Louis XV des lettres patentes qui leur
donnaient une existence légale. Il fit construire le premier bâtiment que l'on
aperçoit, en entrant dans la Communauté de la Sagesse, et la maison qu'occupent
aujourd'hui les missionnaires.
Son successeur fut le P.
Micquignon, du diocèse d'Amiens. Entré dans la Compagnie de Marie en 1768, il
n'occupa que pendant quatre ans la place de supérieur général, et mourut à La
Rochelle, le 18 janvier 1792. Sa fin fut certainement avancée par l'impression
extrêmement vive que produisit sur lui la vue des profanations de cette époque
désastreuse. Il ne pouvait entendre sonner la messe d'un prêtre assermenté sans
en frissonner. « Encore un sacrilège ! s'écriait-il avec l'accent de la plus
profonde douleur, encore un sacrilège ! »
Aussitôt après sa mort,
on élut à sa place le R. P. Supiot, né à Ancenis, du diocèse de Nantes, et âgé
de 61 ans. Il appartenait à la Congrégation depuis 1758, et il avait évangélisé
un bon nombre de paroisses, quand il fut nommé supérieur général. Dieu lui
réservait une pénible mission et de grandes douleurs. Il a vu sa maison du
Saint-Esprit envahie, pillée, incendiée par les ennemis de la religion et de la
société ; ses missionnaires dispersés, quelques-uns d'entre eux massacrés. Il a
vu plusieurs de ses Frères également égorgés, empalés ou fusillés. Il a vu sa
maison de la Sagesse deux ou trois fois incendiée; ses religieuses obligées de
fuir et de se cacher, un grand nombre d'entre elles emprisonnées, condamnées au
carcan, mourant de faim et de misère; plusieurs égorgées lâchement par d'indignes
soldats, quelques-unes portant leur tête sur l'échafaud. Quels coups terribles
pour le cœur d'un père ! Ce vénérable supérieur mourut à Saint-Laurent, le 12
décembre 1818, à l'âge de 85 ans. Il on avait passé 60 dans la Compagnie.
A sa mort, le R. P.
Duchesne reçut de ses confrères le titre de supérieur général des Congrégations,
que déjà il administrait avec sagesse depuis plusieurs années. Né à Pordic,
dans le diocèse de Saint-Brieuc, en 1701, il était entré dans la Compagnie de
Marie, le 6 janvier 1785. Il passa presque tout le temps de la Révolution à
l'hôpital maritime de Brest, obligé de se cacher soigneusement pour échapper à
la guillotine. Il rendit les plus signalés services aux Filles de la Sagesse,
qui ne quittèrent point cet hôpital, pendant les jours mauvais. Il avait 59 ans
et 9 mois, quand il mourut à Saint-Laurent, le 22 décembre
Prévoyant sa mort
prochaine, il avait fait nommer son assistant M. Gabriel Deshayes, encore curé
d'Auray, au diocèse de Vannes, dont il avait eu occasion de connaître toutes
les belles qualités.
Celui-ci fut élu
supérieur général le 17 janvier 1821. Né, le 6 décembre 1707, à Beignon, alors
du diocèse de Saint-Malo, et aujourd'hui de celui de Vannes, il était diacre,
quand la Révolution éclata en France comme un épouvantable coup de tonnerre. Il
alla se faire ordonner prêtre à Jersey, des mains de Mgr Le Mintier, dernier évêque
de Tréguier, le 24 mars 1792. Rentré en Bretagne, il exerça le ministère le
plus actif et lopins utile au milieu des populations chrétiennes qui le
tenaient soigneusement caché, ainsi que plusieurs autres prêtres,
Il s'est montré toute sa
vie l'homme des bonnes œuvres et l'homme de la Providence. Avant son arrivée à
Saint-Laurent, il avait établi deux maisons de retraites séculières à Auray et
à Josselin; de concert avec M. l'abbé Jean-Marie de la Mennais, frère du trop
fameux écrivain, il avait institué la Congrégation des Frères de l'Instruction
chrétienne de Ploérmel; il avait fondé aussi les Sœurs de l'Instruction
chrétienne de Saint-Gildas. Il avait contribué à l'acquisition des
établissements de la Chartreuse d'Auray et de Sainte-Anne. C'est encore à ses
soins et à son initiative qu'on doit le magnifique monument élevé, à côté de la
chapelle de la Chartreuse, à la gloire des victimes de Quiberon.
Dès qu'il fut élu
supérieur général, il établit à Saint-Laurent l'Œuvre des retraites séculières,
qu'il développa plus tard, en commençant l'Etablissement de Saint-Michel. Il
chercha aussi à se procurer des missionnaires, en fondant un petit collège
ecclésiastique, et il augmenta considérablement le nombre des Frères de
l'Instruction, dont il devint comme le second fondateur. Dans un voyage à Rome,
en 1825, le R. P. Deshayes, qui, aussi bien que ses prédécesseurs, désirait
vivement l'approbation canonique de ses Congrégations, eut le bonheur d'obtenir
du pape Léon XII en Bref laudatif en leur faveur. Il fit faire également un pas
important à l'affaire de la Béatification du P. de Montfort. Enfin ce digne
serviteur de Dieu, plein d'années, de vertus et de mérites, passa à une vie
meilleure, le 28 décembre 1841, à l'âge de 74 ans et 22 jours.
Il eut pour successeur
le R. P. Dalin, supérieur du petit-séminaire des Sables-d'Olonne, depuis 1830,
et faisant partie de la Congrégation, depuis 1837. Il était né aux Herbiers, du
diocèse de Luçon, le 3 décembre 1800. Il possédait toutes les qualités propres
à gouverner les Communautés qui lui furent confiées et à leur donner un nouvel
essor. Aussi les vit-on se développer d'une manière considérable. Les
missionnaires se décidèrent, pour la première fois, à sortir de Saint-Laurent.
Ils fondèrent presque en même temps trois résidences : à Angoulême, à Orléans
et à Tourcoing, dans le diocèse de Cambrai. En 1853, le IL P. Dalin fit un
voyage à Rome, et il eut la joie de voir se terminer favorablement deux
questions bien importantes : celle de l'approbation canonique de ses
Congrégations et celle concernant les écrits du Vén. de Montfort.
Le P. Dalin ayant donné
sa démission en 1835, le P. Denis fut élu supérieur général à sa place. Il
était né à Andrezé, du diocèse d'Angers, le 30 octobre 1807. Dès qu'il fut promu
au sacerdoce, il se rendit à la Communauté. Riche de jeunesse et de santé,
plein d'intelligence, d'énergie et de bonne volonté, avec une parole facile,
aimant le mouvement et les cérémonies des missions, il se livra avec ardeur et
succès à cette œuvre pendant vingt-trois
ans. Devenu supérieur général, il utilisa pour le bien de ses
Congrégations toutes les bonnes qualités qu'il avait reçues du ciel.
Pendant son généralat,
un vaste établissement fut construit à côté du Calvaire de Pontchâteau pour recevoir
des Pères, des Frères, des Sœurs, des Séminaristes destinés à former et à
alimenter le clergé de l'ile d'Haïti, et une école apostolique. Des Pères, des
Frères et des Sœurs furent également envoyés dans cette île lointaine pour y
prêcher l'Evangile, y instruire la jeunesse et y exercer toutes les œuvres de
la charité chrétienne. En 1869, un décret apostolique constatant l'héroïcité
des vertus du Vén. de Montfort fut rendu par le Pape Pie IX ; ce qui fut un
grand sujet de joie pour toute la famille religieuse du Serviteur de Dieu et
particulièrement pour celui qui était chargé de la gouverner. Le R. P. Denis a
quitté cette vie pour aller recevoir au ciel la récompense de ses longs
travaux, le 8 février 1877.
On élut à sa place le R.
P. Guyot qui dirige aujourd'hui les Communautés de Saint-Laurent, et ne se
montre point au-dessous de ceux qui l'ont précédé dans une charge aussi
importante. Né à Josselin, du diocèse de Vannes, le 23 juillet 1828, il est
entré au Noviciat des Pères en 1862, après avoir professé la théologie, pendant
plusieurs années, au grand-séminaire de son diocèse. Dès le commencement de son
administration, on a établi une résidence de missionnaires à Notre-Dame du
Marillais, dans le diocèse d'Angers, et l'on a accepté la cure de Saint-Laurent
et le service de la paroisse.
L'année 1880, qui devait
être si funeste à tant de Congrégations religieuses de France ne devait point
épargner les Pères de la Compagnie de Marie. Ils furent expulsés de leurs
maisons de Saint-Laurent, d'Angoulême, d'Orléans et de Tourcoing. Mais on a
trouvé le moyen d'atténuer les tristes effets produits par les trop fameux
décrets lancés contre les Congrégations religieuses non autorisées. Dieu semble
avoir voulu tirer le bien du mal ; car le Noviciat des Pères, transféré en
Hollande, devient plus nombreux que par le passé, et l'on a commencé au Canada
un vaste établissement qui donne de grandes espérances pour l'avenir.
Jetons maintenant un
coup d'œil rapide sur la Congrégation de la Sagesse établie par le Vén. de Montfort,
comme la Compagnie de Marie. Nous n'avons point à en faire ici l'éloge. Qu'on
lise son histoire; on ne peut manquer de la parcourir avec un grand intérêt et
une grande édification. Nous avons fait connaître déjà le commencement de cette
Congrégation. Nous avons dit comment les premières Filles de la Sagesse furent
appelées de Poitiers à La Rochelle, pour faire la classe aux petites filles
pauvres de cette ville.
C'est au mois de juin
1720 qu'elles vinrent s'installer à Saint-Laurent-sur-Sèvre. La première
profession publique et solennelle des Filles de Montfort eut lieu dans l'église
paroissiale, le 10 décembre 1722. Elle fut présidée par le P. Mulot, supérieur,
qui donna leur nom de religion à quatre nouvelles professes. D'autres novices
arrivèrent bientôt, et la Congrégation se développant peu à peu, on ne tarda
pas à fonder divers établissements. La mort du R. P. Mulot jeta la
consternation dans toute sa famille religieuse, mais elle n'arrêta point le
développement de la Congrégation de la Sagesse que gouvernait toujours avec la
même intelligence, la même sagesse et le même zèle, la Vénérable Mère
Marie-Louise de Jésus. Enfin le moment marqué par la divine Providence étant
arrivé, cette fidèle servante de Dieu alla recevoir, à son tour, la récompense du
ciel qu'elle avait si bien méritée. Elle termina sa longue, glorieuse et sainte
carrière, à l'âge de 75 ans, vers les huit heures du soir, un samedi, 28 avril
1759, au même mois, au même quantième, à la même heure, dans le même lieu
qu'était décédé le Vén. de Montfort; elle fut inhumée dans la même chapelle de
la Sainte-Vierge de l'église paroissiale de Saint-Laurent. Il nous est permis
d'espérer que sa tombe, un jour, sera glorieuse comme celle du grand serviteur
de Dieu, et que les vertus de la Fille seront célébrées dans l'Eglise comme
celles du Père.
Après le décès de la
première supérieure générale des Filles de la Sagesse, on élut, pour la remplacer,
la Sœur Sainte-Anastasie, qui gouverna la Congrégation pendant neuf ans et fit
briller en elle toutes les qualités et toutes les vertus que l'on pouvait
désirer. La supérieure générale de la Sagesse est élue pour trois ans, et elle
peut être élue plusieurs foi de suite; niais, d'après l'usage qui s'est établi
et maintenu dans la Congrégation, elle se retire, après avoir porté, pendant
neuf ans, la lourde charge qu'on lui a mise trois fois sur les épaules.
En 1767, on a commencé à
recevoir à la Communauté des Sœurs converses. Cette innovation, assurément très
considérable, s'est faite après un long et mur examen, et, depuis ce temps, on
n'a point à regretter d'avoir interprété de cette manière la pensée du
Vénérable de Montfort, et d'avoir ainsi complété son œuvre.
Quand éclata la
Révolution française, les Filles de la Sagesse comptaient un grand nombre d'établissements
dans toute la Bretagne et dans les diocèses de Coutances, d'Orléans, d'Angers,
de Poitiers et do La Rochelle. On ne peut lire, sans émotion, dans l’Histoire
de leur Congrégation, tout ce qu'elles eurent à souffrir pendant les funestes
années qui couvrirent notre patrie de sang et de ruines. Mais rien ne fut
capable d'ébranler leur foi et de mettre a bout leur patience et leur charité.
Elles avaient alors pour supérieure générale la Mère Sainte-Flavie, qui n'est
point restée au dessous de sa difficile et douloureuse mission, et s'est
montrée toujours aussi grande que son malheur. Après la Maison-Mère de
Saint-Laurent, les Etablissements qui ont eu le plus à souffrir sont ceux de
Brest, La Rochelle, Poitiers, Orléans, Rennes, La Guerche, le Langeron, Coron,
Machecoul, Carentan, Château-Larcher, Josselin et Dinan.
Lorsque l'orage
révolutionnaire eut cessé de bouleverser la France, les Sœurs rentrèrent dans
la plupart de leurs maisons, qu'elles avaient été forcées d'abandonner.
Quelques-unes cependant ne leur furent pas rendues. Mais bientôt elles
recommencèrent à fonder des établissements nouveaux, bien que le nombre des
religieuses eût grandement diminué. A la fin de 1800, elles n'étaient que 261 ;
à la fin de 1810, leur nombre s'élevait déjà à 559.
Les établissements les
plus importants, dont les Filles de la Sagesse prirent le gouvernement, dans
les premières années qui suivirent la Révolution, furent les hôpitaux de la
Marine de Toulon et de Boulogne-en-Mer, l'Hôtel-Dieu de Blois et le Sanitat ou
l'Hôpital général de Nantes, l'Hôtel-Dieu de Nantes, l'Hôpital de la Marine de
Cherbourg, l'Hospice civil et militaire de Vendôme, les Hôpitaux de la Charité
et du Saint-Esprit de Toulon, l'Hôpital général de Blois. Nous ne pouvons faire
la nomenclature de tous les établissements fondés depuis celte époque. Nous
nous contenterons de donner l'état de la Congrégation de la Sagesse, au
commencement de 1885.
Nombre des
religieuses.
3.700
Maisons en France
294
— en Belgique
9
— en Haïti
5
— en Hollande.
1
— au Canada
1
Ecoles primaires et
pensionnats.
201
Ecole normale
1
Institutions de
sourdes-muettes et d'aveugles
7
Asiles de l'enfance
140
— ouvroirs
55
— crèches
9
Maisons de retraites
spirituelles.
5
Hôpitaux maritimes,
civils et militaires
97
Asiles publics
d'aliénés
6
Maisons centrales et
d'arrêt
3
Bureaux de
bienfaisance
130
Les Filles de la Sagesse
donnent leurs soins de chaque jour à environ 66,000 enfants, 18,000 malades et
1,800 prisonniers. Nous ne parlons pas ici du nombre presque incalculable de
pauvres et de malades que ces charitables religieuses vont visiter et secourir
à domicile dans les villes et dans les campagnes. Dans une seule province,
celle de la Chartreuse d'Auray, les Sœurs de 23 Etablissements font
annuellement plus de 50 mille visites de malades pauvres à domicile. Le Bureau
de charité de Lorient en fait pour sa part de 14 à 15 mille par an. Nous ne
parlons pas non plus des fourneaux économiques que les Filles de la Sagesse
sont chargées de faire fonctionner dans plusieurs villes, et qui sont d'un si
grand secours pour une multitude de pauvres et d'ouvriers. Le fourneau
économique d'un seul Etablissement de Paris vient au secours de plus de cinq
cents familles.
Nous avons à parler
encore d'une autre portion de la famille religieuse du Ven. de Montfort,
c'est-à-dire des Frères du Saint-Esprit. Le Serviteur de Dieu avait reçu du
Pape Clément XI la mission de donner à la jeunesse une instruction chrétienne.
Après avoir rempli cette mission avec tout le zèle imaginable, il ne pouvait
manquer de léguer à ses enfants spirituels le soin de continuer cette œuvre si
importante. Il ne devait pas laisser dans ses institutions une lacune
assurément bien regrettable. En chargeant ses religieuses de l'instruction des
petites filles, il ne pouvait pas oublier les petits garçons des villes et des
campagnes, qui avaient si grand besoin d'être instruits.
L'histoire nous dit son
affection paternelle pour l'enfance et le soin qu'il mettait à fonder partout
des écoles chrétiennes. Il voulait, comme il a été dit ailleurs, que les
maîtres d'écoles fussent habillés de noir, au moins en soutanelle, pour leur
faire porter plus de respect, et les maîtresses vêtues d'une grande cape qui
les couvrit de la tète aux pieds. Lui-même il donnait la méthode d'enseignement
que l'on devait mettre en pratique, et il organisait les classes d'une manière
vraiment admirable. Le saint Missionnaire fut heureux de s'attacher quelques
Frères qui pussent s'adonnera l'instruction de la jeunesse. Le premier fut le
Frère Mathurin, dont parle M. Grandet dans une Histoire du Vén. serviteur de
Dieu, imprimée en 1724, peu d'années après sa mort. Voici comment s'exprime M.
Grandet sur ce Frère, qui le premier s'est mis à la suite de Montfort : «
Pendant tout le temps qu'il a vécu avec lui, il a fait le catéchisme, l’école
aux enfants, et chanté des cantiques avec beaucoup de bénédiction. »
L'historien ajoute que le Frère Mathurin avait beaucoup de talents pour s'acquitter
de ses fonctions. Pendant les longues années que ce Frère a passées avec les
successeurs de Montfort, il remplissait sans doute les mêmes fonctions pour
lesquelles il avait tant de talents. Dans un autre endroit, le même historien
dit encore que les Frères institués par Montfort étaient appelés à faire le
catéchisme et l'école.
Nous ignorons le nom des
paroisses où ils ont fait tout d'abord la classe aux enfants ; nous voyons
seulement que, dans un article du testament du Vén. serviteur de Dieu, il est
parlé d’une petite maison, située à Vouvant, donnée par une bonne femme, à
condition que, s'il n'y a pas moyen de bâtir, on y entretiendra les Frères de
la Communauté du Saint-Esprit pour faire l'école charitable. Dans ce même
testament, il est question de sept Frères : quatre qui ont fait leurs vœux de
religieux, les Frères Nicolas, Philippe, Louis et Gabriel, et trois qui n'ont
encore pris aucun engagement, les Frères Mathurin, Jacques et Jean. En parlant
de chacun de ces Frères, le Vénérable fondateur dit : « Le Frère Gabriel, qui
est avec moi. » C'est dire que les autres ne sont pas avec lui, occupés à la
mission de Saint-Laurent, où il a écrit son testament, la veille de sa mort. Où
sont-ils donc, sinon dans les paroisses, à faire des œuvres de charité, surtout
à faire la classe? On peut croire que quelques-uns d'entre eux sont restés à La
Rochelle, pour diriger l'école des garçons, tandis que les Sœurs de la Sagesse
sont chargées de l'école des filles.
Les Frères du
Saint-Esprit, qui ont fait la classe aux enfants, du vivant de leur saint
Fondateur, ont continué à la faire après qu'il eut quitté cette vie. L'histoire
nous dit on effet que le Frère Jacques, dont il est parlé dans le testament du
Serviteur de Dieu, faisait la classe à Saint-Laurent dans les années qui
suivirent sa mort. Lorsque les Missionnaires vinrent s'installer dans cette
paroisse, en 1722, les Frères qui étaient avec eux prenaient l'engagement de
faire l'école aux petits garçons, comme les Sœurs de la Sagesse, arrivées les
premières, s'étaient chargées de la faire aux petites filles. Aussi le R. P.
Mulot, successeur de Montfort, obligé de remplacer le Frère Jacques, avertit le
Frère Joseau de se tenir prêt à faire la classe à la Toussaint de 1722. Cet
excellent Frère s'acquitta admirablement de cet emploi, pendant une trentaine
d'années. D'autres Frères continuèrent cette même fonction auprès des enfants
jusqu'à la Révolution, comme ils en avaient pris l'engagement.
La famille de Montfort
fut terriblement décimée par l'affreuse tempête qui bouleversa, à cette époque,
la France et l'Eglise. Cependant les ruines furent peu à peu relevées, et
lorsqu'on 1821, le Père Deshayes devint supérieur de la Communauté de
Saint-Laurent, toutes les œuvres de Montfort étaient encore debout. Les Missionnaires
avaient recommencé leurs travaux apostoliques; les Sœurs avaient repris leurs
emplois ordinaires, et un Frère du Saint-Esprit, le Frère, Elie, faisait
l'école aux enfants de la paroisse. Le R. P. Deshayes était l'homme que Dieu
avait choisi pour développer les œuvres de Montfort, après les cruelles
épreuves de la Révolution, particulièrement l'œuvre des écoles de garçons, qui
était la plus en souffrance. Il s'entendit avec les prêtres du voisinage de
Saint-Laurent, qui s'empressèrent de lui envoyer quelques-uns de leurs jeunes
paroissiens, capables de faire de pieux religieux et de bons instituteurs. Les
postulants arrivèrent peu à peu, de telle sorte que les Frères ou Novices, qui
n'étaient que dix-huit, à la fin de 1821, étaient environ quarante à la fin de
1822.
En 1823, par une
ordonnance royale en date du 17 septembre, la Société des Frères fut approuvée
du gouvernement sous le nom de : Congrégation du Saint-Esprit, et comme
association charitable pour l'instruction de la jeunesse clans les départements
de la Vendée, de Maine-et-Loire, de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la
Charente-Inférieure. En 1830, des Statuts furent rédigés par le P. Deshayes et
signés par les Missionnaires et les premiers d'entre les Frères. On n'eut pas de
peine à les faire approuver par Mgr l'Evêque de Luçon. Ces statuts portaient
que le Supérieur des Missionnaires serait toujours Supérieur des Frères de
l'Instruction comme des autres; qu'il y aurait cependant pour eux un Frère
directeur qui s'en occuperait d'une façon particulière, et que le Procureur
serait un des Missionnaires, lequel se chargerait spécialement de la direction
des Frères de travail manuel.
Comme le nombre des
Frères augmentait toujours et que la maison des Missionnaires avec ses
dépendances n'était pas assez spacieuse pour les contenir, on songea à placer
ailleurs les Frères qui s'occupaient de l'enseignement, en leur adjoignant
quelques-uns de ceux qui s'adonnaient aux travaux manuels. Après quelques
tentatives, que la Providence sembla ne pas approuver, on se décida à leur donner
pour demeure une maison qui appartenait aux Sœurs de la Sagesse, et qui se
trouve à l'entrée du beau et vaste Etablissement qu'ils occupent aujourd'hui.
C'est au mois d'octobre 1835, que trente-trois Frères du Saint-Esprit allèrent
s'installer dans cette nouvelle habitation. En entrant dans la maison, ils
voulurent lui donner un nom, et ils choisirent celui de Saint-Gabriel; c'était
le nom du R. P. Deshayes. Bientôt le nom de la maison passa aux Frères
eux-mêmes, que l'on appela Frères de Saint-Gabriel, pour les distinguer de
leurs autres Frères qui continuèrent à habiter la Maison-Mère, et qui
conservèrent le nom de Frères du Saint-Esprit. Ces derniers changèrent même ce
nom pour celui de Frères-Coadjuteurs de la Compagnie de Marie, quand cet
Institut, ainsi que celui de la Sagesse, fut approuvé par le Saint-Siège ; mais
les uns et les autres n'en étaient pas moins les enfants du Vén. de Montfort.
Comme au bout de quelques années, les Frères de Saint-Gabriel n'étaient plus
connus que sous ce nouveau nom, c'est sous ce nom qu'ils se firent approuver du
gouvernement pour toute la France, en 1853. Depuis la mort du P. Deshayes, ils
s'administrent eux-mêmes, ayant donné à l'un d'entre eux le titre et l'autorité
de Supérieur général.
Dans le commencement,
les Missionnaires allaient dire la messe à la Maison de Saint-Gabriel, autant
que leurs occupations le leur permettaient; et, avant qu'on y eut un cimetière,
c'est-à-dire pendant huit ans, les Frères mourant dans la nouvelle demeure
étaient encore inhumés dans le cimetière commun de tous les membres de la
famille religieuse du Vén. de Montfort. Ce qui montre les liens étroits qui
unissaient toujours les Communautés du Saint-Esprit, de la Sagesse et de
Saint-Gabriel. Bien que les rapports extérieurs entre ces Communautés aient dû
nécessairement se modifier avec le temps et le changement des circonstances,
les liens d'origine, d'estime et d'affection n'ont point été rompus, depuis
qu'une branche de l'arbre planté par le Serviteur de Dieu est devenue elle-même
un arbre magnifique couvert de branches nombreuses et pleines de vigueur.
D'après une note insérée
dans l’Ordo du diocèse de Luçon pour 1885, voici l'état actuel de la Congrégation
des Frères de l'Instruction chrétienne de Saint-Gabriel. Elle compte six cent
cinquante religieux et cent soixante-dix novices ou postulants. Ses
établissements, répandus dans vingt-quatre diocèses de France, sont au nombre
de cent trente-trois, parmi lesquels huit pensionnats, huit écoles de
sourds-muets, trois d'aveugles et un orphelinat. Elle a cinq noviciats : 1° à
la Maison-Mère, à Saint-Laurent-sur-Sèvre ; 2° à Clavières, près Laval; 3° à
Clermont-Ferrand ; 4° à Lorgues, du diocèse de Fréjus; 5° à Mane, dans le
diocèse de Digne. De plus, il existe à la Maison-Mère un petit Postulat
comptant de quarante à cinquante enfants de douze à quinze ans, qu'on prépare,
en attendant qu'ils aient l'âge prescrit pour entrer au grand Postulat.
ARTICLE
II
Affaire de la Béatification du Vén. de Montfort.
Cette affaire, si
glorieuse pour le grand Serviteur de Dieu, ayant été introduite à Rome, on
devait y traiter nécessairement la question de ses écrits, celle de ses vertus
et celle de ses miracles, si la cause marchait comme on avait lieu de
l'espérer. Le tombeau qui renfermait les restes du Vénérable ne pouvait manquer
aussi d'être soumis à un examen sérieux. C'est de ce tombeau que nous allons
parler tout d'abord.
Dès le commencement, il
était devenu un centre de piété, non-seulement pour la paroisse de
Saint-Laurent, mais encore pour toutes les populations voisines. Mme la
marquise de Bouille, bienfaitrice des Communautés établies par l'homme de Dieu,
et d'autres personnes vertueuses, eurent la pensée de lui élever un monument
plus convenable. La permission leur en fut accordée par Mgr l'Evêque de La
Rochelle, qui défendit toutefois de rendre au Serviteur de Dieu le culte
réservé à ceux dont l'Eglise infaillible a prononcé la sainteté.
L'exhumation se fit dans
la nuit du 12 novembre 1717, en présence de M. Friault, vicaire de la paroisse,
et de plusieurs autres personnes. M. le doyen arriva pendant l'opération.
Lorsque le cercueil parut, loin d'exhaler aucune mauvaise odeur, comme on s'y
était attendu, on fut surpris de sentir une odeur très suave. La terre même qui
l'entourait en était imprégnée. Les assistants ne craignirent pas alors de
s'approcher. Le cercueil fut posé sur deux bancs, au de la de la balustrade de
la chapelle de la très Sainte Vierge, et lorsqu'on souleva la planche
supérieure du cercueil, on fut surpris de voir une infinité de petites mouches
qui avaient les ailes vertes et qui murmuraient à peu près comme les abeilles
autour de leur ruche. Il n'y avait ni limon, ni putréfaction, et la chair était
blanche et saine. Le visage du serviteur de Dieu était très reconnaissable et nullement
défiguré. L'Evêque avait défendu, de toucher au corps; cela n'empêcha pas
plusieurs personnes de détacher des lambeaux de sa soutane et de son aube, et
de couper des morceaux de son cercueil.
On avait fait un autre
cercueil de chêne, dans lequel on enferma le premier avec le corps ; puis on
déposa ce cercueil dans le caveau préparé, en le plaçant sur deux tréteaux.
Après avoir muré le caveau, on le couvrit d'une pierre de marbre, sur laquelle
on avait gravé, en latin, l'épitaphe qu'on y lit encore. M. Barin,
grand-vicaire de Nantes, voulut aussi témoigner son affection au Serviteur de
Dieu, en faisant placer la plaque que l'on voit dans la muraille au-dessus du
tombeau.
Cette tombe vénérée n'a
point été dérangée jusqu'en 1812, époque à laquelle on voulut en faire
l'ouverture. La Révolution elle-même l'avait respectée, bien que l'église eût
été profanée. Le 30 novembre 1812, à huit heures du soir, en présence de M.
David, maire de la commune ; du P. Duguet, missionnaire et desservant de la
paroisse ; des PP. Couprie et Chamousset, également missionnaires; de la Mère
Sainte-Valère, supérieure générale des Filles de la Sagesse, accompagnée d'un
petit nombre de Sœurs, les ouvriers chargés du travail projeté ont commencé par
lever la tombe de la Mère Marie-Louise de Jésus placée auprès de celle du Vén.
de Montfort, espérant parce moyen ouvrir son tombeau de côté, sans déranger le
cénotaphe bâti au-dessus. En effet, à neuf heures et demie du soir, le tombeau
était ouvert.
On a trouvé deux
cercueils l'un dans l'autre. L'extérieur n'avait point de couvercle;
l'intérieur avait des planches dessus et à côté, mais détachées les unes des
autres et tombées on morceaux pourris. Le corps du Vénérable était en cendres ;
les os les plus gros étaient friables et tombaient en pièces, lorsqu'on les
touchait. On trouva un petit crucifix semblable à celui que les Sœurs portent
sur la poitrine, et une ardoise d'un pied en carré sur laquelle étaient écrits,
en latin, ces mots que nous donnons en français : « Ici repose M. Louis-Marie
Grignon de Montfort, prêtre et missionnaire apostolique, qui est décédé en odeur
de sainteté, le 28 avril 1716, à l'âge de 44 ans. »
Deux morceaux, l'un
d'une jambe, l'autre de la tète, furent retirés du tombeau et remis aux Sœurs
de la Sagesse. On permit également aux Sœurs d'emporter le petit crucifix et la
pierre d'ardoise, ainsi qu'un os du fémur de leur première Supérieure générale,
dont le corps fut trouvé en poussière.
Une troisième ouverture
du tombeau du Vén. de Montfort eut lieu le 17 janvier 1842, on présence de tous
les membres du Tribunal ecclésiastique réuni, à cette époque, clans la maison
des Missionnaires, pour s'occuper du procès de Béatification du Serviteur de
Dieu. On recueillit religieusement tout ce que l'on trouva dans cette tombe
vénérée. Deux médecins, qui avaient été appelés, désignaient les ossements et
disaient à quelle partie du corps ils appartenaient. On rencontra encore
quelques dents.
Les restes précieux du
Vénérable furent renfermés dans une petite châsse en plomb. Les épingles qui
avaient servi à l'ensevelissement de son corps; ses petites chaînettes de la
Sainte-Vierge; des morceaux de ses souliers; la touffe en soie de son bonnet
carré ; son chapelet qui était en entier, avec un seul chaînon défait, et
divers autres objets trouvés dans le tombeau, furent déposés dans un grand et
magnifique vase on porcelaine de Chine. On recueillit même soigneusement
plusieurs morceaux de bois provenant de son cercueil, ou peut-être des supports
qui l'avaient soutenu dans la tombe, ainsi que la poussière de cette tombe, et
ces objets furent renfermés dans une caisse en bois de chêne, laquelle contient
aussi et la châsse de plomb bien scellée et le vase de porcelaine. Le tout fut
descendu religieusement dans le caveau. On pouvait toucher ces objets ; mais le
président du Tribunal, M. l'abbé Soyer, vicaire-général de Luçon, et neveu de
l'Evêque, avait annoncé qu'on ne pouvait en emporter la moindre partie, sans
encourir une excommunication réservée au Souverain-Pontife.
Désormais, les restes
vénérés du Serviteur de Dieu sont placés sous la sauvegarde de l'Eglise, qui
s'occupe de l'affaire si importante et si glorieuse de sa Béatification.
Pendant sa vie de Missionnaire, Montfort entraînait après lui les populations
entières, qu'il fascinait pour ainsi dire, par la puissance de sa parole et par
l'éclat de ses vertus ; depuis plus d'un siècle et demi, il les attire autour
de son tombeau par le souvenir de son enseignement et de sa sainteté, et par
les faveurs signalées qu'il leur obtient du ciel.
La réputation de
sainteté extraordinaire laissée par Montfort dans tous les lieux qu'il avait
évangélisés, et môme dans tous les lieux où il avait porté ses pas ; les
guérisons nombreuses et instantanées que l'on croyait avoir obtenues par son
intercession ; la confiance entière et la dévotion ardente des populations qui
se pressaient constamment autour de son tombeau, tout était fait pour engager
l'autorité ecclésiastique à s'occuper sérieusement d'une cause de Béatification
qui semblait avoir des chances de succès.
Le R. P. Deshayes,
supérieur général des Communautés de Saint-Laurent, fit le voyage de Rome en
1825, comme nous l'avons dit. Il donna tous ses soins à cette grande affaire ;
il sut y intéresser les plus hauts personnages de la Cour romaine, et il eut le
bonheur de voir ses démarches obtenir un bon résultat. Mgr Soyer, évêque de Luçon,
fut chargé d'ériger un Tribunal pour l'audition des témoins dans la cause de
Béatification du Serviteur de Dieu, et le travail de cette Commission fut
envoyé à Rome dans les derniers mois de 1830. Le Pape Grégoire XVI accueillit
favorablement cette affaire qui lui fut soumise, et il la renvoya à l'examen de
la Congrégation des Rites. Après un mûr examen, cette Congrégation jugea à
l'unanimité, le 1er septembre 1838, qu'il y avait lieu à suivre
cette affaire, si tel était le bon plaisir de Sa Sainteté, et le 7 du même
mois, un Décret apostolique de Grégoire XVI accordait au grand Serviteur de
Dieu et de Marie le titre de Vénérable, on autorisant la sacrée Congrégation à
poursuivre l'affaire de la Béatification. Le 3 août, le procès appelé de Non-Culte,
constatant qu'on n'avait pas devancé le jugement de l'Eglise, en rendant à
Montfort le culte réservé aux Saints, a été jugé favorablement.
De ce moment, le terrain
était déblayé, et l'on pouvait travailler à la construction de l'édifice. Le
procès des écrits du Vénérable serviteur de Dieu devait être soumis le premier
au jugement du Saint-Siège. Dès l'année 1841, la Congrégation des Rites donna
l'ordre de recueillir tous les écrits composés par lui. Un Tribunal
ecclésiastique se tint, pour cet effet, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, à la fin de
1841 et au commencement de 1842. Tous les ouvrages du Vénérable de Montfort
ayant été soumis à la révision de la Congrégation des Rites, on n'avait plus
qu'à attendre sa décision. Elle se fît attendre longtemps, et les funestes
événements politiques de cette époque furent sans doute la principale cause de
ce retard. Enfin, toutes les diverses formalités ayant été remplies, la question
des écrits fut posée devant la Congrégation des Rites, assemblée dans le palais
apostolique du Vatican, le 7 mai 1858. Les Eminentissimes Cardinaux
prononcèrent que les ouvrages révisés ne contenaient rien qui fit obstacle à la
poursuite de la cause de Béatification, et ce Décret favorable fut approuvé par
le Souverain Pontife, le 12 du même mois.
Les ouvrages du
Serviteur de Dieu présentés à l'approbation du Saint-Siège sont : 1° le Traité
de la vraie dévotion à la Sainte - Vierge ; 2° l'Amour de la Sagesse éternelle;
3° le Secret admirable du très saint Rosaire ; 4° les Trois Couronnes de la
Sainte-Vierge; 5° trois volumes de Cantiques spirituels; 6° un Manuscrit renfermant
des plans ou sujets de sermons; 7° les Règles des Missionnaires de la Compagnie
de Marie et celles des Filles de la Sagesse, avec quelques autres opuscules.
« L'impression produite
par la lecture des écrits de Montfort, selon le sentiment des théologiens de
Rome qui les ont examinés, n'est pas la même que celle des ouvrages ordinaires.
On y sent une onction intérieure, une paix et une consolation qui se trouvent
uniquement dans les écrits des âmes privilégiées que Dieu favorise de lumières
particulières. » En effet, rien de recherché ni de prétentieux dans les écrits
du Vén. serviteur de Dieu; point de ces phrases sonores, mais vides de sens,
que l'on trouve si souvent, môme dans les livres de piété. Tout est simple et
noble en même temps; tout est substantiel. Les idées abondent, et la manière de
les exprimer ne manque ordinairement ni do force, ni d'élégance.
Le Traité de la vraie
Dévotion à la Sainte-Vierge est sans doute le principal ouvrage du pieux
Missionnaire. On ne saurait trop le recommander à toutes les personnes qui
unissent l'intelligence à la piété et qui désirent faire de rapides progrès
dans la vertu. Ses Cantiques do missions sont connus de tout le monde ; ils se
trouvent dans presque tous les Recueils de quelque étendue. Comme chants
religieux et comme chants populaires, ils n'ont point encore été surpassés. On
a beau chercher, on rencontre difficilement ailleurs autant de doctrine, de
clarté, de force, de douceur et de piété. C'est une poésie toute chrétienne qui
n'a rien d'énervé et de sensuel, comme un grand nombre de ces chants nouveaux
qui profanent trop souvent la voûte de nos églises. Ces productions légères ne
sont que de pieuses chansonnettes, bonnes tout au plus à être modulées dans les
salons honnêtes et dans les bosquets fleuris, après la lecture des romans dits
religieux. Ce ne sont point là des chants graves, instructifs et touchants, qui
puissent se faire entendre avec décence et avec fruit dans les temples de la
religion et dans les cérémonies chrétiennes.
Ceux qui ont lu et
médité les cantiques du Vén. de Montfort, répandus dans une foule de Recueils,
seront peut-être bien étonnés, si nous osons leur dire qu'ils n'ont pas encore
une idée assez complète de son talent poétique, et qu'ils ne le connaissent
qu'à-demi. Il faut, pour apprécier convenablement ce poète chrétien, parcourir
un grand nombre de pièces de vers qui n'ont point encore été livrées au public;
il faut surtout prendre connaissance de plus de huit mille vers renfermés dans
un cahier que nous avons sous les yeux et qui est écrit tout entier de sa main.
Ce sont des instructions complètes sur les vertus chrétiennes, faites pour être
lues et chantées aussi bien dans les maisons que dans les églises. Nous
espérons que ces pièces inédites ne tarderont pas à être mises à la disposition
des lecteurs, qui seront heureux d'avoir entre les mains non seulement un
trésor de poésie, mais encore un trésor de foi et de piété.
Quelle que soit la
gloire procurée à Montfort par ses écrits et ses pieux cantiques, on peut dire
que ce n'est là qu'une vaine fumée auprès de celle qui lui revient de ses
admirables vertus. Dieu qui le destinait à agir sur les masses qu'il devait
travailler à convertir el à rendre meilleures, lui avait donné tout ce qu'il
fallait pour remplir dignement sa difficile mission. Il était parfaitement doué
du côté de la nature et de la grâce. Il avait la force du corps, la force de
l'intelligence et la force de la vertu. Ces trois forces, physique,
intellectuelle et morale, unies ensemble et dirigées uniquement par la grâce de
Dieu qui s'en servait comme d'un instrument docile et vigoureux, ne pouvaient
manquer de produire des merveilles.
Dans la plupart des
Saints on voit briller particulièrement une ou deux vertus qui dominent
tellement qu'elles semblent effacer les autres. En Montfort, chaque vertu se
montre avec le même éclat, avec la même perfection, en sorte qu'il est
difficile de dire quelle est celle qui l'emporte sur les autres et qui le
caractérise davantage. Si le zèle apostolique semble le caractériser d'une
manière spéciale, c'est qu'il a été mis en exercice plus souvent que chacune de
ses autres vertus. Mais quand ses autres vertus ont eu occasion de se montrer,
ce qui est arrivé souvent, elles ont produit des actes véritablement héroïques.
Aussi nous ne craindrons pas de dire que, si par son zèle apostolique c'est un
saint François Xavier; par sa charité envers les malheureux c'est un saint
Vincent de Paul; par son amour de la pauvreté c'est un saint François d'Assise;
par son humilité c'est un saint François de Paule. Quel est le saint qui s'est
montré plus confiant dans la Providence, plus résigné à la volonté de Dieu,
plus dévot à la Sainte Vierge, plus attaché à l'Eglise et à la Chaire de
Pierre, plus doux et plus patient dans les injures et les outrages, plus
obéissant à ses supérieurs, plus mortifié dans toute sa vie, plus ennemi du
monde et de ses vanités, plus passionné pour la Croix, plus adonné à la prière
et à l'oraison, plus ami du recueillement, du silence et de la solitude? Mais
qu'est-il besoin de parler plus longuement des admirables vertus de Montfort?
La plus haute autorité qui soit sur la terre s'est chargée de nous déclarer
qu'elles étaient héroïques.
Le procès des écrits du
Vén. Serviteur de Dieu ayant été jugé favorablement, la Cour de Rome avait à
examiner la question encore plus importante de ses vertus. C'est le 9 janvier
1866 que la Congrégation des Dites se réunit pour la première fois, afin de
commencer l'étude do cette question, laquelle fut proposée dans une Congrégation
préparatoire tenue au Vatican, le 16 juillet 1867. Comme le postulateur, pour
arriver plus surement au succès de la cause, avait fait des instances à l'effet
de tenir une autre Congrégation préparatoire, cette autre Congrégation accordée
par le Saint-Père, le Pape Pie IX, fut tenue le 16 février de l'année 1869.
Enfin, on discuta la question des vertus du Serviteur de Dieu dans la
Congrégation générale qui se tint devant le Saint-Père, au Vatican, le 27
juillet de la même année. Les Eminentissimes Cardinaux et les Révérends Pères
Consulteurs donnèrent par ordre leur avis. Mais Sa Sainteté, après avoir
recueilli les suffrages, exhorta les Consulteurs à continuer de prier avec Elle
afin d'obtenir de la divine Sagesse lumière et conseil pour achever cette
grande affaire.
Enfin, le 29 septembre
1869, le Saint-Père, après avoir célébré la messe dans sa chapelle privée du
palais du Vatican, monta sur son trône dans la salle Noble du même palais, et
appela auprès de lui le très Eminent Cardinal Constantin Patrizi, évêque de
Porto et de Sainte-Rufine, Préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, et en même
temps le très Eminent Cardinal Clarelli Paracciani, évoque de Frascati, et
rapporteur de la cause, avec le Révérend Père Pierre Minetti, promoteur de la
foi, et Monseigneur Bartolini, secrétaire. En leur présence, il décréta : «
Qu'il était tellement certain que le Vénérable serviteur de Dieu, Louis-Marie
Grignon do Montfort, avait pratiqué les vertus théologales de Foi, d'Espérance
et de Charité envers Dieu et le prochain, et les vertus cardinales de Prudence,
de Justice, de Force et de Tempérance, ainsi que les vertus morales qui s'y
rapportent, dans un degré héroïque, dans le cas et à l'effet dont il
s'agissait, que l'on pouvait procéder à la discussion des quatre miracles. »
Ce Décret si important,
affiché aux portes de la Basilique Vaticane, à Rome, fut ainsi publié pour tout
l'univers. On doit juger de la joie immense dont furent pénétrés les enfants de
Montfort à la réception de ce précieux Décret. Il fut affiché, à
Saint-Laurent-sur-Sèvre, au son de toutes les cloches, sur les portes des
Communautés du Saint-Esprit, de la Sagesse, de Saint-Gabriel et de l'église
paroissiale. Il fut affiché également sur toutes les portes des chapelles, dans
les résidences des Pères de la Compagnie de Marie et des Filles de la Sagesse.
Dans ce moment, la
Congrégation des Rites s'occupe de la dernière question relative à la
Béatification du Vén. de Montfort, celle des miracles. Le miracle est un fait
sensible et divin qui déroge aux lois communes de la nature, dans un cas
particulier. Il ne peut s'opérer que par l'action immédiate, ou avec la permission
de l'Etre suprême, auteur et conservateur de toutes choses. « Qui peut changer
la nature, dit saint Ambroise, si ce n'est Celui qui a créé la nature ?» — « Il
n'appartient qu'à Dieu, dit saint Thomas, de faire des miracles proprement
dits. Quel que soit le pouvoir des bons et des mauvais anges, il ne va pas
jusque-là. »
Dieu donne quelquefois à
ses Saints le pouvoir de faire des miracles. C'est ainsi que Jésus-Christ, Dieu
et homme, disait à ses apôtres : « Allez, guérissez les malades, ressuscitez
les morts, chassez les démons. » Les miracles opérés par les serviteurs de Dieu
pendant leur vie prouvent que leurs vertus étaient réelles, intègres,
surnaturelles, et les miracles opérés après leur mort confirment ces vertus
qu'ils avaient pratiquées de leur vivant, et démontrent que leur mort a été
semblable à leur vie et qu'ils ont persévéré jusqu'à la fin dans l'exercice de
la divine charité.
L'Eglise seule est juge
de la vérité des miracles attribués aux serviteurs de Dieu, et l'on sait avec
quelle prudence, avec quelle sévérité elle procède à l'examen des faits
extraordinaires soumis à son jugement, quand il s'agit de la Béatification et
de la Canonisation de l'un de ses enfants. Pendant sa vie, le Vénérable de
Montfort paraît avoir opéré plusieurs fois de véritables miracles ; mais les
prodiges opérés par son intercession, depuis qu'il est descendu dans la tombe,
sont bien autrement nombreux el éclatants. Ils sont comme les anneaux d'une
chaîne merveilleuse qui commence à sa mort et se prolonge jusqu'à nos jours. Un
volume ne suffirait pas si l'on voulait relater toutes les faveurs extraordinaires
que l'on a cru avoir obtenues de lui. On n'en a consigné qu'une très faible
partie dans les Annales des Congrégations de Saint-Laurent, et cependant ce nombre arrive à quatre ou
cinq cents. Ces faits passaient presque comme inaperçus jusqu'au moment où on
s'est occupé, d'une manière sérieuse et efficace, de la cause do Béatification
du Serviteur de Dieu.
Dans ces derniers temps,
plusieurs faits extraordinaires ont été soumis à l'examen de l'autorité
suprême, dont on espère un jugement favorable. Qui peut s'empêcher de
reconnaître et d'admirer l'attention de la divine Providence qui, depuis la
promulgation du Décret sur les Vertus, semble vouloir, par des prodiges
nouveaux, hâter le moment du Décret de Béatification, après lequel soupirent
avec ardeur la famille religieuse de Montfort et toutes les populations
chrétiennes des contrées qui entourent son tombeau, ou qu'il a évangélisées. Nous
espérons que ce moment tant désiré ne tardera pas à venir. Nous savons que le
Souverain Pontife Léon XIII porte le plus vif intérêt à cette cause, et qu'en
toute occasion il fait instance pour en accélérer la marche. Déjà, le 12 juin
1883, s'est tenue à Rome une première congrégation antéprépara-toire sur les
miracles du Vénérable serviteur de Dieu. Espérons et prions. Grande est la
confiance des fidèles envers Montfort ; mais comme cette confiance augmentera
encore, quand le chef suprême de l'Eglise aura fait entendre une parole pour
déclarer qu'il a sa place parmi les Bienheureux ! Quelle ne sera pas la joie ;
quelle ne sera pas la reconnaissance, non seulement de sa famille religieuse,
mais de tous les habitants des contrées où il a prêché l'Evangile, depuis
Saint-Brieuc et Saint-Lô jusqu'à Poitiers et à La Rochelle! La France entière
ne manquera pas d'applaudir au triomphe de cet ardent apôtre de Jésus-Christ.
Comme toutes les voûtes des églises; comme toutes les murailles des maisons
chrétiennes; comme tous les échos des campagnes rediront cette courte, mais
confiante invocation : Bienheureux
Louis-Marie Grignon de Mont fort, priez pour nous !
Fin
TABLE DES
MATIÈRES
Pages
Chapitre I. — Depuis la naissance de Louis-Marie Grignon de Montfort
jusqu'à l'époque de sa promotion au sacerdoce
1
Chapitre II. — Depuis l'époque où Louis-Marie Grignon de Montfort est élevé
au sacerdoce jusqu'à son voyage do Rome
21
Chapitre III. — Depuis le voyage de Montfort à Rome jusqu'à sa sortie du diocèse
de Nantes 40
Chapitre IV. — Depuis la sortie de Montfort du diocèse de Nantes jusqu'à
son voyage à Rouen 61
Chapitre V. — Depuis le voyage de Montfort à Rouen jusqu'à sa mort 80
Chapitre VI. — Gloire du Vén. de Montfort. Ses Congrégations. — Affaire de sa Béatification 99
Nantes —Imp. Bourgeois,
rue St Clément.