Chauvin
Life
A. M. D. G.
LE BIENHEUREUX
L.-M. Grignion le Montfort
PAR
P.-M. CHAUVIN
CURÉ-DOYEN DE MONTFORT, CHANOINE HONORAIRE
RENNES
HYACINTHE CAILLIÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR
2, Place du Palais, 2
1888
AVANT-PROPOS. 4
CHAPITRE PREMIER. 5
I - Ville de Montfort au XVIIe siècle. — Naissance de Louis Grignion. — Sa famille. 5
II - Son éducation première par sa mère. 7
CHAPITRE II 10
I - Louis fait ses études à Rennes. — Ses talents. Ses vertus. 10
II - Ses vacances au Bois-Marquet. 13
CHAPITRE III 15
I - Sa vocation. — Il part pour Saint-Sulpice. 15
II - Pension de M. de la Barmondière. — Montfort y passe deux ans. 17
CHAPITRE IV. 19
SAINT-SULPICE. 19
I - Ses vertus. — Son zèle. — Ses austérités. — Ses épreuves. — Emplois qui lui sont confiés. 19
II - Son travail. — Ses succès. — Son ordination. 23
CHAPITRE V. 26
Cantiques. 26
CHAPITRE VI 33
I - Il entre chez les Missionnaires de Saint-Clément, à Nantes. 33
II - Il devient aumônier de l'Hôpital général de Poitiers. 33
CHAPITRE VII 37
I - Voyage à Rome. 37
II - Son retour de Rome. 38
CHAPITRE VIII 39
I - Son séjour à Rennes, à Saint-Lazare. 39
II - Missions de Dinan. 40
CHAPITRE IX. 42
I - Missions de Saint-Brieuc, La Chèze, Moncontour. 42
II - Saint-Lazare. — Missions de Montfort, de Bréal, Romillé. 43
CHAPITRE X. 48
I - Montfort à Nantes. — Son talent de Missionnaire. 48
II - Missions de Saint-Similien, Vallet, La Chevrolière, Vertou, Saint-Fiacre, Cambon, Croissac, Pontchâteau. 49
CHAPITRE XI 54
I - Calvaire de Pontchâteau. 54
II - Soumission de Montfort. — Sa conformité à la volonté de Dieu. Sa charité. — Son dévouement. 57
III - La Croix. — Amour du Bienheureux pour la Croix. 60
CHAPITRE XII 63
I - La Rochelle. — Ses Missions. 63
II - Mission de l'Ile-Dieu, de la Salertaine et de Saint-Christophe. 65
CHAPITRE XIV. 67
I - Retraite à l'hôpital de la Rochelle. — Conversion de Mlle de Page. — Ermitage de Saint-Éloy. 67
II - Missions de Thoiré, Vivien, Esnandes, Courçon, Séguinière. 68
CHAPITRE XV. 70
I - Fondation de ses Congrégations. 70
CHAPITRE XVI 74
I - Montfort part pour la Normandie. — Il s'arrête à Roussay, à Nantes, à Rennes. — Lettre aux Amis de la Croix. 74
Mission de Saint-Lô. 75
CHAPITRE XVII 77
I - Entrevue de Montfort et de son ami racontée par ce dernier. 77
II - Départ de Rouen. — Il passe par Nantes et par Rennes. Retour à la Rochelle. 78
CHAPITRE XVIII 80
II - Il établit ses œuvres à la Rochelle. 82
CHAPITRE XIX. 84
I - Missions de Fontenay le Comte, de Vouvant, de Saint-Pompain, Villiers-en-Plaine. Pèlerinage de Notre-Dame des Ardilliers. 84
II - Mission de Saint-Laurent-sur-Sèvre. — Mort du Bienheureux. Ses funérailles. — Son tombeau. 86
CHAPITRE XX. 89
Miracles du Bienheureux. 89
Idiotisme. — Mutisme. — Cécité. — Épilepsie. 90
CHAPITRE XXI 93
Béatification de Montfort. — Fêtes qui ont lieu à cette occasion. 93
TABLE DES MATIÈRES. 96
Pèlerinage à la chapelle Saint-Joseph. 99
AVANT-PROPOS
L'Eglise vient d'inscrire au nombre des Bienheureux le nom d'un prêtre breton : Louis-Marie Grignion de Montfort.
Ce nom, à part la province de la Vendée, où il a laissé un impérissable souvenir, est, à peu près, celui d'un inconnu.
La Bretagne, où il est né, où il a jeté la semence féconde de sa parole et la flamme de son zèle, le connaît à peine.
Sa paroisse natale elle-même ne sait rien, ou à peu près rien, de sa vie, pourtant si édifiante, si extraordinaire.
C'est notre devoir à tous de faire écho à la voix de l'Église quand elle glorifie nos saints.
Mais c'est particulièrement le devoir du curé de Montfort de contribuer, dans la mesure du possible, à la glorification du plus illustre des enfants de sa paroisse.
Voilà la raison de ce livre.
Puisse ce petit travail, entrepris uniquement pour la gloire de Dieu, raviver notre dévotion, notre confiance filiale envers le nouveau et puissant protecteur que Dieu vient de nous donner!...
CHAPITRE PREMIER
I - Ville de Montfort au XVIIe siècle. — Naissance de Louis Grignion. — Sa famille.
Au xviie siècle, Montfort était une des cités les plus pittoresques de Bretagne.
Située sur une petite éminence, à mi-coteau, au confluent de deux rivières, la ville était environnée de hautes et fortes murailles que baignaient les eaux d'un grand lac[1].
Ce lac était alimenté par le Garun et le Meu, qui serpentaient à travers de vastes et magnifiques prairies.
De distance en distance, les murailles étaient flanquées de superbes tours qui présentaient à la fois un aspect sévère et grandiose.
Trois portes, avec herses et pont-levis, ouvraient ou fermaient l'entrée de la ville.
D'un côté, des collines élevées ; de l'autre, des coteaux et des versants en pente douce, couverts de riches et abondantes moissons.
Une forêt antique et légendaire, la forêt Brocéliande, couronnait les hauteurs et semblait projeter son ombre sur la petite cité.
Les voyageurs, aujourd'hui encore, vont visiter, dans cette forêt, les fontaines de Baranthon et de Jouvence, le chêne au Vendeur, la Croix-Robert, et les nombreux monuments celtiques qui s'y trouvent.
Elle avait, dans ses faubourgs, trois paroisses : Saint-Jean, Saint-Nicolas et Coulon, et une célèbre abbaye sous le patronage de l'apôtre saint Jacques.
La paroisse de Saint-Jean, qui avait été fondée vers 640, par Judicaël, roi de Bretagne, était la plus importante des trois.
C'est dans cette ville et dans la paroisse de Saint-Jean que vint au monde, le 31 janvier 1673, Louis Grignion.
On voit encore, rue de la Saunerie, à quelques pas de l'église actuelle, la maison où il est né.
Le lendemain, 1er février, il fut baptisé dans l'église Saint-Jean, paroisse de la famille, par M. Hindré, curé-doyen.
Cette église n'existe plus aujourd'hui.
Pour en rappeler le souvenir, on a bâti sur son emplacement, et avec ses débris, la charmante chapelle de Saint-Joseph.
Il eut pour parrain Louis Hubert, sieur de Beauregard, et pour marraine Marie Lemoine, dame de Tressouet[2].
La famille du nouveau-né était une des plus honorables du pays.
Son père, Jean-Baptiste Grignion, sieur de la Bacheleraie[3], était avocat au bailliage de Montfort.
Sa mère était fille de Jean de la Visuelle-Robert de Launais, l'un des échevins de la ville de Rennes.
D'après les traditions locales, l'enfant fut mis en nourrice chez une bonne et pieuse femme, nommée Andrée, au village de Saint-Lazare, à deux kilomètres environ de Montfort.
Le Bienheureux garda toujours un doux souvenir de son pays natal : il viendra souvent, pendant sa vie, visiter les lieux où s'étaient écoulées ses premières années, et revoir la mère Andrée qui lui avait servi de seconde mère.
Au baptême, comme on le voit dans l'extrait de baptême, on lui donna le nom de Louis ; il y ajouta, en recevant la confirmation, le nom de Marie, pour laquelle il eut toujours la plus tendre dévotion.
Plus tard, il quitta son nom paternel, et se fit appeler Montfort, parce qu'il avait reçu le baptême dans cette ville.
Cette particularité nous révèle le caractère du Bienheureux : chez lui, la nature ne fut rien, la grâce fut tout.
Le baptême, à ses yeux, c'était l'adoption, l'élection divine. Là, selon une parole de l'Ecriture, Dieu l'avait recueilli à son entrée dans la vie. C'est ce qui explique son amour pour cette petite ville dont il a voulu prendre le nom.
C'est dans ces lieux, que saint Vincent Ferrier avait évangélisés, que s'écoula son enfance.
Cette belle nature, ce lac, ces bois, ces collines, ces sommets, tels furent ses premiers horizons ; et quoiqu'il les eût quittés bien jeune (il avait douze ans), les impressions qu'ils laissèrent dans son imagination furent ineffaçables.
Rien, dans la suite, ne lui fit oublier son pays natal, le coin le plus obscur de sa vie.
Quelques années après, à son retour de Rome, quand il eut reçu du Souverain Pontife la mission d'évangéliser la France, il choisit les hauteurs de Saint-Lazare pour son lieu de repos.
Durant toute sa carrière apostolique, il rechercha la solitude des forêts et des ermitages pour se délasser de ses travaux, pour se retremper dans la prière, pour se livrer plus librement à ses pénitences et à ses sanglantes disciplines.
II - Son éducation première par sa mère.
Un jour, dans une habitation tranquille et calme comme la vertu, quelques femmes, des mères, entouraient un berceau, et sur ce berceau tombaient du cœur de ces mères des prières, des espérances et des vœux.
Quis putas puer iste erit ?
Que pensez-vous, se disaient-elles les unes aux autres, que pensez-vous que sera cet enfant ?
C'était autour du berceau de saint Jean-Baptiste, le plus grand des hommes, au jugement de Notre-Seigneur lui-même : Non surrexit major Joanne Baptista, que ces choses se passaient.
Tous les jours, au milieu de nous, on assiste à quelqu'une de ces scènes du foyer domestique.
Des femmes, des mères, se rassemblent autour du berceau d'un nouveau-né, et sur ce berceau tombent de tous ces cœurs des prières, des espérances et des vœux. Quis putas puer iste erit? Que pensez-vous que sera cet enfant?
Sera-ce un saint ? sera-ce un réprouvé ? sera-t-il la joie et le bonheur de ses parents ? sera-t-il l'honneur ou l'opprobre de sa famille ?
Il sera ce que sa mère surtout l'aura fait.
Chose remarquable et pas assez remarquée, presque tous les saints qui ont étonné le monde par les merveilles de leur vie, de leur charité, de leurs vertus, ont été élevés par une sainte mère. Ainsi saint Augustin, saint Bernard, saint Louis, saint Dominique, et bien d'autres.
La femme chrétienne qui, en prodiguant ses caresses et ses baisers à son enfant, lui parle de Dieu et de son ineffable tendresse, possède une grâce de conviction que l'enfant ne retrouvera jamais sur les lèvres d'aucun autre.
Dans les entretiens d'une mère et son enfant, il y a comme un reflet de l'amour de la sainte Vierge qui est la plus haute expression de la nature et de la grâce.
La Providence, qui avait de grands desseins sur le jeune Grignion, lui donna une sainte mère, qui s'empressa, de bonne heure, de jeter dans son âme la semence de toutes les vertus. Dès le premier éveil de la raison elle lui apprit à aimer Dieu et à le faire aimer, à estimer les choses du ciel et à mépriser les choses de la terre.
Ces pieuses leçons de sa mère se gravèrent profondément dans son âme ; il ne les oublia jamais !... ses premières années furent comme l'aurore d'un beau jour. Il montra dès lors tant d'inclination pour la vertu, tant d'horreur pour le mal, qu'il semblait que l'innocence et la sagesse lussent nées avec cet enfant de bénédiction. Son ardent amour pour Dieu éclatait dans toutes ses paroles, dans toutes ses actions.
Un mot qu'il avait sans cesse sur les lèvres, môme dans son enfance, et qu'il mettra partout plus tard, semble résumer sa vie tout entière : Dieu seul!
Oui, même dans ses premières années, Dieu était tout pour lui ! Dieu dans ses joies, Dieu dans ses peines ! Dieu partout et toujours ! C'est pour Lui qu'il travaillait, qu'il souffrait, qu'il vivait ! Dieu ! rien que Dieu ! Dieu seul ! Dieu entièrement ! Dieu toujours !
Il a peint dans ce beau cantique les sentiments de son âme :
Il n'est pour moi qu'un seul lieu sur la terre
Et c'est Dieu seul ! Dieu seul est mon trésor !
Dieu seul, Dieu seul allège ma misère,
Et vers Dieu seul mon cœur prendra l'essor.
Je bénis sa tendresse,
Et répète sans cesse
Ce cri d'amour, cet élan d'un grand cœur :
Dieu seul, Dieu seul, voilà le vrai bonheur!
Dieu seul, Dieu seul guérit toute blessure ;
Dieu seul, Dieu seul est un puissant secours.
Dieu seul suffit à l'âme droite et pure,
Et c'est Dieu seul qu'elle cherche toujours.
Répétons, ô mon âme,
Ce chant qui seul enflamme,
Ce cri d'amour, cet élan d'un grand cœur :
Dieu seul, Dieu seul, voilà le vrai bonheur!
Quel déplaisir pourra jamais atteindre
Cet heureux cœur que Dieu seul peut charmer?
Mon Dieu, quels maux pourra-t-il craindre ?
Il n'en est point, quand on sait vous aimer.
Aimer un si bon père,
C'est commencer sur terre
Ce chant d'amour de la sainte cité :
Dieu seul, Dieu seul pour une éternité.
A cet amour pour Dieu, il joignait toujours une tendre dévotion pour Marie, qu'il appelait sa mère, sa bonne mère, sa chère mère ! Tout enfant, il allait à elle avec une simplicité charmante ; il lui demandait tout ce dont il avait besoin au spirituel et au temporel. Et quand il l'avait priée, il était sûr d'obtenir ce qu'il avait demandé.
Tout, à son avis, était fait, quand il avait prié sa bonne mère.
Et ce qu'il faisait enfant, il le fera toute sa vie !... C'est lui-même qui nous en assure.
Imitons ces petits enfants
Qui n'ont de recours qu'a leur mère :
Ma mère, ma mère ! en tout temps
C'est leur plus fervente prière...
Son zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes se manifesta dès ses plus jeunes années. Il aimait à l'exercer envers ses frères et sœurs, mais surtout envers sa sœur Marie-Louise, qu'il sembla toujours affectionner plus que ses autres frères et sœurs, sans doute parce qu'elle était plus portée à la piété et plus docile à profiter de ses leçons.
Vers l'âge de quatre ou cinq ans, il mettait tout en œuvre pour lui faire quitter les amusements de son âge. Il la séparait avec adresse de ses compagnes pour la mener prier en secret. Et quand elle témoignait quelque répugnance pour les exercices de piété qu'il lui suggérait, il lui faisait de petits présents en lui disant : « Ma petite sœur, vous serez toujours belle, et tout le monde vous aimera, si vous aimez bien le bon Dieu. »
Aussitôt Louise quittait tout pour le suivre.
C'est ainsi que, dès ses premières années, il préludait aux fonctions apostoliques qui devaient sanctifier une grande partie de sa vie.
Cette intelligence si vive des choses de Dieu dans un âge si tendre, ce mépris des amusements qui font la vie de l'enfance, ce zèle pour la gloire de Dieu, cette tendresse filiale pour la sainte Vierge, tout cela faisait prévoir à quel haut degré de grâces et de vertus devait un jour s'élever cette âme privilégiée.
L'homme se révélait déjà dans l'enfant. Les attraits qu'il manifestait dès lors se retrouvèrent en lui toujours.
Son éducation, commencée par une mère chrétienne, fut continuée par les Pères de la Compagnie de Jésus, ces maîtres saintement habiles clans l'œuvre de l'éducation.
CHAPITRE II
I - Louis fait ses études à Rennes. — Ses talents. Ses vertus.
Les rares facultés dont le jeune Grignion était doué éclataient chaque jour de plus en plus. Manifestement ce n'était pas là un enfant ordinaire. Les plus grandes espérances semblaient permises au cœur paternel. Sa mère les partageait et les encourageait. Il fallait ménager à cet enfant toutes les chances possibles d'avenir.
D'ailleurs, le gentilhomme breton, qui avait reçu de sa famille une éducation soignée, ne voulait pas laisser décheoir ses enfants. Il voulut leur donner en éducation ce qu'il ne pouvait pas leur laisser en richesse.
Les Jésuites avaient alors à Rennes un collège très florissant : il comptait près de deux mille écoliers.
Dans certaines classes le nombre des élèves s'élevait jusqu'à quatre cents.
M. Grignion, malgré sa nombreuse famille et les embarras de sa position, envoya son fds prendre leurs leçons.
Une autre existence va commencer pour l'enfant, toute pleine de périls pour lui et d'inquiétude pour sa mère.
Mais la Providence veillait.
A Rennes, comme à Montfort, il se fit une solitude pour mieux travailler et pour mieux prier.
Il se mit au travail avec cette force de volonté qu'il apportait dans tout ce qu'il faisait, et bientôt il surpassa tous ses condisciples en science, comme il les surpassait en piété.
Tous ses maîtres conçurent dès lors pour lui une estime et une affection particulières, et ne tardèrent pas à le proposer aux autres comme un modèle accompli.
De son côté, Montfort leur conserva toute sa vie une affection et une confiance filiales ; et sous les coups des humiliations et des épreuves qui remplirent son existence, il alla toujours chercher parmi eux des consolateurs et des guides.
Il prit pour confesseur le Père Descartes, l'auteur du Palais de l'amour divin, qui avait reçu de Dieu un don particulier pour la direction des âmes.
Cet habile directeur sut apprécier l'âme qui lui était confiée, et lui témoigna, dès lors, une amitié et une estime que rien, dans la suite, ne put altérer.
Plus tard, quand il le verra persécuté, il prendra constamment sa défense, et le signalera toujours pour un saint.
Parmi les nombreuses industries dont les Pères se servaient pour inspirer, entretenir et développer la piété des enfants qui leur étaient confiés, il en est une surtout qui leur a toujours admirablement réussi, et qui, après trois cents ans d'existence, porte les mêmes fruits de grâce et de bénédiction. C'est la Congrégation de la très sainte Vierge.
Que de jeunes gens, que de jeunes personnes lui doivent leur pureté et leur persévérance dans le service de Dieu !
Il y a une merveilleuse harmonie entre l'âme de l'enfant et le culte de la sainte Vierge. Le nom seul de Marie remue toutes les fibres de son cœur et réveille son amour et sa confiance.
C'est le plus ferme appui de la fragilité, et le secours le plus efficace après la chute.
Pour être admis dans la Congrégation, il fallait s'en montrer digne par la piété, le travail et la vertu.
Montfort sollicita la faveur d'y entrer. Il l'obtint facilement : il était le modèle de tous... Et bientôt il donna l'exemple d'une piété plus fervente encore.
L'amour de la sainte Vierge était comme inné en lui. Toute sa vie il eut pour elle une dévotion, une tendresse si grande, qu'il a été regardé partout et par tous comme un des grands dévots de la sainte Vierge. C'est un saint Bernard, disait récemment Léon XIII.
Quand il était devant une image de Marie, il oubliait tout ; il semblait ne plus reconnaître personne. Il se tenait aux pieds de Marie des heures entières à la prier, à l'honorer, à multiplier ses actes d'amour. On aurait dit qu'il était en extase!...
Cette dévotion sensible n'était pas chez lui passagère; elle était journalière.
Tous les jours, en allant et revenant, il entrait dans l'église Saint-Sauveur, sa paroisse, et là, agenouillé devant une ancienne et miraculeuse image de Marie, il passait de longues heures.
Comme saint Stanislas de Kotska, quand il parlait d'elle, son front s'épanouissait de joie et de bonheur. Il allait à elle avec une simplicité enfantine et une confiance touchante.
C'est à la protection de la sainte Vierge qu'il dut cette admirable innocence qu'on remarqua toujours en lui.
Un jeune homme pur, c'est un prodige de la grâce ! Tout est péril à cet âge : la curiosité, l'imagination, la lecture, les conversations, les regards, la perversité des autres, les élans du cœur, la fougue des sens. Tout conspire contre son innocence.
Pour Montfort, il semble que le miracle fut plus grand encore. Sa nature impressionnable, son énergie de volonté, sa vivacité d'affection, son imagination ardente, artistique, tout cela devait lui créer de plus grands combats, et par suite de plus grands dangers.
Il n'en fut rien pourtant. Au milieu de tant d'éléments de tentations et d'orages, il resta calme et inébranlable.
A tous ces moyens de salut il ajouta la pratique de la charité.
A cette époque, il y avait à Rennes un bon et saint prêtre, M. Bélier, aumônier de l'hospice général.
Chaque semaine, le jour de congé, il réunissait chez lui un certain nombre d'écoliers et leur faisait une petite conférence de piété. Quand la conférence était finie, il les envoyait deux à deux, trois à trois, faire dans les hospices une lecture aux pauvres et leur apprendre le catéchisme.
Montfort était un des plus assidus à se rendre à ces pieuses réunions.
C'est là, sans doute, qu'il puisa le goût qu'il montra toute sa vie pour le service et le soulagement des pauvres dans les hôpitaux.
Plus tard, quand il passera dans une ville, il ne manquera jamais de les y visiter.
Il éprouvait tant d'attrait pour cet acte de charité qu'il eut la pensée de se retirer à l'hôpital pour se dévouer au service des pauvres.
Mais non, ce n'était pas par cette voie paisible que Dieu voulait conduire cet enfant de prédilections. Des épreuves plus rudes, des combats plus pénibles devaient marquer sa vie.
Son cœur s'ouvrait, s'épanouissait devant tout ce qu'il y a de grand, de généreux. Jamais il ne fut insensible à une peine, à une infortune. Quand il savait un de ses condisciples dans le besoin, il lui donnait tout ce qu'il avait, et quand il n'avait plus rien, il allait quêter pour lui.
Parmi les jeunes gens qui fréquentaient l'école, il y en avait un si pauvre, si mal vêtu, qu'il était l'objet du mépris et de la risée des autres. Louis, sans en être prié, se charge de lui trouver un vêtement convenable.
Il sollicite la charité de ses condisciples. La somme recueillie était loin de suffire, et il était par lui-même hors d'état d'y suppléer. Mais la charité est ingénieuse ; il mène le pauvre écolier chez le marchand : « Voici, lui dit-il, mon frère et le vôtre; j'ai quêté dans la classe ce que j'ai pu pour le vêtir. Si cela n'est pas suffisant, c'est à vous d'ajouter le reste! »
Ces paroles sont bien accueillies; la charité engendre la charité. Le marchand fait ce qu'on lui demande avec tant de simplicité, et le pauvre élève est vêtu, au grand étonnement de ses condisciples, qui commencent à vénérer l'auteur de cette bonne action et à le regarder comme un saint.
Voilà quelle fut la vie de Montfort pendant tout le temps qu'il fut à Rennes.
Les exercices de piété, le travail, l'obéissance à ses maîtres, la vie laborieuse et retirée, les visites fréquentes dans les sanctuaires et les hôpitaux, en firent un écolier accompli.
Le seul délassement qu'il se permettait fut le dessin, pour lequel il avait une aptitude extraordinaire. De lui-même et sans avoir reçu aucune leçon, il avait appris à dessiner et à peindre. Il reproduisait tout ce qu'il voulait.
Un peintre qu'il allait voir en l'ut si étonné qu'il cessait de travailler quand il entrait.
Il s'amusa un jour à dessiner un enfant Jésus qui jouait avec saint Jean-Baptiste.
Un conseiller au Parlement trouva le travail si bien fait qu'il lui en donna un louis pour les pauvres.
II - Ses vacances au Bois-Marquet.
La famille Grignion passait une partie de la belle saison à la campagne, au Bois-Marquet.
C'était une propriété de famille située à six kilomètres de Montfort.
Cette propriété se composait d'une maison bourgeoise et d'une grande ferme.
On montre encore dans le vieux châtelet, qui est aujourd'hui l'habitation principale du fermier, la chambre du Père Montfort, qu'on aime toujours à visiter, comme si elle était encore tout embaumée des vertus du saint enfant qui l'habitait.
Le jardin avait des terrasses autour des douves, et, de distance en distance, des tonnelles de charmes que reliaient entre elles des promenades spacieuses.
Louis s'y était fait des retraites solitaires pour prier et méditer.
Qui pourrait dire les prières ferventes, les élans d'amour qui jaillissaient de ce cœur I
Ces terrasses sont à moitié détruites aujourd'hui. Les charmes ont été coupés bien des fois depuis ; mais leurs racines n'ont cessé de pousser de vigoureux rejetons, comme si elles voulaient perpétuer sur ce sol béni le souvenir du Bienheureux.
C'est dans ces lieux que le pieux écolier passait ses vacances. Et il fut là ce qu'il était à Montfort, ce qu'il était à Rennes, ce qu'il était partout, un modèle de piété et de vertus.
Sa conduite à l'égard de sa famille était irréprochable. Sa piété était trop réelle et trop bien entendue pour qu'il laissât rien à désirer sous ce rapport.
Il saisissait toutes les occasions de témoigner à ses parents son respect et sa soumission. Il allait au devant de tous leurs désirs, et leur rendait, ainsi qu'à ses frères et sœurs, tous les services dont il était capable.
Il fut chargé par ses parents de donner des leçons à ses frères ; ce fut une occasion pour lui de faire éclater ses vertus et ses talents.
Il s'acquitta de cet emploi avec le zèle et le dévouement qu'il mettait dans tout ce qu'il faisait; et ces occupations, loin d'altérer sa piété, ne servirent qu'à la rendre plus solide.
Rien de ce qui amuse la jeunesse ne semblait avoir d'attrait pour lui. Tous ses goûts étaient pour Dieu et les choses de Dieu : Dieu seul ! Ses paroles, ses actions ne respiraient pas d'autre sentiment.
Pour lui point de plus doux plaisir que la prière. Souvent il interrompait son travail, ses lectures, ses promenades, pour se jeter à genoux et prier.
Tous les jours il allait à l'église d’Iffendic, qui n'était éloignée que d'une demi-lieue. Jamais il ne trouvait long le temps qu'il y passait. Il y restait des heures entières, à genoux, et comme abîmé devant son Dieu !
Les habitants en étaient profondément édifiés, et ils ne l'appelaient que le saint du Bois-Marquet.
Sa dévotion envers la sainte Vierge, qui fut toujours comme le caractère distinctif de sa piété, allait toujours grandissant.
En allant et revenant, il récitait son chapelet. De temps en temps, sur le chemin, il se mettait à genoux et priait avec une ferveur nouvelle. Il embrassait avec ardeur un petit crucifix qu'il portait toujours avec lui.
« Dans le cours des vacances qui suivirent sa physique, » dit M. Blain, « j'allai le voir au Bois-Marquet. C'est là que je le connus de plus près.
« Ses discours n'étaient que de Dieu et des choses de Dieu; il ne pouvait goûter que lui.
« Ce que la vertu a de plus héroïque, de plus sublime, semblait en lui comme naturel, tant sa grâce était éminente.
« Au recueillement le plus profond, à l'oraison la plus continue, à la pénitence la plus austère, à la mortification la plus universelle, il joignait une paix, une douceur, une tranquillité d'âme inaltérables.
« Les disciplines, les chaînes de fer et autres semblables instruments de mortification étaient à son usage.
« Il veillait tellement sur tous ses sens, qu'on ne voyait en lui ni gestes, ni paroles, ni manières, rien, en un mot, qui fût inconsidéré !
« Il me montra dans son jardin des lieux retirés propres à la prière, où il se plaisait à passer la meilleure partie de son temps dans ce saint exercice.
« Il me paraissait si rempli de Dieu, si pénétré de son amour et du désir de sa perfection, que j'en demeurais également confus et édifié. »
CHAPITRE III
I - Sa vocation. — Il part pour Saint-Sulpice.
Il avait vingt ans. Il venait de terminer ses humanités avec le plus grand succès.
Toutes les vertus qu'il manifesta plus tard étaient déjà portées chez lui à la perfection : piété, pureté, mortification, amour de Dieu et de la, sainte Vierge!... Il était dès lors ce qu'il fut plus tard, ce qu'il fut toujours : un saint!...
Maintenant qu'allait-il devenir?... Qu'est-ce que Dieu demandait de lui?
Le choix d'un état... c'est l'acte le plus critique de la vie : A vocatione pendet æternitas... Notre éternité heureuse ou malheureuse en dépend...
Que de jeunes gens, que de jeunes personnes se perdent parce qu'ils manquent leur vocation... parce qu'ils ne sont pas dans la voie que Dieu leur destinait !
Nous sommes sur la terre pour connaître Dieu, pour le servir, l'aimer, et par là acquérir la vie éternelle.
Voilà notre fin, notre destinée. Elle est la même pour le pauvre comme pour le riche, pour le savant comme pour l'ignorant. Nous suivons tous pêle-mêle la route de la vie, nous nous pressons tous vers le tombeau, comme ces flots qui vont se perdre dans l'océan où s'abiment sans retour le fleuve superbe comme le petit ruisseau.
En déposant l'homme sur cette misérable terre, Dieu a dû lui donner les moyens de poursuivre sa fin. Une route a dû lui être tracée ; il s'agit de la reconnaître, et c'est là la grande affaire de la vocation.
Par un chemin différent, nous arriverions peut-être au terme, mais toutefois plus difficilement.
En suivant notre vocation, nous trouverons des grâces plus abondantes, des moyens de salut plus particuliers, des ressources, des encouragements plus puissants.
Avons-nous quelquefois remarqué l'ordre établi par l'autorité militaire pour les soldats appelés à rejoindre leurs drapeaux? Un point de ralliement leur est fixé ; pour s'y rendre, une feuille de route leur est délivrée. En la suivant, ils trouveront partout des secours, des logements, des asiles, une protection assurée ; en cas de maladie, des hôpitaux leur sont ouverts, et de tous côtés on s'empressera de pourvoir à leurs besoins.
Voilà la route ou la vocation. En ne la suivant pas, ils peuvent bien arriver au même but ; mais alors ils marchent seuls ; le gouvernement ne leur doit plus rien.
Qui ne voit que, dans ce cas, la route devient périlleuse, surtout si l'on marche en pays ennemis ?
De là l'importance de la vocation.
Depuis longtemps Montfort avait compris sa vocation, ce que Dieu demandait de lui...
Une force irrésistible le poussait vers le sanctuaire. Qu'aurait-il fait dans le monde avec son innocence, son amour de la croix et de la pauvreté !...
Et puis aimer Dieu, le faire aimer, c'était tout pour lui... C'était sa joie, son bonheur, sa vie...
Après son cours de philosophie, il ne pensa plus qu'à étudier à fond la théologie pour être en état de remplir les fonctions de la vie apostolique à laquelle il se destinait.
Il allait retourner à Rennes pour commencer son cours de théologie sous les Pères Jésuites, quand la Providence, qui voulait le perfectionner dans la science des saints, l'appela à Paris pour l'instruire à l'école des plus pures vertus ecclésiastiques, en le faisant entrer au séminaire de Saint-Sulpice.
Une demoiselle de Montigny, bonne et pieuse personne qui connaissait sa famille, lui proposa de payer sa pension à Saint-Sulpice.
Cette offre fut accueillie avec joie par toute la famille, et le départ fut décidé.
Le pieux écolier voulait partir sans argent et sans trousseau, avec le seul habit qu'il portait ; mais ses parents ne voulurent point y consentir, et lui firent accepter la légère somme de trente francs, quelque linge et un habit neuf.
Après avoir pris congé de sa famille, il se mit en route. Son oncle et le plus âgé de ses frères l'accompagnèrent jusqu'au pont de Cesson, à six kilomètres de Rennes. Là, il les embrasse et continue seul son chemin vers Paris.
En quittant sa famille, il semble tout quitter, il renonce à tout : à ses titres, à ses héritages, à sa famille, à son nom même.
Il conserve trois noms seulement : celui de son baptême, de sa confirmation, et celui du pays où il a été baptisé.
A partir de ce moment, il ne voulut plus rien recevoir de sa famille ; il se confia entièrement à la Providence.
Quand il fut à une certaine distance, il donna son linge et son habit au premier pauvre qu'il rencontra.
Plus loin, il donne son argent à un autre. Bientôt, un troisième se présente: il change son habit avec le sien.
Le voilà dépouillé de tout!.. Pour tout bagage, il n'a plus que son crucifix, qu'il embrasse de temps en temps, et son chapelet qu'il égrène le long de la route, afin d'attirer sur lui la protection de la Mère du ciel.
C'est alors sans doute qu'il dut redire cette belle prière dont il fit plus tard un cantique :
Je mets ma confiance,
Vierge, en votre secours ...
Servez-moi de défense...
Prenez soin de mes jours!...
Après dix jours de marche forcée, sous une pluie continuelle, il arriva à Paris.
Il avait fait, en mendiant son pain, sous la livrée du pauvre, près de quatre-vingts lieues.
Sa bienfaitrice, humiliée de le trouver en cet état, le conduisit non à Saint-Sulpice, comme elle l'avait promis, mais dans une humble pension ecclésiastique.
II - Pension de M. de la Barmondière. — Montfort y passe deux ans.
Cette maison avait été fondée depuis quelques années en faveur des jeunes ecclésiastiques pauvres par M. Battu de la Barmondière, ancien curé de la paroisse Saint-Sulpice à Paris.
Montfort passa deux ans dans cette sainte maison, et ce furent deux ans de bénédiction...
Le pieux directeur reçut avec joie le nouveau séminariste que la Providence lui envoyait. Avec la pénétration d'esprit qui le distinguait, M. de la Barmondière comprit tout de suite l'intelligence, la piété et toutes les éminentes vertus du nouveau venu.
De son côté, Montfort sut apprécier la sagesse et la sainteté de son supérieur. Il le prit pour confident de sa conscience et lui dévoila tous les secrets de son âme.
Là, dans cette sainte et fervente maison, toute parfumée des vertus de son directeur et de ses pieux élèves, le bonheur du saint séminariste semble avoir été parfait; mais il ne fut pas de longue durée.
Au bout de quelques mois, sa bienfaitrice cesse de payer la pension promise, et Montfort ne peut rester dans la maison qu'à la condition d'accepter l'emploi d'aller veiller les morts dans la paroisse Saint-Sulpice.
La rétribution attachée à cet office devait solder sa pension.
Cette veillée de la mort revenait trois ou quatre fois la semaine. Voici, d'après M. Blain, son compatriote et son ami, qui en avait été le témoin, l'ordre qu'il y suivait : il donnait à l'oraison quatre heures entières, toujours à genoux, les mains jointes et le corps immobile ; deux heures à la lecture spirituelle, et les deux heures suivantes au sommeil, et le temps qui restait, il l'employait à l'étude de la théologie.
Dans ses longues heures de méditation en présence de la mort, il put contempler à loisir le néant de toutes les grandeurs humaines, et se pénétrer de plus en plus de ces importantes vérités qu'il sut dans la suite prêcher avec tant de force et de conviction.
Devenu missionnaire, il faisait retentir sans cesse et dans ses cantiques et dans ses instructions, la pensée de la mort; il disait avec une effrayante vérité les leçons que la mort lui avait données dans ces tristes veilles. Son talent poétique, semblable à la fleur qui a germé sur la tombe des morts, s'y épanouissait à l'aise, et se colorait d'un éclat lugubre.
Il renvoyait à tous les rudes leçons qu'il avait apprises dans ces nuits passées à l'école delà mort!
Il faut mourir! il faut mourir!
De ce monde il nous faut sortir !
A la mort, à la mort,
Pécheur, tout finira!
Le Seigneur, à la mort,
Te jugera!
Le 18 septembre 1694, Montfort reçut les ordres mineurs.
Dieu, qui voulait éprouver son serviteur, ne le laissa pas longtemps dans la joie de ce beau jour : bientôt il eut la douleur de perdre M. de la Barmondière.
Le coup qui venait de frapper le pasteur dispersa le troupeau, et la petite institution prit fin avec la vie de son fondateur.
Montfort fut reçu dans la maison de M. Boucher, qui manquait de tout. Les privations qu'il y endura furent si grandes que sa santé en fut profondément altérée, et qu'il fallut le transporter à l'hôpital, où il fut bientôt jugé mourant.
Quand if semblait n'avoir plus que quelques heures à vivre, il annonça son prochain rétablissement, d'une manière si positive qu'on ne put attribuer cette assurance qu'à une connaissance surnaturelle.
La convalescence fut aussi rapide que l'avait été le progrès de sa maladie. Il parut tout à coup ressuscité, et bientôt il fut en état de reprendre ses exercices accoutumés.
CHAPITRE IV
SAINT-SULPICE
I - Ses vertus. — Son zèle. — Ses austérités. — Ses épreuves. — Emplois qui lui sont confiés.
La Providence lui ouvrit enfin les portes de Saint-Sulpice.
Il y fut accueilli comme un ange du ciel par les directeurs et les séminaristes, qui connaissaient déjà ses éminentes vertus.
Le supérieur fit chanter un Te Deum pour remercier Dieu de l'entrée du saint séminariste dans la maison.
Il passa environ cinq années (de 1695 à 1700) dans cette humble et grande école de la vie cléricale, que l'Eglise honore aujourd'hui en mettant deux de ses élèves (Montfort et La Salle) au nombre des Bienheureux. Là, dans cette sainte maison, sa ferveur se renouvelle et brille d'un éclat nouveau, sous la direction habile de ses maîtres expérimentés. C'est là aussi que grandit prodigieusement son amour pour les croix.
Le pieux séminariste ne négligea rien pour développer en lui toutes les vertus qu'on enseignait au séminaire : l'obéissance, l'oraison, la haine de soi-même et le zèle de la gloire de Dieu.
L'obéissance est une des premières vertus de cette sainte maison; elle est la règle de toutes les autres.
Montfort la posséda dans un haut degré, et la pratiqua constamment tout le temps qu'il passa au séminaire : « Toujours le premier et le plus assidu aux exercices communs, » dit M. Blain, « il ignorait les dispenses, et je ne sais s'il en a usé une seule fois. »
Entièrement soumis à ses maîtres, il ne faisait rien sans leur permission. Il leur rendait un compte exact de toutes ses dispositions intérieures, aussi bien que de toutes ses démarches, et suivait entièrement leur direction.
L'oraison était sa vie. Tout son temps libre, il le passait à converser avec Dieu et presque toujours à genoux, soit à l'église, soit dans sa chambre. « J'allai un dimanche, » dit M. Blain, « vers les dix heures du matin, lui demander quelques cahiers dont j'avais besoin; je crois qu'il était en oraison, car, lorsque je frappai à la porte de sa chambre, il vint me l'ouvrir, et son visage me parut alors lumineux et tout rayonnant d'une lumière plus que naturelle. »
Son silence, son recueillement, ses mortifications et ses austérités étonnaient tout à la fois et ses maîtres et ses condisciples. Il ne semblait pas perdre un seul instant la présence de Dieu. Mme de Chantai demanda un jour à saint François de Sales combien il était de temps sans penser à Dieu. — Hélas! répondit le saint, je me surprends quelquefois à passer un quart d'heure sans penser à Lui !
Eh bien ! le pieux séminariste semblait ne jamais perdre la présence de Dieu.
Il était gai pendant les récréations, mais sans distractions ; et il était aisé de voir, à sa manière et à sa conduite, que l'amour de Dieu l'occupait infiniment plus que tout le reste.
Cet amour, qui le consumait intérieurement, l'animait d'un insatiable désir de procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Au séminaire même, il employa mille moyens, mille industries pour faire aimer Dieu et la sainte Vierge. Dans les récréations, son plus doux plaisir était de parler et d'entendre parler de Dieu et de la sainte Vierge ! Et il en parlait d'une manière si édifiante qu'on ne le quittait jamais sans se sentir animé de zèle et de ferveur.
Les austérités du fervent séminariste, pendant son séjour à Saint-Sulpice, furent modérées par l'obéissance, et cette modération même ne fut pas sans doute la moindre de ses pénitences. Mais celles qu'on l'autorisait à pratiquer, quoique légères à son gré, n'eussent pas laissé de paraître extrêmes à bien d'autres.
Il savait profiter de tout pour tourmenter son corps. La chambre la plus petite, la plus triste, la plus incommode, était toujours celle qu'il ambitionnait le plus; presque tout le temps de son séminaire il habita immédiatement sous la toiture, et il eut à souffrir les chaleurs de l'été et les rigueurs de l'hiver.
Dans les plus grands froids, il ne faisait point de feu, bien qu'il dût passer, sans aucun mouvement, les journées presque entières dans sa chambre. Cette mortification devait être d'autant plus pénible qu'il était vêtu plus légèrement, et qu'il portait, par mortification, des bas sans semelles. C'est une pratique qu'il observa toute sa vie.
Ses disciplines étaient si rigoureuses qu'il semblait vouloir se déchirer le corps. Voici, dit M. Blain, un fait que je tiens de celui qui en a été le témoin : « Un jour, un séminariste rencontre sur son chemin Montfort, qui venait de se donner la discipline. Il l'arrête et lui porte, par mégarde, la main sur l'épaule. Il la retire pleine de sang. »
L'intérieur était encore bien plus mortifié que l'extérieur. Il ne s'accordait rien de ce qu'il pouvait se refuser. Une chose lui faisait-elle plaisir? C'était assez pour la sacrifier. Quand il recevait des lettres, jamais il ne les ouvrait immédiatement ; mais il attendait quelque temps, pour mortifier le premier mouvement de la curiosité, et quelquefois il en retardait la lecture pendant des semaines entières, quand il en sentait trop le désir.
Quand il éprouvait une grande joie à voir un ami, il se dérobait bientôt pour se priver de cette satisfaction. « Quand j'allais le voir, » dit M. Blain, « il m'a quitté plus d'une fois après le premier salut, brusquement et sans me rien dire, pour renoncer au plaisir de la visite d'un ami! »
L'amour des croix et des humiliations était en lui une vraie passion que Dieu ne fit qu'accroître, en se plaisant dès lors à le satisfaire.
C'est à Saint-Sulpice que la Providence veut achever de préparer Montfort à l'apostolat, en rendant toutes ses pensées de plus en plus surnaturelles, en lé détachant de plus en plus de tout ce qui passe.
Il faut que tout vienne à lui manquer du côté des hommes pour qu'il ait le droit de répéter avec plus de confiance ces deux mots qui sont le résumé et la devise de sa vie : Dieu seul!...
Il semble qu'un homme qui n'avait d'autre règle de conduite que l'obéissance la plus absolue, d'autre ambition que d'aimer Dieu et de le faire aimer, n'aurait dû recevoir que des témoignages d'estime et d'affection de tous ceux qui le connaissaient. Oui, mais Dieu n'eût pas atteint son but, et l'Eglise n'eût pas eu dans Montfort un de ces hommes dont la vie, toute remplie de Dieu seul, est comme une protestation solennelle contre la chair et le monde.
Dieu le destinait à marcher toute sa vie par le chemin de la Croix, et à donner au monde l'exemple de la plus admirable patience ; et de bonne heure il voulut le fortifier contre les humiliations et les épreuves qui devaient lui venir de toutes parts.
Pendant son séjour à Saint-Sulpice, il eut beaucoup à souffrir et de ses condisciples et même de ses maîtres.
Pendant les deux premières années qu'il passa au séminaire de Saint-Sulpice, il avait été traité avec une grande prudence et une grande bonté par M. Bouin, qui ne pouvait s'empêcher de reconnaître dans son élève des vertus peu communes. Il n'en fut pas de même de M. Lechassier, qui succéda à M. Bouin dans la direction de Montfort : il le traita avec la plus grande rigueur.
Pour éprouver sa vertu, il ne cessa de le mortifier et de l'humilier en toutes rencontres. « Il prit, » dit M. Blain, « Grignion dans tous les sens et l'étudia à fond. Pour éprouver son obéissance, il lui retirait souvent ce qu'il lui avait accordé, retranchait, diminuait de ses pénitences, de ses oraisons, de ses exercices de piété. Le Directeur, éclairé dans les voies des saints, paraissait indifférent à tous les goûts de son disciple, et s'étudiait à amortir les plus subtiles recherches de l'amour-propre. »
Montfort se soumit avec la plus entière résignation à tout ce qu'on voulut de lui. Jamais on ne put découvrir en lui l'indice du moindre ressentiment. Jamais on n'entendit sortir de ses lèvres la moindre plainte. Son estime et son attachement pour ses maîtres semblaient même s'accroître de jour en jour. En toute occasion il se montra à leur égard docile, respectueux, reconnaissant.
Après cette épreuve, si courageusement supportée, ses maîtres se déclarèrent vaincus et a bout de ressources. Ils rendirent à leur pieux élève toute la confiance qu'il méritait. Ils lui confièrent les emplois qui, dans les séminaires, ne s'accordent qu'au talent, à l'amour de l'ordre, à la régularité et à une vertu solide.
On le nomma maître de cérémonies. Il fut chargé de faire le catéchisme aux enfants d'un des quartiers du faubourg Saint-Germain ; on lui donna le soin de la bibliothèque et de la chapelle de la sainte Vierge dans l'église de Saint-Sulpice. On le choisit encore pour aller avec un de ses condisciples, faire, au nom du séminaire, un pèlerinage à Notre-Dame de Chartres.
Tout cela montre la grande confiance que l'on avait dans lui.
Nommé maître de cérémonies, il signala son passage dans cet emploi par une amélioration utile : il rédigea et plaça sous un même titre tout ce qui regarde les offices du diacre, du sous-diacre, du cérémoniaire et de l'acolyte, afin que chacun pût se mettre facilement au courant de son emploi.
Indépendamment de l'office de bibliothécaire, on le chargea du soin de la belle chapelle de la Sainte-Vierge, située dans l'église paroissiale de Saint-Sulpice, derrière le chœur.
Le pieux ordinand reçut cette mission avec toute la joie de son âme. Tout ce qui regardait l'honneur de Marie lui était cher, tout ce qui favorisait sa dévotion envers cette bonne mère, dont il recevait tous les jours des témoignages nouveaux de bonté et de tendresse, faisait ses délices !
C'était là, dans cette pieuse chapelle, qu'il passait ses meilleures récréations, le samedi et la veille des fêtes.
Marie, après Dieu, c'était tout pour lui, comme il le dit lui-même :
Tout pour elle !
Et rien sans elle !
C'est mon secret
Pour être parfait !
Plus tard, c'est le rosaire à la main que le Missionnaire s'en va, de contrée en contrée, à la conquête des âmes.
Avec cette arme rien ne lui résistera. Et il pourra dire dans un langage auquel je ne veux rien enlever d'une rudesse apostolique, qui, chez lui, allait jusqu'au sublime : « Que jamais pécheur ne lui avait résisté, une fois qu'il lui avait mis la main au collet avec son rosaire[4]. »
« Marie, c'est le cri de son âme dans ses écrits, dans ses instructions, dans ses cantiques...
« Et à son heure dernière, en face de ces collines de Saint-Laurent-sur-Sèvre, terme de son pèlerinage ici-bas, il ramassera ses forces en ces deux mots où se résume son œuvre : Rendons grâce à Dieu et à Marie[5]. » Deo gratias et Mariæ !
Pour le soustraire à ses méditations, à son travail et à ses mortifications, on l'envoya faire le catéchisme aux enfants les plus dissipés du faubourg Saint-Germain.
Montfort sut si bien s'emparer de leur esprit et de leur cœur qu'il en obtint tout ce qu'il voulut.
Les plus indociles eux-mêmes étaient si touchés de ses paroles qu'ils fondaient en larmes en l'entendant, et travaillaient avec ardeur à devenir plus pieux et plus sages.
Le bruit de ses succès s'étant répandu clans le séminaire, quelques ordinands voulurent s'en assurer par eux-mêmes. Ils allèrent l'entendre, et ils furent si édifiés des exhortations du pieux catéchiste qu'ils furent obligés d'avouer qu'il avait un talent extraordinaire pour s'emparer des esprits et des cœurs...
M. Olier, fondateur de Saint-Sulpice, avait établi un pieux usage, qui existe encore aujourd'hui, d'envoyer, chaque année, au nom de tous, deux séminaristes de choix dans quelque sanctuaire vénéré de la sainte Vierge, afin d'en rapporter des grâces et des bénédictions pour le séminaire tout entier.
Montfort fut choisi pour cette mission. On lui adjoignit M. Bardon, un des plus fervents du séminaire, qui devint plus tard curé et vicaire général du diocèse de Narbonne.
Nos deux séminaristes partirent à pied. Chemin faisant, Montfort s'éloignait de son compagnon pour aller çà et là parler de Dieu aux laboureurs qui travaillaient dans les champs, et revenait à grands pas, comme il était allé, rejoindre son confrère, qui se contentait de l'admirer sans oser l'imiter.
Arrivé à Chartres, Montfort alla se jeter aux pieds de la sainte Vierge, et il y resta jusqu'au moment où il fallut sortir.
Là, son cœur s'enivrait et s'épanouissait de joie et d'amour. C'est alors qu'il pouvait dire, lui aussi, bonum est nos hic esse ! Il est bon pour nous d'être ici...
Le lendemain, il y resta six heures de suite, à genoux, immobile, et comme en extase !
Le soir, il se plongea dans une nouvelle oraison, qui dura jusqu'au moment où l'église fut fermée.
II - Son travail. — Ses succès. — Son ordination.
Il ne laissa pas oisif le talent confié par le père de famille. Il développa par le travail la belle intelligence que Dieu lui avait donnée, et il se fit remarquer autant par ses succès que par ses vertus.
En toute occasion il donna des preuves de son étonnante aptitude aux travaux théologiques. Un jour qu'il devait, selon la coutume du séminaire, soutenir une thèse sur la grâce, un des points les plus difficiles de la théologie, ses condisciples résolurent de le presser par leurs arguments, et de lui citer, pour l'embarrasser, les passages les plus difficiles des Pères sur ce grave sujet, et l'obliger à donner plus de temps à l'étude qu'à la, méditation.
A leur grand étonnement, il répondit en maître à toutes les questions qui lui furent adressées, et résolut toutes les objections qui lui furent posées, avec une netteté et une précision admirables.
A cause de sa pauvreté, Montfort ne put, comme les autres, suivre les cours de la Sorbonne. Mais sa pénétration naturelle, son travail opiniâtre, ses immenses lectures, et surtout son union intime avec Dieu, suppléèrent abondamment aux leçons des docteurs.
Nous en avons pour preuve son Traité de la dévotion à la sainte Vierge, un des ouvrages les plus remarquables de cette époque.
Le pieux séminariste avait passé à Saint-Sulpice cinq années entières et deux dans les maisons de MM. de la Barmondière et Boucher.
Tout son temps n'avait été qu'une longue préparation au sacerdoce. La solitude, l'oraison, la pénitence, la mortification, l'étude de la théologie, de l'Écriture sainte, et les pieuses lectures en avaient absorbé tous les moments.
Montfort avait vingt-sept ans. Ses études de théologie étaient terminées. Le moment solennel approchait. Rempli, comme tous les saints, d'une juste frayeur à l'aspect du sacerdoce, il gravissait lentement la sainte montagne, n'aspirant qu'à retarder le moment d'en toucher le sommet.
Lorsque enfin on le pressa de monter plus haut, son humilité opposa des prières et des larmes, et il fallut un ordre formel. Alors il courba les épaules sous un fardeau que les anges eux-mêmes ne recevraient qu'en tremblant : Angelicis humeris onus formidandum.
Il fut ordonné prêtre le cinq juillet 1700, par Mgr Flamanville, évêque de Perpignan, que le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, avait délégué pour faire l'ordination de son diocèse.
Montfort n'était pas un inconnu pour Mgr Flamanville; il en avait été l'aide pendant plusieurs carêmes, dans les catéchismes qu'il faisait aux laquais de Paris pour les préparer aux Pâques.
Le jour de son ordination, il fut tellement pénétré des sentiments de reconnaissance et d'amour envers Notre-Seigneur, qu'il obtint de son directeur la permission de passer le reste du jour devant le saint Sacrement pour remercier Dieu de cette grande grâce.
Après plusieurs jours de préparation, Montfort parut à l'autel comme un ange. Il choisit, pour dire sa première messe, l'autel de la Sainte-Vierge, car sa dévotion envers l'Immaculée Mère de Dieu allait toujours grandissant dans son cœur.
Qui pourrait dire toutes les consolations dont le nouveau ministre fut inondé en célébrant sa première messe ? C'est un secret qu'il faut laisser aux anges, pour qui l'oblation du saint Sacrifice faite par un prêtre tel que Montfort doit être le plus délicieux de tous les spectacles!...
Sa vie sacerdotale ne devait durer que seize années !
CHAPITRE V
Cantiques.
C'est à Saint-Sulpice, pendant son séminaire, peut-être même plus tôt, que Montfort se mit à composer des cantiques ; il continua toute sa vie, jusqu'à sa mort.
Il avait une facilité étonnante. Quelque temps après sa mort, en 1735, le P. Vatel, un des missionnaires de la Compagnie de Marie, fit imprimer un recueil qui n'avait pas moins de 880 pages, et il n'avait pas tout mis.
Sa verve est inépuisable et toujours en train. Ses pensées, ses sentiments, ses émotions, ses joies et ses peines, ses prières et ses instructions, tout se traduit en vers.
Tous les souffles qui passent font vibrer les cordes de sa lyre.
Il chante l'amour de Dieu.
Montfort aime Notre-Seigneur, comme tous les saints l'ont aimé, avec passion, et il le lui dit dans ses cantiques sur tous les tons, avec des variantes, mais c'est au fond toujours la même chose, c'est toujours la môme parole, celle que le cœur dit toujours sans se répéter jamais.
Jésus est la bonté même,
Il a mille doux appas :
Cependant aucun ne l'aime,
On n'y pense presque pas.
Pendant que la Créature
Nous embrase de ses feux,
Pour Dieu seul notre âme est dure.
Ah ! pleurez, pleurez, mes yeux !
Il chante la nature où tout lui parle de Dieu :
Les petits oiseaux le chantaient,
Et les ruisseaux le murmuraient ;
La pluie et les vents qui soufflaient
En augmentaient la n'anime.
La terre et les cieux embrasaient
Et mon corps et mon âme !
Il chante la crèche et ses abaissements :
Venez, divin Messie,
Sauvez nos jours infortunés;
Venez, source de vie; venez, venez, venez.
Il chante les magnificences de l'Eucharistie et les tendresses du cœur de Jésus :
Venez, mon Dieu, venez, mon doux Sauveur;
Venez régner au centre de mon cœur.
Il chante sa reconnaissance :
Bénissons à jamais
Le Seigneur dans ses bienfaits.
Il chante la Croix :
Voici du Roi des rois l'étendard déployé,
Et son char de triomphe et son sceptre de gloire ;
Plantons la croix, plantons et chantons sa victoire,
Adorons sur ce bois Jésus crucifié.
Écoutons-le, entraînant à sa suite les populations au Calvaire :
Chers amis, tressaillons d'allégresse,
Nous avons le calvaire chez nous ;
Courons-y, la charité nous presse,
Allons voir Jésus-Christ mort pour nous.
Il chante la sainte Vierge avec la candeur d'un enfant.
Chanter Marie, c'est son bonheur. Plus il la chante, plus il veut la chanter :
A votre bienveillance,
O Vierge, j'ai recours;
Soyez mon assistance
En tous lieux et toujours.
Il chante en voyage :
C'en est fait : je cours par le monde ;
J'ai pris une humeur vagabonde
Pour aller sauver mou prochain.
Il chante dans ses joies et ses peines :
Voici mon mot ordinaire :
Dieu soit Béni !
Quoi qu'il m'arrive sur la terre,
Dieu soit béni !
J'ai perdu toute ressource,
Dieu soit béni !
On m'arrête dans ma course,
Dieu soit béni !
On me blâme ou l'on m'accuse.
Dieu soit béni !
On me donne, on me refuse,
Dieu soit béni!
Il chante dans ses missions, dans ses retraites. Le cantique, c'est l'outil de ce merveilleux ouvrier apostolique, c'était pour lui une immense ressource[6].
Ces cantiques, que le peuple aimait tant à chanter, restaient, dans les paroisses qu'il évangélisait, comme un précieux et impérissable souvenir de son passage, de son enseignement, de ses vertus.
Le Bienheureux, dans ses cantiques, est toujours vif et entraînant, parfois même il est éloquent jusqu'au sublime, mais il n'est jamais mieux inspiré que dans les strophes où il cherche à ramener à Dieu les pauvres pécheurs :
1. — Dieu.
Reviens, pécheur, à ton Dieu qui t'appelle,
Viens au plus tôt te ranger sous sa loi ;
Tu n'as été déjà que trop rebelle,
Reviens à lui puisqu'il revient à toi.
2. — Le Pécheur.
Voici, Seigneur, cette brebis errante
Que vous daignez chercher depuis longtemps :
Touché, confus d'une si longue attente,
Sans plus tarder, je reviens, je me rends.
3. — Dieu.
Pour t'attirer, ma voix se fait entendre ;
Sans me lasser, partout je te poursuis;
D'un Dieu pour toi, du Père le plus tendre,
J'ai les bontés, ingrat, et tu me fuis !
4. — Le Pécheur.
Errant, perdu, je cherchais un asile,
Je m'efforçais de vivre sans effroi ;
Hélas ! Seigneur, pouvais-je être tranquille
Si loin de vous, et vous si loin de moi ?
5. — Dieu.
Si je suis bon, faut-il que tu m'offenses?
Ton méchant cœur s'en prévaut chaque jour ;
Plus de rigueurs vaincraient tes résistances,
Tu m'aimerais si j'avais moins d'amour.
6. — Le Pécheur.
Je me repens de ma faute passée ;
Contre le Ciel, contre vous j'ai péché ;
Mais oubliez ma conduite insensée,
Et ne voyez en moi qu'un cœur touché.
7. — Dieu.
Attraits, frayeurs, remords, secret langage,
Qu'ai-je oublié dans mon amour constant?
Ai-je pour toi dû faire davantage?
Ai-je pour toi dû même en faire autant?
8. — Le Pécheur.
Dieu de honte, principe de tout être,
Unique objet digne de nous charmer,
Que j'ai longtemps vécu sans vous connaître!
Que j'ai longtemps vécu sans vous aimer!
9. — Dieu.
Ta courte vie est un songe qui passe,
Et de ta mort le jour est incertain !
Si j'ai promis de te donner ma grâce,
T'ai-je jamais promis le lendemain !
10. — Le Pécheur.
Que je redoute un juge, un Dieu sévère !
J'ai prodigué des biens qui sont sans prix ;
Comment oser vous appeler mon Père !
Comment oser me dire votre fils?
11. — Dieu.
Le Ciel doit-il te combler de délices
Dans le moment qui suivra ton trépas,
Ou bien l'Enfer t'accabler de supplices?
C'est l'un des deux, et tu n'y penses pas!
12. — Le Pécheur.
Je ne vois rien que mon cœur ne défie :
Malheurs, tourments ou plaisirs les plus doux
Non, fallût-il cent fois perdre la vie,
Rien ne pourra me séparer de vous.
Un maître de chapelle, depuis quelques années, a organisé à Lyon, pour la Semaine sainte, un spectacle qui attire toute la ville. Avec des personnages vivants, il reproduit la Passion.
Pendant que se déroule la représentation, un chœur fort bien exercé exécute des chants de circonstance, empruntés aux répertoires les plus divers : grande musique ou chants liturgiques ou populaires. Chorals, de Bach; Lamentations, de La Gallia ; Stabat, de Pergolèse ; Sept paroles, de Palestrina. Tout cela est fort beau, l'assistance est visiblement émue ; mais quand, en face du Christ mourant sur la croix, le cœur entonne le vieux cantique de Montfort :
Reviens, pécheur, à ton Dieu qui t'appelle,
alors, l'émotion ne se contient plus, on pleure[7]. Il chantait même ses instructions :
Je chante, et ce n'est pas en vain :
C'est en chantant que je m'explique;
Prédicateurs, dans mes chansons
Vous pourrez trouver mes sermons !
Tout y vient dans ses chansons : dogme, morale, vertus chrétiennes, devoirs d'état, pratiques de piété ; tout s'y trouve, tout prend de l'éclat, du mouvement, de la vie, sous les formes les plus familières et les moins apprêtées.
Enfin il chante pendant sa vie, il chante au moment de la mort :
Allons, mes chers amis,
Allons en Paradis ;
Quoi qu'on gagne en ces lieux,
Le Paradis vaut mieux.
Tout cela est simple, mais tout cela est ardent et tendre, tout cela est vrai et profondément touchant.
Et à celui qui demanderait quelque chose de moins simple, de plus relevé, il faudrait dire comme M. de Courson, supérieur de Saint-Sulpice, disait à un jeune séminariste : « Vous avez trop d'esprit pour comprendre cela[8] ! »
La poésie de Montfort est simple, c'est son mérite. La simplicité est une des règles fondamentales du genre. On parle pour être compris. Ce principe domine tous les préceptes de l'art d'écrire en prose et en vers.
Quoi qu'il en soit, un grand nombre des cantiques populaires du Père Montfort reste comme le type du genre.
Qui dira le bien qu'ils ont fait!... les conversions qu'ils ont opérées!...
Les Bretons et les Vendéens les chantaient quand ils guerroyaient pour la religion de leurs pères. Ils les chantaient par manière de réplique à la Carmagnole et au Ça ira, hurlés dans le camp des Bleus.
Pendant les guerres de la Vendée, deux jeunes religieuses de la Sagesse furent emmenées prisonnières à Nantes, et condamnées à mort par le Tribunal révolutionnaire. Quand elles furent arrivées au lieu du supplice, elles gravirent les marches de l'échafaud en chantant :
Je mets ma confiance,
Vierge, en votre secours !
On fait silence pour les écouter, et le peuple de crier : « Epargnez donc ces belles petites Sœurs, qui chantent si bien! »
Ces belles petites Sœurs qui chantaient en montant à l'échafaud, c'était la réalisation de la pensée de Montfort : faire un peuple de chrétiens, à l'Ame simple et vaillante, qui chante et bénit Dieu, partout et toujours, dans le travail, dans la souffrance et au moment de la mort[9]!...
CHAPITRE VI
I - Il entre chez les Missionnaires de Saint-Clément, à Nantes.
Il est prêtre! Que va-t-il faire? Que va-t-il devenir ?
Dans l'attrait qui pousse les saints vers l'apostolat, il se mêle souvent à de pures lumières quelque chose de confus. Dieu, en leur indiquant ce qu'ils doivent faire, en leur disant, comme autrefois au patriarche : Sors de ta famille et de la contrée qui t'a vu naître, leur laisse quelquefois une certaine hésitation sur le pays dont ils doivent faire le théâtre de leur zèle.
Ils vont, comme les Mages, sans savoir où les conduit l'étoile. Et ce n'est souvent qu'après avoir longtemps marché au milieu de ces saintes ténèbres, que la Providence, mettant un terme à leur incertitude, leur montre la terre qu'ils doivent cultiver et arroser de leurs sueurs.
Ce fut le sort de notre Bienheureux; il marcha, pendant plusieurs années, comme incertain de sa voie, jusqu'à ce qu'enfin Dieu eût suscité sur sa route un pieux et saint évêque, qui l'agrégea au clergé de son diocèse[10], et devint pour lui un ami, un père.
Un attrait puissant le poussait à se consacrer aux missions des campagnes, et la suite prouvera combien les desseins de la Providence étaient en harmonie avec les désirs et les aptitudes du saint prêtre.
Le diocèse de Nantes fut le premier théâtre de son zèle.
Sur l'avis de ses directeurs, il entra chez les Missionnaires de Saint-Clément; M. Levèque, qui en était le supérieur, était un des premiers disciples de M. Olier. Celui-ci fut heureux de s'attacher ce jeune prêtre, dont il entendait célébrer partout le zèle, les talents et les vertus.
Les deux missionnaires s'en allèrent ensemble faire des missions à la campagne jusqu'à la fin de février 1701.
C'est là que Montfort fit son apprentissage des missions qu'il a continuées jusqu'à sa mort, convaincu par son expérience que nul emploi dans l'Eglise n'est plus agréable à Dieu, plus utile au prochain, plus méritoire pour ceux qui le remplissent dignement.
Montfort apporta dans ses missions le dévouement, l'ardeur qu'il apportait dans tout ce qu'il faisait, et il fit le bien qu'il fera désormais partout et toujours.
II - Il devient aumônier de l'Hôpital général de Poitiers.
Dans le mois d'avril 1701, il fut invité à la prise d'habit d'une de ses sœurs qui était au monastère de Fontevrault, à Poitiers.
Il crut devoir se rendre à cette invitation.
Il fit, comme toujours, le voyage à pied, et en mendiant son pain. Il n'arriva que le lendemain de la cérémonie.
En arrivant, il alla dire la messe à l'hôpital. La piété qu'il apportait toujours dans cette auguste fonction, le profond recueillement avec lequel il passa l'heure entière de son action de grâce, frappèrent les pauvres qui en furent témoins. Sur leurs vives instances, et après avoir obtenu l'autorisation de son évêque[11] et de celui de Poitiers, il devint leur aumônier.
Dans cette nouvelle position, il se dévoua tout entier au bien spirituel et temporel des pauvres. Il rendit à l'hôpital les plus éminents services : il commença par mettre un peu d'ordre dans l'établissement, qui en manquait totalement; avec le concours de l'administration, il régla l'heure des repas, et la nourriture que chacun devait prendre, selon ses forces et ses besoins.
Toute la ville de Poitiers admira le bon ordre et la propreté que l'aumônier avait mis dans l'hôpital, et les aumônes affluèrent de partout.
Les malades bénirent Dieu de leur avoir donné un si saint homme, qui s'occupait d'eux avec tant de dévouement.
Montfort ne se contenta pas de la fonction d'économe, il voulut encore être l'infirmier des malades. Jour et nuit, il demeurait auprès d'eux, passant de longues heures à les soulager, à les consoler, à leur procurer la nourriture et les remèdes dont ils avaient besoin. — Il les servait même dans les choses les plus répugnantes à la nature. Il donna la couverture de son lit à un pauvre qui se plaignait du froid, et il n'en demanda pas d'autre pour lui.
On refusa l'entrée de l'hôpital à un inconnu qui avait une maladie contagieuse : à force de prières, Montfort obtint pour lui une chambre retirée, et se chargea entièrement du soin de ce malade.
Un jour qu'il pansait les plaies de ce malheureux, l'horreur le saisit, et il ne put soutenir la vue de ces plaies hideuses... Mais bientôt il se reproche sa faiblesse, et pour s'en punir, il prend le vase où il avait exprimé ce que la parole humaine ne peut même peindre, et l'avale d'un trait !
A partir de ce moment, la nature était vaincue : il n'éprouva plus aucune répugnance dans la suite.
Il s'appliqua surtout aux soins spirituels des malades : catéchisme, exhortations, instructions publiques et particulières, visites fréquentes des malades, de ceux surtout qu'il fallait préparer a la mort; rien n'était négligé.
Pendant que le pieux aumônier s'applique avec zèle et succès à soulager les pauvres et les malades, il a la douleur d'apprendre que sa sœur Louise, qui avait été placée dans la communauté de Saint-Joseph, à Paris, se trouve dans le plus grand embarras ; elle va quitter la maison parce qu'elle ne peut plus payer sa pension.
Montfort, qui aimait beaucoup cette sœur, quitte Poitiers et part pour Paris.
A son départ, les pauvres le pleurent comme un père, et se jettent à genoux pour le supplier de revenir au milieu d'eux.
Il fait ce long et pénible voyage à pied, comme toujours, mendiant, au prix des plus rudes humiliations, son morceau de pain et son logement pour l'amour de Dieu, priant, méditant, et répandant partout sur son passage la semence de la divine parole et des bons exemples.
Après mille tribulations, il arrive à Paris, épuisé de fatigues, les pieds ensanglantés.
En s'occupant de sa sœur, Montfort ne veut pas rester oisif : il va se présenter à la Salpétrière, l'hôpital général de Paris, qui renfermait près de cinq mille malades.
Quelle plus haute idée pourrait-il nous donner de la charité chrétienne!... C'est la passion des grands cœurs de ne vivre que de dévouement, de sacrifices, et de s'approprier la cause des malheureux ! Ils n'attendent pas que les pauvres viennent à eux : ils vont au devant des pauvres, ils devinent leurs besoins, et les .entourent des soins les plus tendres et les plus touchants.
Ses services ayant été acceptés, il fit dans cette maison un bien immense ; mais le succès môme qu'il obtenait excita contre lui l'envie qui, sous di vers prétextes, se glisse parfois dans les cœurs exempts de tout autre vice.
Un jour, en se mettant à table, il trouva sous son couvert un billet dans lequel on lui intimait l'ordre de se retirer.
Renvoyé de la Salpétrière, et contraint néanmoins de rester à Paris pour assurer la vocation de sa sœur Louise, il ne savait plus que devenir.
Il va trouver un de ses anciens maîtres.
Sa position actuelle, douloureuse et embarrassée, lui faisait espérer, là au moins, une consolation et une lumière... Il fut déçu dans son attente : Dieu, qui voulait que cette grande âme s'appuyât uniquement sur lui, lui ménagea l'épreuve la plus dure et la plus imprévue. Le Sulpicien le reçut avec un visage glacé, et le renvoya sans vouloir ni lui parler, ni l'entendre.
Le Bienheureux avoua depuis que jamais peine ne lui avait été aussi poignante.
Pour le consoler de cet abandon, la Providence lui donna une mission délicate, qu'il remplit à la satisfaction de tout le monde. — Il s'agissait de ramener l'union parmi les frères Ermites du Mont Valérien.
Jaloux de l'édification que donnaient ces bons solitaires, l'esprit mauvais avait réussi à semer la division parmi eux.
Montfort y ramena la paix par ses paroles brûlantes de charité et surtout par ses exemples. Son recueillement, son esprit d'oraison, sa ferveur firent l'édification de ces bons frères. Il suivait leur règlement, se trouvait à tous leurs exercices, et leur donnait l'exemple des plus difficiles vertus. Ces Ermites si austères ne paraissaient plus l'être devant lui, car à toutes leurs pénitences il ajoutait les siennes. Entre les exercices communs, ils le voyaient à la chapelle toujours à genoux et en oraison, glacé et tremblant, parce que sa pauvre soutane ne pouvait pas le défendre contre l'âpreté du froid.
Frappés de ces grands exemples de vertu, touchés par la grâce et l'onction de ses paroles, gagnés par sa douceur et son humilité, ils ne tardèrent pas à rappeler parmi eux la concorde qui en était bannie.
Après avoir rempli sa mission, il revint à Paris où, après mille démarches, mille difficultés, il eut le bonheur de placer sa sœur Louise chez les religieuses du Saint-Sacrement de Ramberviliers, dans la Lorraine. Elle y fit profession le 2 février 1704, et mourut en 1750, en odeur de sainteté.
Le départ du serviteur de Dieu laissait un grand vide dans l'hôpital de Poitiers. L'évêque, les administrateurs et les pauvres, firent de pressantes démarches pour l'engager à revenir. Son retour fut un véritable triomphe. Un tressaillement de joie passa dans la maison tout entière.
Montfort, lui aussi, fut heureux de se retrouver au milieu de ses pauvres malades. Il reprit sans retard ses fonctions dans la maison, et montra le même dévouement, la môme charité que par le passé.
C'est alors que lui vint la pensée de fonder line congrégation de religieuses destinées aux soins des malades et à l'éducation de la jeunesse. Dieu ne lui permettra de réaliser complètement son projet que dix années plus tard, a la Rochelle.
La fille d'un procureur près le tribunal de Poitiers, Marie-Louise Trichet, sollicite la faveur de servir les pauvres ; elle deviendra la fondatrice des religieuses de la Sagesse.
Le 2 février 1703, elle reçoit l'habit religieux, et ne craint pas de porter à travers les rues cette humble et étrange livrée de la pauvreté, la même que portent encore aujourd'hui les Religieuses de cet admirable institut, dont les membres se trouvent partout où il y a une intelligence à diriger, un cœur a former, une souffrance à consoler, une infirmité à guérir.
Deux ans après, Montfort s'attachait le frère Mathurin, qui fut le premier membre de la communauté des Frères du Saint-Esprit, destinée à l'instruction de la jeunesse et aux travaux manuels.
Après la mort de son saint fondateur, cette congrégation, par les soins de M. Deshaie, fut divisée en deux branches : l'une devint la congrégation florissante des Frères de l'Instruction chrétienne de Saint-Gabriel, et l'autre, la communauté des Frères coadjuteurs de la Compagnie de Marie.
CHAPITRE VII
I - Voyage à Rome.
Montfort avait trente et un ans ; tout ce qu'il avait fait de bien jusque-là ne lui semblait rien. Comme le voyageur qui se hâte d'arriver avant la nuit, il se sentait pressé, plus que jamais, de mettre à profit le reste de ses jours.
Depuis longtemps il pensait aux missions étrangères. Mais avant d'exécuter son projet, il voulut aller à Rome visiter le tombeau des apôtres saint Pierre et saint Paul, et communiquer son dessein au Souverain Pontife.
Il fit le voyage à pied, en jeûnant tous les jours. Ce voyage fut très pénible pour Montfort ; il fut souvent obligé de coucher aux portes ou sous le vestibule des églises ; personne ne voulait lui donner l'hospitalité.
Avant d'arriver à Rome, il se rendit à Notre-Dame de Lorette.
Qui pourrait dire ce qui se passa dans l'âme ardente du pieux prêtre en entrant dans cette demeure sacrée ! Avec quelle ferveur il exhala sa prière dans cette maison où vécut Marie, où le Fils de Dieu daigna lui-même habiter ! Combien la piété qui l'accompagnait toujours à l'autel ne dut-elle pas s'enflammer à ces pensées, chaque fois qu'il y dit la messe !
Un habitant de Lorette en fut si édifié, qu'il le supplia de vouloir bien prendre chez lui son logement et sa nourriture tout le temps qu'il resterait dans cette ville. Le saint voyageur accepta l'offre et resta quinze jours dans ce lieu béni.
Montfort continue sa route avec un nouveau courage.
A deux heures de la ville de Rome, il aperçoit la coupole de la basilique de Saint-Pierre. Il se prosterne contre terre, pleure à chaudes larmes, ôte ses souliers et continue son chemin les pieds nus.
Il arrive enfin dans la Ville éternelle, fatigué, épuisé, n'en pouvant plus.
Après quelques jours de repos, il obtient une audience du Souverain Pontife. Clément XI le comble de ses tendresses et de ses bénédictions ; il fortifie son courage, en l'engageant à marcher toujours dans la voie que le ciel lui avait tracée. « Restez en France, » lui dit-il, « soyez entièrement soumis aux évêques dans les diocèses desquels vous serez appelé à travailler. Dieu donnera la bénédiction à vos travaux ! » Il lui ordonna ensuite d'enseigner le catéchisme, et surtout de combattre le jansénisme qui avait, à cette époque, envahi la France presque tout entière.
La secte était toute-puissante, quand apparut Montfort, et c'est à son étreinte que le missionnaire arrachera les populations pour les ramener aux sources de la vérité et de la grâce, à toutes les pratiques de la vie et de la piété catholiques.
II - Son retour de Rome.
Fixé désormais sur son avenir, Montfort ne tarda pas à quitter Rome pour revenir en France.
Son chapeau sous le bras, ses souliers dans une main, dans l'autre son chapelet et son crucifix, il arrive, le 25 août, fête de saint Louis, son patron, au prieuré de Ligugé, près Poitiers, où le frère Mathurin l'attendait.
Il n'en fut reconnu qu'avec peine, tant il était brûlé par le soleil et affaibli par la fatigue.
De retour en France, le Missionnaire va évangéliser les diocèses de Rennes, Saint-Malo, Saint-Brieuc, Nantes, Luçon, la Rochelle.
Mais auparavant, il va commencer une retraite de huit jours pour se fortifier et attirer les bénédictions de Dieu sur ses travaux. Il ne croit pas encore cette préparation suffisante pour la nouvelle carrière où il va s'engager seul et sans guide, il entreprend deux pèlerinages : le premier à Notre-Dame des Ardilliers, et l'autre au Mont Saint-Michel.
Il prévoyait qu'il aurait besoin, plus que jamais, du secours d'en haut pour remplir dignement la mission importante et difficile dont il était chargé par Clément XI.
Il avait une grande dévotion pour Notre-Dame des Ardilliers, à Saumur. C'était le second pèlerinage qu'il allait y faire. Quelque temps avant sa mort, il en fera un troisième. Toujours il en obtiendra de grandes grâces.
En passant à Saumur pour se rendre à Notre-Dame des Ardilliers, il rendit un grand service aux religieuses de Sainte-Anne de la Providence : il engagea la supérieure, Jeanne de la Noue, à continuer sa vie mortifiée, malgré ce qu'on pouvait lui dire.
Elle mourut en odeur de sainteté en 1736.
Il adressa aussi plusieurs instructions aux religieuses, qui lui témoignèrent la plus grande reconnaissance.
Il se dirige ensuite vers le Mont Saint-Michel. Sur son chemin, il rencontre un pauvre qui était chargé d'un lourd fardeau. Il prend ce fardeau et le porte jusqu'au soir ; puis il entre dans une hôtellerie avec son compagnon de voyage pour prendre un peu de nourriture et pour y passer la nuit. Le lendemain, il paie toute la dépense.
Son double pèlerinage terminé, il se prépare aux travaux des missions avec toute l'ardeur don» il était capable.
CHAPITRE VIII
I - Son séjour à Rennes, à Saint-Lazare.
Il ne resta à Rennes qu'une quinzaine de jours, pendant lesquels il prêcha chez les Religieuses du Calvaire, et dans le grand et le petit séminaires.
En entrant dans l'église du Calvaire, il voit un nombreux auditoire. Après avoir adoré le saint Sacrement, il se tourne vers l'assistance : « Vous êtes venus en foule pour m'écouter; vous croyez peut-être entendre un grand prédicateur ; je ne prêcherai point : je vais seulement faire ma méditation, comme je pourrais le faire si j'étais seul dans ma chambre. »
Alors il se jette à genoux, et il répand à haute voix son cœur devant Dieu!... Il dit sur la souffrance des choses si belles, si touchantes, que l'auditoire se retira tout ému, les larmes dans les yeux.
Il prêcha ensuite dans le grand et le petit séminaires.
M. Esnou, supérieur du grand séminaire et vicaire général de Mgr de Lavardin, évêque de Rennes, fut si édifié et si touché de la conduite et de la prédication du saint Missionnaire, qu'il le pria de s'associer avec les directeurs du séminaire pour faire des missions dans le diocèse. Montfort remercia. — Il préféra garder sa liberté.
De Rennes il se rendit à Montfort, sa ville natale : il voulait aller chez sa nourrice, dans le voisinage du prieuré de Saint-Lazare.
Il envoya le frère Mathurin lui demander, au nom de Dieu, l'hospitalité pour un pauvre prêtre et pour son compagnon. La mère Andrée était absente ; son gendre répondit qu'il ne recevait pas des inconnus.
De là, ils allèrent chez le fermier voisin : même refus. Ils frappèrent à une troisième porte : refus partout.
Ils allaient coucher dehors, lorsque le Missionnaire frappa à la porte d'un vieillard appelé Belin.
« Soyez les bienvenus, » répondit le vieillard; « je n'ai qu'un peu d'eau et de pain à vous donner pour votre souper, un peu de paille pour votre coucher... Si j'avais mieux je vous l'offrirais bien volontiers ; mais enfin le peu que je possède je vous l'offre de tout cœur. »
Jamais offre ne fut plus sincèrement faite, et plus cordialement acceptée.
Cependant, le vieillard, en considérant attentivement l'étranger, reconnut le fils de M. Grignion de la Bacheleraie.
Le lendemain, la nouvelle s'en répandit dans le village : chacun s'empressa de lui apporter tout ce dont il avait besoin ; mais il refusa tout.
La mère Andrée accourut une des premières pour lui faire des excuses et le supplier de se retirer dans sa maison : il refusa; mais, pour ne pas la contrister, il accepta de manger une fois chez elle. Pendant le repas il lui donna une salutaire leçon : « Andrée, Andrée, vous avez bien soin de moi; mais vous n'êtes pas charitable !... Oubliez M. de Montfort, il n'est rien ; pensez à Jésus-Christ, il est tout ! C'est toujours lui qu'il faut voir dans la personne du pauvre !...
II - Missions de Dinan.
Montfort quitta sa ville natale, et se dirigea vers Dinan, où il resta plusieurs mois.
Il descendit chez les prêtres de la Mission. Quelques jours après son arrivée, il alla dire la messe au couvent des Dominicains, où se trouvait un de ses frères, qui était chargé de la sacristie. Sa piété le porta à célébrer la sainte Messe à l'autel du bienheureux Alain de la Roche, dominicain, qui avait été un des plus grands zélateurs du Rosaire. En entrant dans la sacristie, il reconnut fort bien son frère, sans en être reconnu. » Mon cher frère, » lui dit-il, «je vous prie de me donner des ornements pour dire la sainte Messe. »
Ce religieux, qui était prêtre, trouva mauvais que l'étranger lui donnât le titre de frère. Comme pour le punir, il lui présenta les plus pauvres ornements de la sacristie, et plaça à l'autel deux bouts de cierges usés.
Après la messe, Montfort s'en va trouver le sacristain, et lui dit : « Mon cher frère, je vous remercie de votre attention ; demain, je reviendrai dire la sainte Messe ; je vous prie de me donner le même ornement. »
Le Dominicain, de plus en plus irrité, exhale ses plaintes au frère Mathurin, qui avait répondu la messe : « Votre maître est un mal élevé, un mal appris... Qu'il sache que je suis prêtre, et qu'il doit m'appeler : Père...
Le frère Mathurin l'excuse de son mieux.
Dans l'après-midi, le Dominicain l'ayant rencontré, insiste pour savoir le nom du prêtre qui avait été assez impoli pour l'appeler frère.
Il s'appelle Grignion de Montfort. répond le frère Mathurin, poussé à bout. — Mais c'est mon frère, s'écrie le Dominicain !
Le lendemain, quand Montfort se présenta à la sacristie, il lui reprocha doucement de ne pas s'être fait connaître ! — De quoi vous plaignez-vous, répondit le Missionnaire, je vous ai appelé mon frère ; ne l'êtes-vous pas dans l'ordre de la nature et de la grâce?
Cette fois, le Dominicain lui donna ses plus beaux ornements... et s'en alla partout prônant la vertu de son frère.
Pendant qu'il était à Dinan, les missionnaires diocésains donnaient une mission dans cette ville : il leur offrit ses services, qui furent acceptés avec empressement.
Il se chargea du catéchisme, selon les recommandations du Souverain Pontife.
Là, comme partout, il donna des preuves de sa tendre charité pour les pauvres. Tous les jours il nourrissait, comme par miracle, un grand nombre de pauvres. Un soir, il en rencontre un dans la rue, il le prend sur ses épaules, l'emporte dans sa chambre, le couche dans son lit, l'entoure des soins les plus tendres... et passe la nuit en prières...
Il inspira sa charité à un grand nombre de personnes pieuses, mais surtout à M. et à Mm0 de Garaye, qui firent un hôpital de leur château. Pendant quarante ans, ils y soignèrent eux-mêmes les pauvres et les malades qu'ils avaient recueillis. Ils fondèrent aussi et dotèrent à Dinan une maison de charité.
Cette maison existe encore. Quatre filles de la Sagesse sont chargées de visiter les malades, et de distribuer des aumônes aux pauvres de la ville.
La mission de Dinan finie, Montfort obtint les pouvoirs nécessaires pour en faire une autre aux soldats qui étaient en garnison dans la ville.
Le succès fut complet.
Il sut gagner leur affection par les prévenances de sa charité, et toucher leurs cœurs par la force de ses discours. On les voyait fondre en larmes à tous ses sermons, et courir ensuite au tribunal de la pénitence.
CHAPITRE IX
I - Missions de Saint-Brieuc, La Chèze, Moncontour.
M. Ludugé, supérieur des Missionnaires diocésains, vicaire général et théologal, avait une grande réputation dans le diocèse de Saint-Brieuc, où il faisait beaucoup de bien.
Informé des grands succès qu'obtenait Montfort par ses prédications, il l'invita à travailler avec lui et les missionnaires qu'il s'était choisis. Montfort accepta avec joie.
Les missionnaires que M. Ludugé s'était associés étaient pleins de zèle et de talents ; mais le nouveau venu, quoique dans un emploi inférieur, fixa bientôt sur lui, sans le savoir, l'attention de tous.
Il fit un grand nombre de missions sous la direction de M. Ludugé, qui avait travaillé dans sa jeunesse avec le P. Maunoir, mort en 1683. Les principales furent : celles de Beaulon, Le Verger, Merdrignac, Plumieux, La Chèze, Saint-Brieuc et Moncontour.
Partout il obtint les plus étonnants succès; partout aussi il fit éclater les plus étonnantes vertus. Sa parole avait une puissance singulière sur les populations, qui accouraient en foule pour l'entendre.
Ce qu'il fit à la Chèze est particulièrement remarquable. Il semble que la divine Providence l'eût conduit là pour l'exécution d'une œuvre qui lui était réservée.
La Chèze est une petite ville du duché de Rohan, à deux lieues de Loudéac, dans le diocèse de Saint-Brieuc. Il y avait dans cette paroisse une vaste chapelle dédiée à la sainte Vierge sous le nom de Notre-Dame de Pitié. Elle était abandonnée depuis longtemps, et n'était plus, en 1707, qu'une masure remplie de ronces et d'orties.
Saint Vincent Férier, le grand apôtre de la Bretagne, avait prédit longtemps auparavant, qu'un homme de Dieu, fort contrarié et bafoué, restaurerait cette chapelle.
Montfort en entreprit la restauration; il voulut que le tout fût exécuté de la manière la plus convenable, sans calculer les dépenses. Après avoir fait solidement restaurer les murs, refait la toiture, le dallage, les portes et les fenêtres, il s'occupa de l'intérieur, qu'il orna avec beaucoup de goût et une grande magnificence. Les dépenses furent considérables. Le Missionnaire présida à tout et se chargea de tout. L'argent venait à point nommé, quand il en avait besoin.
Au château de la Grange, on visite avec piété une petite chambre que le Bienheureux habita, et dans laquelle on voit une pierre appelée l'Oreiller du Père Montfort.
Pendant cette mission, il opéra plusieurs prodiges : il rendit la santé à Mme de la Villethebaut, qui était atteinte d'épilepsie; il guérit plusieurs personnes attaquées de la fièvre ; tous les jours, il multiplia les pains en faveur des pauvres, dont il faisait sa plus chère compagnie.
Le pieux Missionnaire passa trois mois à Saint-Brieuc. Il prêcha plusieurs retraites : chez les Filles de la Croix, chez les Ursulines et ailleurs, et partout il fit un bien immense.
Sa parole avait une puissance extraordinaire sur tous ceux qui l'entendaient.
Rien de plus admirable que son genre de vie pendant tout le temps qu'il passa à Saint-Brieuc. Outre les fatigues continuelles des retraites, de la prédication, de la confession et des autres devoirs du saint ministère auquel il ne se refusait jamais, il s'occupait sans cesse des pauvres. Il en nourrissait régulièrement jusqu'à deux cents ; il les servait, leur faisait le catéchisme, et récitait avec eux le chapelet. Ses pénitences, ses mortifications étaient étonnantes ; souvent son confesseur fut obligé d'en modérer les rigueurs. Bien souvent il passait les nuits en prières. Avec une vie si sainte et si mortifiée, il ne faut pas s'étonner du bien qu'il faisait partout.
En quittant Saint-Brieuc, il alla avec M. Ludugé faire une mission à Moncontour.
En entrant, le dimanche, dans la petite ville, il trouve une bande de jeunes gens et de jeunes en train de danser. Il s'en va réciter, à genoux, le chapelet au milieu de la danse, et, au bout d'un moment, il faut que tout le monde le récite avec lui.
Après cette mission, il quitta M. Ludugé et revint dans son pays natal.
II - Saint-Lazare. — Missions de Montfort, de Bréal, Romillé.
Ermitage de Saint-Lazare.
Après les missions de Moncontour, dans le diocèse de Saint-Brieuc, le Missionnaire se retira dans sa paroisse natale, à Saint-Lazare.
Malgré le succès de sa parole, il sentait un vif besoin de s'unir à Dieu dans la méditation et la solitude : c'est là que se formant les saints et se préparent les grands apôtres.
Saint-Lazare est bien réellement un ermitage tel que les aimaient les pieux solitaires d'autrefois, tel aussi que devait les aimer notre Bienheureux.
La nature y est belle, mais de cette beauté austère qui, au lieu d'épanouir l'âme, la force à se replier sur elle-même et à trouver sa consolation dans les saintes pensées de Dieu et de l'éternité.
Montfort ne chercha pas à s'établir sur les hauteurs de Coulon, qui en est voisin, et d'où il aurait pu voir la maison où il était né.
La grandeur des horizons, l'harmonie et la variété du spectacle qu'on a sous les yeux dissipent l'âme et empêchent la réflexion et les pieuses tristesses.
Ce n'est pas dans ces riants paysages que voulait se fixer le Bienheureux; il lui fallait une scène rétrécie et mélancolique, une rivière, un ruisseau qui coule monotone, des arbres, des rochers, des monticules qui limitent, qui arrêtent la vue.
Cette nature de Saint-Lazare, qui semble gémir dans son isolement, avait de l'harmonie avec cette âme qui pleurait son exil et ses misères ; ce vallon attristé lui rappelait que la vie, comme le dit si bien l'Ecriture, est la vallée des larmes.
En entrant dans cet ermitage qui depuis longtemps n'était pas habité, il trouva la chapelle en ruines. Il la fit réparer avec le plus grand soin, il y plaça une statue de la sainte Vierge, à laquelle il donna le nom de la Sagesse.
C'est là qu'il se retirait dans l'intervalle de ses missions pour se livrer plus tranquillement à la prière, à l'oraison, et satisfaire plus aisément son goût pour la pénitence et la mortification.
Mission de Montfort.
Depuis longtemps il avait formé le projet de prêcher une mission dans sa ville natale. Il jugea que le moment était venu de mettre à exécution son pieux dessein.
Cette mission eut lieu vers la fin de 1707 ; elle ne fut pas moins fructueuse que les autres.
Les habitants de Montfort et des paroisses voisines se rendirent en foule aux exercices de la mission. « Un jour, » dit M. Blain, son compatriote et son ami, « une foule immense était réunie dans l'église de Saint-Jean. Il monte en chaire ; on le dévore des yeux... on attend qu'il parle... Lui, pas un mot!... Il tire son grand crucifix, qu'il portait toujours avec lui, et le montre à l'assistance avec une telle flamme dans le regard, que tout ce peuple se prend à frémir et à crier miséricorde !... »
Le Missionnaire voulait couronner ces exercices par l'érection d'un calvaire, qui, en rappelant à leur souvenir les grâces qu'ils avaient reçues, graverait dans leurs cœurs l'amour d'un Dieu crucifié. Ses compatriotes étaient entrés dans ses vues, et se faisaient une joie d'y contribuer, chacun selon ses moyens.
Pour planter la croix, le Missionnaire avait choisi une éminence, afin qu'on pût l'apercevoir de très loin. Il voulait bâtir de distance en distance, autour de son calvaire, quatorze chapelles, où les quatorze stations du Chemin de la Croix auraient été représentées.
Déjà le sommet de la butte de la Motte était aplani, quand survint un ordre du duc de la Trémouille, seigneur de Montfort, qui défendait de continuer les travaux. — Eh bien ! s'écrie Montfort dans un saint enthousiasme, on nous empêche de planter notre croix ! Plantons-la dans notre cœur; elle y sera mieux placée que partout ailleurs.
Quand le duc de la Trémouille lui notifia sa défense, il fit une prédiction qui s'est réalisée de nos jours : « Quoi que vous fassiez, » répondit-il, « ce lieu deviendra un lieu de prières et de dévotion. »
La nouvelle église est bâtie à l'endroit même où il voulait élever son calvaire.
Après la mission, Montfort revint à Saint-Lazare pour se reposer et se livrer, en silence, à ses méditations, à ses pénitences, et se fortifier contre les nouvelles épreuves qui ne manqueraient pas de lui arriver.
Pour exercer le zèle qui le dévorait, souvent il sortait de son ermitage et s'en allait prêcher dans les halles, sur les places publiques de la ville. Une foule immense de peuple, que les plus vastes églises n'auraient pu contenir, accourait pour l'entendre.
De si admirables résultats ne furent pas obtenus sans de grandes épreuves et de poignantes tribulations. Les afflictions ne vinrent pas seulement des ennemis accoutumés de la religion; il était réservé au Père Montfort d'endurer une résistance plus douloureuse encore : celle des hommes qu'il aimait, et qui aimaient Dieu comme lui.
Ceux qui ont la même droiture d'intention n'ont pas toujours la même communauté de vues, et cependant chacun tient à son opinion, parfois même avec excès.
Quelques ecclésiastiques trouvèrent que Montfort poussait le zèle trop loin; d'autres voulaient imprimer à ce zèle leur impulsion particulière.
Enfin, le pieux Missionnaire eut la douleur de tomber dans la disgrâce de son évêque.
Dans ce temps-là, Mgr Desmarais, évêque de Saint-Malo, vint à Montfort : on lui dépeignit le Missionnaire sous des dehors si défavorables, qu'il lui retira tous ses pouvoirs. Un instant après, le recteur de Bréal, qui ignorait ce qui venait de se passer, pria Sa Grandeur de vouloir bien lui accorder Montfort pour prêcher une mission dans sa paroisse.
L'évêque, qui regrettait déjà peut-être sa vivacité, se rendit à ses pieux désirs, et rétablit Montfort dans tous ses pouvoirs.
Il commença la mission de Bréal vers la Toussaints 1707. Elle eut un immense succès.
Il faillit, dans cette mission, perdre la vie.
Un soir, en retournant au presbytère, il entend des cris dans une maison près de laquelle il passait. Il entre et voit un homme qui maltraitait sa femme. Montfort veut lui dire quelques bonnes paroles pour le calmer.
Cet homme, rendu plus furieux encore par cette intervention charitable, prend une hache et lève ses bras de toutes ses forces pour lui fendre la tête.
Le Missionnaire se jette à genoux pour recevoir le coup ; mais la hache tombe de ses mains, subitement engourdies, sans lui faire aucun mal.
Cet événement et les avis du charitable Missionnaire ne purent corriger ce malheureux, et Montfort, après la mission, lui annonça qu'il mourrait pauvre et misérable. Cette prédiction se réalisa à la lettre.
Quand la mission fut finie, Montfort se retira dans la solitude de Saint-Lazare : là, il se livrait, jour et nuit, à la prière et à la pénitence.
Il prêcha aussi à Breteil, Talensac, Landujan, et Médréac ; nous n'avons aucun renseignement sur ces différentes missions.
Dans le mois d'août 1708, il donna une mission à Romillé : ce fut la dernière qu'il donna dans le diocèse de Saint-Malo.
L'orage qui grondait sourdement contre lui éclata enfin.
L'évêque de Saint-Malo défendit au Missionnaire de prêcher ailleurs que dans les églises de paroisse.
Dès lors il résolut de s'éloigner d'un lieu où il n'avait plus la liberté de son ministère.
Après avoir choisi une gardienne pour Saint-Lazare, il passa dans le diocèse de Nantes.
Il ne revit plus son pays natal.
Guillemette Rouxel, la gardienne de Saint-Lazare, y vécut d'aumônes jusqu'à l'âge de soixante-huit ans. Son occupation était d'ouvrir la porte à ceux qui venaient prier Notre-Dame de la Sagesse.
A la mort de cette sainte fille, M. Huchet de la Bédoyère, qui était devenu, en 1715, l'acquéreur d'une partie des biens du duc de la Trémouille, rendit, sur la demande du recteur de Coulon, l'ermitage de Saint-Lazare à sa destination primitive.
Il y établit un hospice, où furent placées, en mémoire du Père Montfort, trois religieuses de la Providence de Saumur pour le desservir et pour visiter gratuitement, à domicile, les pauvres des paroisses de Coulon, de Talensac et du Verger.
Jeanne de la Noue, leur supérieure, qui vivait encore, et qui n'avait pas oublié le service que Montfort lui avait rendu, se fit un devoir d'envoyer trois de ses filles habiter l'ermitage du saint Missionnaire, et remplir ses vues en gardant la chapelle et soignant les pauvres. Elles furent chassées en 1790 et la propriété fut vendue nationalement.
Les Religieuses se retirèrent à la Bouhernière, dans la paroisse du Verger.
Actuellement, les Missionnaires de Rennes possèdent la maison et la Chapelle de Saint-Lazare.
La statue de Notre-Dame de la Sagesse se trouve à l'Hôpital de Montfort, qui est tenu par les Religieuses de Saint-Laurent. Ces dernières possèdent aussi un morceau de rocher où le Bienheureux appuyait sa tète, à Saint-Lazare, quand il tombait de sommeil.
CHAPITRE X
I - Montfort à Nantes. — Son talent de Missionnaire.
Le Missionnaire quitta Saint-Lazare vers la fin de 1708.
Il se rendit à Nantes, où il avait fait son apprentissage comme missionnaire. Il resta dans ce diocèse environ deux ans et demi. Il y trouva bien des croix, mais il y trouva aussi de grandes consolations. Ce fut l'époque la plus brillante de sa vie apostolique par l'éclat de son talent, et par l'influence considérable qu'il exerça sur les populations.
Avant de commencer, nous allons dire un mot de son talent comme missionnaire.
Il avait tout ce qu'il fallait pour être un missionnaire accompli : une intelligence supérieure, des connaissances théologiques très étendues, un jugement sûr, un cœur ardent, un zèle de feu, une imagination vive, une voix pénétrante, une éloquence forte et persuasive qui jaillissait en figures populaires et en images saisissantes.
De plus, il avait un accent de conviction qui pénétrait jusqu'au fond de l'âme, et par-dessus tout c'était un saint...
En chaire, il exerçait sur tous ceux qui l'entendaient une influence irrésistible : c'était comme un magnétisme surnaturel, insaisissable, invisible, pareil au souffle de l'esprit.
Ce pauvre missionnaire de campagne a des triomphes d'éloquence inconnus aux Ambroises, aux Chrysostomes ! Il est obligé quelquefois de s'arrêter, interrompu parles sanglots de son auditoire. « Mes enfants, mes chers enfants, s'écrie-t-il, ne pleurez pas, vos pleurs m'empêchent de parler! Si je ne me retenais, je m'abandonnerais moi-même aux larmes ! »
Personne ne résiste à son entraînement : des bandes d'hommes de guerre, la terreur de ces contrées, deviennent dociles comme des jeunes filles ; il les fait aller en procession, récitant le rosaire et chantant des cantiques.
Souvent la curiosité lui amène des auditeurs très peu bienveillants : des gens d'esprit, des hommes légers, des incrédules qui viennent pour rire des excentricités du Missionnaire. Au bout de quelques instants, ils sont tous subjugués, terrassés ; ils se frappent la poitrine et pleurent comme les autres.
Le Père Martinet, jésuite, ayant entendu parler du grand pouvoir que Montfort avait sur les cœurs, alla l'entendre avec M. Barin, vicaire général à Nantes, esprit fin et délicat.
En arrivant dans l'église, il vit que tout le monde pleurait sans exception. Il se mit en garde contre toute émotion ; mais bientôt, malgré tous ses efforts, il ne put résister aux impressions et aux traits de feu qu'il recevait de ses paroles : touché au vif et pénétré des sentiments les plus tendres de dévotion, il mêla ses larmes à celles de tout un peuple qui ne pouvait arrêter les siennes.
Un mot, un regard, un geste, une inflexion de voix, c'en était assez pour produire des miracles de conversion. Ces pleurs et ces gémissements de toute une multitude n'étaient pas un fait rare et isolé, mais un fait qui se renouvelait tous les jours et dans toutes les prédications du saint.
Comment expliquer cette puissance ? quel est le secret de cet empire qu'il avait sur les âmes? Nul ne saurait le dire. C'est un don de Dieu, et ce don est comme celui du miracle, Dieu seul le donne.
On retrouve la même chose dans la vie d'un grand nombre de saints.
Saint François Régis donnait une mission à Toulouse avec un confrère fort éloquent. Il envoie ce dernier prêcher à la cathédrale, et choisit pour lui, dans les faubourgs, une humble paroisse où il se contente d'expliquer le catéchisme... et il attirait tout à lui !...
L'autre s'en plaignit au Provincial.
— Que voulez-vous que j'y fasse ? Allons entendre le Père Régis, et nous verrons comment il s'y prend.
Le Provincial et le prédicateur de la cathédrale partirent.
François Régis commence l'explication du catéchisme : bientôt il le commente avec tant de simplicité et de cœur que tout le monde pleure, même le prédicateur de la cathédrale !
Ce don d'émouvoir les Ames, Montfort le possédait éminemment.
II - Missions de Saint-Similien, Vallet, La Chevrolière, Vertou, Saint-Fiacre, Cambon, Croissac, Pontchâteau.
En quittant Nantes en 1701, pour se rendre à Poitiers, où l'appelait Mgr Girard, qui en était évêque, Montfort y laissait des souvenirs et des amis. M. des Jonchères, archidiacre de Nantes, qui l'avait vu à l'œuvre dans ses premières missions, avant son départ pour Poitiers, avait la plus grande estime pour lui. M. Barin, vicaire général, son ami fidèle et dévoué, ne l'avait jamais perdu de vue, et quand il le vit repoussé de son propre diocèse, il se hâta de le rappeler dans le diocèse de Nantes, et lui ménagea pour son arrivée une grande mission. Par une délicate attention, M. Barin lui adjoignit pour l'aider le Père Joubert, de la Compagnie de Jésus, qui avait un grand talent pour les missions, et M. des Bastières, un des prêtres les plus pieux et les plus distingués du clergé nantais.
La mission de Saint-Similien, une des principales paroisses des faubourgs de Nantes, était déjà commencée quand Montfort arriva.
A peine le Missionnaire breton eut-il paru, qu'il fixa l'attention de tous : ses auditeurs s'en retournaient tout émus, les larmes dans les yeux, et publiaient partout qu'ils n'avaient jamais entendu un pareil missionnaire.
Et la foule arrivait de partout pour l'entendre.
Sa parole remuait la ville et opérait des prodiges de conversion. Il prêchait avec une force tout apostolique contre le vice et le désordre.
Des libertins, des scélérats complotèrent sa mort. Ils allèrent l'attendre dans un lieu par où il devait passer, et se jetèrent sur lui avec fureur.
Le peuple indigné le délivra des mains de ces misérables, et l'aurait vengé, si le Missionnaire n'avait intercédé pour eux !... « Mes chers enfants, laissez-les aller en paix ; ils sont plus à plaindre que vous et moi. »
La foule était si grande autour de la chaire et du confessionnal du Missionnaire, que bien des personnes laissaient leurs repas pour garder leurs places.
Une demoiselle de Guérande était depuis le matin au confessionnal du Père ; le soir elle n'avait pris aucune nourriture. Elle sentit qu'elle allait tomber de faiblesse : elle sortit, et alla s'asseoir sur une pierre pour se reposer. Elle y était à peine qu'une femme inconnue s'approche d'elle, lui présente un morceau de pain et disparaît.
La demoiselle assura depuis qu'elle n'avait jamais mangé de pain plus délicieux.
Après quelques jours de repos, le Missionnaire se rendit à Vallet. C'est une paroisse importante de cinq à six mille âmes, à cinq lieues de Nantes, sur les confins de la Bretagne et de l'Anjou.
Les vignerons de Vallet résistèrent d'abord aux appels de la grâce. Pour les tirer de leur indifférence, de leur torpeur, et les attirer à l'église, Montfort composa un cantique de circonstance, et envoya le frère Mathurin, une clochette â la main, le chanter dans les villages.
Voici la première strophe de ce cantique :
Alerte ! alerte ! alerte !
La mission est ouverte :
Venez-y tous, mes bons amis,
Venez gagner le Paradis.
Pendant que la foule entrait dans l'église, il chantait ou faisait chanter cet autre cantique si populaire parmi nous :
La mission est ouverte,
Quittons tout pour la gagner ;
Pour en éviter la perte,
On ne doit rien négliger.
Refrain :
Profitons de ce saint temps,
Car il passe, il passe, il passe ;
Profitons de ce saint temps,
Car il passe promptement.
Cette mission de Vallet eut, comme la précédente, un grand retentissement. On y accourait de partout. Elle produisit les fruits les plus abondants.
Un seul homme ne voulut pas profiter de la grâce de la mission ; il chercha même à faire de l'opposition. Il en fut puni d'une manière terrible.
Un des derniers jours de la mission, tout le monde était à l'église pour entendre l'instruction, seul cet homme était resté tranquillement chez lui : tout à coup un orage gronde, la foudre éclate, et le tue sans lui donner le temps de se reconnaître.
A Vallet, comme partout, le Missionnaire établit la récitation du Rosaire. Les habitants, après y avoir été fidèles pendant quelque temps, en abandonnèrent la pratique.
Après la mission de Roussay, en 1713, Montfort devait passer par Vallet pour retourner à Nantes. On le supplie de s'arrêter à Vallet; une femme même se jette à genoux pour le conjurer de se rendre au désir de tout un peuple : « Non, non, » dit-il, « je ne passerai pas par Vallet ; ils ont abandonné mon chapelet ! »
Ce reproche toucha vivement les habitants de Vallet : la récitation du Rosaire fut rétablie; quinze ans après elle subsistait encore !
A la Chevrolière, paroisse de deux mille âmes environ, Montfort eut beaucoup à souffrir. Les épreuves vinrent de tous les côtés, même de ceux qui devaient le plus le favoriser ; néanmoins elle fut remplie de consolations : les conversions furent très nombreuses.
Au milieu de la mission, Montfort tomba malade, son état parut désespéré. Il fut attaqué d'une fièvre violente et d'une colique aiguë très douloureuse ; et pourtant il continua à prêcher et à confesser comme s'il eût été bien portant.
« Plusieurs fois je l'ai vu, » dit M. des Bastières, un de ses missionnaires, « monter en chaire, tremblant de fièvre et souffrant des maux d'entrailles très violents : il ressemblait à un mort. Et pourtant je ne crois pas l'avoir entendu prêcher avec plus de force et d'onction ; l'auditoire pleurait à chaudes larmes. »
Le jour de la clôture de la mission, Montfort fit la cérémonie de la plantation de la croix. La pluie tombait par torrents, les chemins étaient pleins d'eau et de boue, et le lieu où la croix devait être plantée était éloigné. Le Missionnaire ordonne de la porter, nu-pieds et nu-tête. Lui-même, malgré la fièvre ardente qui le dévorait, donne l'exemple. Deux cents hommes en font autant, et quand la croix fut plantée, Montfort la bénit et prêche avec une force extraordinaire.
A la fin de la cérémonie, le Missionnaire était guéri : la fièvre avait cessé entièrement.
Dieu sembla vouloir le dédommager des épreuves qu'il avait essuyées à la Chevrolière, en l'envoyant à Vertou, à deux lieues de Nantes. Montfort ne trouva là que des sujets de joie.
Le saint Missionnaire, l'amant passionné de la croix, en fut affligé. « Mon cher ami, » dit-il à M. des Bastières, qui prêchait la mission avec lui, « que nous sommes mal ici! Nous y sommes trop aimés ! Point de croix ! Quelle croix ! »
C'est à Vertou qu'eut lieu la guérison subite du frère Pierre ! Il était malade depuis douze jours ; il ne pouvait ni se remuer, ni changer de position, sans l'aide de quelqu'un ; il pouvait à peine parler : il était question de lui administrer les derniers Sacrements.
« Pierre, » lui dit Montfort, « où est votre mal? — Partout le corps. — Donnez-moi votre main. — Je ne puis pas. — Tournez-vous de mon coté. — Je ne puis pas. — Avez-vous de la foi?— Hélas! mon cher Père, je voudrais en avoir plus que je n'en ai. — Voulez-vous m'obéir? — De tout mon cœur.
Le Missionnaire lui met la main sur la tète en lui disant : « Pierre, dans une heure vous viendrez nous servir à table. »
Une heure après, Pierre servait à table, il était guéri.
Toutes les missions que prêchait Montfort se ressemblaient plus ou moins pour le fond et pour la forme : elles étaient toutes, ou à peu près toutes, couronnées des plus grands succès. Elles rayonnaient dans tout le pays, et communiquaient leurs influences salutaires aux paroisses voisines de celles où elles se donnaient.
De Vertou, l'infatigable Missionnaire se rendit à Saint-Fiacre, paroisse de six cents âmes, à trois lieues de Nantes.
Elle eut tout le succès désirable.
Après cette mission, Montfort s'en alla passer quelques jours A Nantes.
Il donna une retraite à la maison des Pénitentes. Cette retraite fut très fructueuse.
Une pieuse dame de Nantes lui donna une modeste habitation dans la ville, afin que, dans l'intervalle de ses missions, il eût un lieu où résider avec ses frères coadjuteurs. Il la nomma la Providence, comme toutes les maisons qu'il habitait dans ses missions. Il construisit une petite chapelle pour y dire la sainte Messe, et y réciter lé Rosaire.
Pendant l'année du grand hiver de 1709, il fit, dit M. des Bastières, qui l'accompagnait, quarante missions.
Nous allons dire un mot des principales.
Au commencement du carême 1709, il ouvrit la mission de Cambon, paroisse de 3.500 âmes environ, dans le canton de Savenay, à deux lieues de Pontchâteau. Tout y était dans l'état le plus triste, et au temporel et au spirituel. Le saint Missionnaire, avec son zèle et son intelligence ordinaires, rétablit l'une et l'autre chose.
C'est dans cette mission que Montfort composa et fit chanter son cantique :
Soupirons, gémissons, pleurons amèrement.
On délaisse Jésus au très Saint Sacrement;
On l'oublie, on l'insulte en son amour extrême,
On l'attaque, on l'outrage, et dans sa maison même.
C'est là aussi qu'on voulut attenter à sa vie.
Vers la fin de la mission, Montfort et son confrère devaient aller à Pontchâteau : des assassins m mirent sur leur passage pour les tuer.
Heureusement les deux missionnaires furent avertis a temps et ne firent pas leur voyage.
Crossac était, sous tous les rapports, la paroisse la plus misérable du diocèse de Nantes.
Cette paroisse était sans pasteur.
L'église, très malpropre, n'était pavée que dans le sanctuaire ; la nef servait de cimetière à toute la paroisse : tous prétendaient avoir le droit de s'y faire enterrer.
L'affaire fut portée au Parlement et jugée en laveur des paroissiens.
Montfort prêcha de toutes ses forces contre cet abus, et amena les habitants à renoncer à leur prétendu droit.
Il fit paver l'église et exécuter les réparations nécessaires.
La mission de Pontchâteau fut la plus célèbre de toutes les missions prêchées par le Bienheureux, et par la magnificence du calvaire qu'il y fit élever, et par l'enthousiasme dont il enflamma les multitudes, et par la patience avec laquelle il supporta l'injuste humiliation dont il fut victime.
Il fit cette mission, comme toutes les autres, avec le plus grand zèle et le plus grand soin.
Dieu, qui l'appelait à une si grande entreprise, versa sur cette mission ses plus abondantes bénédictions. Jamais le Missionnaire ne rencontra plus de zèle, plus d'empressement pour assister aux exercices de la mission, plus de docilité à mettre en pratique les avis donnés. Jamais, non plus, il n'avait rencontré un lieu plus favorable pour l'exécution du projet qu'il méditait depuis longtemps...
CHAPITRE XI
I - Calvaire de Pontchâteau.
Le saint Missionnaire terminait toutes ses missions par la plantation dune croix destinée à conserver le souvenir, les grâces et les enseignements de la mission.
Depuis longtemps il méditait quelque chose de plus grand encore : il voulait ériger un calvaire monumental qui rappelât celui de Jérusalem. Déjà, comme nous l'avons vu, il avait voulu exécuter son projet dans sa paroisse natale. Le duc de la Trémouille, qui en était le seigneur, s'y opposa.
A Pontchâteau, il trouva une occasion favorable pour exécuter son pieux dessein. Il pouvait compter sur les habitants et sur les populations voisines, qui avaient pour sa personne la plus profonde estime et la plus sincère affection. Et puis nulle part, dans ses courses apostoliques, le Missionnaire n'avait trouvé une position plus convenable pour le monument qu'il méditait en l'honneur de la Croix.
A une demi-lieue de la ville s'étendait une vaste lande. Le cardinal de Coislin, qui en était le propriétaire, la mit à la disposition de Montfort. Le terrain s'y élève de tous côtés par une pente douce, de manière à former au milieu une montagne qui domine tout le pays d'alentour.
Montfort se propose de construire sur le sommet une autre montagne pour y établir le monument religieux qu'il projetait.
Son plan est gigantesque : il veut ériger un calvaire dans des proportions qui exigeraient des ressources considérables.
Il commence par tracer autour du sommet de la montagne une vaste enceinte circulaire, puis une autre plus grande encore. Entre ces deux lignes devait être creusé un fossé large et profond, et les terres qu'on en retirerait devaient être portées au centre pour former la montagne artificielle.
Le jour indiqué, il conduit les travailleurs à la lande et donne le premier coup de bêche pour commencer les travaux.
Le travail dure quinze mois ; on y voit souvent plus de cinq cents ouvriers et plus de cent paires de bœufs, et parmi ces manœuvres, il y a des prêtres, des gentilshommes et de grandes dames du monde. Il y en a qui viennent de Flandre, d'Espagne, d'Italie, de partout!
Tous apportent leurs outils et leur nourriture.
Le Missionnaire ne resta que peu de temps au milieu des travailleurs : il fit de nombreuses missions autour de Pontchâteau : Landémont, Saint-Sauveur, la Boissière, la Renaudière, Nizillac, Herbignac, Camo
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l, Assérac, Saint-Donatien de Nantes, la Moëre, Bouguenais et plusieurs autres.
Dans l'intervalle de ces missions, il ne manquait pas de visiter les travailleurs, et lorsque la mission était peu éloignée du calvaire, il s'y rendait une fois la semaine pour diriger et encourager le travail; lui-même mettait la main à l'œuvre.
Au reste, sa présence était inutile pour exciter le zèle et entretenir le bon ordre : tous ces pèlerins, travaillant pour Dieu, travaillaient aussi sous l'œil de Dieu. Une harmonie parfaite régnait parmi eux ; le silence n'était interrompu que par le roulement des charrettes, le bruit des instruments et le chant des cantiques.
Quand la montagne fut élevée à la hauteur de 70 pieds, Montfort exécuta les travaux nécessaires à la décoration du monument : il entoura d'un mur haut de 5 pieds la plate-forme, qui avait 80 pieds de pourtour ; ce mur fut surmonté de plusieurs piliers qui soutenaient un rosaire de 80 pieds de longueur, dont les grains avaient la grosseur d'un boulet de moyen calibre.
Sur la porte de la plate-forme était un serpent d'airain qui figurait celui de Moïse; de sa gueule jaillissait de l'eau entretenue par un réservoir.
A l'entrée se trouvait un Ecce homo !...
Au milieu de la plate-forme se trouvaient trois croix.
La plus grande était haute de 50 pieds : il avait fallu douze paires de bœufs pour la transporter au sommet. Le Christ avait six pieds de hauteur : il est aujourd'hui dans la chapelle du Calvaire.
Au pied étaient placées les statues de Notre-Dame des Douleurs, de saint Jean-Baptiste et de Marie - Magdeleine ; des deux côtés s'élevaient les croix du bon et du mauvais larron ; de la porte, un chemin descendait en spirale jusqu'à l'entrée unique du calvaire, qui faisait face au crucifix.
Le bas de la montagne fut enfermé par un mur de 400 pieds, et dans le chemin de ronde le Missionnaire reproduisit sous une autre forme l'image du rosaire. Il planta, à distance égale, cent cinquante sapins qui figuraient les Ave-Maria. Après chaque dizaine de sapins, s'élevait un cyprès qui indiquait les Pater.
Des deux côtés de l'unique entrée se trouvaient deux petits jardins carrés représentant : l'un, le paradis terrestre ; l'autre, le jardin des Olives.
Enfin le travail est terminé : la croix se dresse au point culminant, dominant tout le pays à plusieurs lieues à la ronde.
Le Missionnaire avait obtenu de l'évêque de Nantes la permission de faire la cérémonie de la bénédiction. Pour la rendre plus solennelle, il en fixa le jour au 14 septembre, fête de l'exaltation de la Sainte Croix.
Des foules immenses arrivaient de toutes parts pour assister à la cérémonie. Pontchâteau et les bourgades voisines étaient insuffisantes à les contenir.
Le lendemain, quatre prédicateurs, des quatre côtés du calvaire, devaient évangéliser simultanément les vingt mille pèlerins qui s'agitaient dans la lande. La joie était dans tous les cœurs. Le soir, à 4 heures, arrive de Nantes la défense formelle de faire la bénédiction!...
Louis XIV, à qui on a persuadé que le calvaire pourrait bien servir de forteresse aux Bretons révoltés, donne l'ordre de tout détruire.
Le Bienheureux, en voyant détruire son calvaire, annonce qu'il sera détruit jusqu'à deux fois.
Cette prophétie s'est entièrement réalisée.
En 1747, les Pères de la Compagnie de Marie prêchant une mission à Pontchâteau, trouvèrent la mémoire de leur père en bénédiction. Ils crurent l'occasion favorable pour rétablir le calvaire.
Le projet est agréé par les prêtres et par la population.
Louis de Bourbon, duc de Penthièvre, amiral de France, encouragea le travail; il en posa lui-même la première pierre, le 3 juillet 1747 ; il donna 600 francs pour aider à bâtir, au pied de la montagne, une chapelle et un saint-sépulcre.
Tout le monde se mit à l'œuvre avec une nouvelle ardeur. Les trois croix furent replacées ; tous les travaux étaient déjà bien avancés, quand de nouvelles difficultés surgirent... Il fallut une seconde fois abandonner l'entreprise.
En 1821, M. Gouray, curé de Pontchâteau, entreprit de compléter le calvaire.
Les habitants de Pontchâteau et du voisinage travaillèrent à la restauration du monument avec la même générosité, la même ardeur, la même piété et le même ordre qu'autrefois.
Les offrandes affluèrent de partout.
Le 23 novembre 1821, l'évêque de Nantes en fit la bénédiction solennelle ; et malgré une pluie abondante, plus de dix mille personnes accoururent à cette touchante cérémonie.
En 1854, Mgr Jacquemet fit remplacer les croix de bois par des croix en fonte, qui peuvent défier les orages et les tempêtes !
En 1873, Mgr Fournier, évêque de Nantes, se rendit en pèlerinage au calvaire de Pontchâteau, afin d'attirer les bénédictions de Dieu sur Rome et sur la France. Ce fut un splendide spectacle! Cinq évêques, six cents prêtres et cinquante mille fidèles étaient là, priant, chantant.
Aujourd'hui, de tous les côtés, on va en pèlerinage au calvaire du Père Montfort, et les grâces qu'on obtient dans ce lieu privilégié sont aussi nombreuses que celles qu'on obtient à son tombeau.
D'ailleurs, ces prodiges ont été prédits par Montfort lui-même :
Oh ! qu'en ce lieu l'on verra de merveilles !
Que de conversions,
De guérisons, de grâces sans pareilles !
II - Soumission de Montfort. — Sa conformité à la volonté de Dieu. Sa charité. — Son dévouement.
Montfort ne garda aucun souvenir amer de la destruction de son calvaire ; aucun ressentiment contre ceux qui en avaient été les auteurs.
a Dieu soit béni ! » dit-il avec tranquillité ; « je n'ai point cherché ma gloire, mais uniquement celle de Dieu ; j'espère en recevoir la même récompense que si j'avais réussi. »
Toute sa vie, Montfort ne voulut qu'une chose : la volonté de Dieu. Toute sa vie, il s'abandonna joyeusement au bon plaisir de Dieu, il trouvait une paix délicieuse à se reposer dans les bras de la Providence :
Providence, je me jette
En votre sein amoureux ;
Si le monde me rejette,
J'en suis d'autant plus heureux.
Plus je vois qu'on m'abandonne,
Et plus j'espère de bien ;
Et quand je n'aurais personne,
Vous seriez tout mon soutien.
La conformité à la volonté de Dieu est le sacrifice, sans contredit, le plus parfait et le plus agréable à Dieu... Par elle, l'homme immole à Dieu tout ce qu'il a de plus cher et de plus précieux, car il n'y a rien dont il se dépouille avec autant de peine que la volonté propre. En rejetant la richesse, en méprisant les honneurs, en quittant les plaisirs, l'homme fait le sacrifice de ses biens ; mais dans la pratique de la conformité à la volonté de Dieu, il s'offre lui-même. Voilà son mérite.
Tous les saints l'ont pratiquée. Mme de Chantai avait eu une jeunesse éclatante, une fortune considérable. Restée veuve à trente ans, elle va avec ses enfants, dans le château d'un de ses parents : là, elle rencontre la douleur sous la forme la plus hideuse ; elle se voit rebutée dans un foyer qui devait être le sien, à une table qui devait être la sienne ; elle est maltraitée même par les valets de sa maison.
Elle reste dans cette situation pendant dix ans, bonne, douce, ne se plaignant jamais!...
C'est sainte Françoise de Romagne. Elle était jeune, riche, brillante, heureuse. Toute jeune elle perdit sa fortune ; elle disait à Dieu avec une tendresse admirable : Seigneur, vous m'aviez tout donné; vous m'avez tout repris, que votre saint nom soit béni!...
C'était aussi la prière de Montfort.
« A la première visite que je lui fis, » dit M. des Bastières, « je crus le trouver accablé de chagrin ; je me disposais à le consoler. Mais je fus bien surpris quand je le vis plus gai et beaucoup plus résigné que je ne l'étais moi-même. Je lui dis en l'abordant : Vous faites l’homme fort et généreux! — Je ne suis ni fort, ni courageux, me répondit-il; mais, Dieu merci, je n'ai ni peine, ni chagrin ; je suis content. — Vous êtes donc bien aise qu'on détruise votre calvaire? — Je n'en suis ni content, ni fâché, répliqua-t-il; le Seigneur a permis que je l'aie fait faire ; il permet aujourd'hui qu'il soit détruit : que son saint nom soit béni! Si la chose dépendait de moi, il subsisterait autant que le monde ; mais elle dépend immédiatement de Dieu ; que sa volonté soit faite et non la mienne. J'aimerais mieux, ô mon Dieu, mourir mille fois, s'écria-t-il en élevant les mains au ciel, que de m'opposer jamais à votre sainte volonté! »
Il alla chez les jésuites passer huit jours en retraite, pour se consoler avec Dieu.
Le Père Préfontaine, le jésuite qui le reçut après sa disgrâce, fut profondément touché et édifié de sa patience et de sa résignation.
« Cette paix, cette tranquillité d'âme, dont il ne se démentit pas un seul moment, pendant les huit jours qu'il passa à la communauté, me surprit au-delà de tout ce que je puis dire. »
« Tout ce que j’avais vu et su de lui jusque-là me l'avait fait regarder comme un grand homme de bien ; mais cette soumission à la Providence dans une occasion aussi délicate que celle-là, la sérénité, la joie même qui paraissait sur son visage, malgré un coup si accablant pour lui, me le firent alors regarder comme un saint, et m'inspirèrent des sentiments de respect, de vénération pour sa vertu, que j'ai toujours conservés depuis, et que je conserverai toujours. »
Son calvaire était abattu ; sa voix condamnée au silence ; ses amis l'abandonnaient ; ses ennemis étaient triomphants ! Mais il aimait trop la croix pour la fuir : il resta à Nantes pour boire à longs traits ce nouveau calice d'amertume que le Ciel lui envoyait.
D'ailleurs, son séjour ne fut pas inutile : il entreprit et mena à bonne fin trois œuvres qu'il n'eût peut-être pas réalisées si sa parole fût restée libre.
Toute sa vie il eut une tendre commisération pour les malades, et surtout pour les incurables, qui sont ordinairement plus délaissés, plus abandonnés que les autres.
C'est lui qui jeta les fondements de l'hospice des incurables à Poitiers.
Il eut le même bonheur à Nantes.
Une pieuse dame lui avait donné pour se loger une petite maison qu'il appela la Providence. Il fit bâtir une chapelle pour y dire la sainte Messe, et y réciter le Rosaire, pieux usage qui se continue toujours.
Bientôt, il trouva le moyen d'acheter une petite maison, voisine de la première ; il y plaça des pauvres incurables hors d'état de mendier leur pain, et commença ainsi cet établissement qui manquait à la ville de Nantes.
Il contribua beaucoup par ses conseils et ses encouragements à l'établissement qui fut fait sur la place de Bretagne, d'une maison destinée à recevoir, pendant leur convalescence, les malades sortant de l'Hôtel-Dieu.
Montfort forma encore, sous le nom d'Amis de la Croix, une association de personnes pieuses, à laquelle il donna des règlements pleins de sagesse.
Il est bon d'être charitable à l'égard des autres ; mais il ne faut pas s'oublier soi-même.
Le Missionnaire profita de son repos forcé pour consacrer plus de temps à la prière et à l'oraison. Il se fit admettre dans le Tiers Ordre de Saint-Dominique, le grand promoteur du Rosaire.
Au commencement de l'année 1711, il y eut un épouvantable débordement de la Loire. L'eau avait pénétré dans plusieurs quartiers de la ville, et un de ses faubourgs, celui de Biesse, qui s'étend du pont de Pirmil au pont de la Magdeleine, était entièrement submergé. Beaucoup de gens, pauvres pour la plupart, ayant été surpris par l'inondation, ne purent se sauver qu'en montant dans les greniers; mais, privés de vivres, ils allaient mourir de faim. On plaignait leur sort ; mais personne n'osait parler de les secourir : on regardait la chose comme impossible.
La Loire était devenue comme une mer impétueuse dont on n'apercevait plus les bords. Ge n'était plus seulement un fleuve à franchir, mais cent torrents rapides, entraînant avec violence tout ce qu'ils rencontraient sur leur passage.
Rien n'est capable d'arrêter le saint Missionnaire : il parcourt la ville, il a bientôt recueilli les provisions nécessaires. C'est le plus facile. Les plus intrépides bateliers n'osent entreprendre de transporter ces secours : ils craignent pour leur vie.
Montfort jette dans leur âme une étincelle de cette charité ardente qui les enflamme et les entraine. La rame à la main, sous les yeux de la ville émue et tremblante, ils luttent contre les courants et les vagues, qui envahissent les frêles embarcations. A travers mille périls ils arrivent enfin aux maisons, qu'on ne voyait plus que par les toits, et jettent à ces malheureux, par les ouvertures des toits, les aliments et les vivres nécessaires.
Toute la ville de Nantes vit avec admiration ce prodige de charité ; et pourtant, quelque temps après, le pauvre Missionnaire, toujours persécuté, toujours poursuivi, reçut l'ordre de quitter la ville et le diocèse : ce fut la récompense de sa charité, de son dévouement!
Pourquoi donc ces croix, ces épreuves? pourquoi cet amour du Bienheureux pour la Croix?
III - La Croix. — Amour du Bienheureux pour la Croix.
La Croix! L'amour de la Croix! Voilà le premier et le dernier mot du Bienheureux : c'est de la Croix qu'il fait dériver, c'est à elle qu'il ramène tout son enseignement.
Il ne faut pas s'en étonner : tout est là !... C'est la loi de la vie ; c'est la loi fondamentale du Christianisme : le Christianisme tout entier repose sur le sacrifice.
Si quelqu'un, dit Jésus-Christ, veut venir après moi, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive.
Celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre n'est pas digne de moi.
Et ailleurs : Si quelqu'un ne porte pas le fardeau de sa croix à ma suite, il ne peut pas être mon disciple!
Voilà la parole de Dieu! Elle est claire, nette, inattaquable.
On pourra bien l'oublier, on pourra bien la contredire; on ne la changera pas, on ne l'effacera pas.
Le chemin de quiconque veut suivre Jésus-Christ, c'est le chemin de la Croix!... Il n'y en a pas d'autre, il n'y en aura jamais d'autre!
Porter sa croix, se renoncer soi-même, mourir à soi-même, à ses inclinations, à ses goûts natifs, à la vie naturelle, à toutes ses passions, c'est difficile, sans doute ; mais quand cela serait encore plus difficile, plus dur, plus crucifiant pour la nature, il le faut : c'est nécessaire, c'est à prendre ou à laisser, c'est le ciel ou l'enfer!... Choisissons...
Jésus-Christ ne nous a pas seulement donné le précepte, il a voulu encore nous donner l'exemple, afin d'enlever toute excuse à notre mollesse, à notre lâcheté, à notre sensualité!
La vie de Jésus n'a été qu'une croix, qu'un martyre ; et cela par choix, pour nous donner l'exemple.
Regardons Bethléem. Pourquoi une étable et non pas un palais pour le Roi du ciel et de la terre? pourquoi la crèche? pourquoi le froid? pourquoi ses membres délicats étendus sur la paille? pourquoi la pauvreté, le dénuement et toutes les privations pour Lui, sa Mère et saint Joseph?
C'était pour nous donner l'exemple.
Pourquoi Nazareth? Pourquoi l'humble boutique? pourquoi le travail quotidien? pourquoi les sueurs, les fatigues et les veilles?
Voyons-le au désert. Pourquoi ces jeûnes, ces austérités? pourquoi ces tentations?
C'est la troisième leçon.
Voyons-le au Jardin des Olives, aux prises avec toutes les tentations du démon, avec toutes les défaillances de la nature et abandonné de tous!
Pourquoi ces craintes, ces tristesses, ces angoisses et ces défaillances?
C'était pour nous donner l'exemple.
Voyons-le en présence de Judas, cette rare, cette affreuse figure de traître ! en présence de cet homme qu'il a comblé de ses bienfaits, et qui vient le livrer à ses ennemis, à ceux qui veulent le tuer!
Voyons-le au Prétoire. Pourquoi ces infâmes calomnies? pourquoi ces moqueries outrageantes? pourquoi ces crachats, ces soufflets? Pourquoi la flagellation? Les coups pleuvent sur son corps adorable ! sa chair est mise en lambeaux ! le sang ruisselle! son corps n'est plus qu'une plaie.
Voyons-le sur le chemin du Calvaire... Entendons les cris, les huées d'une multitude délirante de fureur !...
Enfin, parcourons les quatorze Stations!
Regardons la croix, la lance qui fouille son côté, les clous qui percent ses pieds et ses mains, le fiel qui abreuve ses lèvres !
Pourquoi donc tout cela ? Pour nous donner l'exemple...
Donc, c'est la volonté de Dieu : il faut porter sa croix, il faut la porter tous les jours...
Les saints les ont comprises, ces divines leçons, cette nécessité de porter sa croix ; aussi tous l'ont aimée, l'ont portée.
La vie de Montfort se distingue surtout par un ardent amour de la Croix!... Sans cesse il l'exaltait dans ses lettres et dans ses discours ; sans cesse il la chantait dans ses cantiques d'une inspiration quelquefois sublime.
Il voulait la planter partout, dans tous les lieux où il passait. En arrivant dans un pays, il commençait par choisir l'endroit où cette croix serait plus apparente, semblable à un conquérant qui s'avance en établissant des citadelles sur les meilleures positions.
David autrefois marchait contre Goliath, l'ennemi de la patrie, un bâton à la main ; Montfort marche contre le démon et le monde, l'ennemi de nos âmes, appuyé uniquement sur la croix, in baculo cruce.
La croix était sa force et l'instrument de ses victoires.
Un jour, dans sa paroisse natale, au lieu d'adresser un discours à son auditoire, il expose la croix aux yeux des fidèles, dans la chaire même, à la place du prédicateur ; puis il passe à travers les rangs de l'assemblée, tenant un crucifix qu'il faisait baiser à chacun des assistants.
Cette étrange prédication tira plus de larmes des yeux, plus de gémissements des cœurs, réalisa plus de changements dans les âmes que le sermon le plus éloquent, le plus pathétique.
C'est avec la croix que le Bienheureux envoie ses missionnaires combattre l'enfer et conquérir les âmes.
C'est la croix qu'il souhaite ardemment à ses religieuses : Je vous souhaite, leur disait-il le 31 décembre 1715, je vous souhaite une année pleine de combats et de victoires, de croix, de pauvreté et de mépris.
C'étaient les derniers vœux qu'il devait leur adresser en ce monde !
C'est la croix qu'il souhaite à ses amis : « Monsieur, » dit-il à M. Dorville, « je vous souhaite bien des croix!... »
Quand il veut conduire certaines natures d'élite à une éminente piété, il ne sait rien de mieux que de leur inspirer l'amour de la croix :
« Hors de la croix, » écrivait-il, « quoi qu'en disent la nature et la raison, il n'y aura jamais ici-bas aucun bien solide ! »
La croix, en effet, qui est une folie pour ceux qui périssent, est la force de Dieu pour ceux qui se sauvent !
In hoc signo vinces...
C'est le signe de la Victoire.
CHAPITRE XII
I - La Rochelle. — Ses Missions.
Montfort quitta Nantes vers la fin de mars 1711 pour se rendre dans le diocèse de la Rochelle.
C'est à la Rochelle qu'il va continuer à combattre le bon combat ; c'est à la Rochelle qu'il va fixer sa demeure, et c'est dans ce diocèse qu'il achèvera sa course sous la bénédiction de son évêque.
La parole de Dieu ressemble au soleil ; elle ne quitte un pays que pour en éclairer un autre. La persécution locale ne nuit pas beaucoup à l'Evangile. Ses missionnaires ne restent pas muets ; ils s'en vont ailleurs répandre la semence divine. Que de contrées doivent la vérité à la persécution qui a porté chez elle les prédicateurs de l'Evangile, comme la tempête porte au loin la graine des plantes qui, dans le calme, se fût semée ou perdue sur le sol natal !
Mais auparavant, il alla dans le diocèse de Luçon prêcher la mission de Garnache, qui était promise depuis longtemps ; elle eut, comme les autres, les plus heureux résultats.
Ce qui rend impérissable le souvenir de son passage dans cette paroisse, c'est la restauration d'une chapelle abandonnée, dédiée autrefois à saint Léonard, et qu'il consacra à la sainte Vierge sous le titre de Notre-Dame de la Victoire, nom qu'elle porte encore aujourd'hui. Cette chapelle est vénérée dans tout le pays : en 1873, le 21 novembre, elle fut le rendez-vous de vingt mille pèlerins vendéens et bretons, rangés sous soixante bannières, et présidés par Mgr Colet, alors évêque de Luçon.
La mission finie, il se rendit à Luçon pour faire une petite retraite chez les Jésuites, ses amis des bons et des mauvais jours.
Pendant qu'il y célébrait la sainte Messe, il resta en extase pendant plus d'une demi-heure, et il fallut user de violence pour le rappeler à lui.
Monseigneur de Luçon, qu'il alla visiter, le reçut avec bonté et l'invita à prêcher le lendemain dans sa cathédrale.
Le Missionnaire parla du Rosaire, son sujet favori, et impressionna fortement l'auditoire.
Après avoir été béni par Mgr de Lescure, auquel il promet de revenir, il reprend sa route vers la Rochelle, où il arrive vers le milieu de l'année 1711.
Mgr Champflour, qui en était l'évêque, le reçoit avec une paternelle bonté et le charge d'aller évangéliser la paroisse de Lhoumeau.
Sa parole onctueuse et persuasive groupe autour de lui une population nombreuse, avide de l'entendre et de mettre en pratique ses enseignements. Dieu répandit sur ses premiers travaux les plus abondantes bénédictions.
Appelé dans la ville épiscopale, il y prêcha successivement quatre missions avec un succès prodigieux.
Il fit la première à l'hôpital de Saint-Louis. L'affluence des auditeurs fut si grande que l'église fut trop étroite et qu'il fut obligé de prêcher dans la grande cour de l'hôpital.
Il donna les trois autres missions dans l'église des Dominicains, qui était beaucoup plus grande. La première fut pour les hommes, la deuxième pour les femmes, la troisième pour les soldats.
Pendant toutes ces missions, le zélé missionnaire tint suspendue à ses lèvres non seulement la population catholique, mais la population protestante, qui était très nombreuse à la Rochelle.
Ici s'ouvrait une nouvelle carrière pour le Missionnaire. Ce n'étaient plus des pécheurs seulement qu'il fallait convertir ; ce n'étaient plus des tièdes et des indifférents qu'il fallait réveiller de leur sommeil, de leur léthargie; c'étaient des hommes engagés dans l'erreur depuis leur naissance qu'il fallait éclairer et ramener au sein de l'Église.
Quelle méthode suivre? Quelle vérité mettre en relief? Fallait-il attaquer de front la doctrine protestante et en montrer l'erreur et l'instabilité?
Le Missionnaire se garda bien d'employer cette méthode. La dispute peut confondre un adversaire, le convaincre rarement, le persuader jamais. Nous en avons une preuve dans Bossuet et Claude.
Au lieu de ces controverses qui auraient pu éloigner les protestants, le prédicateur développa les grandes vérités religieuses dont la croyance est admise par tous les chrétiens.
Cette méthode eut un plein succès. Les confessions furent si nombreuses que les confesseurs ne pouvaient suffire à la besogne.
Du nombre des convertis fut Mme de Mailly. Sa naissance, son esprit, son attachement aux erreurs de la secte la rendaient particulièrement chère aux protestants.
Cette conversion, qui en amena bien d'autres, fut sincère et persévérante ; elle mourut comme une sainte, trente-sept ans après.
Les protestants supportèrent avec peine cette perte et cherchèrent à s'en venger. Un jour, ils mêlèrent du poison dans un bouillon qu'il devait prendre en descendant de chaire. Le Missionnaire prit aussitôt du contre-poison ; mais ce breuvage l'incommoda toute sa vie et en avança le terme.
L'état de défaillance où le réduisit ce poison n'arrêta pas son zèle: il fit pour les soldats une mission dont le succès fut encore plus éclatant que les autres.
La procession qu'il fît à la fin de la mission fut très touchante : tous les soldats y marchaient, pieds-nus, tenant un crucifix dans une main et un chapelet dans l'autre ; un officier, à leur tête, nu-pieds aussi, portait l'étendard de la croix. Tous chantaient la litanie de la sainte Vierge. De distance en distance des groupes de soldats chantaient les Versets et tous les autres répondaient : le saint amour de Dieu !
Il y avait dans ce simple chant, un accent si vrai, si pénétrant, si touchant que tous ceux qui étaient présents en furent touchés jusqu'aux larmes.
A la fin de ces missions, Montfort, selon sa coutume, fit planter deux croix : une à la porte Dauphine, l'autre à la porte de Saint-Nicolas.
Quand la croix de Saint-Nicolas fut élevée, le Missionnaire prêcha avec son zèle ordinaire au milieu d'une foule immense. Tout à coup un cri s'élève : Miracle ! miracle ! nous voyons des croix en l'air! Ce cri dura un quart d'heure. Plus de cent personnes, toutes dignes de foi, ont affirmé avoir vu ces croix.
La ville de la Rochelle fut remuée de fond en comble par l'homme de Dieu : jamais on ne vit une plus grande affluence de peuple à ses instructions ; jamais on ne vit des auditeurs plus attentifs à sa parole.
Souvent, tout son auditoire fondait en larmes, et le prédicateur était obligé d'en modérer les transports.
II - Mission de l'Ile-Dieu, de la Salertaine et de Saint-Christophe.
Après ces quatre missions de la Rochelle et quelques autres dans le voisinage, Mgr de Lescure, évêque de Luçon, qui avait gardé de lui un excellent souvenir, le pria de vouloir bien travailler aussi dans son diocèse. Il lui recommanda particulièrement l'Ile-Dieu comme l'endroit qui avait le plus besoin de secours spirituels.
Le Missionnaire se prépara donc à partir.
Les Calvinistes profitèrent de cette occasion pour achever leur vengeance. Ils promirent aux corsaires de Guernesey, qui infestaient la côte, une grande récompense pour les délivrer de leur plus mortel ennemi.
Montfort fut averti de leur complot : il partit quand même.
A trois lieues en mer, les marins qui le conduisaient aperçoivent deux corsaires de Guernesey qui s'avancent sur eux à toutes voiles... Nous sommes perdus, s'écrient-ils !
Montfort se met à réciter le chapelet ; tous lui répondent avec ferveur... Quand il fut fini : Ne craignez rien, mes amis, leur dit-il, notre bonne mère, la sainte Vierge, nous a exaucés ; les vents vont changer ; nous sommes hors de danger.
En effet, le vent changea aussitôt, et on vit les deux navires ennemis virer de bord et s'éloigner.
La mission de l'Ile-Dieu eut tout le succès qu'on pouvait désirer, malgré l'opposition du gouverneur et de ses amis. Montfort laissa dans l'île les plus précieux souvenirs.
De l'Ile-Dieu il s'en alla faire une mission à la Salertaine. Tous les désordres régnaient dans cette paroisse : le Missionnaire les fit tous disparaître ; à la fin de la mission, tout était changé.
Après la mission de la Salertaine, l'infatigable Missionnaire commença celle de Saint-Christophe. Il y fit un bien extraordinaire. Cette mission fut surtout remarquable par un prodige opéré à la prière du serviteur de Dieu : Jean Cantin, sacristain de l'église de Saint-Christophe, était un homme droit et craignant Dieu. Sa famille était nombreuse et pauvre. In jour Montfort, ayant besoin de lui parler, entre dans la maison et trouve une de ses filles qui était à boulanger. Il lui demande si, avant de se mettre au travail, elle avait soin de, l'offrir à Dieu. La fille lui répond ingénument qu'elle y manque quelquefois. N'y manquez jamais dit le Missionnaire. Et aussitôt, comme pour ajouter l'exemple aux leçons, il se met à genoux, fait sa prière, bénit la huche, en faisant un signe de croix, et quitte la maison. Le moment étant venu de mettre la pate au four, la mère dit à su fille de former les pains, et de les lui apporter.
Quand le four est à peu près rempli, elle lui demande s'il en reste encore : « Vous n'êtes pas au bout, répond la fille, il en reste encore plus d'une fois autant. »
La mère prend cette parole pour une plaisanterie ; mais quel n'est pas son étonnement quand elle voit qu'en effet il reste tant de pâte que deux autres fournées suffisent à peine pour l'employer. Le pétrin cependant ne contenait de farine que pour une fournée.
Un usurier, après une velléité de conversion, refuse de brûler ses contrats usuraires. Le Missionnaire lui prédit trois choses :
1° Qu'il tomberait dans la misère, lui et sa femme ;
2° Que leurs enfants mourraient sans postérité ;
3° Qu'ils n'auraient pas le son des cloches à leurs enterrements.
La prédiction s'est vérifiée de point en point.
La deuxième prophétie est relative à la croix qu'il fit élever le jour de la clôture. Comme cette croix était faible, il annonça, pour rassurer les populations, qu'elle ne tomberait pas avant qu'une autre ne fût plantée. Ce qui eut lieu.
La mission de Saint-Christophe est la dernière que prêcha Montfort dans le diocèse de Luçon, où il travaillait depuis cinq mois avec une ardeur apostolique et un succès complet.
Epuisé par les jeunes et les mortifications, brisé par la fatigue, il revient à la Rochelle pour y prendre un peu de repos.
CHAPITRE XIV
CI DEVE ESSERE UN ERRORE DI NUMERAZIONE DEI CAPITOLI IN EFFETTI MANCA IL XIII MA IL SENSO E’ GIUSTO
I - Retraite à l'hôpital de la Rochelle. — Conversion de Mlle de Page. — Ermitage de Saint-Éloy.
Il était à la Rochelle depuis quelques jours à peine, quand les hospitalières vinrent lui demander une retraite.
Il consentit à la prêcher à la condition que les personnes du dehors pourraient y prendre part.
Cette retraite fut très suivie et produisit un très grand bien ; plusieurs conversions éclatantes eurent lieu, entre autres celle de Mlle de Page, fille d'un trésorier de France.
Un jour, après une partie de plaisir, il lui prit fantaisie d'aller avec ses amies entendre le sermon pour se divertir des originalités du prédicateur. Richement parée, pimpante sous une toilette à moitié convenable, elle va se placer en face du prédicateur comme pour le braver.
Montfort l'aperçoit, et touché de compassion, il se tourne vers l'autel, et adresse au Seigneur une fervente prière pour cette âme égarée. Dieu exauce sa prière, et la mondaine, qui était venue pour rire, ne tarde pas à mêler ses larmes à celles du pieux auditoire.
La foule était sortie depuis longtemps déjà, et la femme frivole était toujours là, dans l'église, comme abîmée dans une fervente prière.
Rentrée dans sa demeure, elle passe la nuit à mettre ordre à ses affaires, et le lendemain elle va frapper à la porte des pauvres Clarisses. — Ma mère, dit-elle à la supérieure, je veux être religieuse. — Mon enfant, ce que vous demandez là est saint, mais la règle est sévère, bien sévère ; les lits sont durs, la table bien frugale, les habits bien grossiers, les cellules bien froides!
Mon enfant, dit la supérieure, qui voulait une réponse, vous sentez-vous la force d'affronter toutes ces choses? — Ma Mère, dit la jeune fille, dans ce dortoir où les lits sont si durs, dans ces cellules où l'air est si froid, si humide, dans ces réfectoires où la table est si maigrement servie, y a-t-il des crucifix? — Des crucifix, mon enfant! il y en a partout ; il n'y a que cela, ici ! — Eh bien ! ma Mère, reprend la jeune fille, je suis capable de tous ces sacrifices.
Elle disait vrai : tous les efforts de sa famille et de ses amis ne purent l'en arracher ; et pendant plus de trente ans qu'elle y vécut, sous le nom de sœur Louise, elle ne cessa d'édifier la communauté par sa pénitence et par sa ferveur religieuse. Elle mourut comme une sainte.
Les habitants de la Rochelle, pour conserver le Missionnaire au milieu d'eux, lui offrent, aux portes de la ville, le modeste ermitage de Saint-Éloy.
Cet ermitage remplaça pour lui la solitude de Saint-Lazare, dans sa paroisse natale, dont l'éloignement fut pour lui un des sacrifices les plus douloureux de sa vie.
C'est là, dans cette solitude de Saint-Eloy, qu'il composa le Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, l'une des pages les plus admirables qui aient été écrites sur la sainte Vierge depuis saint Bernard ; et tant d'autres écrits qui sont comme la substance et la moelle des prédications du saint Missionnaire.
La règle des Filles de la Sagesse est aussi un des fruits les plus précieux de ce lieu béni.
Saint-Eloy est aujourd'hui la propriété des Religieuses de la Sagesse. Elles entretiennent avec soin et respect cette humble maison qui a été habitée par leur Père, et qui est encore tout embaumée de sa piété et de ses vertus.
II - Missions de Thoiré, Vivien, Esnandes, Courçon, Séguinière.
Un long repos n'était pas compatible avec une nature si ardente et si passionnée pour le bien. Il s'en va évangéliser Thoiré, Saint-Vivien, Esnandes, Courçon, et quelques autres paroisses dans les environs de la Rochelle.
Partout son succès fut le même. La réputation de sainteté qui le suivait partout, les nombreuses conversions qu'il opérait sur son passage, tout cela donnait à sa parole un prestige extraordinaire.
Quand il prêchait quelque part, les paroisses voisines accouraient pour l'entendre. Les grands et les petits quittaient tout pour recueillir sa parole. Confondus avec le peuple, les bourgeois et les gentilshommes stationnaient pendant de longues heures auprès de son confessionnal, ne cherchant point à se prévaloir de leurs richesses et de leurs titres pour devancer les autres.
A Esnandes, une croix devait être plantée la veille de Noël : cette cérémonie attira une foule d'étrangers.
Quelques-uns d'entre eux s'installèrent dans une auberge, et se mirent à chanter, à danser, et à se livrer à toutes sortes d'excès.
Montfort, averti de ce qui se passait, s'en alla pour faire cesser le scandale. Mais il fut reçu par les étrangers et par le maître de la maison avec des imprécations et des blasphèmes. Alors le Missionnaire, se tournant vers l'aubergiste : « Va, malheureux, » lui dit-il, « tu périras misérablement avec toute ta famille ! »
Cette prédiction se vérifia d'une manière terrible.
Quelques jours après la mission, l'aubergiste fut saisi d'un violent tremblement auquel on ne put apporter aucun remède. On ne l'appelait plus que le Tremblant. Il mourut dans la plus grande misère, ainsi que sa femme et ses enfants.
Après Esnandes, le Missionnaire se rendit à Courçon, où il ramena la paix et la concorde.
Il prêcha ensuite à la Séguinière une mission qui dura un mois. Il établit l'usage de réciter le chapelet à l'église et dans les maisons, et fit rebâtir une chapelle en ruines qu'il dédia à la sainte Vierge, sous le titre de Notre-Dame de Toute Patience.
Le Bienheureux, comme on le voit, faisait le bien partout. Il distribuait partout le pain de la vérité avec une large et étonnante profusion. Il portait aussi vaillamment le poids du jour et de la chaleur que celui des injustices et des humiliations. Quand il y avait du bien à faire et des âmes à sauver, il arrivait toujours à temps; il savait à propos triompher des obstacles et vaincre les difficultés même les plus redoutables.
C'est par milliers qu'il faut compter les conversions dues à son zèle, et les réconciliations opérées par sa douce et patiente charité ! Il marchait à travers les landes desséchées, et y faisait pleuvoir la rosée du ciel; il portait la résurrection et la vie dans les terres sans eau où régnaient la stérilité et la mort !
CHAPITRE XV
I - Fondation de ses Congrégations.
C'était peu pour Montfort de travailler au salut des Ames pendant sa vie : il voulut se donner des successeurs qui pussent continuer sa mission après sa mort.
Le pieux Missionnaire sent que ses forces vont bientôt le trahir. Il est jeune encore, et sa constitution est robuste, pourtant il a le pressentiment de sa fin prochaine: les fatigues de l'apostolat, le poison donné par les Protestants de la Rochelle, tout cela mine sourdement sa vie. Il ne lui reste plus que trois années à vivre!... Il n'a plus de temps à perdre.
C'est en 1713 qu'il jeta les premiers fondements de la communauté des prêtres à laquelle il donna le nom de Compagnie de Marie, et qui n'a cessé, depuis son établissement, de répondre admirablement aux vues de son fondateur.
Pour recruter sa compagnie naissante, il fit le voyage de Paris, et choisit au séminaire du Saint-Esprit des jeunes gens dont l'Ame était fortement trempée. Il leur demanda avant tout de scruter leurs reins et leurs cœurs, et de mesurer leurs forces pour porter vaillamment le glaive évangélique.
Pendant son séjour à la capitale s'accomplit un fait qui montre que la vertu divine dont il était rempli s'étendait non seulement aux âmes, mais aussi au corps.
Un jour qu'il sortait de dire la messe, une pauvre femme, touchée de sa piété, vint à lui, portant son enfant dont la tète était entièrement rongée par la teigne. Elle avait employé inutilement tous les remèdes.
Dans sa douleur de mère, elle s'adresse au saint prêtre, et le prie avec larmes de guérir son enfant !
Croyez-vous, lui dit le Bienheureux, que les ministres de Jésus-Christ aient le pouvoir de guérir, au nom de leur Maître, les différentes maladies, et d'imposer les mains? — Oui, Monsieur, répond cette femme, je le crois... Je suis persuadée que si vous demandez à Dieu la guérison de mon enfant, il vous l'accordera.
Montfort met la main sur la tète de l'enfant en disant : Que le Seigneur vous bénisse, mon enfant, et récompense en vous la foi de votre mère !...
Aussitôt la teigne tombe, et l'enfant est guéri!..
Mme de Mailly, la protestante convertie, fut témoin de cette guérison.
La perpétuité de l'apostolat était assurée ; il lui reste à perpétuer sa tendresse pour l'enfance et sa sollicitude pour les misères et les infortunes humaines.
La Congrégation des frères du Saint-Esprit et celle des filles de la Sagesse répondront à tous ces besoins : la première sera la providence des petits garçons ; la deuxième, la providence des petites filles et des malheureux.
Il laissera donc à la postérité des établissements où la jeunesse sera préservée des écueils du monde, où les devoirs de la vie chrétienne, fidèlement observés, conduiront à la pratique des vertus sociales. De nombreux enfants croîtront à l'ombre de ces sanctuaires, comme de jeunes plantes, pour fructifier dans leur temps.
Des femmes courageuses prodigueront aux malades, aux infirmes, aux pauvres, tous les secours humains, en même temps que toutes les consolations de la religion.
Montfort avait choisi, il y a neuf ans, une jeune fille de Poitiers pour en faire la fondatrice de la Congrégation de la Sagesse. Elle avait été fidèle à la recommandation qui lui avait été faite de ne pas quitter l'hôpital. C'est là qu'il va la trouver, et lui adjoint Catherine Brunet pour compagne.
Les deux fondatrices des sœurs de la Sagesse se complétaient mutuellement par le contraste de leurs qualités.
Marie-Louise de Jésus, guidée par le Bienheureux depuis l'âge de dix-sept ans, avait quelque chose du caractère austère de son directeur.
Catherine Brunet, au contraire, conserva toute sa vie un reste de cet enjouement qui faisait le fond de son caractère. Mais sous cet extérieur gai se cachaient les mêmes qualités que chez Marie-Louise de Jésus : une décision énergique, un grand amour de la Croix, un profond mépris d'elle-même, et une grande aptitude à toutes les choses les plus difficiles.
Montfort travaillait pour le présent et pour l'avenir. Il établit partout où il le put, le Rosaire, des Confréries ou Associations de Vierges, de Pénitents, de Soldats de Saint-Michel, de Filles de la Croix et d'Amis de la Croix.
Personne ne fut plus ardent que lui pour établir des œuvres durables.
II - Mission de Mauzé. — Maladie du Missionnaire. — Exercices de la préparation à la mort.
A son retour de Paris, vers la fin du mois d'août 1713, il alla donner une mission à Mauzé, gros bourg aux contins du diocèse de la Rochelle.
Dieu répandit sur cette mission ses plus abondantes bénédictions.
Malgré l'épuisement de ses forces, il ne reculait devant aucune fatigue, et loin de diminuer ses austérités, il les augmentait de jour en jour. Mais, quelque soit le courage de l'âme et la vigueur de la constitution, le corps n'est pas de fer, et finit par tomber.
Le Missionnaire fut attaqué d'une maladie terrible qui mit sa vie dans le plus grand danger.
Autour de lui tout le monde était inquiet, lui seul était tranquille, et, pour consoler ses confrères, il disait en souriant : « Tous les ans, vers la fête de l'Exaltation de la sainte Croix, Dieu a la bonté de me donner à porter une petite partie de sa croix. » Et il continua son travail comme s'il avait été bien portant.
La mission finie, on transporta le malade à l'hôpital. Ni la longueur de la maladie, ni les ardeurs d'une fièvre continuelle, ni les opérations cruelles qu'on lui faisait, deux fois le jour, rien ne put altérer la paix de son cœur, ni lui arracher la moindre plainte.
Enfin, après deux mois de souffrances terribles et de patience admirable, Dieu lui rendit la santé.
Pour essayer ses forces, il alla à Courçon, puis à l'hôpital de la Rochelle, faire l'exercice de la préparation à la mort. Il donnait souvent cet exercice dans les paroisses où il avait prêché une mission quelque temps auparavant.
C'était une cérémonie très émouvante qui impressionnait toujours très vivement ceux qui en étaient les témoins.
Nous allons brièvement essayer de la faire connaître.
Il n'y a rien de plus triste, de plus effrayant que cette indifférence, cette insouciance de presque tous les hommes qui vont à la mort sans y penser, sans s'y préparer!
Du temps du Bienheureux, comme aujourd'hui, on se préparait à tout, excepté à la chose la plus importante, la plus nécessaire, à la chose d'où dépend notre éternité.
C'était pour réagir contre cette incurie si funeste que Montfort avait institué ces exercices.
La préparation à la mort durait trois jours. Il y avait chaque jour deux sermons et une conférence : il développait vivement toutes les vérités relatives à la mort.
Il réduisait ces vérités à sept : La mort est inévitable ; elle est proche ; trompeuse ; terrible ; la mort des pécheurs est à craindre ; celle des justes à désirer; la mort ressemble à la vie. Ce cadre renferme toutes les vérités sur la mort que l'âme chrétienne doit méditer.
Dans les conférences, il développait les moyens de rendre la mort précieuse aux yeux du Seigneur, et la manière de se comporter quand elle arrive.
Pendant ces trois jours, les fidèles faisaient leurs confessions et leurs communions comme si elles devaient être les dernières de leur vie.
Ce sujet si pratique produisait une impression profonde, surtout quand il était traité par Montfort, qui avait vu, dans leurs réalités, toutes les horreurs de la mort.
Le soir du dernier jour, il y avait une cérémonie plus émouvante, plus lugubre encore ; c'était comme une répétition naturelle de l'agonie. Un crucifix à la main ou sur les lèvres, il simulait le moribond. A ses côtés, deux prêtres représentaient, l'un le bon ange, l'autre le démon.
C'était tantôt la fin consolée du juste, tantôt la mort désespérée et terrifiante du pécheur.
Sur toute cette scène, le cantique jetait ses notes funèbres :
A la mort, à la mort,
Pécheur, tout finira!
Adieu famille! Adieu parents!
Grand Dieu, je le dis plein d'effroi :
Que ferez-vous alors de moi?
A la mort!
Il faut mourir ! il faut mourir!
De ce monde il nous faut sortir !...
Cette préparation à la mort paraîtrait aujourd'hui bizarre ou terrible à notre délicatesse ; et pourtant, rien n'est plus utile, plus pratique.
Après ces premiers essais, l'infatigable Missionnaire se sentit assez fort pour recommencer ses missions. Les principales furent celles de Saint-Christophe, Vanneau, de Vérines, de Saint-Médard, du Gué-d'Alleré, de Saint-Sauveur, Nuaillé, La Jarrie, Croix-Chapeau, Marennes et l'Ile d'Oléron.
Partout ses travaux étaient accompagnés de grâces abondantes, de guérisons miraculeuses, mais aussi de croix très dures pour lui.
CHAPITRE XVI
I - Montfort part pour la Normandie. — Il s'arrête à Roussay, à Nantes, à Rennes. — Lettre aux Amis de la Croix.
Dans le courant de juin 1714, le Missionnaire partit pour Rouen : il voulait conférer avec M. Blain, son ami, sur l'établissement des Missionnaires de la Compagnie de Marie.
En passant par Roussay, il donna une mission sur laquelle Dieu répandit ses plus abondantes bénédictions ; il restaura une chapelle en ruines, et vulgarisa dans la paroisse la récitation du chapelet et du Rosaire.
Cinquante ans après, en 1764, cette pieuse pratique existait encore.
D'après une tradition populaire, le pieux Missionnaire aurait eu l'insigne honneur, pendant la mission de Roussay, d'avoir eu plusieurs visites de la sainte Vierge.
Cette mission faillit se terminer par un accident terrible : mais l'homme de Dieu était là pour détourner le malheur par sa prière.
A la plantation de croix, qui se fit à la clôture, la foule était immense, et l'emplacement sur lequel la croix devait être placée était très étroit et encombré par la multitude.
La croix, qui était haute et lourde, était presque debout, quand, par une fausse manœuvre de ceux qui la dressaient, elle tomba tout d'un coup à l'endroit où le peuple était le plus entassé. Cette croix, tombant au milieu d'une foule compacte, aurait dû, naturellement, écraser plusieurs personnes : il n'en fut rien ; personne ne fut blessé.
Le Missionnaire, qui seul était demeuré calme au milieu de l'épouvante générale, remercia la sainte Vierge qui venait, d'après lui, de conjurer le danger.
De Roussay il partit pour Nantes, où il resta quelques jours pour s'occuper des malades qui étaient réunis dans son petit hospice, et pour raviver la ferveur des associations pieuses qu'il avait fondées, et en particulier celle des Amis de la Croix, qu'il avait établie à Saint-Similien.
De Nantes il se rendit à Rennes, où il fit une retraite de huit ou dix jours. La Croix fut le principal objet de sa méditation, et tout plein des grandes pensées qu'il avait puisées dans ses entretiens avec Dieu, il écrivit aux Amis de la Croix une admirable lettre, dont nous allons donner quelques extraits :
« Chers amis de la Croix, deux partis se présentent tous les jours devant nous : celui de Jésus-Christ et celui du monde.
Celui de notre aimable Sauveur est à droite, en montant, dans un chemin étroit et rétréci plus que jamais par la corruption du monde.
Ce bon Maître y est en tète, marchant les pieds nus, la tête couronnée d'épines, le corps tout ensanglanté, et chargé d'une lourde croix.
Il n'y a qu'une poignée de gens, mais des plus vaillants ; à le suivre.
A gauche est le parti du monde ou du démon, lequel est le plus nombreux, le plus magnifique et le plus brillant, du moins en apparence.
Tout le plus beau monde y court. »
Le cœur du saint Missionnaire tressaille comme celui du Sauveur à la révélation des mystères cachés aux superbes :
« Amis de la Croix, écoliers d'un Dieu crucifié, le mystère de la Croix est un mystère inconnu des Gentils, rejeté des Juifs et méprisé des mauvais chrétiens ; mais c'est le grand mystère que vous devez apprendre et pratiquer à l'école de Jésus-Christ.
Réjouissez-vous, pauvre idiot, pauvre femme sans esprit et sans science. Si vous savez souffrir joyeusement, vous en saurez plus qu'un docteur de Sorbonne, qui ne sait pas si bien souffrir que vous. »
Mais, au milieu des élans de son âme de feu, le Missionnaire conserve l'exactitude de la doctrine et la mesure de la morale.
« Quelques grands saints ont demandé, recherché, et môme se sont procuré, par des actions ridicules, des croix, des mépris et des humiliations; adorons et admirons seulement l'opération extraordinaire du Saint-Esprit dans leurs âmes, et humilions-nous à la vue d'une si sublime vertu, sans oser voler si haut. »
Et alors il trace, avec une prudence consommée, les règles qui nous apprennent à supporter la souffrance de chaque jour, malgré les répugnances de la nature que notre adorable Sauveur a voulu ressentir dans son agonie : Mon Père, que votre volonté soit faite, et non pas la mienne.
Après avoir fait connaissance avec M. Dorville, subdélégué de l'intendant de Bretagne, il se rendit à Ville-Dieu, qu'il évangélisa en passant ; puis il continua sa route vers Saint-Lô.
Mission de Saint-Lô.
Arrivé à Saint-Lô, il descendit à l'hôpital, où, sur la demande de l'aumônier, M. de Langles, il consentit à prêcher une retraite qui devint bientôt une mission pour toute la ville.
Jamais peut-être la parole du Missionnaire n'avait été plus pénétrante, plus persuasive, plus éloquente ; jamais non plus succès ne fut plus grand. Néanmoins, il dut son succès moins à son éloquence qu'à l'austérité de sa vie.
Malgré ses maladies, et l'affaiblissement de ses forces, il n'avait rien retranché de ses austérités : il jeûnait continuellement; il portait au bras une petite chaîne de fer armée de pointes qui lui entraient dans la chair. Plusieurs fois par jour il prenait de rudes disciplines.
Montfort n'a vécu, pour ainsi dire, que de jeûnes et des pénitences les plus étonnantes. On regardait comme un miracle qu'il pût suffire à ses travaux et à ses austérités, sans mourir mille fois. Un évoque de son temps disait que, de tous les miracles qu'on attribuait dès lors au saint Missionnaire, c'est celui-là qu'il admirait le plus. Il se préparait toujours à monter en chaire en prenant la discipline. A ses amis qui l'en blâmaient, il répondait gaiement : que le coq chante mieux, quand il s'est battu les flancs.
Il s'était préparé à la cérémonie de la plantation de la croix, par un jeûne rigoureux de vingt-quatre heures.
Il plaça la croix sur une éminence, en dehors de la ville. Longtemps on conserva l'usage d'y aller en procession, surtout le Vendredi saint.
Il établit aussi à Saint-Lô la dévotion du Rosaire. L'usage de le réciter publiquement existe encore.
Cette mission fit un bien immense.
Quarante ans après, le curé de Saint-Lô en rendait le témoignage suivant :
« Il me serait impossible, » dit-il, « d'exprimer tout le bien que Montfort fit à Saint-Lô, les conversions qu'il y opéra et les actes d'héroïsme qu'il y pratiqua et dont j'ai été moi-même témoin. Il sut si bien y recommander la piété, que quantité de personnes qui vivent encore très saintement sont le fruit toujours subsistant de ses prédications. Il y prêcha si bien la dévotion du Rosaire que l'usage de le réciter publiquement s'est toujours conservé depuis. »
Quand la mission fut terminée, il prit la route de Rouen.
A Bayeux, il alla saluer l'Evêque, qui lui offrit les plus amples pouvoirs pour son diocèse. Il n'en fit aucun usage : il avait hâte de terminer son voyage.
Il arriva chez son ami vers midi, après avoir fait dans la matinée six lieues à pied, à jeun, et chargé d'instruments de pénitence.
CHAPITRE XVII
I - Entrevue de Montfort et de son ami racontée par ce dernier.
M. Blain a laissé, dans des pages du plus grand intérêt, la relation de l'entrevue qu'il eut avec le saint Missionnaire. Nous allons lui laisser la parole; c'est Montfort apprécié et jugé par lui-même.
« Je commençai, » dit M. Blain, « par lui décharger mon cœur sur tout ce que j'avais à dire ou entendu dire contre sa conduite et ses manières.
« Je lui demandai quel était son dessein, s'il espérait jamais trouver des gens qui voulussent le suivre dans la vie qu'il menait; qu'une vie si pauvre, si dure, si abandonnée à la Providence était pour les Apôtres, pour des hommes d'une force, d'une grâce et d'une vertu rares, pour des hommes extraordinaires, pour lui, qui en avait l'attrait et la grâce, mais non pas pour le commun, qui ne pouvait atteindre si haut, et que ce serait témérité que de le tenter; que s'il voulait s'associer dans ses travaux d'autres ecclésiastiques, il devait, ou rabattre de la rigueur de sa vie et de la sublimité de ses pratiques de perfection, pour condescendre à leur faiblesse, ou les faire élever à sa hauteur par l'infusion de la grâce.
«Pour toute réponse, il me montra son nouveau testament, et me demanda si je trouvais à redire ce que Jésus-Christ a enseigné et pratiqué, et si javais à lui montrer une vie plus semblable à la sienne, et à celle de ses apôtres, qu'une vie pauvre, mortifiée et fondée sur l'abandon à la providence ; qu'il n'avait pas d'autres vues que de a suivre, et d'autre dessein que d'y persévérer ; que si Dieu voulait l'unir à quelques bons ecclésiastiques dans ce genre de vie, il en serait heureux ; mais que c'était l'affaire de Dieu et non la mienne; que pour ce qui le regardait, il n'avait point d'autre parti à prendre que de suivre l'Évangile, et de marcher sur les traces de Jésus-Christ et de ses disciples.
« Que pouvez-vous dire contre? ajouta-t-il, fais-je mal? Ceux qui ne veulent pas me suivre vont par une voie moins épineuse, et je l'approuve; car, comme il y a plusieurs demeures dans la maison du Père céleste, il y a aussi plusieurs voies pour aller à lui.
« — Mais où trouverez-vous dans le saint Évangile des preuves et des exemples de vos manières singulières et extraordinaires? Pourquoi n'y renoncez-vous pas ? pourquoi ne demandez-vous pas à Dieu la grâce de vous en défaire?
« Les rebuts, les contradictions, les persécutions vous suivent partout, parce que vos singularités les attirent. Vous feriez beaucoup plus de bien, et vous trouveriez beaucoup d'aide dans vos travaux, si vous pouviez gagner sur vous de ne rien faire d'extraordinaire, et de ne point fournir aux mondains et aux libertins des armes contre vous et contre le succès de votre ministère.
« — Il me répondit que s'il avait des manières singulières, c'était bien contre son intention ; que, les tenant de la nature, il ne s'en apercevait pas, et qu'étant propres à l'humilier, elles ne lui étaient pas inutiles.
« Qu'au reste il fallait s'expliquer sur ce qu'on appelle manières extraordinaires ; que si on entendait par là des actions de zèle, de charité, de mortifications et d'autres pratiques de vertus, il s'estimait heureux d'être en ce sens singulier, et que si ce genre de singularité était un défaut, c'était le défaut de tous les saints ; qu'après tout on acquérait à peu de frais dans le monde le titre de singulier; qu'on était sûr de cette dénomination pour peu qu'on ne voulût pas ressembler à la multitude ; que c'était une nécessité d'être singulier dans le monde si on veut se séparer de la multitude des réprouvés ; que le nombre des élus étant petit, il fallait renoncer à y tenir place, ou se singulariser avec eux, c'est-à-dire à mener une vie fort opposée à la multitude. » Cette entrevue ne fit qu'augmenter encore le respect et la vénération de M. Blain pour son ami. Ne doutant nullement de sa sainteté, ni du don prophétique que Dieu lui avait donné, il lui demanda s'il devait accepter ou refuser une des cures de la ville de Rouen qui lui était offerte. « Vous y entrerez, » lui dit Montfort ; « vous y aurez bien des croix, et vous la quitterez. » La prédiction se réalisa.
Le lendemain de son arrivée à Rouen, Montfort dit la messe à la cathédrale, à l'autel des Vœux, dédié à la sainte Vierge, puis il visita les religieuses du Saint-Sacrement, auxquelles il adressa quelques paroles d'édification.
Le soir, il parla encore dans un pensionnat de jeunes filles qui avait été fondé par son ami.
II - Départ de Rouen. — Il passe par Nantes et par Rennes. Retour à la Rochelle.
Le jour suivant, il reprit le chemin de la Rochelle en passant par Nantes et par Rennes.
Sur la route de Rouen à Nantes, il s'arrêta, un dimanche, dans une paroisse pour célébrer la sainte Messe. Sur l'invitation du curé, il fit sur l'évangile du jour deux instructions, qui produisirent la plus vive impression. Le peuple fondait en larmes, et les prêtres qui étaient présents se disaient : « Quel est donc cet étranger qui vient de prêcher avec tant d'onction, et dont la vie est si édifiante? » Le curé lui-même fit des instances pour savoir son nom. « — Je suis un pauvre prêtre qui court par le monde, espérant, avec le secours du bon Maître, sauver quelques pauvres âmes. »
En voyage, son silence était continuel. Souvent il faisait signe à son compagnon de marcher devant lui, et quand celui-ci regardait par derrière pour voir si son maître le suivait, il le voyait souvent à genoux pour adorer Dieu. Par respect pour sa présence, il marchait presque toujours la tête découverte, et les yeux souvent fixés sur le crucifix qu'il avait à la main...
C'est ainsi qu'il arriva dans la ville de Nantes. Il se rendit à sa maison de la Providence. Il n'y resta que le temps nécessaire pour disposer la chapelle à recevoir les statues de son calvaire de Pontchâteau, qu'il se hâta d'aller chercher dans cette ville où il les avait laissées.
Cédant ensuite aux sollicitations de la famille Dorville, il alla passer à Rennes quelques jours, qui furent pour cette famille des jours de joie et de bénédiction.
Montfort dut enfin s'éloigner de Rennes pour retourner à la Rochelle, où il était attendu.
Son départ causa une vive douleur à M. Dorville, qui l'accompagna jusqu'au-delà de la ville, et ne se sépara de lui que les larmes dans les yeux. Le Bienheureux en fut profondément touché ; il fit sur son pieux ami le signe de la croix, en lui disant à plusieurs reprises : « Monsieur, je vous souhaite bien des croix ! » Son souhait fut réalisé, et ce vertueux chrétien souffrit en vrai disciple de Montfort.
Partout sur son parcours de Rennes à la Rochelle il ne reçut que des marques de l'affection la plus sincère. Les peuples qu'il avait évangélisés accouraient sur son passage et se pressaient autour de lui. « Mes enfants, mes chers enfants, » leur disait-il, « je souhaite que le Seigneur vous bénisse, et qu'il fasse de vous des saints! » On ne se séparait de lui qu'en pleurant. On avait le pressentiment qu'on ne le verrait plus !
CHAPITRE XVIII
I - Missions de Fouras, de l'île d'Aix et de Saint-Laurent de la Prée. Le visage du Missionnaire devient lumineux pendant un sermon. — Missions de Tongon la Ronde, de Saint-Amand.
Quand il fut de retour à la Rochelle, l'infatigable Missionnaire recommença ses prédications.
Il commença par Fouras, qui était dans le plus triste état et au spirituel et au temporel. Grâce à son zèle, à ses macérations, à ses prières, tout fut renouvelé, changé.
Pour conserver les fruits de la mission, il institua, comme partout, la pratique du Rosaire.
Quand la mission de Fouras fut terminée, Montfort passa dans l'île d'Aix, située à trois lieues de la Rochelle. L'ile n'a qu'une lieue de long sur une demi-lieue de large. La population est peu nombreuse.
La mission dura quinze jours seulement ; mais le succès fut complet. Tous, insulaires et soldats, la suivirent avec piété; les officiers eux-mêmes donnaient l'exemple. Aux premiers sons de la cloche, ils accouraient aux exercices avec la rigueur de la consigne militaire.
La grâce fut si efficace, qu'elle inspira à tous le désir d'expier leurs péchés par la mortification.
Ne pouvant plus fournir d'instruments de pénitence à tous les soldats qui en demandaient, le Missionnaire fit une quête d'un nouveau genre; il s'en alla de porte en porte demander des cordes pour fabriquer des disciplines pour les soldats convertis.
Montfort était très sympathique aux soldats. Quatre fois dans sa vie il fit une mission pour les soldats seuls, et à chaque fois il obtint un succès étonnant.
A Dinan, il avait déjà électrisé les soldats ; on les avait vus fondre en larmes et courir en foule au tribunal de la pénitence. — De même à Bréal, où il avait enrôlé tous les soldats dans la confrérie de Saint-Michel. — A la Rochelle, le succès fut plus étonnant encore : les soldats et les officiers suivaient le saint en poussant des soupirs et en versant des larmes. La mission se termina par une procession militaire qui offrit un spectacle unique : les soldats marchaient pieds nus, un crucifix dans une main et un chapelet dans l'autre, en chantant les litanies de la sainte Vierge. — A l'Ile d'Aix, l'apôtre ne pouvait suffire à procurer aux soldats convertis des instruments de pénitence.
Quelle puissance divine dans Montfort ! Quels miracles d'éloquence et de grâce !
La parole du Missionnaire, avec sa vigueur et sa franchise, fortifiée par l'austérité de sa vie, faisait sur eux la plus vive impression.
Les fruits de la mission dans l'Ile d'Aix furent durables. Quatre-vingts ans plus tard, quand les bourreaux de la Convention massacrèrent dans la rade de l'Ile d'Aix des prêtres catholiques, les habitants virent avec horreur ces cruautés sacrilèges et procurèrent à ces nobles victimes tous les secours qui étaient en leur pouvoir.
Sans prendre un moment de repos, malgré ses fatigues et sa santé délabrée, le courageux Missionnaire entreprit d'évangéliser simultanément deux paroisses : Saint-Laurent de la Prée et une paroisse voisine.
Ces populations ignorantes traitaient sans respect l'église et le cimetière : le cimetière était un lieu de pâturage pour les animaux ; l'église, à certains temps de l'année, devenait une grange, où les cultivateurs ramassaient leurs récoltes et battaient leurs grains.
Le Missionnaire fit cesser tous ces abus, et partit en laissant un souvenir qui est resté toujours vivant.
De retour à la Rochelle, l'infatigable Missionnaire recommença ses missions un peu partout.
Le jour de la Purification de la sainte Vierge, pendant qu'il prêchait dans l'église des Dominicains, son visage pale et amaigri par les jeûnes, les macérations et les fatigues de toutes sortes, devint tout à coup lumineux : c'était comme une auréole de gloire qui l'entourait.
Ses amis, qui le fixaient attentivement, ne le reconnaissaient qu'au son de la voix : son visage était tout transformé.
Ce prodige fit une vive impression sur les assistants et, dans la ville, on ne le regarda plus que comme un saint.
Il prêcha ensuite les missions de Tongon la Ronde et de Saint-Amand. Le succès fut partout le même.
Après quelques jours de repos, il se rendit à Mervent. Malgré son état de faiblesse, il y déploya son zèle accoutumé, et il éprouva les plus douces consolations.
Pendant cette mission, il guérit une jeune fille qui avait l'œil presque perdu. — Il bénit de l'eau et dit à la jeune fille de laver avec cette eau son œil malade : le lendemain elle était guérie.
Sentant sa fin prochaine, le Bienheureux éprouvait un ardent désir de se retirer de temps en temps dans la solitude pour s'occuper de son salut, et s'unir plus étroitement à Dieu. La solitude, c'est le lieu propre des communications de l'âme avec Dieu et des révélations de Dieu à l'âme ! Aussi tous les saints l'ont aimée et recherchée.
Au milieu de l'immense forêt de Vouvant, qui touchait Mervent, sur le penchant d'une montagne, au pied de laquelle serpente la Vendée, il choisit une grotte formée par un énorme rocher, et entreprit de la rendre habitable.
Les habitants de Mervent s'estimèrent heureux de contribuer à bâtir ce petit ermitage.
Mais Dieu ne voulut pas lui accorder ce repos auquel il aspirait. Soldat de la parole, il devait succomber au milieu de la mêlée, pareil à ces généreux combattants qui estiment comme la plus belle, la mort venue en face de l'ennemi.
Cet endroit n'a pas laissé d'être consacré dans le souvenir des peuples, comme un lieu béni du Ciel. Un pèlerinage de huit mille fidèles s'y est donné rendez-vous en 1873 ; un autre de vingt ou trente mille en 1877.
De tous les environs on aime aujourd'hui encore à y aller prier, et, plus d'une fois, la piété y fut récompensée par des grâces miraculeuses.
Dieu ne veut pas que ses œuvres de la Rochelle demeurent incomplètes : il le ramène dans son ermitage de Saint-Éloy.
II - Il établit ses œuvres à la Rochelle.
Encouragé par Mgr de Champflour, qui voulut bien se charger de tous les frais de l'entreprise, Monfort établit son œuvre à la Rochelle.
L'école des garçons s'ouvrit la première. Il y mit trois maîtres. Un prêtre fut chargé de dire la messe chaque jour, de confesser les enfants tous les mois, de leur donner l'instruction religieuse et de veiller sur leur conduite.
Bientôt après, il fit venir de Poitiers sœur Marie-Louise de Jésus et sa compagne, sœur de la Conception, qu'il avait choisies pour en faire les colonnes de son édifice religieux. Il leur donne une école de petites filles.
Monfort leur donne l'habit religieux le 22 août 1715, dans la chapelle de la Providence.
Retiré dans son ermitage de Saint-Éloy, il rédige les règles des Filles de la Sagesse et, après les avoir soumises à l'approbation de Mgr de la Rochelle, il les remet à Marie-Louise de Jésus, en lui disant : « Recevez, ma fille, cette règle, observez-la et faites-la observer à celles qui seront sous votre conduite ! »
Grâce à la vie de l'humble Missionnaire qui les anime, on verra cette pieuse congrégation étendre au loin ses rameaux et forcer l'admiration des impies eux-mêmes par leur ardente charité et par le charme de leurs vertus.
Elle gardera, après bientôt deux siècles d'existence, son esprit, sa discipline et sa règle dans leur intégrité primitive.
Un pauvre prêtre a pu faire ce que les sages de la terre n'ont jamais pu réaliser, c'est-à-dire, une œuvre qui n'a rien de la mobilité des choses humaines, et qui ne va pas s'affaiblissant comme elles, à mesure qu'elle s'éloigne de son berceau.
CHAPITRE XIX
I - Missions de Fontenay le Comte, de Vouvant, de Saint-Pompain, Villiers-en-Plaine. Pèlerinage de Notre-Dame des Ardilliers.
Lorsque le pieux Missionnaire eut installé ses religieux et ses religieuses à la Rochelle, il quitta cette ville qu'il ne devait plus revoir.
Il se rendit à Fontenay le Comte, où il commença une mission le 25 août, fête de saint Louis, patron du diocèse de la Rochelle.
L'église de Saint-Jean se trouvant trop petite pour contenir la foule, il prêcha deux missions : l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes.
Toutes les deux eurent un succès complet.
Après quelques jours de repos, il prêcha une retraite aux religieuses de Notre-Dame. C'est pendant cette retraite qu'il agrégea M. Mulot, qui fut, après lui, supérieur des Missionnaires de la Compagnie de Marie.
Le curé de Saint-Pompain, M. Mulot, envoya son frère, qui était prêtre, prier M. de Montfort de vouloir bien venir prêcher une mission dans sa paroisse. Impossible, dit le Missionnaire, je suis accablé de travail, et puis j'ai un grand nombre de missions qui sont promises depuis longtemps. — M. Mulot insiste. — J'irai chez votre frère, répond Montfort, en le regardant fixement, si vous voulez me suivre et travailler avec moi le reste de vos jours. — Je vous serais plus à charge qu'utile, répond modestement M. Mulot. Je suis paralytique d'un côté depuis plusieurs années, et j'ai une oppression de poitrine qui m'empêche souvent de parler. — Je compte sur vous, dit le Missionnaire. Vous travaillerez avec moi à la mission de Vouvant.
M. Mulot était à Vouvant. A sa première prédication, toutes ses infirmités disparurent. Il fit avec le Bienheureux les missions de Vouvant, de Saint-Pompain, de Villiers-en-Plaine et de Saint-Laurent-sur-Sèvre. Il assista le Père Montfort à sa mort.
Placé à la tète de la famille religieuse de Montfort, il la gouverna avec la plus grande sagesse jusqu'à sa mort, en 1749. Il marcha constamment sur les pas de son père et de son modèle. Sa santé s'étant miraculeusement rétablie, selon la prédiction du Bienheureux, il se livra au ministère apostolique avec le plus grand zèle... Il prêcha un nombre considérable de retraites et de missions.
Il mourut à Questemberg, dans le diocèse de Vannes, en prêchant une mission.
Son tombeau y est entouré de la vénération publique.
Avec son nouveau disciple, il alla faire une mission à Vouvant, la plus stérile de toutes ses missions. Pour fruit de ses prédications, il y recueillit une ample moisson de croix et d'épreuves.
Après la mission de Vouvant, l'infatigable apôtre se rendit à Saint-Pompain, où l'attendaient les plus consolants succès.
Cette mission fut immédiatement suivie de celle de Villiers-en-Plaine, qui eut le même résultat.
C'est dans le jardin du château de Villiers qu'on le vit en extase, à genoux, sans toucher la terre.
Voici comment Mme de Villiers raconte le fait : « Un jour, pendant la mission, M. de Montfort se trouvait au château. Après le diner il se détache de la compagnie, qui était rassemblée dans une des cours, et se retire dans le jardin.
« Quelque temps après, un domestique entr'ouvre la porte et la referme aussitôt. Un moment après, il l'ouvre encore, parait considérer quelque chose avec attention, et l'ayant ensuite refermée, se retire dans l'écurie.
« Je l'avais observé, et l'air d'étonnement qui paraissait sur le visage de cet homme m'avait frappée. Lorsque la compagnie se fut retirée et que M. de Montfort lui-même fut sorti du jardin, je fus à cet homme. Je le trouvai assis sur un coffre, les bras croisés, et comme n'en pouvant plus. Il me dit qu'il avait une grande peur; qu'il avait vu M. de Montfort à genoux, les bras en croix, dans l'allée de la charmille, qui faisait face à la porte du jardin, et qu'il s'en fallait de plus de deux pieds qu'il ne touchât la terre ; qu'il ne pouvait pas comprendre qu'un homme fût à genoux, et qu'il ne touchât pas la terre; qu'il avait cru s'être trompé la première fois, mais qu'il avait regardé à deux fois, et qu'il était bien sûr de ce qu'il disait, parce qu'il l'avait vu la seconde fois comme la première. »
Mme de Villiers, qui avait été une conquête de la mission, nous assure qu'en la quittant, le Missionnaire répondit à une prière qu'elle lui faisait : « Je la demanderai à Dieu, Madame, avec tant de jeûnes et de prières, qu'il me l'accordera !
« Quant à moi, je mourrai avant que l'année soit finie!... Souvenez-vous de ce que je vous dis ! »
On était alors à la fin de janvier 1716.
La pensée de ses Congrégations semblait l'occuper plus que tout le reste ; il ne cessait de prier et de faire prier pour elles.
Pour obtenir la protection de la sainte Vierge pour ces familles naissantes, il conçut la pensée d'un pèlerinage solennel à Notre-Dame des Ardilliers.
Ce pèlerinage fut fait avec la plus grande piété par les pénitents de Saint-Pompain. Ils étaient au nombre de trente-trois, en l'honneur des trente-trois années que Notre-Seigneur passa sur la terre. Le Bienheureux les y prépara par une retraite, et leur communiqua sa foi et ses brûlantes aspirations.
Il envoya, pour diriger le voyage, les Pères Mulot et Vatel. Quant à lui, il partit plus tard, après s'y être préparé par le jeûne et la prière. Qui pourrait dire avec quelle foi et quel amour il adressa sa prière à Marie, dans ce doux sanctuaire qu'il visitait pour la dernière fois !
II - Mission de Saint-Laurent-sur-Sèvre. — Mort du Bienheureux. Ses funérailles. — Son tombeau.
De Saumur il se rendit à Saint-Laurent-sur-Sèvre, alors du diocèse de la Rochelle, et aujourd'hui de celui de Luçon.
Ce fut son dernier voyage sur terre !
La mission se fit avec un élan admirable et une piété touchante.
Au milieu de la mission, il apprit l'arrivée de Mgr de Champflour ; il en ressentit une grande joie. Il ne négligea rien pour faire à son évêque une réception convenable : il organisa une procession pour aller au-devant de lui, et se donna, tant de mouvement et de peines, que sa santé délabrée ne put y tenir : il tomba gravement malade.
On s'empressa de prodiguer au pieux malade tous les soins possibles. Tout fut inutile : la maladie était mortelle, le moment de la récompense était venu !
Dieu lui réserva la suprême consolation de revoir son évêque qui, les yeux pleins de larmes, lui donna sa dernière bénédiction.
Le Bienheureux, sentant sa fin prochaine, appela auprès de lui le Père Mulot, son confident et son confesseur, pour lui dicter ses dernières volontés. Il lui confia le soin de continuer ses œuvres, et pria l'évêque de la Rochelle d'en être le zélé protecteur.
Après avoir pris toutes ses dispositions, il reçut les derniers sacrements avec une piété et une ferveur angéliques. Il demanda qu'on lui laissât au cou, aux bras et aux pieds, les chaînettes qu'il i portait, voulant mourir comme il avait vécu, esclave de Jésus et de Marie.
De la main droite, il prit le crucifix auquel le Pape avait attaché l'indulgence plénière, et de la gauche, la statuette de la sainte Vierge, qu'il portait toujours avec lui. Il avait les yeux constamment fixés sur ces images, et les baisait tour à tour, en invoquant les saints noms de Jésus et de Marie.
Une foule considérable était à la porte et demandait à le voir une dernière fois.
Le Missionnaire voulut qu'on laissât entrer.
Tous se mirent à genoux en poussant des gémissements et demandant sa bénédiction.
Sa chambre était trop petite pour contenir tous ceux qui désiraient le voir. Il fallut, pour satisfaire leurs désirs, qu'elle se vidât et se remplit successivement jusqu'à trois fois.
Au milieu de cette foule en pleurs, Montfort était calme, gai, souriant!... Recueillant ses forces et, avec un transport que l'agonie ne pouvait comprimer, il entonna de sa voix mourante ce beau couplet de l'un de ses cantiques :
Allons, mes chers amis,
Allons en paradis.
Quoi qu'on gagne en ces lieux,
Le paradis vaut mieux !...
Un moment après, il tomba dans une espèce d'assoupissement; puis, s'étant réveillé tout tremblant, il dit à haute voix : C'est en vain que tu m attaques ; je suis entre Jésus et Marie! Je suis au bout de ma carrière ; c'en est fait, je ne pécherai plus!...
Et il expira doucement, sur les huit heures du soir, le mardi 28 avril 1716, à l'âge de quarante-trois ans, deux mois et vingt-huit jours, en balbutiant, de ses lèvres mourantes, les saints noms de Jésus et de Marie, qu'il avait tant de fois invoqués pendant sa vie, et qu'il avait tant aimés et tant fait aimer!...
La mort du saint Missionnaire fut un deuil pour les contrées qu'il avait évangélisées, et l'on vit arriver à Saint-Laurent plus de dix mille personnes qui venaient pour lui rendre les derniers hommages.
En attendant la cérémonie des funérailles, le corps fut exposé dans la nef de l'église paroissiale, et une foule compacte ne cessa de circuler autour, en faisant toucher au corps des chapelets, des crucifix, des images et d'autres objets de piété.
Son tombeau fut creusé dans la chapelle de la sainte Vierge, qu'il avait tant honorée, tant aimée, tant prêchée, tant chantée.
Lorsque son corps fut mis dans la fosse, des cris et des sanglots éclatèrent parmi les assistants, comme aux funérailles d'un père.
Deux oraisons funèbres furent prononcées : l'une à Saint-Laurent, l'autre à la Rochelle, chez les Jésuites, qui voulurent ainsi honorer, après sa mort, cet ancien élève qu'ils avaient aimé et soutenu pendant sa vie.
Mgr de la Rochelle pleura amèrement son pieux Missionnaire : « Je viens de perdre, » dit-il, « le meilleur prêtre de mon diocèse. »
On mit sur son tombeau une table de marbre avec l'inscription suivante :
PASSANT, QUE VOIS-TU?
UN FLAMBEAU ÉTEINT !
UN HOMME CONSUMÉ PAR LE FEU DE LA CHARITÉ,
QUI SE FIT TOUT A TOUS,
LOUIS-MARIE GRIGNION DE MONTFORT.
SI TU DEMANDES QUELLE FUT SA VIE?
AUCUNE NE FUT PLUS INNOCENTE ;
SON ZÈLE ? AUCUN NE FUT PLUS ARDENT.
SA PÉNITENCE ? AUCUNE NE FUT PLUS AUSTÈRE ;
SA DÉVOTION ENVERS MARIE ?
PERSONNE NE RESSEMBLA MIEUX A SAINT BERNARD.
PRÊTRE DE J.-C, IL RETRAÇA .I.-C. PAR SA VIE;
PARTOUT IL LE PRÊCHA PAR SA PAROLE ;
INFATIGABLE, IL NE S'ARRÊTA QUE DANS LA TOMBE.
IL FUT LE PÈRE DES PAUVRES,
LE PROTECTEUR DES ORPHELINS ;
IL RÉCONCILIA LES PÉCHEURS ;
SA MORT GLORIEUSE RESSEMBLA A SA VIE ;
COMME IL AVAIT VÉCU,
IL CESSA DE VIVRE.
MUR POUR DIEU,
IL S'ENVOLA AU CIEL ;
IL MOURUT LE 28 DU MOIS D'AVRIL,
L'AN 1716 DE NOTRE-SEIGNEUR,
ÂGÉ DE 43 ANS.
On attribue cette épitaphe à M. Blain.
M. Barin, vicaire général de Nantes, envoya une plaque de cuivre qui fut appliquée à la muraille, au-dessus du tombeau :
Ici repose le corps de M. Louis Grignion de Montfort, excellent missionnaire, dont la vie a été très innocente, dont la piété a été admirable, dont les discours, remplis de la grâce du Saint-Esprit, ont converti un nombre infini d'hérétiques et de pécheurs, dont le zèle pour l'honneur de la très sainte Vierge et l'établissement du saint Rosaire a persévéré jusqu'au dernier jour de sa vie.
CHAPITRE XX
Miracles du Bienheureux.
Pour être saint, il faut deux choses : une vie sainte et une sainte mort. Or il n'y a que Dieu qui sache ces deux choses d'une manière certaine.
Les vertus extérieures ont été pratiquées d'une manière héroïque, mais les motifs qui les animaient, étaient-ils surnaturels? N'ont-ils pas été gâtés, viciés par l'orgueil, l'amour-propre, la cupidité ?
Nul homme, dit la sainte Ecriture, ne sait s'il est digne d'amour ou de haine, à plus forte raison, nul témoin, si prévoyant qu'il soit, ne peut l'affirmer d'un autre.
Et quand la vie aurait été bonne et sainte, pourrait-on en dire autant de la mort?
La mort, c'est un mystère plein d'espérance, mais c'est aussi un mystère plein d'incertitude.
Un jour nous serons tous étendus sur notre lit de mort : nous presserons notre crucifix sur nos lèvres mourantes ; et quand nos mains défaillantes ne pourront plus le retenir, un pieux prêtre l'approchera de nos lèvres.
Nos yeux noyés dans la mort le verront encore, et une voix semblera s'échapper du crucifix, et nous dire : « Aujourd'hui, vous serez avec moi dans le ciel ! » Oui, la mort est un mystère plein d'espérance !
Mais c'est aussi un mystère plein d'incertitude !
Qui pourrait dire ce qui se passe en nous à cette dernière heure ? Le démon redouble de fureur; il multiplie ses attaques; l'âme, dans cette lutte suprême, ne peut-elle pas défaillir ? ne peut-elle pas s'éloigner de Dieu, et, par suite, perdre tout le fruit d'une vie sainte ?
Personne ici-bas ne peut dire d'une âme : elle est sauvée ! Il n'y a que Dieu qui puisse le dire. C'est pourquoi l'Eglise réclame toujours son témoignage pour affirmer la sainteté de la vie et la sainteté de la mort.
Mais ce témoignage, comment se manifestera-t-il? Par le miracle, que Dieu seul peut opérer.
Il n'appartient qu'à Dieu, dit saint Thomas, de faire des miracles proprement dits. Quel que soit le pouvoir des bons et des mauvais anges, il ne va pas jusque-là.
L'Eglise applique aux vertus de ses enfants le contrôle que le Sauveur appliquait aux siennes pendant qu'il était sur la terre ; « Si vous ne croyez pas à ma parole, » disait-il, « croyez à mes œuvres. » Ces œuvres, c'étaient ses miracles.
Les miracles opérés pendant la vie du Bienheureux prouvent que sa vie a été sainte.
Les miracles opérés après sa mort prouvent que sa mort a été semblable à sa vie.
Un grand nombre de miracles ont été attribués à notre Bienheureux pendant sa vie et après sa mort.
Nous avons fait connaître, dans le cours de ce récit, quelques-uns de ceux qu'il a opérés pendant sa vie; nous allons rappeler maintenant quelques-uns de ceux qu'il a opérés après sa mort.
Les Annales de Saint-Laurent n'ont recueilli qu'une partie de ces faits miraculeux, et pourtant elles n'en contiennent pas moins de cinq cents.
Quatre miracles attestés par des témoins oculaires sont nécessaires pour la béatification.
Le Postulateur de la cause en présenta un grand nombre, et, la Sacrée Congrégation des Rites, procédant d'abord par voie d'élimination, pour abréger le travail, en choisit douze qu'elle examina attentivement, puis six, et s'arrêta enfin aux quatre suivants que Léon XIII, par un décret solennel du 21 février 1886, a déclaré tenir pour certains :
1° La guérison instantanée et complète, en la personne de Reine Malle, d'une coxalgie avec luxation spontanée de la jambe droite ;
2° La guérison instantanée et complète, en la personne de la sœur Saint-Lin, fille de la Sagesse, d'une maladie chronique de la moelle épinière ;
3° La guérison instantanée et complète, en la personne de la sœur Saint-Gabriel, d'une phtisie pulmonaire jointe à un kyste abdominal et à une maladie de cœur ;
4° La guérison instantanée et complète, en la personne de la sœur Emmanuel, d'une hémiplégie de l'épine dorsale.
Les faits suivants ont été rapportés par ses historiens, mais n'ont pas été examinés par l'Eglise.
Idiotisme. — Mutisme. — Cécité. — Épilepsie.
En 1835, à Saint-Servan (Ille-et-Vilaine), Élise Mignon était complètement idiote. Sa mère la voua au Père Montfort et lui passa au cou un cordon qui avait touché le tombeau du Bienheureux. Aussitôt sa langue se délia, et son idiotisme disparut.
En 1752, une jeune fille de Saint-Hilaire, près Mortagne, Marie Greslard, fut guérie miraculeusement du mutisme. A l'âge de huit ans, par suite de la petite vérole, sa langue tomba en pourriture, et fut détruite jusqu'à la racine par la pierre infernale. Elle ne pouvait articuler aucune parole. Après une neuvaine, faite au tombeau du Père Montfort, elle fut entièrement guérie.
Cet événement fit beaucoup de bruit à cette époque.
Jeanne Alenneau, demeurant à Poitiers, était aveugle depuis longtemps. Tous les médecins en renom avaient été consultés ; tous les remèdes prescrits avaient été employés ; tout fut inutile. On fit une neuvaine au Père Montfort. Pendant neuf jours on appliqua sur les yeux de la malade un objet qui avait appartenu au Bienheureux. A la fin de la neuvaine la malade avait recouvré la vue.
Rose Soulard, de Saint-Malô, diocèse de Luçon, avait eu plus de vingt attaques d'épilepsie depuis un an. Elle fit une neuvaine au Père Montfort pour recouvrer la santé. La maladie disparut complètement.
Monique-Chantal Morin, âgée de 25 ans, était à l'hôpital de Poitiers, comme épileptique, depuis dix-sept ans. Elle fit deux neuvaines au Père Montfort pour obtenir sa guérison. Après la deuxième elle fut entièrement guérie.
Judith Brunet, aveugle depuis six ans, a recouvré la vue après une neuvaine en l'honneur du Père Montfort.
Anne Martin, de Saint-Hilaire des Bois, avait une gastrite gangreneuse, avec un squirre à l'estomac. Les remèdes les plus énergiques ne purent arrêter les progrès de la maladie. Tout espoir de guérison était perdu. Elle fit une neuvaine au Père Montfort pour demander sa guérison. Pendant la neuvaine elle fut radicalement guérie.
En 1850, Mgr Angebault, évoque d'Angers, avait une maladie très grave. Malgré les soins dévoués de quatre médecins habiles, son état devenait de plus en plus alarmant. Il fit une neuvaine au Bienheureux Montfort. Il était guéri avant la fin de la neuvaine.
En 1853, Mme Thebaut, d'Angers, fut guérie de la même manière par l'intercession du Père Montfort.
En 1883, une religieuse de l'Union chrétienne, sœur Saint-François d'Assise, avait une plaie affreuse à la jambe. Déjà la gangrène commençait à s'y mettre, quand elle mit dessus un linge qui avait touché le tombeau du Bienheureux. Elle fit une neuvaine de prières. Le deuxième jour de la neuvaine elle ne ressentit plus aucune douleur; elle enleva le linge; elle était entièrement guérie.
En 1842, Joséphine Légué, de la Tour-Landry, était toute paralysée. Les médecins ne purent lui procurer aucun soulagement. On fit une neuvaine au Père Montfort : à la fin de la neuvaine elle était entièrement guérie.
En 1850, M. Guibert, de Pouzauges, avait une paralysie de la moelle épinière. Elle fut complètement et instantanément guérie par l'intercession de Montfort.
M. l'abbé Perché avait une fièvre violente et continue qui ne lui laissait de repos ni le jour ni la nuit. Aucun remède n'avait pu faire cesser cette fièvre. Il mit sur lui un linge qui avait touché le tombeau du Bienheureux. Le lendemain, il était guéri.
M. l'abbé Perché devint plus tard archevêque de la Nouvelle-Orléans.
Une jeune fille de 22 ans, Adélaïde Bouniol, de Fleurac, était depuis seize mois à l'hôpital Saint-Louis de la Rochelle, pour cause de folie. Sa mère fit une neuvaine pour obtenir sa guérison. A la fin de la neuvaine elle était guérie.
CHAPITRE XXI
Béatification de Montfort. — Fêtes qui ont lieu à cette occasion.
Quand saint Jean de la Grille, au retour des contrées lointaines où il avait été exilé pour la justice, après avoir rendu compte au pape Eugène III de ses luttes et de ses travaux, rentra enfin sur le sol de sa patrie, l'Eglise de Saint-Malo se leva dans un saint enthousiasme pour accueillir son Évêque.
Saint Jean, en effet, lui apportait une nouvelle expansion de vie surnaturelle, une nouvelle efflorescence de prodiges et de vertus.
A sept siècles d'intervalle, un même ébranlement va non seulement se communiquer à l'ancien diocèse de Saint-Malo, mais à la région de l'Ouest tout entière, la Bretagne et la Vendée.
Depuis longtemps, nos cœurs attendaient ce jour béni, notre piété s'efforçait d'en hâter la venue par les plus ardentes prières.
Enfin nos vœux sont comblés. Léon XIII, couronnant l'œuvre commencée par Grégoire XVI et continuée par Pie IX, du consentement unanime des cardinaux, membres de la Congrégation des Rites, a terminé de longs et sérieux examens, et par un décret solennel, admet Montfort à l'honneur incomparable des autels et permet d'exposer ses reliques sacrées au culte public des fidèles.
La journée du 22 janvier 1888 restera une date bénie, non seulement pour la famille spirituelle dont le Bienheureux est le fondateur, mais aussi pour tous les diocèses de l'Ouest où sa parole apostolique et ses héroïques vertus ont laissé des souvenirs si durables, et des traces si fécondes !
Aussi partout des fêtes se préparent pour donner une manifestation solennelle à la joie qui déborde des cœurs.
Rome, la première, a voulu consacrer la gloire de notre nouveau protecteur. Dans le premier Triduum célébré en son honneur, dans notre église nationale de Saint-Louis des Français, elle a déjà déployé les pieuses magnificences dont elle a le secret.
La Vendée a splendidement inauguré en France le culte du Bienheureux.
C'est autour de son tombeau, dans ce bourg de Saint-Laurent, devenu comme la ville sainte de la Vendée, depuis qu'il a reçu en dépôt les restes sacrés du Bienheureux, que la Vendée et la Bretagne s'étaient donné rendez-vous pour honorer, pour fêter et pour prier leur nouveau et puissant protecteur.
La Vendée a justifié une fois de plus son titre de fidèle que lui a donné l'admiration universelle.
Quel beau spectacle nous a donné les 4, 5, 6 juin, Saint-Laurent!... Jamais, disait l'illustre cardinal de Rennes, je n'ai rien vu de plus beau!...
Un cardinal et quatorze évêques!... des abbés mitres, des prélats, des supérieurs généraux de congrégations, des dignitaires ecclésiastiques de, tout rang, des religieux de tous ordres, quinze cents prêtres!... les sénateurs et les députés de la Vendée, et près de quatre-vingt mille pèlerins!...
De toutes les poitrines s'échappe ce cri de foi, cette prière ardente :
Priez pour nous, Bienheureux Montfort!... Partout retentissent ces accents enflammés :
De nos aïeux, ces chrétiens nos modèles,
Tu fus l'apôtre, ô bienheureux Montfort.
Rends-nous, comme eux, chrétiens fidèles
Jusqu'à la mort!...
Ces fêtes ont duré trois jours. Et ces trois jours ont été trois grandes journées de foi!...
Les Vendéens ont fait leur devoir; c'est à nous, Bretons, à faire maintenant le nôtre!...
La Vendée nous a donné rendez-vous au tombeau du Bienheureux pour honorer, pour prier son apôtre.
La Bretagne, à son tour, nous convoque tous, le 10, le 11 et le 12 août, autour de son berceau, pour fêter, pour prier le plus illustre de ses enfants.
Puisse cet acte de foi appeler sur nous de nouvelles effusions de grâces et de bénédictions.
O Bienheureux Montfort, priez pour l'Église! Nous sommes arrivés à l'un de ces temps malheureux, annoncés par le prophète, où l'homme croit pouvoir se passer de Dieu, et refaire l'œuvre de sa divinité. Priez pour l'Église, afin que Dieu abrège ses épreuves; priez pour le souverain Pontife, ce glorieux prisonnier du Vatican!
Priez pour la France! qu'elle garde sa foi, qu'elle porte toujours avec honneur son titre de fille aînée de l'Église! qu'elle reste fidèle à sa vocation et aux glorieuses traditions de ses ancêtres!
Bienheureux apôtre de notre diocèse, jetez un regard favorable sur cette vigne chérie que vous avez cultivée de vos mains et fécondée de vos sueurs!... intercédez pour cette jeunesse de notre temps que l'impiété cherche à nous ravir ; obtenez-lui de demeurer ferme dans la croyance de ses pères afin de devenir l'espoir de la patrie au lieu d'en devenir l'opprobre !...
Bienheureux Montfort, priez pour votre ville natale; priez pour les familles de cette paroisse, qui fut la vôtre. Qu'elles prospèrent sous les bénédictions du ciel! Éloignez d'elles les maladies, les fléaux, les malheurs.
Priez pour les pères et les mères ; obtenez-leur force et courage pour accomplir leurs devoirs dans toute leur étendue; pour élever leurs enfants dans la crainte et l'amour de Dieu.
Priez pour les enfants; qu'ils grandissent dans la piété et dans la vertu; qu'ils soient la joie et le bonheur de leurs pères et de leurs mères!
Priez pour les âmes pieuses de cette paroisse que l'on trouve toujours quand il y a du bien à faire!
O saint Missionnaire, vous qui avez travaillé toute votre vie au salut des âmes, priez pour les pauvres pécheurs !
Enfin soyez notre protecteur, notre guide, notre modèle!
O Montfort, accueille la prière
Que nos cœurs répandent en ce lieu ;
Nous voulons comme toi, sur la terre,
Nous voulons vivre et mourir pour Dieu.
TABLE DES MATIÈRES
PAGES
Préface I
Chapitre Premier
— Ville de Montfort au xviie siècle. — Naissance de Louis Grignion. — Sa famille. 1
— Son éducation première par sa mère 6
Chapitre II
— Louis fait ses études à Rennes. — Ses talents. — Ses vertus 12
— Ses vacances au Bois-Marquet 20
Chapitre III
— Sa vocation. — Il part pour Saint-Sulpice. 25
— Pension de M. de la Barmondière. — Montfort y passe deux ans 30
Chapitre IV
St-Sulpice.
— Ses vertus. — Son zèle. — Ses austérités. — Ses épreuves. — Emplois qui lui sont confiés 35
— Son travail. — Ses succès. — Son ordination. 47
Chapitre V
Cantiques 51
Chapitre VI
I. — Il entre chez les Missionnaires de Saint-Clément à Nantes 63
II. — Il devient aumônier de l'hôpital général de Poitiers. 65
Chapitre VII
— Voyage à Rome. 74
— Son retour de Rome 77
Chapitre VIII
— Son séjour à Rennes, à Saint-Lazare. 80
— Missions de Dinan. 83
Chapitre IX
— Missions de Saint-Brieuc, La Chèze, Moncontour. 87
— Saint-Lazare. — Missions de Montfort, de Bréal, Romillé. 91
Chapitre X
I. — Montfort à Nantes. — Son talent de Missionnaire. 100
II. — Missions de Saint-Similien, Vallet, La Chevrolière, Vertou, Saint-Fiacre, Cambon, Croissac, Pontchâteau . 104
Chapitre XI
— Calvaire de Pontchâteau. 115
— Soumission de Montfort. — Sa conformité à la volonté de Dieu. — Sa charité. — Son dévouement 122
Chapitre XII
I. — La Croix. — Amour du Bienheureux pour la Croix. 130
Chapitre XIII
I. — La Rochelle. — Ses missions. 136
II. — Missions de l'Ile-Dieu, de la Salertaine et de Saint-Christophe. 142
Chapitre XIV
I. — Retraite à l'hôpital de la Rochelle. — Conversion de Mlle de Pagé. — Ermitage de Saint-Éloy. 147
II. — Missions de Thoiré, Vivien, Esnandes, Courçon, Séguinière. 150
Chapitre XV
I. — Fondation de ses Congrégations. 154
II. — Mission de Mauzé. — Maladie du Missionnaire. — Exercices de la préparation à la mort. 158
Chapitre XVI
I. — Montfort part pour la Normandie. — Il s'arrête à Roussay, à Nantes, à Rennes. — Lettre aux Amis de la Croix . 163
II. — Mission de Saint-Lô 167
Chapitre XVII
I. — Entrevue de Montfort et de son ami racontée par ce dernier. 170
II. — Départ de Rouen. — Il passe par Nantes et par Rennes. — Retour à la Rochelle. 174
Chapitre XVIII
I. — Missions de Fouras, de l'Ile d'Aix et de Saint-Laurent de la Prée. — Le visage du Bienheureux devient lumineux pendant un sermon. — Missions de Tongon la Ronde, de Saint-Amand 177
II. — Il établit ses œuvres à la Rochelle 183
Chapitre XIX
I. — Missions de Fontenay le Comte, de Vouvant, de Saint-Pompain, de Villiers-en-Plaine. — Pèlerinage de Notre-Dame des Ardilliers. 185
II. — Mission de Saint-Laurent-sur-Sèvre. — Mort du Bienheureux. — Ses funérailles. — Son tombeau. 190
Chapitre XX
Miracles du Bienheureux. 197
Chapitre XXI
Béatification de Montfort, — Fêtes qui ont lieu à cette occasion. 205
Pèlerinage à la chapelle Saint-Joseph
EN L'HONNEUR DU BIENHEUREUX MONTFORT
C'est dans l'emplacement qu'occupe aujourd'hui la chapelle Saint-Joseph que le Bienheureux a été baptisé, confirmé, et qu'il a fait sa première communion.
C'est dans ce lieu qu'il a reçu la naissance spirituelle, qu'il estimait au-dessus de tout le reste; car pour lui la grâce était tout, la nature n'était rien.
Il a résidé et prié dans bien des lieux, mais il n'a été baptisé et confirmé que dans ce lieu seul.
C'est donc dans ce lieu que doit s'établir le Pèlerinage en son honneur.
C'est dans ce lieu que le Ciel déversera des grâces sans nombre en faveur des pèlerins qui viendront y prier.
RENNES, ALPH. LE ROY, IMPRIMEUR BREVETE.
[1]
Ce lac fut écoulé en 1761 et remplacé par de belles prairies que traverse aujourd'hui la ligne du chemin de fer.
[2]
Voici l'extrait de baptême des Registres de la paroisse de Saint-Jean :
Le trente-unième de janvier 1673, est né Louis Grignion, fils de notre honorable Jean-Baptiste Grignion, et de demoiselle Jeanne Robert, sa femme, sieur et dame de la Bacheleraie, nos paroissiens.
Il a été tenu sur les saints fonts du baptême par messire Louis Hubert, sieur de Beauregard, et demoiselle Marie Lemoine, dame de Tressouet.
La cérémonie du baptême a été administrée dans l'église de Saint-Jean par moi soussigné, Pierre Hindré, prêtre, recteur d'icelle et doyen de Montfort.
[3]
La Bacheleraie est le nom d'une propriété que la famille possédait dans la paroisse de Bédée.
La Bacheleraie est située à deux kilomètres de Montfort.
[4]
Mgr Freppel.
[5]
Mgr Freppel.
[6]
Burnichon, S. J.
[7]
Burnichon, S. J.
[8]
Burnichon, S. J.
[9]
Burnichon, S. J.
[10]
La Rochelle.
[11]
De Saint-Malo.