Grandet - FR
DOCUMENTS ET RECHERCHE X
[Joseph GRANDET, P. s.]
LA VIE DE MESSIRE
LOUIS MARIE GRIGNION
DE MONTFORT
Prêtre Missionnaire Apostolique
CENTRE INTERNATIONAL MONTFORTAIN
Édition réalisée à Saint Laurent sur Sèvre
1994
AVANT PROPOS 5
APPROBATION. 9
PRIVILEGE DU ROI 10
OFFRANDE 12
PREFACE 14
LIVRE PREMIER 19
CHAPITRE PREMIER De ses parents, de sa naissance et de ses premières études. 19
CHAPITRE II M. Grignion va à Paris pour étudier en théologie. Il demeure dans une communauté ecclésiastique. Il tombe malade. Vertus qu'il pratique. 22
12/CHAPITRE III Il entre au séminaire de S. Sulpice. Il étudie en théologie. Il fait ses études et des catéchismes avec grand succès. 23
CHAPITRE IV La Providence de Dieu pourvoit aux besoins d'une de ses sœurs. Il la fait religieuse, d'une manière toute particulière. 25
CHAPITRE V Il reçoit les saints ordres. Il est fait prêtre. 26
CHAPITRE VI M. Grignion va à Nantes où il fut employé, pendant quelque temps, à faire des missions. 27
CHAPITRE VII Il exhorte sa sœur à s'abandonner à la divine Providence, et il la dispose à souffrir chrétiennement sa sortie de la communauté de S. Joseph. 29
CHAPITRE VIII M. Grignion passe par Poitiers. On veut l’y arrêter. Il y reste quelques semaines. Bien qu'il y fait. Il en sort pour aller à Paris. 30
CHAPITRE IX M. Grignion va à Paris. Il pourvoit aux besoins de sa sœur. Il la fait religieuse d'une manière admirable. 32
42/CHAPITRE X La sœur de M. Grignion part pour être religieuse à Rambervillers en Lorraine. Elle y fait profession. 35
44/ CHAPITRE XI Il écrit trois lettres à sa sœur: l'une, pour la féliciter du bonheur qu'elle a être entrée en religion, et les deux autres, pour lui marquer en quoi consiste l'esprit et la vocation d'une religieuse du S. Sacrement. 36
CHAPITRE XII Sa sœur tombe malade pendant son noviciat. Il lui écrit pour lui marquer que Dieu veut la purifier, et qu'elle ne se doit pas décourager. 37
51/ CHAPITRE XIII M. Grignion demeure pendant quelque temps à Paris. Il y connaît l'état intérieur d'une religieuse très parfaite, et elle connaît le sien. 38
55/ CHAPITRE XIV Il va demeurer au Mont Valérien et à l'hôpital de la Salpêtrière proche de Paris. 40
LIVRE II 42
CHAPITRE PREMIER Il retourne à Poitiers. L'humiliation qu'il y souffre. 42
CHAPITRE II Il entre à l'hôpital de Poitiers. Détachement qu'il y pratique. Il pourvoit à la nourriture des pauvres et devient leur économe. 43
CHAPITRE III Il se fait infirmier des pauvres malades de l'hôpital. Charité héroïque qu'il pratique à leur égard. 44
67/ CHAPITRE IV Il fait faire beaucoup de réparations nécessaires à la maison et à la chapelle de l'hôpital, et se dispose à donner un règlement aux hospitalières. Commence une congrégation, sous le titre des Filles de la Sagesse. 45
74/ CHAPITRE V M. de Montfort propose le règlement des Filles de la Sagesse à celles de l'hôpital de Poitiers. Elles s'y opposent. Il est obligé d'en sortir. Il est fait directeur des Pénitentes. 48
CHAPITRE VI Il fait des missions dans les paroisses de Montbernage, de Saint Savin, de Saint Saturnin, à Sainte Catherine, avec des succès extraordinaires. Il appelle Frère Mathurin avec lui. 49
CHAPITRE VII Trois événements singuliers arrivent pendant ses missions à Poitiers, qui le font regarder comme un saint. 51
CHAPITRE VIII Il fait de temps en temps des retraites. Il est fort maltraité du démon. 52
CHAPITRE IX Il fait la mission dans l'église des Religieuses du Calvaire de Poitiers. Il y reçoit une humiliante mortification et très sensible. Le saint usage qu'il en fait. 53
CHAPITRE X Il finit sa mission du Calvaire avec une nouvelle humiliation. Il fait résolution d'aller à Rome. 55
LIVRE III 57
CHAPITRE PREMIER Il va à Rome offrir ses services au pape Clément XI. Il obtient une audience de sa Sainteté. Circonstance de son voyage. 57
CHAPITRE II Monsieur Grignion passe par Poitiers. Il est obligé d'en sortir. Il fait une retraite au Mont St Michel. 60
CHAPITRE III Il va à Rennes. Détachement qu'il y fait paraître pour ses parents. 60
CHAPITRE IV Il va de Dinan dans l'évêché de Saint-Malo. Plaisante aventure qu'il lui arrive. Il s'associe avec Monsieur Leudugé pour faire des missions. 61
114/ CHAPITRE V Il passe par Montfort la Cane, son pays natal. Circonstances agréables et édifiantes de son voyage. 63
117/ CHAPITRE VI Il fait faire les exercices de la retraite à des Filles de communauté, après leur avoir fait la correction de leur peu de charité. 64
CHAPITRE VII II va faire la mission à Moncontour et à Montfort. Son détachement pour ses parents. 66
123/ CHAPITRE VIII Il va à Nantes. Il s’unit au Père Joubart, jésuite. Des écoliers lui font insulte. Il fait plusieurs missions dans le diocèse. 67
126/ CHAPITRE IX Monsieur de Montfort est persécuté à Nantes. Des soldats le veulent faire prisonnier, pour avoir détruit un jeu qui était l'occasion de leurs emportements et de leurs blasphèmes. Sa joie au milieu des croix. 68
131/ CHAPITRE X Il fait mission dans la paroisse de la Chèze au diocèse de Nantes. Le curé s’y oppose. On fait d'horribles calomnies contre lui. Sa patience. Il y tombe malade. Il est guéri d'une manière extraordinaire. 69
CHAPITRE XI Il va faire une mission à la paroisse de Cambon. On veut attenter à sa vie. Il est préservé de la mort. Il fait réparer l'église. 73
CHAPITRE XII Il fait une mission à Crossac, paroisse du diocèse de Nantes. Il y fait retrancher l'abus universel qui s'était introduit d'enterrer tous les morts de la paroisse dans l'église. 75
CHAPITRE XIII Mission de Pontchâteau. Il y fait bâtir un Calvaire, qui est détruit par ordre de la Cour. 76
RELATION DU CALVAIRE de PONTCHATEAU 77
167/ CHAPITRE XIV Saint usage que M. de Montfort fait de cette mortification. Il soulage les pauvres de Nantes pendant les grandes eaux, et établit une maison pour les incurables. 83
LIVRE IV 85
CHAPITRE PREMIER Il va faire mission dans le diocèse de Luçon. Un curé le rebute. Il va ensuite à La Rochelle. 85
CHAPITRE II Il va faire mission en la paroisse de l’Houmeau. Il revient à La Rochelle, où il en fait quatre. 86
CHAPITRE III Il fait la mission aux soldats de La Rochelle avec un grand succès. 87
CHAPITRE IV Il plante des croix à la fin de ses missions. Plusieurs personnes témoignent en avoir vu paraître en l'air pendant cette cérémonie. 88
181/ CHAPITRE V On l'attend pour l'assassiner. Il est préservé de la mort d'une manière très particulière. 89
CHAPITRE VI Il appelle M. Vatel prêtre, d'une manière extraordinaire, pour lui aider dans ses missions. 91
CHAPITRE VII Il fait différents établissements à La Rochelle pour l'utilité du prochain. 92
CHAPITRE VIII Il va à l'Ile d’Yeu, diocèse de Luçon. Il s'embarque sur mer. Il est poursuivi par des corsaires, il en est délivré comme par miracle. Il va ensuite à Sallertaine. 94
201/ CHAPITRE IX Il va faire grand nombre de missions dans les diocèses de La Rochelle et de Saintes. Il reçoit une très sensible humiliation dans la paroisse du Vanneau. 96
CHAPITRE X Il va faire un voyage à Paris. Il y fait mission. Il va en l'Ile d'Oléron. Il retourne dans le diocèse de La Rochelle, où il continue ses travaux avec la même bénédiction. 97
207/ CHAPITRE XI Il retourne à La Séguinière. Il va à Mervent. Il délivre une possédée. Il y fait rebâtir l'église. 98
210/ CHAPITRE XII Il va faire mission à Saint Jean de Fontenay. 99
224/ CHAPITRE XIII Il appelle avec lui Monsieur Mulot. Circonstances admirables de sa vocation pour les missions. 105
228/ CHAPITRE XIV Il va faire mission à Vouvant. On lui présente une fille possédée. Fruit qu'il en retire. Il veut se bâtir une solitude dans la forêt. 106
232/ CHAPITRE XV Monsieur de Montfort va à Saint Pompain faire une mission qui produit des fruits admirables. Il y fait faire une procession édifiante de pénitents et les envoie en pèlerinage à Notre Dame de Saumur. 108
236/ CHAPITRE XVI Règlement qu'il donne aux pèlerins, pour observer pendant la route. Fin qu'il leur propose, qui est de demander à Dieu de saints missionnaires. 109
CHAPITRE XVII Projet d'une société de prêtres missionnaires, sous le titre de la Compagnie de Marie. 112
252/ CHAPITRE XVIII Monsieur de Montfort va faire mission à Saint Laurent-sur Sèvre. Il écrit à la supérieure de la maison des invalides à Nantes. Il tombe malade. Il fait son testament. Il meurt. Circonstances de sa mort et de sa sépulture. 116
257/ TESTAMENT de M. de MONTFORT 118
263/ CHAPITRE XIX On exhume le corps de Monsieur de Montfort, et on le trouve sans corruption dix huit mois après sa sépulture. 120
CHAPITRE XX Société de plusieurs prêtres, qui commencent à exécuter le projet de Monsieur de Montfort, sous le titre de la Compagnie de Marie. 122
275/ CHAPITRE XXI Monsieur Le Valois s'associe à messieurs Mulot et Vatel, à l'occasion d'une chose très singulière arrivée sur une image de Monsieur de Montfort. Messieurs Toutan et Guillemot font la même chose. 125
280/ CHAPITRE XXII On fait deux établissements à Saint Laurent sur Sèvre : l'un pour les prêtres de la Compagnie de Marie, et l'autre pour les Filles de la Sagesse. 127
LIVRE V De ses vertus en particulier. 129
CHAPITRE PREMIER De sa foi. 129
CHAPITRE II De sa confiance en Dieu et de son abandon à la divine Providence. 129
CHAPITRE III De son grand amour pour Dieu et de son oraison. 133
301/ CHAPITRE IV De sa conformité à la volonté de Dieu. 135
CHAPITRE V De sa dévotion envers le Saint Sacrement. 137
309/ CHAPITRE VI De son zèle pour la réparation et la décoration des églises. 138
312/ CHAPITRE VII De sa dévotion envers la Sainte Vierge. 139
319/ CHAPITRE VIII De sa dévotion envers les âmes du purgatoire. 142
178 CHAPITRE IX Sa haine implacable contre le péché. 143
328/ CHAPITRE X De son amour pour les croix. 145
341/ CHAPITRE XI De sa vie pénitente. 150
346/ CHAPITRE XII De son amour pour la pauvreté. 152
358/ CHAPITRE XIV De son zèle pour le salut des âmes 157
CHAPITRE XV De son humilité. 160
CHAPITRE XVI De sa patience et de sa douceur. 162
CHAPITRE XVII De son détachement des affaires du monde et de ses parents. 164
INVENTIONS ET MOYENS dont se servait Monsieur de Montfort pour perpétuer les fruits de ses missions. 166
Premier Moyen Etablissement des écoles chrétiennes. 166
385/ Deuxième Moyen Confrérie des pénitents et des vierges. 167
Troisième Moyen Le chant des cantiques. 169
Quatrième Moyen Faire le catéchisme. 170
394/ Cinquième Moyen Le renouvellement des vœux du baptême. 171
Sixième Moyen /398/ L'adoration perpétuelle du Saint Sacrement. 172
Septième moyen La Confrérie du Rosaire 173
401/ Huitième Moyen Association des Amis de la Croix. 173
NeuvièmeMoyen /403/ L'établissement de la Compagnie de Marie, ou du Saint Esprit. 174
Dixième Moyen L'établissement des Filles de la Sagesse. 174
Onzième Moyen Cérémonies des processions générales, et de l'ordre qu'il y gardait. 175
GUERISONS EXTRAORDINAIRES Faites par l'intercession de Monsieur de Montfort. 184
ATTESTATIONS DE MES SEIGNEURS 189
TABLE ONOMASTIQUE 210
TABLE ANALYTIQUE 225
NOTES 231
AVANT PROPOS
Le présent volume est le Xème volume de la collection "Documents et recherches", commencée, à Rome, par le Centre international montfortain, en 1967. Il fait suite à la reproduction authentique du texte original de Grandet,, publié en 1993, comme "IXème volume" de la collection précitée. Dans l'un et l'autre cas, à l'intérieur des textes, est indiquée de façon claire, par le signe // la pagination de l'original, publié en 1724.
Cette publication veut donc être, comme la précédente, une reproduction fidèle de La vie de messire Louis Marie Grignion de Montfort, composée par Joseph Grandet et publiée en 1724, à Nantes, l'année même où son auteur mourait à Angers. Les seules différences sont les suivantes: l'orthographe des mots, ainsi que la ponctuation ont été modernisées. De plus, ont été ajoutés, pour faciliter l'utilisation : un avant propos, quelques notes, un index et une table analytique.
Le texte original a été scrupuleusement respecté, y compris dans certaines formes de style, moins correctes aujourd'hui. En cas de doute sur la déformation de quelque nom propre, on suggère en note la lecture qui paraît la plus vraisemblable.
Qui est Joseph Grandet ?
Joseph Grandet est né à Angers, le 30 juillet 1646. Après ses études littéraires, il part à Paris, en 1669, pour des études théologiques, en Sorbonne. Au début de l'année 1671, il entre au séminaire de Saint-Sulpice. Le 26 juillet, il soutient sa "tentative" avec succès. Simple diacre, il est appelé à travailler au séminaire d’Angers, fondé en 1659 et dirigé par des prêtres diocésains.
Il est ordonné prêtre le 19 mai 1674, mais il tombe malade presque aussitôt et se retire chez sa mère pendant 10 ans. En 1684, il retrouve le séminaire et y restera jusqu'à sa mort, tout en prenant part activement à différentes missions, dont il est souvent l'instigateur, à Angers, Saumur et ailleurs.
En 1685, il est nommé curé de la paroisse Sainte-¬Croix, non loin du séminaire. En 1692, il est nommé supérieur du séminaire et est confirmé dans cette charge, en janvier 1693, par le nouvel évêque, Mgr Michel Le Peletier. Le 19 avril 1695, après 20 ans d'effort, le séminaire d'Angers est officiellement uni au séminaire de Saint-Sulpice et le frère de l'évêque, Mr Maurice Le Peletier, est nommé supérieur. Le Père Joseph Grandet est alors agrégé à la Compagnie de Saint-Sulpice.
Vers 1715, le P. Grandet résigne sa cure en faveur de l'un de ses vicaires. Le Ier décembre 1724, il meurt, à l'âge de 78 ans et 4 mois. Son corps est inhumé dans la chapelle du séminaire de Saint Eloi, qu'il avait fondé.
Le P. Joseph Grandet a beaucoup écrit : 21 manuscrits sont conservés à la bibliothèque de la Ville d'Angers (notés de A à M) ; ou au séminaire d’Angers, (de N à R) ; ou à Saint-Sulpice, (de S à U). Ce sont des Notes, Dissertations, Mémoires, Cahiers, Exhortations...
Chroniqueur de missions à Angers et Saumur (1684), il est à son aise dans les œuvres spirituelles (méthode d'oraison, instructions pour les jeunes ... ). Il ne dédaigne pas l'histoire et l'hagiographie: Vie de Mlle de Meleun ; de Gabriel du Bois de la Ferté ; de Pierre Cresley, prêtre ; de Louis-Marie Grignion de Montfort. Comme pour résumer le tout, P. G. Letourneau, supérieur du séminaire d’Angers, n'hésite pas à lui donner sa place dans "Les saints prêtres français du XVIIème siècle".
La Vie de Messire Louis-Marie Grignion de Montfort
La Vie du P. de Montfort est sans doute la dernière œuvre publiée par Joseph Grandet, quelques mois avant sa mort. Cette "Vie" a donc pu bénéficier de l'expérience vaste et diversifiée d'un homme, déjà bien informé par sa position au séminaire d'Angers et dans la compagnie de Saint-¬Sulpice. De plus, avant d'écrire, il a eu le souci de consulter les amis et collaborateurs du P. de Montfort, ses directeurs spirituels, les documents des évêques de Nantes, de La Rochelle, de Poitiers. Quand il parle des missions, M. des Bastières, collaborateur du P. de Montfort, est très souvent cité. Certains documents, qu'il avait sollicités pour écrire la biographie du missionnaire, sont arrivés, alors qu'il avait déjà rédigé son texte. A la fin de volume, on retrouve ces documents, comme information complémentaire. On ne peut pas ne pas être impressionné par le nombre et la qualité des lettres et des témoignages recueillis : la gouvernante de l'Hôtel Dieu de Poitiers, le P. Préfontaine, l'abbé Barrin, M. Desjonchères, le P. Martinet, M. le Normand, M. Arot, le P. Dubois.
On pourrait reprocher à Grandet d'avoir, tout au long de sa biographie, un préjugé de faveur pour son héros. Entre autres, quand il traite, dans le livre V, des vertus du Serviteur de Dieu, son langage prend un style qui plaît moins à notre temps : foi, confiance en Dieu, dévotion, zèle, haine du péché, amour de la pénitence et de la Croix..., tout est présenté comme pour un procès de béatification, alors que nous sommes à quelques années seulement de la mort du Père de Montfort. Il reste pourtant que les affirmations de l'historien s'appuient ordinairement sur des faits concrets et des témoignages vécus. Au lecteur d'en juger, d'autant plus que certaines attitudes extrêmes du P. de Montfort, racontées objectivement, expliquent d'elles-mêmes les vives réactions de l'entourage.1
Quoiqu'il en soit, la biographie de Grandet demeure irremplaçable et la proximité des événements racontés donne souvent au récit une saveur de chronique vivante que le lecteur d'aujourd'hui ne peut pas ne pas apprécier.
Remerciements
Merci à tous ceux qui ont rendu possibles ces deux éditions de Grandet : Recherches et Documents IX et X. Bien que les introductions et les notes du présent volume soient réduites au minimum, les collaborations se sont heureusement multipliées tout au long du travail : composition sur ordinateur, contrôle des textes, rectification de l'orthographe, tables diverses... Merci au P. Pierre Paul, OMV, à Michel Bertrand, Louis Salaün et Jean Madouas, Montfortains, à Marie Joseph Perrin et Emmanuelle Carta, Filles de la Sagesse... Une fois de plus, notre collaboration fraternelle a permis la réalisation d'une œuvre qui peut servir toute la famille montfortaine,
Marcel Gendrot, smm
LA VIE
DE MESSIRE
LOUIS MARIE
GRIGNION DE
MONTFORT,
Prêtre Missionnaire Apostolique
Composé par un prêtre du clergé.
A NANTES,
Chez N. VERGER, imprimeur du roi,
et de Monseigneur l'évêque.
Grand'rue, au nom de JESUS.
Avec approbation et privilège du roi.
M. DCC. XXIV.
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APPROBATION.
J'ai lu, par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, la vie de feu Messire Louis de Grignion de Montfort, Missionnaire Apostolique. Ce grand Serviteur de Dieu, animé d'un zèle vraiment apostolique, a travaillé avec beaucoup de bénédiction au salut des âmes, dans plusieurs diocèses de ce royaume, et est mort en odeur de sainteté. Sa vie et ses travaux sont un parfait modèle pour tous ceux qui se consacrent à ce divin ministère. A Paris, ce dix septembre mil sept cents vingt trois,
REGERY.
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PRIVILEGE DU ROI
LOUIS, PAR LA GRACE DE DIEU, Roi de FRANCE ET DE NAVARRE, à nos aimés et féaux Conseillers, les Gens tenant nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand Conseil, Prévôt de Paris, Baillis, Sénéchaux, leurs lieutenants civils et autres nos justiciers appartiendra, SALUT : notre bien aimé NICOLAS VERGER, l'un de nos imprimeurs ordinaires et libraire à Nantes, nous ayant fait remontrer qu'il souhaiterait imprimer ou faire imprimer et donner au public, un livre qui a pour titre, La Vie de M. LOUIS GRIGNION DE MONFORT, Missionnaire, s'il nous plaisait lui accorder nos lettres de privilège sur ce nécessaire. A ces causes, voulant traiter favorablement le¬-dit exposant, nous lui avons permis et permettons, par ces présentes, de faire imprimer le dit livre, en tels volumes, forme, marge, caractère, conjointement, ou séparément, et autant de fois que bon lui semblera, et de le vendre, faire vendre et débiter par tout notre royaume, pendant le temps de dix années consécutives, à compter de la date des dites présentes. Faisons défenses à toutes sortes de personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, d'en introduire d'impression étrangère dans aucun lieu de notre obéissance ; comme aussi à tous libraires, imprimeurs et autres, d'imprimer, vendre, faire vendre, débiter, ni contrefaire le dit livre, en tout ni en particulier, ni d'en faire aucun extrait, sous quelque prétexte que ce soit, d'augmentation, correction, changement de titre ou autrement, sans la permission expresse, et par écrit du dit exposant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de confiscation des exemplaires contrefaits, de quinze cents livres d'amende contre chacun des contrevenants, dont un tiers à nous, un tiers à l'Hôtel-Dieu de Paris, l'autre tiers au dit exposant, et de tous dépens, dommages et intérêts ; à la charge que ces présentes seront enregistrées, tout au long, sur le registre de la communauté des libraires et imprimeurs de Paris et ce dans trois mois de la date
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d'icelle. Que l'impression du dit livre sera faite dans notre royaume et non ailleurs, en bon papier et en beaux caractères, conformément aux règlements de la librairie. Et, qu'avant que de l'exposer en vente, le manuscrit ou imprimé, qui aura servi de copie à l'impression du dit livre, sera remis dans le même état où l'approbation y aura été donnée, es mains de notre très cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le sieur Fleuriau Darmenonville ; et qu'il en sera ensuite remis deux exemplaires dans notre bibliothèque publique, un dans notre château du Louvre, et un dans celle de notre dit très cher féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le sieur Fleuriau Darmenonville, le tout à peine de nullité des présentes, du contenu desquelles vous mandons et enjoignons de faire jouir l'exposant ou ses ayant, cause, pleinement et paisiblement, sans souffrir qu'il leur soit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que la copie des-¬dites présentes qui sera imprimée tout au long, au commencement ou à la fin du dit livre, soit tenue pour dûment signifiée, et qu'aux copies collationnées par l'un de nos aimés et féaux Conseillers et Secrétaires, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier, notre Huissier ou Sergent, de faire pour l'exécution d'icelles, tous actes requis et nécessaires, sans demander autre permission et nonobstant clameur de Haro, Chartre Normande et Lettre à ce contraire. Car tel est notre plaisir. Donné à Paris le vingt-troisième jour du mois de septembre, l'an de grâce mil sept cents vingt trois, et de notre règne, le neuvième. Par le Roi en son Conseil.
DE SAINT HILAIRE.
Registré sur le registre V de la communauté des libraires et imprimeurs de Paris, page 354, N.° 649, conformément aux Règlements et notamment à l'arrêt du Conseil du 13 Août 1703. A Paris le 28 Septembre 1723. BALLARD. Syndic.
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OFFRANDE
Et prière à JESUS CHRIST,
le Souverain Prêtre et
le Pasteur de nos âmes.
Il n'y a personne, ô mon Jésus, à qui je doive plutôt qu'à Vous, dédier la vie d'un saint prêtre, et d'un zélé missionnaire : parce que vous êtes tout ensemble le Souverain Prêtre et le céleste Missionnaire que votre Divin Père a envoyé du ciel en terre pour procurer sa gloire, et pour sanctifier les pécheurs. Mais si votre élection, votre vocation, et votre mission ont été le principe de /Il/celles de tous les bons prêtres et de tous les missionnaires apostoliques, elles en ont aussi été le modèle et la fin. Comme vous, ils ont été choisis de toute éternité pour travailler à la gloire de Dieu. In gloriam meam creavi eum, non vos me elegistis sed ego elegi vos. Comme vous; ils ont été appelés au sacerdoce pour offrir, avec vous et par vous, le sacrifice adorable de votre Corps et de votre Sang. Vocavit ad se quos voluit. Comme vous enfin, ils ont été envoyés dans lEglise pour être vos vicaires, vos lieutenants et vos coadjuteurs dans la grande. affaire du salut des hommes. sicut misit me vivens Pater ita et ego mitto vos.
Le prêtre, (mon Jésus), dont je donne la vie au public, /III/ en vous la consacrant, m'a paru avoir les caractères de votre élection, de votre vocation et de votre mission, car on peut dire qu'il a été prédestiné de toute éternité pour être un saint ecclésiastique. Qu'il a été appelé au sacerdoce, sans que la chair et le sang y aient eu de part, puisque la seule obéissance qu'il a rendue à ses supérieurs, l'a fait engager dans ce sacré ministère, et qu'il a été envoyé dans
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plusieurs diocèses par l'ordre des évêques, en votre Nom, pour travailler à la sanctification de leurs peuples. Et, vous avez répandu des grâces et des bénédictions si abondantes sur ses travaux qu'il n'y a pas lieu de douter que vous n'en ayez été le principe et la fin. Mais votre vie a aussi été le modèle de la sienne, car s'il a été calomnié, /IV/ humilié et persécuté, il ne vous a été en cela que plus semblable. Et il y a apparence que vous avez donné ce S. prêtre dans ces derniers temps où règnent le luxe, la vanité et les plaisirs, comme un exemple rare à votre Eglise, d'une vie pauvre, humble, mortifiée et crucifiée afin d'engager les ecclésiastiques, qui vivent dans le monde, à fuir comme lui, la vie lâche, molle, inutile, oisive et intéressée, qui est seule capable de les perdre, (sans être coupables des plus grands crimes), suivant cette parole de votre évangile, qui condamne celui qui a reçu des talents sans les faire valoir, et qui envoie le serviteur inutile aux ténèbres extérieures. Faites, divin Jésus, que cette grâce abondante que vous avez répandue sur la conduite et sur les discours /V/ de M. de Montfort pendant qu'il était en vie, soit encore répandue sur le récit de ses actions après sa mort, et que ceux qui la liront soient enflammés du désir de travailler, comme lui, au salut des âmes qui périssent faute d'ouvriers et de trouver quelqu'un qui les jette dans la piscine probatique. Faites que ce missionnaire leur parle du fond de son tombeau, et qu'il leur dise comme ce bon père de famille : Quid hic statis tota die otiosi.
Faites, mon divin Sauveur, que M. de Monfort fasse après sa mort ce qu'il n'a pu faire pendant sa vie. Qu'il aille, suivant le désir qu'il en a eu, par tout l'univers, pour prêcher aux peuples la connaissance et l'amour de Dieu Seul, la haine du péché, le détachement du monde et de ses vains plaisirs, le mépris des /VI/ honneurs et des richesses, l'obligation de faire pénitence, de renoncer à soi-¬même et de porter tous les jours ses croix secrètes et publiques, ainsi qu'il a fait les siennes. Amen, amen. Fiat, fat. C'est la grâce que vous demande l'auteur de sa vie, pour lui et pour ses lecteurs.
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PREFACE
/VII/ La conduite de M. Grignion de Montfort a paru si extraordinaire, pendant qu'il a vécu, que les impies l'ont voulu faire passer pour diabolique, l'appelant sorcier, antéchrist, et possédé. Les mondains l'ont estimée extravagante, et les gens de bien l'ont tout au moins crue singulière et hétéroclite : ainsi, j'ai lieu de craindre que sa vie, que j'entreprends d'écrire, n'ait le même sort après sa mort. Je dois m'attendre que ceux qui prendront la peine de la lire, seront surpris, même indignés de voir un homme qui marche la tête nue pendant les hivers, dans les temps de pluie, et même dans les plus grandes chaleurs de l'été, qui porte dans ses voyages un /VIII/ crucifix au bout d'un bâton, qui se met à genoux dans les maisons où il entre et y dit l'oraison, Visita quaesumus super hanc familiam ; les esprits forts ne pourront souffrir qu'il se jette aux pieds de son domestique lorsqu'il croit avoir commis quelque faute, et qu'il l'oblige à le fouler aux pieds, et à le traiter comme le plus grand des scélérats. Les prudents du siècle désapprouveront sans doute qu'un missionnaire fasse tous ses voyages à pied, sans argent, sans crédit, sans amis ; qu'il soit souvent obligé de coucher dans des granges, dans des étables avec les animaux, ou sous les vestibules des églises. Qu'il engage des prêtres zélés à travailler avec lui sans savoir où ils doivent loger la première nuit, ni où prendre le lendemain le premier repas. Les gens qui se laissent conduire par les sentiments de la nature ne pourront /IX/ goûter qu'il ne veuille pas aller loger ni manger chez ses parents, ni même les visiter lorsqu'il est dans le lieu de sa naissance. Les sensuels seront rebutés de ce qu'il cherche les croix, la pauvreté et les humiliations avec autant d'empressement, et qu'il les reçoive avec autant de joie que les superbes, les avares et les voluptueux recherchent les honneurs, les plaisirs et les richesses. Les sages du siècle trouveront à redire de ce qu'il se charge des fardeaux des pauvres qu'il rencontre en son chemin, qu'il les mette sur ses épaules pour les soulager, qu'il boive,
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mange et loge avec eux. En un mot, qu'il fasse grand nombre d'autres actions qui paraissent ridicules et extravagantes. Bien plus, les dévots et les personnes de piété perdront peut-être toute l'estime et la bonne opinion que nous tâchons de leur inspirer de /X/ sa sainteté, lorsqu'ils apprendront que plusieurs grands évêques qui l'avaient appelé dans leurs diocèses, pour prêcher l'évangile à leurs peuples, l'ont interdit, et que d'autres n'ont pas voulu le recevoir dans les leurs, à cause de ses prétendues indiscrétions, et des bruits désavantageux que le monde faisait courir contre sa conduite.
Il semble donc d'abord, par toutes les choses que nous venons de rapporter ici, qu'il aurait été plus à propos de supprimer une vie aussi extraordinaire que de la donner au public qui, tout au plus, la doit trouver plus admirable qu'imitable.
Mais deux raisons principales nous ont obligé de rapporter des actions de M. de Montfort, toutes extravagantes qu'elles paraissent aux yeux des hommes.
La première pour justifier Dieu, (s'il m'est permis de parler de la /XI/ sorte), dans la conduite qu'il tient à l'égard de plusieurs saints qu'il s'est choisis, pour combattre la fausse sagesse des mondains par la folie apparente de son évangile.
La seconde, pour justifier ce saint homme lui-même, qui n'a fait que suivre, en ce qu'il a fait et souffert, que l'exemple de plusieurs saints et les impressions de la grâce qui l'a porté à mener une vie aussi extraordinaire que la sienne.
Que Dieu se choisit dans tous les temps, de l'ancien et du nouveau Testament, des hommes admirables à qui il a inspiré des choses qui ont paru de véritables extravagances aux yeux des mondains pour combattre leurs maximes, on n'en peut pas douter. Car, il commanda
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autrefois à Jérémie, a de faire forger des chaînes et de les attacher à son cou, /XII/ et d'aller ensuite trouver plusieurs rois d’Edom et de Moab de sa part pour les reprendre de leurs crimes. Il donna ordre au prophète Isaïe de se dépouiller de ses habits, d’ôter les souliers de ses pieds, de marcher ainsi dans la ville de Jérusalem, pour annoncer aux peuples des vérités effrayantes, et les porter à faire pénitence. Fecit sic vadens nudus, et discalceatus. Isa. cap. 20. v. 2.
JESUS CHRIST lui-même, la Sagesse Incarnée, n'a-¬t-il pas fait plusieurs actions qui l'ont fait passer pour insensé et pour furieux dans l'opinion des juifs Demonium habet et insanit, disaient ils, versus est in furorem. Marc. 3. 21. Et ils se moquaient de lui avec le dernier mépris, et deridebant eum. Math. 4. 24. Hérode même, ce sage du siècle, le traita de /XIII/ la sorte avec toute son armée, parce que cet aimable Sauveur n'avait pas voulu répondre aux questions curieuses qu'il lui faisait, et qu'il gardait le silence devant lui, lequel ce roi prit pour une véritable stupidité, Sprevit autem illum Herodes cum exercitu suo et illusit indutum veste albâ. Lucae c. 23. V. II.
Jamais les apôtres ne furent plus sages que lorsqu'ils eurent reçu le S. Esprit, le jour de la Pentecôte, et jamais ils ne parurent plus insensés. Et, parce qu'ils parlaient toutes sortes de langues, avec des transports extraordinaires de l'amour de Dieu, les Juifs et la plupart de ceux qui les écoutaient et les voyaient, les prirent pour des fous et des gens pleins de vin et se moquaient d'eux, Alii autem irridentes dicebant, quia musto pleni sunt isti. Act. cap 2. V. 13.
Nous lisons dans l'histoire des IXIVI Sts que S. Simon passa toute sa vie pour insensé ; que S. Philippe de
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Néri et S. Félix de Cantalice faisaient, au milieu de la ville de Rome, des choses cent fois plus ridicules que n'en a fait M. de Monfort. S. Martin, au rapport de Sulpice Sévère, tout inspiré de Dieu qu'il était, passait pour extravagant parce qu'il avait presque toujours les yeux tournés en haut pour regarder le ciel.
Il faut avouer que les voies de Dieu sur ses saints sont bien différentes de celles des hommes ordinaires. Il conduit les uns sur la terre, dans les déserts, comme S. Antoine. Il enlève les autres dans les airs, comme Elie, dans un chariot de feu par des routes inaccessibles. Il donne à ceux-¬ci son Esprit par poids, par nombre et par mesure, et il le communique à ceux-là avec une telle abondance et une si grande /XV/ impétuosité, que n'en pouvant supporter la plénitude, qui est au-dessus de leurs forces naturelles, ils sont obligés de faire des choses si extraordinaires, comme pour se décharger et se soulager, que les hommes qui les voient ne les peuvent comprendre. L’Esprit Saint, selon l'expression des prophètes, se jette sur eux avec tant de violence et de force et il les transporte si fort hors d'eux-¬mêmes, qu'ils paraissent, aux personnes du commun, des hommes d'une nouvelle espèce, et ils ne les prennent plus pour des gens raisonnables, tant leur état est sublime et divin, Irruit in eum Spiritus Domini. Judic. 14. 6. Insiliit super eum Spiritus Domini. Regum 10. 10. En un mot, ils sont à peu près comme S. Paul, qui dit qu'il était devenu insensé pour l'amour de Jésus-Christ, Nos stulti propter Christum, Corinth. C. 4. 10. /XVI/ Ayant embrassé sa croix, qui a fait le scandale des Juifs, Judaeis scandalum, et qui a passé pour folie dans l'esprit des Gentils, Gentibus stultitia, il ne faut donc pas s'étonner si ces hommes apostoliques que Dieu, selon S. Paul, suscite de temps en temps dans son Eglise pour confondre la sagesse des sages, Quae stulta sunt mundi elegit Deus ut confundat sapientesa, sont quelquefois estimés extravagants et ridicules par les gens du monde. Le même apôtre n'a t il
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pas dit que Dieu n'ayant pas été connu des idolâtres, par les ouvrages de sa Sagesse qui sont le ciel et la terre, il a voulu se faire adorer par la folie de la croix de son Fils et par les ignominies de sa Passion.
En voilà ce me semble assez pour justifier Dieu. Il ne s'agit plus que de justifier M. de Montfort son serviteur. Quatre choses font son apologie, /XVII/ de manière à ne pouvoir douter que la conduite qu'il a tenue dans ses missions, ne lui ait été inspirée de Dieu.
La première est, que toutes celles qu'il a faites en sept ou huit diocèses, pendant plus de dix ans, ont été suivies d'une infinité de conversions et de l'applaudissement universel de tous les gens de bien.
La seconde est, que les évêques qui avaient jugé à propos de l'interdire dans leurs diocèses, sur les plaintes qu'on leur faisait de plusieurs indiscrétions dont on prétendait qu'il était coupable, ont été les premiers à faire son éloge, et à donner des certificats très avantageux de sa conduite après sa mort, que nous rapporterons à la fin de cette vie. Et ce sont eux-mêmes qui nous ont fait l'honneur de nous écrire pour nous engager de l'entreprendre.
La troisième chose qui justifie M. /XVIII/ de Monfort, sont tous les établissements qu'il a faits pour perpétuer les fruits de ses missions : établissements si sages et si sensés, qu'il leur a, avec raison, fait porter le nom de la Sagesse, et ils subsistent encore avec bénédiction en plusieurs provinces.
Le quatrième, est que Dieu semble Lui-même faire, l'apologie de son serviteur et le mieux justifier que ne pourraient jamais faire les hommes, par une infinité de miracles qui S'opèrent journellement à son tombeau, depuis six ans. Surtout par l'incorruption de son corps qu'on a trouvé entier, et sans aucune mauvaise odeur, dix-huit mois après sa sépulture.
Il ne nous reste donc plus qu'à assurer le lecteur que les faits contenus dans cette vie sont appuyés sur les témoignages des missionnaires qui ont eu le bonheur de
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travailler avec lui, surtout de M. des Bastières /XIX/ et de MM. Vatel et Mulot, qui l'ont accompagné dans ses missions ; et sur les certificats qui nous ont été envoyés de Paris, de Poitiers, de Nantes, de La Rochelle, etc. par des personnes d'un très grand mérite et très dignes de foi, dont nous donnerons plusieurs lettres au public à la fin de cet ouvrage.
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LA VIE
DE MESSIRE
LOUIS MARIE
GRIGNION
DE MONTFORT,
Missionnaire Apostolique.
LIVRE PREMIER
CHAPITRE PREMIER De ses parents, de sa naissance et de ses premières études.
Louis Grignion était fils de noble homme Jean-Baptiste Grignion, sieur de la Bacheleraye, avocat au bailliage de Montfort la Cane, diocèse de S. Malo en Bretagne, et de Jeanne Robert. Il naquit au /2/ mois de janvier de l'année 1673, et fut baptisé dans l'église de S. Jean de Montfort. On lui donna le nom de Louis, auquel il fit ajouter celui de Marie lorsqu'il reçut le sacrement de confirmation, ayant toujours eu une grande dévotion à la très digne Mère de Dieu. Il donna, dès son bas âge, des marques de ce qu'il devait être un jour, car il n'avait encore que quatre à cinq ans qu'il parlait de Dieu, et s'approchait de sa mère lorsqu'il la voyait affligée, pour la consoler et
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pour l'exhorter à souffrir avec patience. Il était l'aîné de deux frères et de six sœurs. Il lia, dès son enfance, une plus étroite amitié avec celle qui s'appelait Louise qu'avec les autres, parce qu'il la trouvait plus docile à suivre les sentiments et les pratiques de piété qu'il voulait lui inspirer et quoiqu'ils ne fussent encore tous deux que des enfants, il mettait tout en œuvre pour la retirer des amusements ordinaires à la jeunesse. Il la rappelait secrètement, et par adresse, d'avec ses petites compagnes, pour /3/ la mener prier Dieu. Et, si elle lui témoignait quelque répugnance, il lui faisait de petits présents et il lui disait : "Ma chère sœur, vous serez toute belle et le monde vous aimera si vous aimez Dieu." Aussitôt, elle le suivait et, à l'exemple de son frère, elle attirait aussi ses petites compagnes à réciter le chapelet avec elle. Et, pour les engager à le dire tous les jours, il leur donnait tout ce qu'il avait de plus beau et de meilleur. Le plus grand plaisir qu'elles pouvaient lui faire, était de lui parler de Dieu, ou de lui témoigner le désir qu'elles avaient qu'il leur en parlât. Enfin, lorsque cette chère sœur plus avancée en âge, se portait, à la sollicitation de son frère, à la pratique de quelque vertu, il ne savait quelle caresse lui faire, pour lui en témoigner sa joie. Ainsi, le petit Grignion, semblable à Tobie, observait déjà la loi de Dieu dès son enfance, Legem Dei puerulus observabat. Tobie 1. 8. Et, en s'éloignant de la compagnie des jeunes gens de son âge ou des /4/ personnes du monde, pour éviter leurs divertissements, il se retirait dans quelque coin de la maison pour vaquer à la prière et réciter son chapelet devant une petite image de la Sainte Vierge. Pratique qu'il a toujours continuée dans un âge plus avancé. Ses maîtres ont assuré qu'il ne leur a jamais fait aucune peine. Qu'il se portait de lui-même à accomplir tous ses devoirs, sans qu'il fallût l’y contraindre par aucun châtiment ni par menaces, et il exerçait déjà l'office de missionnaire à l'égard de ses compagnons, leur faisant le catéchisme, ou la lecture de quelques livres de piété.
Quoique ses parents fussent très peu accommodés des biens de la fortune, ils tâchèrent de lui donner une
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sainte et honnête éducation, et de cultiver les bonnes dispositions, qu'ils voyaient en lui, à la science et à la vertu.
Ils l'envoyèrent, en 1685, étudier les humanités au collège des jésuites, à Rennes. Il avait environ douze ans lorsqu'il entra en sixième, /5/ sous le Père Camus. Tous ses régents eurent pour lui une affection et une estime singulière, et ils le proposaient à tous ses camarades comme un exemple rare de diligence et d'application à l'étude. Aussi remportait il tous les prix à la fin de chaque année.
Lorsqu'il fut en troisième et dans les hautes classes, il s'appliqua encore plus à la vertu et à la pratique des bonnes œuvres, surtout à faire la charité à ses condisciples qu'il savait être les plus pauvres. Il les assistait de tout son pouvoir et, lorsqu'il n'avait pas de quoi leur donner, il allait chez des personnes qu'il savait être riches et charitables, leur demander l'aumône pour eux, entr'autres, chez Mlle Jussé qui lui donnait des sommes d'argent assez considérables, parce qu'elle savait qu'il les distribuait fort à propos pour soulager ceux qui en avaient grand besoin. Il y avait alors, à Rennes, un bon prêtre nommé M. Bellier, qui assemblait toutes les semaines dans sa maison certain nombre d'écoliers, pour leur /6/ faire des conférences de piété. Louis Grignion était des premiers et des plus réguliers à s'y trouver et à porter les autres à la pratique des vertus chrétiennes et cléricales qu'on leur enseignait. Ce prêtre les envoyait, après la conférence, les jours de congé, deux à deux ou trois à trois, pour servir les pauvres dans l'Hôpital Général et dans l'hôpital des incurables, pour leur faire la lecture de quelque bon livre pendant leur repas, et le catéchisme ensuite. Louis ne manqua jamais à s'acquitter de tous ces exercices. Un jour, sa mère qui était venue à Rennes, sur la fin de sa physique, fut à l'hôpital S. Yves pour y visiter les malades, elle y reconnut une pauvre femme à qui elle demanda, qui l'avait placée en ce lieu là, et elle lui répondit : "C'est votre fils, Madame, qui m'a procuré l'entrée de cette maison et qui m'y a fait apporter dans une chaise."
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Pendant que Louis Grignion étudiait au collège, ses parents furent obligés d'aller demeurer à Rennes pour y faire aussi étudier deux autres garçons, dont Louis était l'aîné, et /7/ n'être pas obligés à faire une si grande dépense, en payant la pension de trois enfants, et pour veiller plus attentivement sur leur conduite, les ayant sous leurs yeux. Louis servit de précepteur aux deux autres, et il les portait à la piété par ses discours, encore plus par ses actions. Jamais il n'y avait aucune querelle ni dispute entre eux. Il apaisait même, autant qu'il lui était possible, toutes celles qui naissaient souvent au collège parmi ses compagnons. En sorte que son oncle maternel, prêtre, qui était alors en pension chez son beau-frère Grignion de la Bacheleraye, rend témoignage que Louis avait l'esprit doux et pacifique, une humilité profonde, une obéissance et soumission exacte à tous les commandements de ses parents, surtout une piété exemplaire et une pureté angélique; qu'il n'a jamais rien vu que d'édifiant en toute sa conduite qu'il croit qu'il a conservé son innocence baptismale qu'il avait en horreur les mascarades du carnaval ; qu'il ne pouvait les souffrir. Qu'ayant été convié, un jour de mardi gras, à souper chez un /8/ de ses amis, un jeune homme masqué entra dans la chambre où on mangeait, que Louis se leva promptement de table pour ne pas être témoin d'un spectacle si scandaleux qu'il en marqua son chagrin à la compagnie, jusqu'à en répandre des larmes.
Pour se délasser de l'application à l'étude, il apprit à dessiner, et il passait la plus grande partie de ses récréations à faire des mignatures et de petits tableaux de piété, et il y réussissait si bien qu'ayant montré un jour une image de sa façon, d'un petit Enfant Jésus, qui jouait avec S. Jean-Baptiste, à un conseiller du Parlement qui vint dans la maison de son père, cet officier la trouva si bien faite, qu'il lui en donna un louis d'or pour les pauvres.
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CHAPITRE II M. Grignion va à Paris pour étudier en théologie. Il demeure dans une communauté ecclésiastique. Il tombe malade. Vertus qu'il pratique.
M. Grignion, ayant achevé sa physique à l'âge de vingt ans, /9/ demanda permission à ses parents vers l'année 1693 d'aller à Paris pour étudier en théologie, ils lui accordèrent aisément cette grâce. On voulut lui donner un cheval pour faire au moins la moitié du chemin mais, il le refusa et fit tout le voyage à pied, portant son petit paquet sur le dos, se préparant déjà à faire des courses apostoliques en cet équipage. Son oncle et son frère allèrent le conduire jusqu'au village de Cesson. Là, il leur dit adieu en les embrassant et prit son chapelet à la main, qu'il récita souvent le long de la route. Peu de temps après, il tomba une si grande abondance de pluie qu'il en fût mouillé jusques à Paris, sans qu'il discontinuât de marcher. Dix jours après, il écrivit à ses parents, pour les prier de lui aider à remercier Dieu des grâces qu'il lui avait faites pendant son voyage, qu'il était arrivé heureusement à Paris et en bonne santé. Il fut d'abord logé chez une fille vertueuse, nommée Mlle de Montigny, qui avait demeuré quelque temps à Rennes, en pension chez son père, pendant qu'elle sollicitait un procès au Parlement de /10/ Bretagne. Cette demoiselle, voyant qu'il était chargé d'enfants, lui demanda une de ses six filles qui n'avait alors que huit ans trois mois, pour l'emmener avec elle, à Paris, où elle paya sa pension, et des maîtresses qui venaient, tous les jours, lui apprendre à lire, à écrire et à broder.
Comme Mlle de Montigny demeurait dans le faubourg S. Germain, dès que Louis fut un peu délassé des fatigues de son voyage, elle le mena chez M. Bottu de La Barmondière, alors curé de la paroisse S. Sulpice, homme
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fort riche et de grande vertu, qui faisait alors étudier de pauvres écoliers, dans une petite communauté qu'il avait établie dans sa paroisse, pour examiner leur vocation à l'état ecclésiastique, et les faire vivre, dans une grande régularité, éloignés de la corruption du siècle. Mlle de Montigny, qui était fort connue de ce saint pasteur, lui proposa de prendre Louis Grignion dans sa communauté. Il le reçut avec joie, sur l'éloge qu'elle lui fit des vertus qu'elle lui avait vu pratiquer à Rennes, et il lui promit même de payer sa pension qui était modique. /11/
Comme Louis Grignion avait un grand attrait pour la mortification, il obligea son confesseur à consentir qu'il fit des pénitences très austères. Peu de temps après, il tomba grièvement malade et demanda, en grâce, qu'on le portât à l'Hôtel-Dieu, voulant mourir parmi les pauvres qu'il aimait tendrement. On satisfit sur cela son inclination. Les sœurs hospitalières, qui le servaient, étaient charmées de la patience avec laquelle il souffrait des douleurs très aiguës car, au fort de son mal, il disait à ceux qui le plaignaient "Je suis trop heureux d'être dans la Maison de Dieu!"
Le soin qu’on prit de lui, joint aux remèdes, fit qu'il recouvra la santé et retourna dans la petite communauté de M. de La Barmondière où il passa encore quelque temps.
/12/CHAPITRE III Il entre au séminaire de S. Sulpice. Il étudie en théologie. Il fait ses études et des catéchismes avec grand succès.
M. de La Barmondière étant mort, le 18 septembre 1694, sa petite communauté ne subsista plus. Le supérieur du séminaire de S. Sulpice, qui était alors M. Tronson,
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homme d'un rare mérite et d'un grand discernement, en choisit les meilleurs sujets, pour les faire entrer au petit séminaire de S. Sulpice. M. Grignion fut du nombre. Il prit M. Leschassier pour son directeur, qui commença à modérer ses austérités et lui prescrire une règle plus douce et moins meurtrière que celle qu'il avait pratiquée jusques alors, et le réduisit, autant qu'il put, au train de la communauté, persuadé que les mortifications du corps sont nuisibles, si elles ne sont accompagnées de celles du jugement et de la propre volonté. Il faut, disait S. François de Sales, punir /13/ le coupable, qui est l'esprit, avant que de châtier le corps qui est l'innocent.
Cette règle mitigée n'empêcha pas que M. Grignion ne menât une vie extraordinaire et fort au-dessus de celle du commun de ses compagnons. Il était toujours le premier et le dernier aux exercices de la maison. Il ne manquait jamais d'assister à l'oraison, et n'usait point de la liberté qu'on donne de la faire debout. Il s'y tenait une heure entière, à genoux, après quoi il entendait encore la messe, faisait son action de grâces, les jours qu'il communiait, pendant une demi-heure dans la même posture, ce qui arrivait 4 ou 5 fois la semaine. Il eût souhaité demeurer de même, les jours tout entiers, prosterné devant le S. Sacrement, en sorte qu'il passait tant de temps à l'oraison et à ses autres exercices de piété, que ses camarades de classe ne pouvaient comprendre qu'il lui en restât, dans sa chambre, pour étudier.
Par humilité, et pour mieux conserver l'esprit intérieur et le recueillement, il ne voulut pas continuer d'aller /14/ en Sorbonne, prendre comme les autres, des traités de théologie ; il se contenta de ceux qu'un docteur donnait à la maison.
Un jour qu'il devait, selon la coutume du séminaire, soutenir une thèse de la grâce, ses condisciples résolurent de lui faire des arguments si forts qu'il n'y pourrait répondre; et de lui citer les passages les plus difficiles des Pères pour l'embarrasser, et, par là, l'obliger à donner plus de temps à l'étude qu'à la contemplation. Mais ils
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furent fort surpris lorsqu'ils l'entendirent répondre en maître et apporter de longs passages de S. Augustin et des autres Pères de l'Eglise, pour expliquer ceux qu'on lui objectait ; en sorte qu'ils furent obligés d'avouer que le S. Esprit est un meilleur Maître que tous les docteurs, pour enseigner les vérités aux âmes qu'il s'est choisies. Ubi Deus Magister est, quam cito discitur quod docetur, dit S. Grégoire.
Néanmoins, pour le distraire un peu de son application extraordinaire aux choses spirituelles, et à la présence de Dieu, de peur que sa santé n'en fût altérée, /15/ comme elle l'avait déjà été, on lui donna le soin de la bibliothèque, des cérémonies, et de faire le catéchisme, aux enfants les plus dissipés, d'un des quartiers du faubourg S. Germain. Il s'acquitta de ce dernier emploi avec tant d'onction, de grâce et de succès, que ses discours touchaient les jeunes gens les moins dociles jusqu'au fond du cœur, en sorte qu'après l'avoir entendu, ils fondaient en larmes, et donnaient des preuves d'une solide pénitence.
Quelques-uns des séminaristes, ayant peine à croire un effet si prodigieux de la grâce, voulurent un jour en être les témoins, et aller entendre M. Grignion, plutôt pour rire que pour pleurer. Il parla devant eux de la mort, du jugement et de l'enfer à ces jeunes gens, d'un ton si pathétique et si ferme, qu'ils ne purent s'empêcher eux-mêmes, de fondre en larmes, et de s'en retourner, tout pénétrés, des grandes vérités qu'ils lui avaient entendu prêcher, plus persuadés que jamais que M. Grignion avait un rare talent pour toucher les cœurs. Et, ce n'était là que les coups /16/ d'essais et les préludes de la grâce apostolique que notre jeune missionnaire devait, dans la suite, faire éclater avec succès dans les provinces. On dit qu'un jour, passant sur le Pont Neuf, il vit un charlatan autour duquel était une grande troupe de personnes assemblées qui l'entendaient dire beaucoup de pauvretés. M. Grignion, affligé de voir des chrétiens occupés à écouter un bateleur, se mit sur le rebord de l'autre côté du Pont¬-Neuf, leur fit voir le péché qu'ils commettaient, d'entendre
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des obscénités dont ils rendraient à Dieu un terrible compte au jour du jugement. Et, par là il fit dissiper toute cette populace assemblée.
Il était tellement appliqué à Dieu qu'il spiritualisait toutes choses. Il ne pensait qu'à Dieu. Il ne parlait que de Dieu. Même dans ses voyages, il s'arrêtait souvent pour apprendre aux pauvres, qu'il rencontrait dans son chemin, à connaître et à aimer Dieu. Et, il avait inventé un jeu qui, bien loin de le distraire, l'appliquait à Dieu : c'était une poignée de tuyaux de paille, qu'on nomme des jonchets, sur chacun desquels /17/ il écrivait les noms de toutes les vertus.
Par exemple : la charité valait 50 points, la foi 40, l'humilité 30, et celui qui en tirait davantage, sans faire tomber les autres, gagnait la partie.
CHAPITRE IV La Providence de Dieu pourvoit aux besoins d'une de ses sœurs. Il la fait religieuse, d'une manière toute particulière.
Mlle de Montigny étant morte, la sœur de M. Grignion fut obligée de sortir de la communauté où elle l'avait mise, après y avoir demeuré 4 ou 5 ans. Mais Dieu ne l'abandonna pas pour cela: car Madame la duchesse de Mortemart qui connaissait le détachement de M. Grignion, parla de sa sœur à Madame de Montespan, qui la fit entrer chez les Filles de S. Joseph au faubourg S. Germain, dont elle était bienfaitrice, et y paya sa pension. Un jour, Madame de Montespan /18/ l'ayant interrogé sur l'état de sa famille, il lui avoua ingénument qu'elle était pauvre, et qu'il avait six sœurs. Madame de Montespan lui dit d'en faire venir deux, et qu'elle en prendrait le soin. Il écrivit aussitôt cette bonne nouvelle à ses parents, qui ne
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manquèrent pas de les envoyer à Paris, d'où cette dame les fit conduire, peu de jours après, à Fontevrault. Madame de La Rochechouart, sa sœur qui en était abbesse, les reçut, à bras ouverts, sur sa recommandation. Mais, l'une fut obligée d'en sortir et de retourner à Rennes, chez ses parents, à cause d'une fluxion sur les yeux, qui la menaçait de lui faire perdre la vue. L'autre fit profession à Fontevrault, sur la dot que lui fournit Madame de Montespan, et y est encore religieuse.
CHAPITRE V Il reçoit les saints ordres. Il est fait prêtre.
M. Grignion, suivant l'exemple des saints, avait un éloignement respectueux pour les saints ordres. /19/ Il s'en estimait indigne, et on pouvait dire de lui qu'il méritait d'autant plus de monter à cette sublime dignité, qu'il ne connaissait pas son mérite. Son directeur le pressa souvent de recevoir les ordres moindres. Il différait toujours. Enfin, il se soumit, et sur un dimissoire qu'il obtint de M. de S. Malo, son évêque, il fut fait acolythe par obéissance. Mais, lorsqu'il fut question de le faire approcher des ordres sacrés, il pleura, il gémit, il eut bien voulu s'enfuir. Il fallut lui faire une sainte violence et, prêt à recevoir le sacerdoce, il redoubla ses oraisons, ses pénitences et ses bonnes œuvres. Car, il était persuadé que ce n'est pas assez d'être appelé de Dieu pour être prêtre, mais qu'il faut encore en recevoir l'esprit et la grâce avec abondance, pour y faire son salut et travailler à celui des autres, à l'exemple de N. S. qui ne se contenta pas de la vocation de son Divin Père à la dignité de Souverain Prêtre. Mais, pour ainsi dire, qui se sanctifia et s'offrit encore pour sanctifier ses' apôtres, et les peuples, à qui il devait annoncer l'évangile. Et pro eis ego sanctifico me ipsum, ut /20/ sint et ipsi
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sanctificati in veritate.( Joan. 17. vers. 19.) Enfin, après beaucoup de résistance et de prières, M. Grignion ploya les épaules et se laissa imposer ce fardeau que le saint concile de Trente dit être formidable aux anges, Angelicis humeris onus formidandum. Il fut promu à l'ordre de prêtrise, le samedi des Quatre Temps de la Pentecôte de l'année 1700, par Messire Jean Hervieu Bazan de Flamanville, évêque de Perpignan, que Messire Antoine de Noailles, cardinal archevêque de Paris, avait commis pour faire l'ordination de son diocèse. M. Grignion fut d'autant plus aise de recevoir l'imposition des mains de ce prélat, qu'il avait eu l'honneur d'être, pendant plusieurs carêmes, son clerc ou son coadjuteur, dans les catéchismes qu'il faisait à S. Sulpice, n'étant encore qu'abbé, à près de mille laquais, avec un succès si prodigieux, qu'il n'y a que ceux qui en ont été témoins qui le puissent croire.
M. de Montfort se prépara donc pendant cinq ans tout entiers, dans le séminaire de S. Sulpice, à recevoir le sacerdoce /21/ et à se rendre digne du ministère apostolique auquel il était appelé, imitant en cela notre Sauveur Jésus-Christ et S. Jean-Baptiste, qui passèrent trente ans dans la retraite, avant de prêcher trois ans la pénitence et l'évangile. Et peut-être, dit un grand serviteur de Dieu, du dernier siècle, que si S. Jean n'avait demeuré que trois ans dans la solitude et qu'il eût prêché 30 ans il n'aurait pas tant fait de fruit, ni converti tant de pécheurs. Et en cela, M. de Montfort était bien éloigné de l'empressement de ces ecclésiastiques, qui croient que leurs évêques exigent d'eux trop de temps, lorsqu'ils les obligent de passer un an dans leurs séminaires avant que de recevoir les saints ordres.
Le jour que M. de Montfort fut fait prêtre, il fut tellement saisi et pénétré des sentiments de respect, d'admiration et de reconnaissance envers Dieu, qu'au lieu qu'il avait coutume de ne dire qu'une fois Deo Gratias à tous ses amis qu'il rencontrait en chemin, lorsqu'il avait
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reçu quelque faveur du ciel, il leur dit ce jour là mille fois /22/ Deo gratias, mes chers amis, mille fois Deo gratias, et il obtint permission de son directeur de passer le reste du jour devant le Saint Sacrement, pour le remercier d'une grâce si extraordinaire, et il en passa plusieurs à se préparer à dire sa première messe.
CHAPITRE VI M. Grignion va à Nantes où il fut employé, pendant quelque temps, à faire des missions.
Dès que M. Grignion fut prêtre, il brûla du désir de travailler au salut des âmes. Il souhaita même d'aller prêcher l'évangile aux infidèles du Nouveau Monde, et il disait quelquefois aux ecclésiastiques qui demeuraient avec lui : "Que faisons nous ici, mes chers amis ? Pourquoi sommes nous des ouvriers inutiles, pendant qu'il y a tant d'âmes qui périssent dans le Japon et dans les Indes, faute de prédicateurs et de catéchistes, qui les instruisent des vérités nécessaires au salut ?"/23/ Transporté de zèle, ayant un jour appris que M. Tronson devait faire partir, le lendemain, plusieurs ecclésiastiques pour aller en Canada demeurer au séminaire de Montréal, dépendant de celui de S. Sulpice de Paris, il fut s'offrir à lui pour l'accompagner. Mais, ce sage supérieur, persuadé que Dieu le demandait ailleurs, le remercia de sa bonne volonté.
Il y avait alors, au séminaire S. Sulpice, un excellent prêtre, nommé M. Lévêque, instituteur et premier supérieur de la communauté de S. Clément de Nantes, qui venait presque tous les ans à Paris faire des retraites de plusieurs mois. Comme les prêtres, avec qui il était associé à Nantes, étaient uniquement occupés à faire des missions à la campagne, dans les diocèses de Bretagne, il proposa à
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M. Grignion qu'il voyait si zélé pour cet emploi, de venir avec lui, à Nantes, lui promettant qu'il lui fournirait une ample matière, pour exercer son zèle et très conforme à ses inclinations.
M. de Montfort fui ravi de trouver cette occasion. Il accepta volontiers /24/ l'offre de M. Lévêque, et ils s'embarquèrent tous deux vers le mois de septembre de l'année 1700, à Orléans, sur la rivière de Loire, pour descendre jusqu'à Nantes. Il y avait, dans le bateau, trois libertins qui commencèrent à jurer le saint nom de Dieu, et à dire beaucoup de paroles obscènes. M. de Montfort, qui n'avait aucun respect humain, leur en fit la correction. Mais, il eut beau les reprendre, en les avertissant qu'ils offensaient Dieu, et leur dire qu'ils devaient craindre le châtiment de la justice qu'ils irritaient, ils continuèrent toujours à commettre les mêmes crimes, ce qui obligea M. de Montfort à leur dire, d'un ton ferme et prophétique, qu'il leur en arriverait malheur. En effet, quelques jours après, deux de ces débauchés prirent querelle ensemble, tirèrent l'épée l'un contre l'autre et se blessèrent très grièvement. Le troisième s'enivra comme une bête et en fut si malade qu'il en pensa mourir.
Peu de jours après que ces zélés missionnaires furent arrivés à Nantes, ils allèrent ensemble faire plusieurs /25/ missions à la campagne, qui durèrent jusqu'au mois de février de l'année suivante 1701, et ce fut là que M. Grignion fit son apprentissage des missions qu'il a continuées, pendant toute sa vie jusqu'à sa mort, convaincu, par expérience, que nul emploi dans l'Eglise n'est plus agréable à Dieu, utile au prochain, ni plus méritoire pour les ouvriers évangéliques, qui s'en acquittent dignement, parce que c'est un moyen efficace, de faire faire des restitutions et des réconciliations, de réhabiliter des mariages contractés avec des empêchements dirimants, de faire cesser des scandales et des habitudes criminelles ; en un mot, de retirer une infinité d'âmes de l'esclavage du démon, qui croupissent dans la fange de leurs crimes, et demeurent accablés sous
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le poids des chaînes de leurs péchés depuis un très grand nombre d'années, faute d'avoir un homme qui leur aide à les rompre, ou qui les puisse jeter dans la piscine probatique, comme le paralytique de l'évangile, en leur faisant faire des confessions générales, dont plusieurs ont quelquefois besoin depuis dix, /26/ vingt, trente et quarante années.
Mais Dieu qui appelait M. de Montfort ailleurs ne permit pas qu'il demeurât longtemps au diocèse de Nantes. Il les quitta pour aller à Paris, parce qu'on lui manda que sa sœur serait obligée de sortir bientôt de la communauté de S. Joseph où elle demeurait, parce qu'elle était étrangère et qu'on ne voulait plus y recevoir que des filles de Paris, et que d'ailleurs, elle manquait de beaucoup de choses nécessaires à la vie.
CHAPITRE VII Il exhorte sa sœur à s'abandonner à la divine Providence, et il la dispose à souffrir chrétiennement sa sortie de la communauté de S. Joseph.
Dès que M. de Montfort eut appris que sa sœur était sur le point d'être congédiée de la communauté de S. Joseph, pour les raisons que nous avons dites, en attendant qu'il pût aller la secourir en personne, il lui écrivit /27/ une lettre, très touchante et très chrétienne, pour la disposer à recevoir cette mortification, avec une entière soumission de sa volonté à celle de Dieu. En voici les termes.
Ma chère sœur en Jésus-Christ, le pur amour de Dieu règne en nos cœurs.
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Quoiqu'éloigné de corps de vous, je ne le suis pas de cœur, parce que votre cœur n'est pas éloigné de Jésus Christ et de sa sainte Mère, et que vous êtes Fille de la Divine Providence, dont je suis aussi l'enfant, quoiqu'indigne. On devrait plutôt vous appeler novice de la divine Providence, parce que vous ne faites que commencer à pratiquer la confiance et l'abandon parfait qu'elle demande de vous ; vous ne serez reçue professe et Fille de la Providence que quand votre abandon sera général et parfait et votre sacrifice entier. Dieu vous veut, ma chère sœur, Dieu vous veut séparée de tout ce qui n'est pas lui, et peut-être, effectivement abandonnée de toutes les créatures. Mais, consolez vous, réjouissez vous, servante et épouse de Jésus-Christ, si vous ressemblez à votre Maître et à votre Epoux. Jésus est /28/ pauvre. Jésus est délaissé, Jésus est méprisé et rejeté comme la balayure du monde. Heureuse, mille fois heureuse Louise Grignion, si elle est pauvre d'esprit, si elle est délaissée, méprisée, rejetée comme la balayure de la maison de S. Joseph. Ce sera pour lors qu'elle sera véritablement la servante et l'épouse de Jésus-Christ et qu'elle sera professe de la divine Providence, si elle ne l'est de la religion. Dieu veut de vous, ma chère sœur, que vous viviez au jour la journée, comme l'oiseau sur la branche, sans vous soucier du lendemain. Dormez en repos sur le sein de la divine Providence et de la très Sainte Vierge, ne cherchant qu'à aimer et contenter Dieu, car c'est une vérité infaillible, un axiome éternel et divin, aussi véritable qu'il n'y a qu'un Dieu (plût à Dieu, que je pusse les écrire dans votre esprit et dans votre cœur en caractères ineffaçables !) : "Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroit.» Si vous faites la première partie de cette proposition, Dieu, infiniment fidèle fera la seconde, c est à dire que, si vous servez Dieu fidèlement /29/ et sa très Sainte Mère, vous ne manquerez de rien en ce monde ici et dans l'autre. Vous ne manquerez pas même d'un frère prêtre, qui a été, qui est et qui sera tout à vous dans ses sacrifices, afin que vous soyez toute à Jésus-Christ dans le vôtre. Je salue votre bon Ange gardien. 1701.
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CHAPITRE VIII M. Grignion passe par Poitiers. On veut l’y arrêter. Il y reste quelques semaines. Bien qu'il y fait. Il en sort pour aller à Paris.
En sortant de la ville de Nantes, M. Grignion prit sa route pour aller à Paris, par le diocèse de Poitiers, voulant voir, en passant, sa sœur, dans l'abbaye de Fontevrault, qui y avait fait profession depuis peu. De là, il fut inspiré de passer par la ville de Poitiers sur la fin de l'année 1701. Il entra d'abord dans l'hôpital, pour y dire la sainte messe, après laquelle finissant son action de grâce /30/ qui dura près d'une heure, il fut dans un si grand recueillement, pendant tout ce temps là, qu'il parut comme hors de lui-même. Sa rare modestie et sa piété charmèrent tous les pauvres qui le regardaient, et comme ils avaient alors besoin d'un chapelain pour leur dire la messe, les instruire et leur administrer les sacrements, ils se disaient les uns aux autres : "Arrêtons ce bon prêtre pour nous conduire", et lorsqu'ils virent qu'il se levait pour sortir de l'église, ils furent au devant de lui, fermèrent la porte pour l'empêcher de sortir, et le prièrent instamment de rester avec eux pour servir l'hôpital. Non seulement, il s'en excusa, par humilité, s'estimant indigne de cet emploi, mais encore parce qu'il était obligé, de faire un voyage à Paris, pour des affaires de conséquence. Néanmoins, comme son grand attrait était pour soulager et servir les pauvres, il consentit de demeurer quelques mois avec eux, si M. l'évêque de Poitiers l'avait agréable. C'était alors M. de Girard, prélat incomparable, qui a sacrifié sa vie pour son troupeau, dans les visites /31/ continuelles, qu'il faisait dans son diocèse, et par tous ses travaux apostoliques, pendant 3 à 4 ans qu'il fut évêque. L'un des pauvres, qui avait de l'esprit, se chargea de lui écrire pour lui demander ce prêtre pour l'hôpital. Sa lettre fut trouvée admirable. Les mémoires qu'on m'a fournis portent, qu'on aurait dit, que c'était un
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ange qui la lui avait dictée ; mais comme M. l'évêque était alors absent, il ne put la recevoir sitôt. MM. ses grands vicaires firent loger M. Grignion, en attendant son retour, au petit séminaire dans la paroisse de S. Porchaire. Pendant un mois qu'il y demeura, il allait, presque tous les jours, faire le catéchisme aux pauvres et aux enfants qu'il assemblait sous les halles. Tout le monde s'y rendait en foule, tant ses paroles étaient remplies de l'onction du S. Esprit, et faisaient de fortes impressions de grâce, sur les cœurs de ceux qui l'écoutaient. Il allait aussi visiter, de temps en temps, les pauvres de l'hôpital et les consoler, et il leur parlait, avec autant de respect que s'ils eussent été des princes, regardant Jésus-Christ en leurs personnes. /32/ Il les prêchait et catéchisait matin et soir et lorsqu'on lui donnait quelque chose, par aumône pour son usage, il avait soin de le leur distribuer.
Ayant appris que la plupart des écoliers de Poitiers étaient fort libertins et vivaient dans un grand dérèglement, il entreprit de les gagner à Dieu et d'en faire des saints. Il proposa d'abord, à ceux qui étaient les plus dociles, de faire une petite société entre eux, de s'assembler de temps en temps ; de recevoir certaines règles qu'il leur prescrivit, qui consisteraient à faire, chaque jour un peu d'oraison, lecture spirituelle d'un bon livre ; à aller, tous les jours de congé, se divertir innocemment ensemble ; d'approcher des sacrements, de s'enrôler dans la congrégation de la Sainte Vierge établie au collège des jésuites, et surtout de tâcher de gagner à Dieu leurs camarades les plus déréglés. Cette petite société fit des fruits admirables. Dès que M. de Monfort avait parlé à quelqu'un de ces écoliers, quelque scandaleux et endurci qu'il fût, il devenait tout changé et brûlait du désir de mener une vie chrétienne. /33/ Toute la ville de Poitiers est témoin que de cette société sont sortis grand nombre d'excellents prêtres et de saints religieux. Un de ces prêtres consacra, il y a sept ans, sa vie au service des soldats pestiférés qui étaient prisonniers de guerre qu'on avait mis dans un petit hôpital, hors de la ville de Poitiers, au nombre de 500, et qui n'avaient aucun autre secours que de sa part,
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et de celle d'un jésuite, et tous deux ensemble, après les avoir assistés corporellement et spirituellement, moururent martyrs de la charité.
M. de Montfort fut ainsi occupé, à Poitiers, pendant plusieurs semaines, à de différentes bonnes œuvres. Cependant, Mgr de Girard évêque de Poitiers, étant de retour, connut son mérite, par le récit qu'on lui fit des rares talents, des grâces qu'on avait remarquées en lui pendant son absence, et il le plaça à l'hôpital de Poitiers. M. Grignion s'y appliqua à rendre tous les services imaginables aux pauvres. Mais il fut obligé d'en sortir, après deux mois de séjour, parce que sa sœur le pressait fortement d'aller à Paris pour la soulager /34/ dans ses besoins qui étaient extrêmes. Il partit donc, sans dire adieu à personne, au commencement de l'année 1702, de peur qu'on ne lui fit violence pour y rester davantage.
CHAPITRE IX M. Grignion va à Paris. Il pourvoit aux besoins de sa sœur. Il la fait religieuse d'une manière admirable.
Comme M. Grignion faisait tous ses voyages, à pied, sans argent, abandonné à la divine Providence, il avait souvent les pieds tout écorchés et ensanglantés. Il arriva en cet état à Paris, et afin de n'être à charge à personne, il alla loger à l'Hôtel-Dieu pour faire guérir ses plaies. Il y passa environ quinze jours, et après qu'il se porta mieux, il fut voir sa sœur qui était sortie de la communauté de S. Joseph. Il la trouva dans un état pitoyable, ayant à peine de quoi vivre, et manquant d'habit pour se garantir du froid /35/ pendant l'hiver. Le serviteur de Dieu se trouva, alors, si embarrassé qu'il pensa déjà à la renvoyer à Rennes à ses
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parents, toutes les personnes, à qui il s'adressa, ne se trouvant pas disposées à lui fournir le nécessaire.
Néanmoins, avant que d'exécuter ce dessein, il la recommanda beaucoup à Dieu et, se confiant en sa Providence, il fut un jour voir M. Bargeaville, très digne prêtre de la communauté de S. Sulpice, son ancien ami, et lui raconta fort naturellement l'embarras où il était, tant pour lui que pour sa sœur, n'ayant pas l'un et l'autre de quoi vivre. M. Bargeaville, sans le rebuter ni lui donner aucune espérance, lui dit qu'il ferait tout ce qu'il pourrait pour le soulager, et parla, le lendemain à la Mère de Ste Melchtilde, supérieure des religieuses du S. Sacrement, excellente fille dont Dieu s'est servi, dans nos jours, pour établir le couvent des Bénédictines, rue Cassette à Paris ; qui sont successivement occupées à adorer jour et nuit, le S. Sacrement, la corde au col et la torche au poing, pour faire amende honorable à Jésus-Christ de /36/ tous les sacrilèges et profanations qu'il souffre en ce mystère. Il lui dit qu'il ne connaissait point de prêtre, plus mortifié et plus zélé, pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, plus abandonné à la divine Providence, ni plus dévot à la Ste Vierge que M. Grignion.
L'éloge d'un homme, de ce caractère si rare, dans le siècle où nous vivons, donna à la Mère de Ste Melchtilde une envie extrême de le connaître. Elle pria M. Bargeaville de lui procurer une de ses visites. M. Grignion fut la voir le lendemain, et après un entretien fort court sur quelque matière de piété, il lui avoua ingénuement l'état pitoyable où sa sœur et lui se trouvaient réduits.
"Pour vous, dit cette digne supérieure à M. de Monfort, je vous offre pendant que vous serez à Paris, tous les jours, une portion telle qu'on la donne à notre communauté, et qu'on la sert dans notre réfectoire devant l'image de N. D. On vous la passera par le tour et vous l'irez manger à un de nos parloirs." M. Montfort accepta volontiers une offre si charitable, son plus grand plaisir étant de vivre /37/ d'aumônes, comme un pauvre. Mais, il demanda permission à la Mère de Ste Melchtilde d'amener
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un de ses frères (c'est ainsi qu'il appelait les pauvres) pour partager avec lui ce repas. Ce qu'elle lui accorda.
Il ne mangeait alors qu'une fois par jour. Ce qu'il a toujours pratiqué depuis, et encore très sobrement.
Dieu, pour éprouver davantage la foi et la confiance de son serviteur, permit que toutes les démarches et les sollicitations qu'il fit pour l'établissement de sa sœur, furent sans aucun effet. Il ne trouva pas même ce qui lui était le plus nécessaire, pour ses aliments ni pour ses habits.
Cependant, M. l'évêque de Poitiers, qui avait appris que ce prêtre, qui avait demeuré à l'hôpital de Poitiers, qu'on y désirait si fort, était allé à Paris à S. Sulpice, en écrivit vers le mois de février de l'année 1702, au curé qui était alors M. de La Chétardie, le priant de le lui envoyer pour être directeur de son Hôpital Général. M. le curé, croyant que M. de Monfort avait mendié cette place, le blâma mais, ayant appris /38/ que la seule Providence s'était mêlée de la lui procurer, il lui dit, qu'il ferait bien de l'accepter.
M. Grignion se prépara donc, une seconde fois, à faire le voyage de Poitiers, et à renvoyer sa sœur à Rennes. Cependant, il fut prendre congé de la Mère Prieure et la remercier des bontés qu'elle avait eues pour lui. Une femme de qualité se trouva par hasard au parloir lorsqu'il lui disait adieu, laquelle ayant appris que ce bon prêtre n'avait rien pour faire son voyage, lui donna un écu. En le recevant, il la pria qu'elle trouvât bon qu'il l'employât à acheter des bas et des souliers, pour une sœur qu'il avait à Paris, qui en avait très grand besoin. Cette dame dit qu'il l'emploirait à tel usage qu'il lui plairait. Et, étant sortie, M. Grignion demanda à la supérieure et à quelques religieuses, qui étaient présentes, si elles n'auraient pas besoin d'une sœur converse, dans leur maison à Paris ou ailleurs, dans quelques unes de leurs communautés. Elles répondirent qu'il fallait voir le sujet, avant que de lui répondre, pour juger de ses talents, /39/ et savoir à quoi elle
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était propre, que quoiqu'actuellement on n'eût pas besoin de filles, dans leurs maisons de Paris, elles feraient, pour l'obliger, tout ce qu'elles pourraient pour la placer ailleurs.
M. Grignion fut, en diligence, avertir sa sœur de cette proposition, et la mena au parloir, où les religieuses l'attendaient. Mais lorsqu'elles l'eurent vue, elles jugèrent toutes que la délicatesse de son tempérament, la rendait incapable d'être sœur converse dans un monastère, et qu'elle serait plus propre à rendre service à la religion, en qualité de sœur de chœur.
Il y avait alors deux filles de Paris, prêtes à partir pour être religieuses, au couvent des Filles du S. Sacrement à Rambervillers, en Lorraine, au diocèse de Toul, à 70 lieues de Paris où on les demandait.
Comme plusieurs personnes de qualité, et très charitables, avaient contribué à payer les dots de ces deux filles, la Mère de Ste Melchtilde souhaita, dans ce moment, pour faire plaisir à M. de Montfort, qu'elle regardait /40/ déjà comme un grand serviteur de Dieu, qu'il se trouvât des personnes qui eussent la volonté et le pouvoir de faire la même chose à sa sœur qu'aux deux autres.
Mais il n'y avait aucune apparence qu'on pût trouver alors cette bonne fortune, pour deux raisons : la première, parce que ces religieuses avaient épuisé la bourse de toutes leurs amies pour payer la dot des deux qui étaient prêtes à partir ; la seconde, parce que le temps était trop court pour négocier une affaire de cette conséquence, car les deux filles, destinées pour la Lorraine, devaient faire le voyage dans 2 jours.
La dame qui avait donné l'écu, dont nous venons de parler, à M. de Monfort, ayant appris ce qui se passait à l'égard de sa sœur, fit à l'instant une tentative auprès des personnes, qu'elle crut en état de contribuer à une si bonne œuvre, mais ce fut inutilement. De sorte que les deux postulantes, à qui on avait fait grâce, pour le prix de leur dot à cause de leur grands talents pour la religion, se disposaient à partir seules, le lendemain.
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/41/ M. Grignion qui ne manquait jamais de confiance en Dieu, lorsque les choses qui regardaient sa gloire lui paraissent les plus désespérées, redoubla ses prières et en fit faire de tous côtés par ses amis.
Chose admirable ! Une personne de qualité, à qui on n'avait rien demandé, et qui était bien moins riche que celles qu'on avait sollicitées de donner, ayant appris que cette jeune fille était prête de rentrer dans le monde en qualité de demoiselle suivante, qu'elle y courait grand risque de son salut, fut inspirée de promettre la somme qu'on demandait, et des habits ; même de faire la dépense de son voyage, de peur que Dieu ne lui demandât compte de cette âme si elle venait à se perdre dans le siècle, par sa faute.
/42/CHAPITRE X La sœur de M. Grignion part pour être religieuse à Rambervillers en Lorraine. Elle y fait profession.
Ce fut alors que M. Grignion connut, par sa propre expérience, (ainsi qu'il avait déjà fait plusieurs fois) qu'il vaut bien mieux mettre sa confiance en Dieu que dans les hommes, parce qu'il ne manque jamais de pourvoir aux besoins de ses fidèles serviteurs. Et, qu'il ne les abandonne jamais moins que lorsqu'ils s'abandonnent le plus à sa conduite. Dominus regit me et nihil mihi deerit.
Mlle Grignion partit donc, avec les deux postulantes, et arrivèrent fort heureusement dans la ville de Toul. Mais M. l'évêque qui n'en avait demandé que deux, parut fort mécontent d'en voir trois, parce que, quoique le monastère de Rambervillers eût très grand besoin de sujets, il n'était pas néanmoins en état de faire grâce d'un /43/ si grand nombre de filles, de sorte qu'il s'en fallut peu qu'il ne
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renvoyât la sœur Grignion à Paris. Mais, la Providence, qui conduisait cette affaire, ne permit pas que M. l'évêque de Toul exécutât ce dessein.
Il se radoucit tout à coup en sa faveur, et laissa sa réception à la disposition entière des religieuses de Rambervillers. Nos postulantes passèrent par Lunéville où était alors la cour de Lorraine. La dame qui les conduisait, étant fort connue du duc de Lorraine, les mena saluer son Altesse, qui les reçut avec bonté, approuva fort leur dessein et leur donna un de ses carrosses pour les conduire avec plus d'honneur à Rambervillers où elles arrivèrent, à la fin du mois d'octobre de l'année 1702. La sœur Grignion ne fut pas moins bien reçue de toute la communauté, sous les auspices de la divine Providence, que ses deux compagnes. Et après trois mois d'épreuve, on lui fit prendre l'habit et le voile de l'ordre, sous le nom de la sœur de S. Bernard, avec les deux autres.
/44/ CHAPITRE XI Il écrit trois lettres à sa sœur: l'une, pour la féliciter du bonheur qu'elle a être entrée en religion, et les deux autres, pour lui marquer en quoi consiste l'esprit et la vocation d'une religieuse du S. Sacrement.
PREMIERE LETTRE
Ma chère sœur en Jésus-Christ, le pur amour de Dieu règne en nos cœurs.
Permettez à mon cœur de nager avec le vôtre dans la joie, à mes yeux de verser des larmes de dévotion, à ma main de marquer sur le papier la sainte allégresse qui me transporte.
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Je n'ai point perdu mon dernier voyage de Paris, vous n'avez rien perdu dans vos abandons et vos croix passées , le Seigneur a eu pitié de vous. Cette pauvre fille a crié et le Seigneur l'a exaucée, et l'a immolée véritablement, intérieurement, éternellement. Qu'il ne /45/ se passe chez vous aucun jour sans sacrifice et sans victime. Que l'autel vous voie plus souvent que votre lit et votre table. Courage, mon cher supplément. Demandez instamment pardon à Dieu, à Jésus souverain prêtre, des péchés que j'ai commis contre sa divine Majesté en profanant le très Saint Sacrement. Je salue votre Ange gardien, qui est le seul qui a fait voyage avec vous. Je suis autant de fois tout à vous qu'il y a ici de lettres, pourvu que vous soyez autant de fois sacrifiée et crucifiée avec Jésus-Christ, votre unique amour, et Marie, notre bonne Mère. DE MONTFORT, prêtre et esclave de Jésus en Marie.
SECONDE LETTRE du 27 octobre 1703.
Ma très chère sœur en Jésus-Christ. Le pur amour de Dieu règne dans nos cœurs.
Je remercie tous les jours notre bon Dieu des miséricordes qu'il exerce envers vous. Tâchez d'y correspondre par une entière fidélité à ce qu'il demande de vous. Si Dieu seul ne vous ouvre 1461 pas la porte du couvent où vous êtes, n'y entrez pas, quand vous auriez une clef d'or faite exprès pour vous en ouvrir la porte, car elle deviendrait la porte de l'enfer. Il faut une haute vocation pour les Filles du S. Sacrement, car l'esprit en est relevé. Toute véritable religieuse du S. Sacrement est une véritable victime de corps et d'esprit ; elle se nourrit de sacrifice continuel et universel ; le jeûne et les adorations sacrifient le corps, l'obéissance et le délaissement sacrifient l'âme. En un mot, elle meurt tous les jours en vivant et vit en mourant. Faites tout ce qu'on vous dira en cette maison. Tout à vous. DE MONTFORT.
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TROISIEME LETTRE
Chère victime en Jésus-Christ, le pur amour de Dieu règne dans nos cœurs.
Je ne puis assez remercier notre bon Dieu de la grâce qu'il vous a faite de vous avoir rendue une parfaite victime de Jésus-Christ, amante du très Saint Sacrement, et le supplément de tant de mauvais chrétiens et de prêtres infidèles. Quel honneur à votre corps d'être 1471 immolée surnaturellement pendant une heure d'adoration du Très Haut ! Quel honneur pour votre âme de faire ici bas, sans goût, sans connaissance, sans lumière de gloire, avec la seule obscurité de la foi, ce que les anges et les saints font dans le ciel avec tant de goût et de lumière ! Qu'une fidèle adoratrice rend de gloire à mon Dieu sur la terre, mais qu'elle est rare, puisque tout le monde, même les plus spirituels, veulent goûter et voir, autrement ils se dégoûtent et se ralentissent. Cependant, sola fides sufficit, la seule foi suffit. Enfin, enfant fidèle du très Saint Sacrement, quelle utilité, quelle richesse et quel plaisir pour vous aux pieds de ce riche et honorable Seigneur des seigneurs. Courage, courage, enrichissez vous, réjouissez¬-vous en vous consumant chaque jour comme une lampe ardente. Plus vous donnerez du vôtre, plus vous recevrez du divin. Après vous avoir félicitée n'ai je pas raison de me féliciter moi-même, sinon comme votre frère, du moins comme votre prêtre ? Car, quelle joie, et quel honneur et quel bien pour moi d'avoir la moitié de mon sang, qui le répare, par ses sacrifices amoureux, les outrages que j'ai (hélas) tant de fois faits au bon Jésus dans le très saint Sacrement, tant par des communions faites avec tiédeur que par des oublis et des abandons étranges. Oh, je triomphe en vous et en toutes vos dignes Mères, parce que vous avez obtenu les grâces dont moi et les autres ministres indignes des autels nous (nous) rendons indignes par notre peu de foi.
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Je pars incessamment pour l'hôpital de Poitiers. Je vous prie, ma sœur, de n'aimer que Jésus seul en Marie, et par Marie Dieu seul et en lui seul. Tout à vous.
CHAPITRE XII Sa sœur tombe malade pendant son noviciat. Il lui écrit pour lui marquer que Dieu veut la purifier, et qu'elle ne se doit pas décourager.
M. Grignion, ayant appris que sa sœur était tombée malade pendant son noviciat, lui écrivit la lettre suivante, pour l'encourager à faire un saint usage de ce temps d'épreuve, /49/ et pour la fortifier contre les tentations que le démon pourrait lui donner sur sa maladie. En voici les termes.
Ma chère sœur, que le pur amour règne dans nos cœurs.
Je me réjouis d'apprendre la maladie que le bon Dieu vous a envoyée, pour vous purifier comme l'or dans la fournaise. Vous devez être une victime immolée sur l'autel du Roi des rois, à sa gloire éternelle. Quelle haute destination ! Quelle sublime vocation ! J’envie quasi votre bonheur. Or, quelle apparence que cette victime lui soit parfaitement agréable, si elle n'est entièrement purifiée de toutes taches, même des plus petites ? Ce Saint des saints voit des taches où la créature ne voit que des beautés. Souvent sa miséricorde prévient en nous sa justice, en nous purifiant par la maladie, qui est le fourneau ordinaire où il purifie ses élus. Quel bonheur pour vous, de ce que Dieu veut lui-même purifier et apprêter sa victime selon son goût. Combien d'autres laisse t il à elles-mêmes, ou à d'autres à purifier ? Combien d'autres qui sont reçues pour victimes, sans passer par les épreuves /50/ et au tamis de
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Dieu. Courage donc, courage ! Ne craignez pas le malin esprit, qui vous dira souvent dans votre maladie : tu ne seras point professe à cause de ton incommodité, sors de ce monastère, retourne chez tes parents, tu demeureras sur le pavé, tu seras à charge à tout le monde. Ayez le corps souffrant et le cœur constant, car rien ne vous convient mieux pour le présent que la maladie. Demandez et faites demander la divine Sagesse pour moi, qui suis en Jésus-Christ et Marie, votre frère, etc.
Dieu ayant rendu la santé à la sœur Grignion, dite de S. Bernard, son noviciat et celui de ses deux autres compagnes étant achevés, elles firent toutes trois ensemble profession, le jour de la fête de la Purification de la Sainte Vierge, 2 de février 1704, dans le couvent de Rambervillers ou elles se sont depuis, toutes trois, parfaitement bien acquittées des devoirs de la religion.
/51/ CHAPITRE XIII M. Grignion demeure pendant quelque temps à Paris. Il y connaît l'état intérieur d'une religieuse très parfaite, et elle connaît le sien.
M. de Montfort resta cependant à Paris, pendant quelques mois, pour attendre le succès du voyage et du noviciat de sa sœur. Et, il allait souvent dire la sainte messe, dans l'église des religieuses du S. Sacrement de la rue Cassette, pour la recommander à Dieu.
Un jour, après la messe, donnant la sainte communion à la communauté, Dieu lui fit connaître l'état sublime de la perfection de la grâce où était parvenue une des religieuses qui communia de sa main. Transporté des sentiments d'admiration et de joie qui pénétraient son cœur après son action de grâces, il demanda son nom à
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une religieuse de sa connaissance qui le vint trouver au parloir. Mais comme il s'était plus /52/ arrêté à penser aux dispositions intérieures de l'âme de cette religieuse qu'à regarder l'extérieur de sa personne, il ne put la dépeindre pour la lui faire connaître.
Quelques jours après, M. Grignion étant retourné dire la messe dans la même église, cette religieuse inconnue dont nous venons de parler, étant alors en adoration devant le S. Sacrement, eut aussi par une .lumière très claire, connaissance de l'état de l'âme de M. Grignion qui était à peu près semblable au sien, ce qui l'obligea de demander à la supérieure, qui était alors au chœur, permission de parler à ce prêtre qui sortait de l'autel et qu'elle ne connaissait point. La supérieure la lui accorda, étant néanmoins fort surprise de ce que la Mère de S. Joseph, c'était son nom, demandait, contre son ordinaire cette permission, car elle était tellement morte à elle-même et à toutes les créatures qu'elle ne s'informait jamais de rien, n'allait point au parloir et ne parlait à personne. Après une demi heure d'entretien qui est le seul, qu'elle ait jamais eu avec /53/ ce serviteur de Dieu, elle vint remercier la supérieure et lui dire, avec une sainte allégresse, qu'elle était contente, et qu'elle avait trouvé un homme selon son cœur, ce qui était beaucoup dire, car elle portait alors une disposition de croix intérieures les plus pénibles de privation, d'abandon, de sécheresse, d'anéantissement et de mort. Et, c'était la voie par laquelle Dieu achevait de purifier cette sainte religieuse, qui mourut deux mois après.
Le Père Gourdan, chanoine régulier de l'abbaye de S. Victor, ayant appris le décès de la Mère de S. Joseph, en écrivit en ces termes à une religieuse qui le lui avait annoncé : "Je suis extrêmement consolé, dit il, de ce que vous me mandez touchant la sainte et fidèle adoratrice du très Saint Sacrement, que le Dieu d'amour a retirée dans son sein. On ne peut trop admirer les grandes miséricordes de Dieu sur cette âme. Tout y est digne d'amour et d'admiration. C'est un chef-d’œuvre des opérations de
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Jésus au divin Sacrement. Elle y a puisé la vie dont elle jouit /54/ présentement, sans voile de l'hostie sacrée, qui a fait tous ses délices en terre. Dieu nous fasse la grâce de suivre de loin un si rare et si infatigable exemple de piété et de culte. Je ne laisserai pas de l'offrir au saint, Sacrifice, quoiqu'il y ait lieu de croire qu'elle est dans le ciel, une partie de cette victime que nous offrons, puisque les saints ne font qu'un seul holocauste avec Jésus-Christ."
Depuis ce temps là, M. de Monfort conserva toujours une grande liaison avec les religieuses du très Saint Sacrement. Et, avant que de sortir de Paris, il leur demanda une lettre d'association pour enrôler tous ceux qu'il pourrait dans la confrérie du S. Sacrement, et les faire participer aux mérites de toutes les bonnes œuvres de ces saintes religieuses et à toutes les indulgences que le Saint¬-Siège leur a données, ce qu'elles lui accordèrent volontiers.
/55/ CHAPITRE XIV Il va demeurer au Mont Valérien et à l'hôpital de la Salpêtrière proche de Paris.
Pendant le séjour que M. de Monfort fit à Paris, Mgr le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, l'envoya au Mont Valérien, à deux lieues de Paris, où il y a des prêtres qui vivent en communauté et des ermites reclus, qui mènent une vie fort pénitente et très exemplaire, depuis plusieurs années qu'ils y sont établis. Son emploi devait être, en ce lieu là, d'édifier les uns et de confesser les autres, aussi bien que ceux qui y vont en pèlerinage. Il y a sur cette montagne plusieurs chapelles, un peu éloignées les unes des autres, où les mystères de la Passion sont représentés d'une manière très dévote, par des figures de
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grandeur naturelle, où les pèlerins vont faire leurs stations, surtout dans le temps de la Passion.
/56/ M. de Monfort ne manquait pas d'y aller tous les jours, pour méditer les mystères douloureux des souffrances du Sauveur, pour lesquels il avait un attrait très particulier, et ce fut sans doute en ce lieu là, qu'il forma le dessein de construire, ad instar, un calvaire dans la paroisse de Pontchâteau, au diocèse de Nantes, qui lui causa tant de croix dont nous parlerons ci-après.
Mais comme les occupations qu'il avait au Mont-Valérien ne remplissaient pas toute l'étendue du zèle de M. de Monfort, il en sortit peu de temps après pour aller à l'hôpital de la Salpêtrière, à demie lieue de Paris, pour y servir les pauvres qui y étaient au nombre de 4 ou 5 mille, et pour y travailler au salut des âmes : deux grands objets de sa charité. Il n'est pas concevable combien il se donna de peines et de mouvements pour instruire ceux qui ignoraient les vérités du salut, pour retirer de l'habitude du péché ceux qui y étaient plongés depuis plusieurs années, et pour faire avancer les justes dans le chemin de la /57/ vertu, pour consoler les affligés et pour donner à tous une haute idée de Dieu et de l'énormité du péché.
Il ne fut pas quatre ou cinq mois dans cette maison, où il aurait volontiers passé le reste de ses jours, que le démon jaloux du bien qu'il y faisait donna du dégoût de sa conduite à quelques administrateurs, qui la trouvèrent trop singulière et trop sévère. C'est pourquoi, lorsqu'il s'y attendait le moins il trouva un soir son congé par écrit, sous son couvert, comme il allait se mettre à table pour manger un morceau de pain.
Avant que de sortir, il distribua tous ses petits meubles et tout ce qu'il avait aux pauvres, et changea un chapeau neuf qu'on lui avait donné, avec le vieux du portier et, suivant l'évangile, il secoua la poussière de ses souliers, en quittant un lieu où Dieu l'avait fait entrer, et d'où le monde le faisait sortir.
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LIVRE II
CHAPITRE PREMIER Il retourne à Poitiers. L'humiliation qu'il y souffre.
/58/ M. de Monfort se voyant obligé de sortir de Paris, et se souvenant des avances que M. de Girard, évêque de Poitiers, avait faites pour l'attirer dans son diocèse, crut qu'il ne pouvait mieux faire que d'aller offrir ses services à son successeur, qui était alors Messire Claude de La Poype de Vertrieu, comte de Lyon, que son seul mérite avait fait élever à la sublime dignité d'évêque, car M. de Girard était mort dès le mois de mars de l'année 1702. M. de Monfort arriva à Poitiers, vers le milieu de l'année 1703. Mais il trouva beaucoup de changement dans l'esprit des administrateurs /59/ de l'hôpital à son égard. Quoiqu'il ne fût allé à Poitiers uniquement que pour y servir les pauvres, ils ne voulurent pas l'y recevoir, de sorte que M. l'évêque de Poitiers fut obligé de le placer en la paroisse de S. Jean, pour y administrer les sacrements, en attendant que la divine Providence donnât des ouvertures pour le faire entrer à l'hôpital, qui était son grand et unique objet. M. de Monfort, exerça son ministère en cette paroisse avec beaucoup de zèle et de fruit. Grand nombre de personnes se mirent sous sa conduite et firent, dans peu de temps, de grands progrès dans la vertu par ses conseils. Mais il lui arriva une aventure humiliante qui retarda un peu l'accomplissement de ses desseins, dont voici l'histoire.
Un jour d'été qu'il faisait fort chaud, M. de Monfort, passant proche de la rivière, il aperçut sur le rivage plusieurs jeunes gens qui étaient venus pour se baigner, et qui faisaient beaucoup d'insolences en présence de plusieurs femmes qui y lavaient la lessive. Transporté du zèle de Phinéès, il prit /60/ une discipline qu'il avait dans sa poche et en donna deux à trois coups à un des ces jeunes garçons, pour l'obliger à se retirer dans un état plus
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modeste. Cet enfant, ne pouvant souffrir cette correction, fut se plaindre à ses parents, disant qu'il était très grièvement blessé. Sa mère, dans le premier mouvement de sa colère, fut en porter ses plaintes à Mgr l'évêque, lui faisant entendre que son fils était en danger de mort. Ce prélat, sans examiner la chose à fond, envoya dire à M. de Monfort qu'il lui défendait de célébrer la messe. Il fut aussitôt raconter ce qui lui était arrivé au Père de La Tour, jésuite, son confesseur, et lui témoigna la résolution où il était de sortir de Poitiers. Le Père de La Tour lui dit qu'il ne fallait pas aller si vite, qu'il irait prier M. l'évêque d'examiner la chose de plus près, afin de voir si M. Grignion était aussi coupable qu'on lui avait fait entendre. Et, après une information exacte, M. l'évêque connut que l'enfant avait crié plus haut qu'il n'avait eu de mal, et n'était pas même blessé, ce qui obligea ce /61/ S. prélat à relever tout aussitôt M. Grignion de son interdiction, et de lui permettre de dire la messe le lendemain. Bien loin que cette humiliation fit aucun tort à M. Grignion, elle ne fit au contraire que purifier sa vertu, augmenter son mérite, et le faire mieux connaître.
CHAPITRE II Il entre à l'hôpital de Poitiers. Détachement qu'il y pratique. Il pourvoit à la nourriture des pauvres et devient leur économe.
Les pauvres de l'Hôpital Général, qui avaient déjà expérimenté la charité de M. de Monfort, ne cessaient pas de faire des vœux et des prières pour le demander à Dieu, et ils furent exaucés lorsqu'on y pensait le moins, car les administrateurs le prièrent de prendre la place du directeur qui était vacante. M. de Monfort qui n'était venu à
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Poitiers que pour cela, en fut ravi. Les pauvres, en leur particulier, firent des feux de joie à son arrivée. /62/ Son désintéressement, sa mortification et l'amour qu'il avait pour eux parurent d'abord avec éclat car, non seulement il ne voulut point recevoir les honoraires qu'on avait coutume de donner aux autres directeurs, mais il choisit la plus pauvre de toutes les chambres de l'hôpital pour y loger, où on avait coutume de placer ceux qui étaient infectés du mal contagieux. Il défendit qu'on lui donnât d'autre nourriture que celle des domestiques ; souvent même il mangeait avec les pauvres et de leurs restes. Comme il n'y avait presqu'aucun ordre dans cet hôpital lorsqu'il y entra, il commença par y établir des règlements fort sages, premièrement pour la nourriture des pauvres, et ensuite pour le spirituel, primum quod animale, deinde quod spirituale. On avait coutume de donner une livre et demie de pain par jour à chaque pauvre, ce qui paraissait plus commode et moins embarrassant aux administrateurs. Les jeunes gens qui avaient grand appétit, n'ayant rien pris depuis vingt quatre heures, mangeaient tout ce pain à leur déjeuner /63/ et passaient tout le reste du jour sans nourriture, ce qui faisait que la plupart languissaient et tombaient malades. Il obtint des administrateurs que tous ces petits pains qu'on leur distribuait, une fois par jour, fussent convertis en de grands pains coupés par morceaux, et distribués peu à peu aux pauvres au déjeûner, à dîner, à goûter et à souper, aux uns plus, aux autres moins, selon leur âge et leurs besoins. Et, il les obligea tous de se mettre à table pour dîner et pour souper, leur faisant donner du potage, en sorte qu'avec cette économie il avait, à la fin de chaque semaine, plus de quatre vingt ou cent livres de pain de reste. Et au lieu qu'auparavant tous les pauvres étaient mécontents et la plupart malades, ils commencèrent à se mieux porter et à bénir Dieu de leur avoir donné un si saint économe.
Il n'y eut qu'une femme qu'il ne put réduire à manger de la sorte, laquelle étant très mécontente de cette réforme, courut après lui avec une broche de rouet pour le percer. Il tâcha de l'apaiser par sa douceur. Mais tous les
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/64/ autres pauvres, de quelque âge et de quelque sexe qu'ils fussent, se soumirent à un règlement si sage, et on leur faisait une lecture à chaque repas. Lui-même les servait à table.
Toute la ville de Poitiers fut charmée du bon ordre que M. Grignion avait mis dans l'hôpital, ce qui fit que les personnes de piété y apportèrent, de tous côtés, des charités abondantes.
CHAPITRE III Il se fait infirmier des pauvres malades de l'hôpital. Charité héroïque qu'il pratique à leur égard.
M. de Montfort ne se contenta pas de la fonction d'économe à l'égard des pauvres, il voulut encore exercer celle d'infirmier des malades. On ne saurait dire quelle fut sa charité dans cet emploi. Il demeurait jour et nuit auprès d'eux, des temps considérables, pour les soulager, les consoler, /65/ et leur procurer la nourriture et les remèdes dont ils avaient besoin. Il les servait même dans les choses les plus répugnantes à la nature. Un d'eux, ayant dit pendant l'hiver qu'il avait froid, il lui donna la couverture de son lit, sans en demander une autre pour lui. Un malade se désespérant et jurant le saint nom de Dieu, M. de Montfort l'exhorta longtemps à la patience, sans que ses paroles pussent rien gagner sur son esprit. Il se prosterna par trois fois contre terre, en sa présence, lécha même le pavé pour satisfaire à la justice de Dieu, que ce misérable offensait par sa langue. Ce qui le toucha si fort qu'il cessa de jurer.
M. de Montfort, ayant appris qu'il y avait un pauvre dans la ville sur le pavé, attaqué d'une maladie contagieuse, tout couvert de plaies, que personne ne voulait
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retirer ni regarder, bien loin d'en approcher, il supplia les administrateurs de lui permettre de l'amener à l'hôpital, leur promettant d'en prendre soin. Ils eurent beaucoup de peine à lui accorder cette grâce, disant que ces maladies contagieuses /66/ pourraient se communiquer aux pauvres. Pour éviter ce danger, M. de Montfort le mit dans un appartement fort éloigné des autres. Et, il n'y eut que lui à le panser et à le soigner jusqu'à sa mort. Une des sœurs, occupée à gouverner les femmes malades de l'hôpital, lui dit un jour qu'elle sentait une opposition extrême à leur rendre service, dans certaines choses qui la mortifiaient beaucoup, et pour l'encourager à vaincre ses répugnances, il lui dit avec simplicité la manière dont il s'était servi pour surmonter les siennes : savoir, qu'un jour, ayant amassé le pus des plaies de ce pauvre, dont nous venons de parler, dans un petit plat, il l'avait bu, et qu'il n'avait jamais rien avalé de si bon goût, ni de plus délicieux.
On n'aura pas de peine à croire ce fait, quand on saura que M. de Montfort vidait tous les bassins des pauvres, mangeait avec eux, et buvait dans le verre de ceux qui avaient la teigne et les écrouelles, lavait la vaisselle souvent à genoux, et balayait la maison et les cours, et en ôtait toutes les ordures les plus infectes.
/67/ CHAPITRE IV Il fait faire beaucoup de réparations nécessaires à la maison et à la chapelle de l'hôpital, et se dispose à donner un règlement aux hospitalières. Commence une congrégation, sous le titre des Filles de la Sagesse.
Nous avons déjà dit qu'on donnait beaucoup d'aumônes à M. de Montfort, dont il faisait l'application au soulagement des pauvres ; il en employa aussi une partie
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pour faire faire des réparations nécessaires à la maison et à la chapelle de l'hôpital. Mais comme il était persuadé que c'était en vain que les hommes travaillent à conserver et augmenter, au dehors, les maisons matérielles, s'ils ne s'appliquent à soutenir le dedans de l'édifice spirituel par les règlements sages des personnes qui les gouvernent, il fut inspiré d'en faire un pour les hospitalières /68/ de l'Hôpital Général de Poitiers, qui fut non seulement utile pour la perfection particulière de celles qui y demeuraient, et pour le soulagement des pauvres, mais encore pour d'autres filles dont les fonctions seraient plus étendues et qui travailleraient ailleurs à instruire les petites filles dans les écoles chrétiennes, à faire faire des retraites aux personnes de leur sexe, et à soulager les pauvres et les malades des paroisses où elles seraient appelées. C'était là le plan qu'il s'était formé d'une congrégation de filles, qu'il voulait dédier à la Sagesse du Verbe incarné, pour confondre la fausse sagesse des gens du monde, en établissant la folie de l'évangile parmi elles. Aussi voulut il qu'elles portassent le beau nom de Filles de la Sagesse.
Le règlement qu'il leur prescrivit étant fort étendu, nous ne parlerons ici que de ce qui regarde leur conduite dans les hôpitaux.
1°. Il veut qu'on ne reçoive parmi elles que des filles sages, ou des veuves charitables, depuis quinze ans jusqu'à quarante. Qu'on y admette /69/ les pauvres comme les riches.
2°. Qu'on n'exige d'elles aucun argent ni pension. Que si elles apportent quelque chose, on le mette comme une aumône dans la bourse commune.
3°. Qu'on ne prenne que très rarement des pensionnaires, et toujours à condition qu'elles suivront les règles de la communauté.
4°. Qu'elles ne se chargeront d'aucunes affaires temporelles. Que si elles en avaient en leur particulier, elles les feraient solliciter par d'autres.
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5°. Qu'elles feront deux années de noviciat, même plus longtemps si on le jugeait à propos. La première pour les exercer dans la pratique de toutes les vertus, pour les dépouiller de leurs mauvaises habitudes, de leurs inclinations vicieuses, de leurs humeurs naturelles, et de leurs moindres imperfections : et que pour cet effet, la maîtresse des novices leur fera pratiquer le silence, la modestie, la mortification, l'oraison, le mépris du monde et d'elles-mêmes. Que le second noviciat durera un an, pendant lequel, outre les exercices communs, on les /70/ appliquera à apprendre la méthode de bien faire l'école, le catéchisme, à bien lire, à bien écrire, et à faire des ouvrages manuels, selon leur capacité.
6°. Qu'après l'année de leur premier noviciat, elles feront des vœux simples de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, sans aucune cérémonie, pour un an seulement ; qu'elles les renouvelleront chaque année, et qu'au bout de cinq ans, si on était content de leur conduite, elles seraient reçues pour toujours dans la maison.
7°. Qu'elles n'auront rien en propre ; que tous leurs meubles et leurs habits seront en commun, et que la communauté sera obligée après leur profession de leur fournir toutes les choses nécessaires à la vie et à leur entretien ; que cependant elles ne renonceront pas à la propriété ni au domaine de leurs biens, si elles en ont, mais seulement aux fruits et à l'emploi qu'on en doit faire, qui sera dans l'entière disposition des supérieurs.
8°. Que leur habit sera de couleur grise, à peu près comme celui des Filles /71/ de la Charité, établies par M. Vincent. Que néanmoins, elles pourront porter une cape noire, qui les couvrira depuis la tête jusqu'aux pieds. Que la supérieure pourra les faire changer de chambre, tous les ans, pour empêcher l'attache.
9°. Pour l'obéissance, il leur prescrit de la pratiquer sans partage, promptement sans délai, joyeusement sans chagrin, saintement sans respect humain, aveuglément sans raisonner, persévéramment sans discontinuation.
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10°. Il leur enjoint d'obéir à Monseigneur l'évêque, aux directeurs nommés de sa part, à M. le curé, aux administrateurs, à leur supérieure, à qui elles demanderont les permissions à genoux.
11°. Il leur donne des pratiques admirables pour garder la pureté, comme de ne parler jamais, seule à seule, avec des personnes de l'autre sexe ; de ne les faire jamais entrer dans leurs chambres, de ne les point regarder fixement, ni toucher les mains du bout du doigt ; ne point souffrir qu'on dise de paroles équivoques en leur présence, /72/ ni même d'en rire. "Si Dieu, (leur dit il), vous appelle à gouverner des hôpitaux dans les villes ou dans les campagnes, soit à l'égard de ceux qui se portent bien, soit à l'égard des malades de maladies incurables, gardez les règles suivantes de bienséance et de dépendance. Rendez aux pauvres tous les services dont vous serez capables, pour le spirituel et le temporel : avec dépendance, pour le spirituel, de nos seigneurs les évêques et messieurs les curés des paroisses, même des aumôniers. Et, pour le temporel, avec subordination aux administrateurs, en sorte que vous ne fassiez, ni plus ni moins, que vos supérieurs ecclésiastiques et laïques vous le permettront. Vous devez vous attendre à beaucoup de contradictions, dans les hôpitaux qui sont gouvernés par grand nombre d'administrateurs. Il faut pour cet effet vous armer d'une grande patience, et ne vous pas décourager. S'ils veulent vous faire omettre ou retrancher quelques-unes des règles essentielles à votre institut, vous ne le devez pas souffrir, et sortir plutôt des /73/ hôpitaux, par l'ordre de vos supérieurs ecclésiastiques. Si on veut vous faire travailler à quelque chose qui n'y soit pas essentiel, ni absolument contraire, vous pouvez vous y soumettre par charité et par obéissance, suivant l'avis de vos supérieurs."
12°. Elles iront toutes au même confesseur que Monseigneur l'évêque leur aura donné, et elles ne le quitteront que pour de grandes raisons.
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13'. Elles obéiront aussi pour le temporel aux autres personnes qui les auront appelées dans les paroisses, et qui leur fournissent de quoi vivre.
14°. Il faut qu'elles se regardent du nombre des pauvres, et qu'elles ne se mêlent point, (si ce n'est rarement et très difficilement), de leur temporel. La supérieure, seule, représentera les besoins des pauvres au bureau des administrateurs, et s'ils ne jugent pas à propos d'y faire attention, elle ne leur fera point parler par d'autres personnes de dehors pour l'obtenir ; autrement, la division succéderait à la paix et à l'obéissance.
/74/ CHAPITRE V M. de Montfort propose le règlement des Filles de la Sagesse à celles de l'hôpital de Poitiers. Elles s'y opposent. Il est obligé d'en sortir. Il est fait directeur des Pénitentes.
M. de Montfort proposa ce règlement à M. l'évêque de Poitiers et aux administrateurs de l'hôpital, qui le trouvèrent fort sage, et très propre à conduire les hospitalières à une haute perfection. La difficulté était de le faire agréer et accepter par six demoiselles qui gouvernaient l'Hôpital Général avec un économe. Il le leur proposa. Il y trouva une opposition étrange. Ce changement d'habits et les vœux simples ne furent point de leur goût. En un mot, elles dirent qu'elles ne s'y soumettraient jamais. M. l'évêque et MM. les administrateurs ne voulurent pas les y contraindre, et ils jugèrent à propos d'attendre que /75/ la grâce de Dieu, jointe à leurs réflexions, les persuadât d'embrasser un institut qui leur paraissait nouveau quoique saint. Dieu sembla faciliter l'exécution du dessein de M. de Montfort,
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en retirant de ce monde trois de ces demoiselles qui paraissaient les plus opposées à ce règlement. Les trois autres regardèrent leur mort subite comme une punition de leur résistance, et vinrent en demander pardon à M. de Montfort, qui crut que le temps était venu de faire au moins une tentative de cet établissement, en faisant commencer le noviciat. Il choisit pour cet effet les filles de la maison qui avaient le moins de santé, mais qui en récompense avaient le plus de vertus. Il les mit dans un appartement séparé, leur associa trois filles de condition de la ville qui avaient beaucoup de piété, leur donna pour supérieure une des plus pauvres filles de la maison, qui avait un esprit et une vertu très distinguée, et leur fit prendre à toutes l'habit et la coiffure dont nous venons de parler, et pratiquer toutes les règles prescrites pour le noviciat./76/ Et il voulut qu'elles furent appelées les Filles de la Sagesse.
Un changement si subit et si extraordinaire causa un grand bouleversement dans l'Hôpital Général de Poitiers. Le choix que M. de Montfort avait fait de quelques filles, au préjudice des autres, excita la jalousie et ensuite des plaintes et des murmures de la part de celles qu'on avait pas jugé dignes d'entrer dans cette congrégation. De sorte que M. l'évêque de Poitiers, pour apaiser ce trouble, jugea sagement qu'il était à propos que M. de Montfort s'absentât pour quelques temps de l'hôpital. Et il résolut d'y maintenir et faire garder les règlements et le bon ordre que M. Grignion y avait établis, pendant les quinze mois qu'il y avait demeuré, le plaça dans la maison des Pénitentes pour être leur directeur. Et ce qu'il y a de particulier, c'est que ce noviciat des Filles de la Sagesse qui a commencé à l'hôpital de Poitiers, et n'y a point été achevé, a cependant servi à former d'excellentes filles qui sont allées pratiquer ce règlement à La Rochelle, à Nantes et à /77/ St Laurent sur-Sèvre, où elles enseignent la jeunesse, et prennent soin des pauvres, avec beaucoup de bénédictions, ainsi que nous verrons ci après.
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CHAPITRE VI Il fait des missions dans les paroisses de Montbernage, de Saint Savin, de Saint Saturnin, à Sainte Catherine, avec des succès extraordinaires. Il appelle Frère Mathurin avec lui.
Il n'y a que Dieu seul qui puisse tirer le bien du mal, et qui soit capable de faire sortir la lumière des ténèbres. Ce fut un mal pour l'hôpital que M. de Montfort en sortit, mais Dieu en tira le bien universel de toute la ville de Poitiers. Ce fut l'aveuglement et la jalousie de ces bonnes filles hospitalières qui donnèrent occasion à M. de Montfort de communiquer les lumières de l'évangile /78/ à un grand peuple, et de faire ouvrir les yeux à une infinité de personnes, qui demeuraient en repos dans les habitudes du péché et dans les ombres de la mort. Le zèle de M. de Montfort était trop actif pour le salut des âmes, pour demeurer longtemps oisif. Il demanda permission à M. l'évêque de Poitiers de faire des missions dans les faubourgs, et même en plusieurs paroisses de la ville de sa résidence ; de rétablir des églises ruinées, et des chapelles qui tombaient en ruine d'ancienneté. M. l'évêque fut ravi de trouver un zélé ecclésiastique qui le secondât à faire tant de bonnes œuvres.
La première mission qu'il fit, fut à Montbernage, paroisse de Ste Radegonde, dans un faubourg de Poitiers. Il engagea les habitants de ce faubourg à acheter une grange inhabitée, qu'il fit accommoder comme une espèce de chapelle. Et, il plaça sur un petit autel une grande image de la Sainte Vierge, devant laquelle tous les soirs les peuples venaient en foule réciter ensemble le chapelet. /79/ Il voulait faire bâtir une église en ce lieu là, en l'honneur du Saint-Esprit, mais il en fut empêché par je ne sais quel accident.
En 1705, un jeune homme, nommé Mathurin, vint à Poitiers pour se faire capucin. Il entra par hasard dans
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l'église des Pénitentes pour y faire sa prière. M. de Montfort l'ayant aperçu, lui fit signe de le venir trouver et ayant su son dessein, il l'engagea à demeurer avec lui pour le servir dans ses missions, où pendant près de 15 ans il a fait le catéchisme, l'école aux enfants, et chanté des cantiques avec beaucoup de bénédiction. M. de Montfort ne lui tint pas un autre langage que celui dont se servit le Sauveur pour appeler ses apôtres, sequere me : "Suivez moi !" Et, aussitôt ce bon garçon obéit. Il a été tonsuré, depuis la mort de M. de Grignion, et a beaucoup de talents pour s'acquitter de ses fonctions.
M. de Montfort fit encore une mission à Saint Savin, paroisse de Poitiers. Il y termina bon nombre de procès, par le moyen des officiers de /80/ justice, qu'il avait prié de former un bureau, où toutes les affaires des parties étaient terminées sans frais, après les avoir examinées avec beaucoup d'exactitude.
Il fit aussi plusieurs autres missions et retraites pour préparer les peuples à la mort, en différents endroits de la ville: savoir, dans les paroisses de Sainte Radegonde, de la Résurrection, de S. Saturnin, à Ste Catherine, aux Pénitentes, au Calvaire, qui eurent toutes un succès prodigieux. Les peuples le suivaient en foule, et étaient tellement pénétrés de ses discours qu'ils fondaient en larmes, éclataient en soupirs et en sanglots, criant à haute voix miséricorde. Il s'était tellement rendu le maître de leurs cœurs qu'ils eussent été prêts à le suivre jusqu'à l'autre bout du monde, s'il avait voulu les y conduire, et à prendre son parti dans toutes sortes d'occasions. Il est vrai qu'il s'était associé des ecclésiastiques d'un grand mérite, qui lui aidaient dans ses fonctions, par l'ordre de Monseigneur l'évêque de Poitiers. Mais il était le principal /81/ mobile de tout ce qui se faisait dans les missions ; toujours le premier à entrer dans le confessionnal et le dernier à en sortir. Il attirait les grâces de Dieu sur les ouvriers et sur leurs ouvrages par ses mortifications, par ses jeûnes et par ses prières, car on l'a souvent trouvé passer plus de la moitié des nuits dans le jardin de La
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Goretterie, faisant oraison, ayant les bras étendus en croix. Il jeûnait presque tous les jours, et ne prenait qu'un léger repas au soir après tous les grands travaux ; et souvent ceux qui le voyaient de près ne pouvaient comprendre comment il pouvait vivre de si peu de nourriture.
CHAPITRE VII Trois événements singuliers arrivent pendant ses missions à Poitiers, qui le font regarder comme un saint.
Pendant que M. de Montfort faisait toutes ses missions et ses retraites, /82/ trois événements singuliers arrivèrent qui le firent regarder comme un saint et comme un prophète.
Le premier fut qu'en l'année 1706, environ le mardi gras, M. de Montfort étant allé au collège pour se confesser, le Père de La Tour, jésuite, son directeur, lui demanda après sa confession où il allait dire la sainte messe. M. de Montfort lui répondit que, s'il le souhaitait, ce serait dans leur église. Alors le Père de La Tour le pria de la dire pour Madame d'Armagnac, femme du Gouverneur et Lieutenant de Roi de Poitiers, laquelle était malade à l'extrémité et abandonnée des médecins. M. de Montfort le lui promit et, après la messe, il vint dire au Père de La Tour qu'elle ne mourrait pas de cette maladie ; qu'il avait prié le Seigneur pour elle. Alors, le Père de La Tour qui connaissait le fond de son cœur et la simplicité de son esprit, le pria d'aller porter cette bonne nouvelle à Monsieur d'Armagnac qui était fort affligé de la maladie dangereuse de son épouse. Monsieur Grignion, sans faire aucun retour sur lui-même, obéit dans l'instant, /83/ entra dans la chambre de la malade et lui dit: "Madame, vous ne mourrez pas de cette maladie. Dieu veut vous laisser sur la
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terre et prolonger vos jours pour continuer vos charités aux pauvres." En effet, elle commença à se mieux porter, et elle a encore vécu douze ans. Depuis, M. d'Armagnac a déposé ce fait avec serment, devant notaire, le 28 novembre 1718.
Le second événement est qu'ayant une dévotion particulière à Saint Jean l'Evangéliste, il entreprit de rétablir l'église dédiée à Dieu sous le nom de cet apôtre, qui était en ruine , car elle était si ancienne que la tradition de la ville est encore qu'elle a servi de temple aux faux dieux. Et, on y montre une grande pierre creuse en forme de vase, qui servait, dit on, à recevoir le sang des animaux qu'on immolait aux idoles. On eut beau dire à M. Grignion qu'il ne viendrait jamais à bout de cette entreprise, M. le doyen de la cathédrale lui dit un jour, en le raillant : "N'est ce point, M. Grignion, que vous avez été transporté en l'île de Pathmos, et que Dieu vous a révélé /84/ qu'il voulait que vous fissiez rétablir l'église de S Jean ?" "Dites ce qu'il vous plaira, Monsieur, répliqua Monsieur Grignion, j'en viendrai à bout avec l'aide de Dieu."
En effet, il fit une quête par la ville. Il amassa environ 400 liv. et ayant reçu d'autres secours inespérés que la Providence lui envoya, il fit réparer pour ainsi dire cette église, de fond en comble.
Le troisième événement est qu'un jour M. de Montfort, devant prêcher dans l'église paroissiale de la Résurrection où il avait fait mission, en prévint les personnes qui avaient coutume de le venir entendre dans l'église des Pénitentes. On eut beau leur dire qu'il ne devait pas faire le sermon ce jour là aux Pénitentes, les peuples ne laissèrent pas d'y rester. Il y eut parmi ce grand monde, plusieurs personnes dans l'auditoire qui, craignant d'être privées de la parole de Dieu, prièrent ardemment Notre Seigneur par l'intercession de la Sainte Vierge que, si le sieur Grignion devait faire plus de fruit, dans la dite église des Pénitentes que dans le lieu où /85/ il s'était proposé de prêcher, il fût fortement inspiré d'y venir. Peu de temps après, on fut surpris de voir entrer M. Grignion, qui commença par se mettre sur le seuil de la porte de la
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sacristie et parla de la sorte : "Il y a, en cette église, des personnes qui ont prié Dieu que j'y vins prêcher, et j'ai été pressé de le faire contre ce que je m'étais proposé, mais si vous n'en profitez pas, Dieu vous en demandera un compte exact et rigoureux au jour de son jugement." Après quoi il prêcha.
CHAPITRE VIII Il fait de temps en temps des retraites. Il est fort maltraité du démon.
Monsieur Grignion, étant fort persuadé de cette maxime de l'évangile qu'il ne sert de rien à l'homme de gagner tout l'univers s'il Perd son âme, ne pensait pas tellement au salut des autres qu'il ne songeât au/86/sien propre. Dans cette vue, il allait de temps en temps faire des retraites, pour imiter les apôtres qui lavaient et raccommodaient les filets dont ils se servaient pour prendre des poissons, lavantes et reficientes retia sua, dit l'évangile, afin qu'ils fussent en état de les jeter en pleine mer avec une plus grande bénédiction, mittentes retia in capturam. Il fut faire une retraite de dix jours à une maison de campagne, que lui prêta une sainte veuve proche de la ville de Poitiers, paroisse de Savarne. Il n'y mena qu'un clerc de quinze à seize ans, qui fut témoin de la plupart des jeûnes, des oraisons et des mortifications qu'il pratiqua en cette solitude. Le démon, ne pouvant souffrir que ce généreux missionnaire se préparât ainsi à le combattre, ne manqua pas de le tenter, ainsi qu'il avait fait à Notre Seigneur dans son désert, en sorte que ce jeune homme digne de foi a assuré qu'il entendit plusieurs fois un grand bruit dans la chambre où le saint homme était seul, comme s'il y eut eu trois ou quatre personnes ensemble qui se /87/fussent battues avec la dernière
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violence et qu’au milieu des coups il entendait distinctement M. de Montfort qui disait à haute voix : "Je me moque de toi, je ne manquerai point de force et de courage pendant que j'aurai Jésus et Marie avec moi. Je me moque de toi."
Ce n'est pas là l'unique fois que le démon l'a maltraité. Une des sœurs hospitalières rend témoignage qu'elle a eu connaissance que le démon lui faisait souvent beaucoup de peine; qu'on l'a entendu à dix heures du soir dans le jardin de l'hôpital crier à haute voix, comme une personne qui se battait avec une autre. Et, parce qu'il craignait qu'on ne s'en fût aperçu, il lui demanda le lendemain si elle n'avait entendu personne se plaindre la nuit précédente.
Une femme, qui gouvernait un prêtre auprès de la chapelle, a dit qu'elle l'a entendu plusieurs fois crier et même l'a vu traîner par terre, sans pourtant apercevoir la personne qui le traînait, et entendait distinctement M. de Montfort qui disait : «0 Ste Vierge, ma bonne /88/ Mère, venez à mon secours !» Et ayant su que cette femme en avait connaissance, il lui fît défense de dire à qui que ce soit ce qu'elle avait vu et entendu. Ceux qui savent les conduites que Dieu tient sur quelques-uns de ses saints du premier ordre n'auront pas de peine à croire ces sortes de persécutions de la part du démon, qui sont arrivées à d'autres qu'à Job, même de nos jours, surtout au Père Joseph Surin, jésuite qui, par un ordre singulier de la Providence, a été maltraité pendant près de vingt ans du malin esprit, d'une manière très humiliante et très cruelle.
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CHAPITRE IX Il fait la mission dans l'église des Religieuses du Calvaire de Poitiers. Il y reçoit une humiliante mortification et très sensible. Le saint usage qu'il en fait.
La dernière mission que fit M. de Montfort à Poitiers fut aux religieuses /89/ du Calvaire, dont il avait emprunté l'église pour y assembler le peuple. Ce fut là qu'il donna des marques qu'il avait épousé la croix et qu'il était le disciple du calvaire. On se rendit en foule aux exercices qu'il fit pendant toute la mission, qui dura trois semaines. M. Grignion y prêchait, catéchisait et confessait tous les jours, depuis le matin jusqu'au soir, et faisait même les conférences spirituelles, avec tant d'esprit et de science qu'il charmait tout son auditoire, et on ne le regardait plus dans la ville comme un homme du commun mais comme un saint. Il s'employa surtout à faire des réconciliations dans les familles, et à retirer des mains des libertins des livres déshonnêtes et des tableaux représentant des choses obscènes. On lui en apporta un si grand nombre qu'il résolut, à l'exemple de saint Paul, dont il est parlé dans les Actes des Apôtres, multi autem exeis, qui fuerant curiosa sectati, contulerun libros, et combusserunt coram omnibus Act. C. 19. v. 19, de les faire brûler publiquement. La pensée lui vint de /90/ représenter, à l'exemple d'un jésuite espagnol, le monde sous la figure d'une femme habillée à la manière des mondaines, avec tous les ornements de vanité dont elles ont coutume de se parer. On lui apporta plus de 500 livres et autant de tableaux obscènes, et il les fit tous attacher autour d'un poteau, sur lequel cette idole de paille était élevée, pour les faire brûler ensemble. Son dessein était ensuite de faire ériger une croix, en la place de ce fantôme après qu'il aurait été brûlé, pour marquer que Jésus crucifié avait triomphé du monde par sa croix, suivant cette parole de saint Paul, spolians principatus et potestates palam triomphans in semetipso.
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Mais le monde était trop intéressé dans ce spectacle pour ne s'y pas opposer. Des libertins, pour rendre la chose plus ridicule, attachèrent des boudins et des saucisses à la tête de cette figure en forme de pendants d'oreilles, sans que M. de Montfort en eut aucune connaissance. Un curé de Poitiers, travaillant avec lui dans la mission, contraire à ses sentiments, au lieu de l'avertir charitablement de ce qu'il trouvait /91/ à redire dans ce projet, alla trouver un des grands vicaires de Monseigneur l'évêque de Poitiers, alors absent, pour faire sa cour, et lui dépeignit ce bûcher avec des couleurs si noires, et d'une manière si ridicule que M. le grand vicaire, craignant que cela ne tournât au mépris de la religion, monta promptement en carrosse avec le curé et vint à l'église du Calvaire. Ayant aperçu le bûcher à la porte, où l'on disait qu'on allait brûler le diable, il ordonna sur le champ qu'on ôtât cette idole, sans prendre garde qu'il y avait de très mauvais livres et tableaux déshonnêtes cachés dessous.
En même temps, une foule d'artisans et d'écoliers se jetèrent dessus, les mirent en pièces, abattirent l'idole, emportèrent les livres et les tableaux dans leurs maisons, avec des huées et des risées extraordinaires, criant par les rues comme des fous. Le diable joua si bien son personnage ce jour là qu'il fit devenir le mal plus grand, car de particulier et de secret qu'il était, il le rendit publie et universel, novissimus error pejor priore. /92/ Ce ne fut pas là tout. M. le grand vicaire accompagné du curé entra dans l'église, où M. de Montfort prêchait au milieu d'un peuple innombrable, et après lui avoir imposé silence, il lui fit de très sanglants reproches de ses imprudences et de son zèle indiscret et sortit. M. de Montfort, sans paraître plus ému qu'à l'ordinaire, dit à ses auditeurs : "Mes frères, nous nous disposions à planter un e croix à la porte de cette église, Dieu ne l'a pas voulu ; nos supérieurs s'y opposent ; plantons là au milieu de nos cœurs, elle sera mieux placée en cet endroit que partout ailleurs." Puis, il commence à faire dire le chapelet, à quoi il ne manquait jamais, à la fin de chaque exercice de ses missions.
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Dieu, qui avait pris plaisir à mortifier et à humilier son serviteur, le consola un peu le lendemain, car voulant finir le lundi la mission du Calvaire, les personnes qui l'avaient accusé d'indiscrétion vinrent lui faire excuse publiquement, par l'ordre de leurs confesseurs. Et Monsieur Revol, l'un des grands vicaires de Monseigneur /93/ l'évêque de Poitiers, déjà nommé à l'évêché d'Oléron, prêcha à la clôture de la mission, et releva autant le mérite de M. de Montfort dans son sermon qu'il avait été abaissé le jour précédent.
CHAPITRE X Il finit sa mission du Calvaire avec une nouvelle humiliation. Il fait résolution d'aller à Rome.
Monsieur Grignion, pénétré des sentiments de son indignité, prêchant le même jour pour dire adieu au peuple, leur parla en ces termes : "Je vous fais excuse, mes chers frères, du scandale que je vous donnais hier, sans doute par ma faute, quoiqu'on ait mal informé nos supérieurs. J'ai un regret sensible de ce que tant de mauvais livres et sales tableaux ont été répandus dans le publie. Hélas ! Que ne m'a t on, dit il, plutôt ôter la vie, car ces instruments du péché vont causer une infinité /94/ de scandales dans le monde. Si je pouvais les racheter par l'effusion de tout mon sang, je le répandrais de tout mon cœur jusqu'à la dernière goutte, pour effacer ces livres et ces peintures."
Et, par un acte héroïque M. Grignion, devant dire la grand messe en action de grâce, pria le curé, dont nous venons de parler, de lui servir de diacre au saint autel, afin de lui marquer qu'il n'avait aucun ressentiment dans le cœur contre lui.
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La procession étant faite et la mission finie, il se retira dans la salle des religieuses du Calvaire, qui y avaient fait préparer un grand repas pour régaler tous les missionnaires. On attendit fort longtemps M. Revol qui avait promis de s'y trouver, mais comme il était occupé chez monsieur l'intendant pour quelque affaire, il ne vint qu'à la moitié du dîner, disant qu'il avait quitté Monsieur l'intendant, pour témoigner la considération qu'il avait pour Monsieur de Montfort.
Quelques jours après, M. Grignion voulut donner les exercices de la retraite /95/ aux religieuses de Ste Catherine pour la préparation à la mort, mais le premier jour qu'il la commença, il reçut une lettre pendant son dîner, par laquelle il lui était ordonné de sortir incessamment de Poitiers. En même temps, il bénit Dieu de cette humiliation, et forma beaucoup d'actes d'amour de Dieu et de soumission à sa volonté, et il poussa plusieurs soupirs mêlés de joie et de tristesse, et aussitôt dit adieu aux religieuses.
Ce grand serviteur de Dieu reçut cette humiliation avec respect et soumission à l'ordre de la divine Providence. Et étant allé répandre son cœur dans le sein du R. P. de La Tour, jésuite, son directeur, qui demeurait alors au collège de Poitiers, il le consulta sur le dessein qu'il avait depuis longtemps d'aller à Rome offrir ses services au pape et lui demander sa bénédiction apostolique, pour aller prêcher l'évangile aux infidèles dans le nouveau monde, et par là, s'il lui était possible, mériter la couronne du martyre. Le Père de La Tour approuva fort son dessein. C'est pourquoi M. Grignion entreprit /96/ le voyage dItalie, ainsi que nous allons voir dans le livre troisième.
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LIVRE III
CHAPITRE PREMIER Il va à Rome offrir ses services au pape Clément XI. Il obtient une audience de sa Sainteté. Circonstance de son voyage.
Monsieur Grignion partit pour aller à Rome au commencement du carême de l'année 1706, à pied, en jeûnant, sans argent, résolu de demander l'aumône durant tout le voyage, abandonné à la divine Providence, ne portant avec lui que la Ste Bible, son bréviaire, un crucifix, son chapelet, une image de la Ste Vierge, et un bâton à la main.
En sortant de la ville de Poitiers, il distribua aux pauvres 18 deniers /97/ qu'il avait encore de reste, et ayant trouvé un jeune homme de métier, qui lui dit qu'il allait aussi en Italie, il lui demanda s'il avait de l'argent, et lui ayant répondu qu'il n'avait que trente sols, M. Grignon les lui demanda, et tout aussitôt les donna aux pauvres, lui promettant qu'il le défrayerait sur la route.
Il n'est pas concevable combien il souffrit de peines, d'humiliations et de fatigues pendant tout le voyage. Il fut cent fois rebuté par les curés et par les infidèles auxquels il demandait l'hospitalité. Il fut souvent obligé de coucher à leur porte ou sous les vestibules des églises, parce qu'on le prenait pour un espion ou pour un prêtre vagabond ; et contre son ordinaire, il fut quelquefois contraint de prendre l’honoraire de ses messes pour pouvoir subsister.
Il logea, quand il put, dans les hôpitaux. Enfin il fit un voyage d'apôtre. Il passa d'abord par Notre-Dame de Lorette avant que d'aller à Rome. Il y demeura près de quinze jours, pendant lesquels il allait dire la sainte /98/ messe à l'autel de la Ste Chapelle, où le mystère de l'Incarnation a été annoncé à la très digne Mère de Dieu par Saint Gabriel Archange, où elle a conçu le Verbe
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incarné par l'opération du Saint-Esprit. Un habitant de la petite ville de Lorette, l'ayant vu célébrer la sainte messe à l'autel de Notre-Dame, avec une dévotion et un recueillement extraordinaire qu'il ne remarquait pas dans les autres prêtres, en fut si édifié qu'il le pria de venir prendre ses repas et son logement chez lui ; ce qu'il fit. Il continua sa route et, ayant à deux lieues de la ville de Rome aperçu le dôme de l'église de St Pierre, il se prosterna contre terre, pleura à chaudes larmes, ôta ses souliers et fit le reste du chemin pieds nus, faisant des réflexions solides sur la manière dont St Pierre était entré dans cette grande ville, alors la capitale du monde, sans train, sans argent, sans amis, n'ayant qu'un bâton à la main et pour tout bien que la pauvreté d'un Dieu crucifié. Et pensant au miracle subsistant que Dieu a fait pour arborer la croix de Jésus-Christ /99/ son Fils sur le Capitole, et pour établir le siège d'un pauvre pécheur sur le trône de César, il en bénit Dieu et conclut par un motif de crédibilité très certain, que l'Eglise de Jésus est l'unique et véritable, parce qu'elle est Romaine.
Il arriva enfin à Rome bien fatigué et fort épuisé, et après quelques jours de repos, il fit demander audience au pape Clément XI par un Théatin qui avait beaucoup d'accès auprès de sa Sainteté. Le pape ayant marqué le jour, M. Grignion demanda en quelle langue il fallait haranguer le S. Père, et ayant su que c'était pour l'ordinaire en latin, il fit un discours fort court, mais très éloquent, qu'il prononça en cette langue, après avoir été admis à baiser les pieds du pape.
Il a dit depuis, qu'en entrant dans la chambre de sa Sainteté, et qu'apercevant Clément XI, il fut saisi d'un respect extraordinaire, croyant voir Jésus-Christ lui-même en la personne de son Vicaire. Clément XI le reçut avec beaucoup de bonté ; et après sa harangue latine, il lui dit qu'il pouvait /100/ lui parler français, qu'il l'entendait assez pour y répondre ; et pour ce que M. Grignion lui proposa d'aller faire des missions en Orient pour convertir les infidèles, le pape lui répartit : «Vous avez, Monsieur, un
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assez grand champ en France pour exercer votre zèle ; n'allez point ailleurs et travaillez toujours avec une parfaite soumission aux évêques dans les diocèses desquels vous serez appelé. Dieu par ce moyen en donnera bénédiction à vos travaux."
Monsieur Grignion présenta ensuite un crucifix d'ivoire au pape, suppliant sa Sainteté d'y attacher une indulgence plénière pour tous ceux qui le baiseraient à l'heure de la mort, en prononçant les noms de Jésus et de Marie, avec contrition de leurs péchés. Ce qu'il lui accorda, et c'est d'où vient, qu'il fit graver dessus le pied en grosses lettres ces paroles : Indulgentia plenaria a summo Pontifice Clemente undecimo concessa, et il se servait ordinairement de ce crucifix dans les missions, pour exciter le peuple à la contrition de leurs péchés, en leur /101/ montrant les plaies du Sauveur.
Avant que de sortir de Rome, il fit percer le haut de son bâton à vis et, assez souvent il y attachait ce crucifix, par les chemins en revenant en France, pour en tirer le sujet de ses méditations. Le pape lui accorda aussi la permission de bénir de petites croix de papier et d'étoffe qu'il distribuait, à la fin de chaque mission, à ceux qui avaient assisté à trente trois sermons, où les noms de Jésus et de Marie étaient écrits. Clément XI lui donna aussi la qualité de "Missionnaire Apostolique," et lui recommanda surtout de bien enseigner la doctrine chrétienne aux peuples et aux enfants, et de faire renouveler partout l'esprit du christianisme par le renouvellement des promesses du baptême. En revenant de Rome, il rencontra deux jeunes gens en chemin qui furent les compagnons de son voyage.
Etant arrivé avec eux dans un village, il leur dit : "Allez chez M. le curé lui demander s'il veut bien pour l'amour de Dieu nous donner à manger.". Le curé lui envoya un petit morceau /102/ de pain comme à un pauvre. M. de Montfort, voyant qu'il n'y en avait pas assez pour trois personnes, fut lui-même au presbytère du curé lui demander l'aumône. Il le trouva à table avec grande
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compagnie. Il entra dans la chambre, et après lui avoir fait son petit compliment, il se mit à genoux suivant sa coutume, dit un Ave Maria et l'oraison Visita quaesumus. Le curé, le prenant pour un fou, le fit entrer dans sa cuisine, et ordonna qu'on lui donnât à manger avec ses valets. On lui servit du pain bis avec de mauvais vin. Il fut ensuite remercier le curé de sa charité. Le curé lui demanda pourquoi il n'allait pas à cheval. Il lui répondit que les apôtres n'avaient pas coutume d'y aller, que cela était bon pour les gens du monde. Pendant tout ce voyage, lorsqu'il avait été réduit à coucher sur le pavé ou à la porte d'une église ou d'un presbytère, et qu'il avait été le plus rebuté, il trouvait le lendemain abondamment le nécessaire à la vie et de quoi se dédommager.
Comme il partit de Rome pour revenir /103/ en France pendant les grandes chaleurs de l'été, il souffrit une espèce de martyre. Il arriva le vingt cinq août, fête de Saint Louis son patron, à Ligugé à une lieue de Poitiers, prieuré appartenant aux jésuites, et très respectable, pour avoir été autrefois consacré et sanctifié par la demeure de Saint Martin, lorsqu'il vint trouver Saint Hilaire son maître. Monsieur Grignion y dit la messe. Frère Mathurin, qui l'attendait en ce lieu là, eut beaucoup de peine à le reconnaître, tant il était changé et hâlé par les ardeurs du soleil et affaibli par la fatigue du chemin. Il portait ses souliers en ses mains, ses pieds étant tout écorchés, son chapeau sous son bras, et son chapelet à la main.
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CHAPITRE II Monsieur Grignion passe par Poitiers. Il est obligé d'en sortir. Il fait une retraite au Mont St Michel.
A son retour de Rome, M. Grignion passa par la ville de Poitiers /104/ où il croyait se reposer pendant quelques jours, mais Monseigneur l'évêque, ayant appris son arrivée, lui envoya dire par son secrétaire de se retirer dans vingt quatre heures. Le Père de La Tour, jésuite, son directeur, qu'il était allé visiter, le voyant extrêmement fatigué du chemin, et le visage plein de boutons, le convia de rester à l'Hôpital de la Charité pour s'y reposer, et pour se rafraîchir pendant quelques jours, mais deux raisons empêchèrent le serviteur de Dieu d'accepter cette proposition, savoir: la crainte de désobéir à M. l'évêque et de ne pouvoir dire la sainte messe. C'est pourquoi il prit le parti d'aller à six lieues de Poitiers pour faire une retraite de huit jours, chez un curé de ses amis, et là, consulter la volonté de Dieu, sur ce qu'il avait à faire pour se disposer à travailler à sa plus grande gloire et au salut des âmes, dans tous les lieux où il plairait à sa divine Providence de l'appeler. De là, il fit un pèlerinage de dévotion à Notre-Dame de Saumur. Il passa par Angers. Il n'y fut qu'autant de temps qu'il /105/ lui en fallait pour visiter les hôpitaux. Puis, il alla au Mont Saint Michel, pour prier ce Saint Archange de lui obtenir la grâce de gagner des âmes à Dieu, de confirmer celles qui étaient dans la grâce, et de combattre le démon et le péché. Il trouva en chemin un pauvre homme chargé d'un fardeau fort pesant, auquel il fit tant d'instance pour lui permettre de lui aider à le porter qu'il obtint enfin de le mettre sur ses épaules. Il le porta jusqu'au soir qu'il entra dans une hôtellerie, et fit manger et coucher ce pauvre homme avec lui malgré l'hôtesse, qui lui dit qu'elle ne voulait point loger ce gueux. Mais M. de Montfort l'apaisa, en disant qu'il payerait sa dépense. Ce qu'il fit.
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CHAPITRE III Il va à Rennes. Détachement qu'il y fait paraître pour ses parents.
Il y fut trois ou quatre jours sans se faire connaître à personne, pas même /106/ à ses parents qui y demeuraient encore. Et, il allait tous les jours à l'hôpital visiter, instruire et consoler les pauvres et dire la Ste Messe, tantôt à Notre-Dame de Bonne Nouvelle tantôt à S. Sauveur. Une personne, qui demeurait à l'Hôtel-Dieu, vint un jour dire à l'oncle de M. de Montfort, prêtre sacristain de S. Sauveur, nommé de La Vizeule Robert, qu'il y avait un prêtre qui venait tous les jours prêcher à l'hôpital, qu'elle croyait être son neveu, qu'elle l'avait connu lorsqu'il était au collège, il y avait près de quinze ans.
Tout aussitôt, son oncle fut le chercher' par toute la ville. Ayant appris qu'il logeait dans une pauvre maison proche des Carmes, il y fut. Mais il ne l'y trouva pas, et dit à Frère Mathurin, son compagnon de voyage, qu'il était bien dur à ses parents, qui ne l'avaient point vu depuis dix ans, d'apprendre qu'il les fuyait, et il fut encore le chercher le lendemain matin. L’ayant enfin rencontré, il l'embrassa et lui fit à peu près le même reproche que la Sainte Vierge fit à Notre Seigneur/107/ qui avait quitté ses parents pour demeurer dans le Temple, Fili quid fecisti nobis sic, lui demandant pourquoi il agissait de la sorte avec eux, et ajouta que son père et sa mère étant encore à Rennes, il ne devait pas manquer de les venir voir. M. de Montfort lui répondit qu'il, n'avait point d'autre père que Dieu sur la terre, qu'il voulait vivre et mourir détaché de ses parents. Il consentit néanmoins de les aller voir, et partit sur le champ pour les aller chercher à leur logis. En entrant dans leur chambre il se mit à genoux, et fit sa prière suivant sa coutume, en disant l'oraison, Visita quaesumus super hanc familiam tuam. Son père voulut l'arrêter dans
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sa maison pour y loger, mais il ne put jamais l’y faire consentir. Il retourna dans la pauvre chaumière où il était d'abord entré. Son père ne réussit pas mieux à le faire manger à sa table. Tout ce qu'il put obtenir de lui fut de prendre un seul repas avec quelques-uns de ses parents. Après le benedicite, M. Grignion prit une assiette blanche et la garnit de tout ce qu'il y avait de meilleur sur la table, pour l'envoyer aux pauvres de la paroisse. /108/
Il prêcha à Rennes en plusieurs endroits, même au séminaire où M. Esnou, qui en était supérieur et vicaire général de Monseigneur Lavardin, alors évêque de Rennes, fut si content de ses exhortations qu'il le convia de s'associer avec les directeurs du séminaire, pour aller de temps en temps faire des missions à la campagne suivant son attrait. Mais M. de Montfort, dont la grâce était plus étendue, le remercia, se sentant comme les apôtres, attiré à prêcher par tous les diocèses sans se borner à aucun. Il se retira très sagement de Rennes, où il n'aurait pas sans doute fait tant de bien qu'ailleurs. Pour deux raisons : la première, parce qu'il y était connu et qu'on lui avait vu étudier ; la seconde, parce que le bruit s'était déjà répandu de l'affront qu'il avait reçu à Poitiers, qui avait diminué sa réputation parmi les gens du monde./109/
CHAPITRE IV Il va de Dinan dans l'évêché de Saint-Malo. Plaisante aventure qu'il lui arrive. Il s'associe avec Monsieur Leudugé pour faire des missions.
De Rennes, M. de Montfort fut à Dinan au diocèse de Saint-Malo. Il logea chez Messieurs de la mission. Trois ou
quatre jours après son arrivée, il eut dévotion d'aller dire la sainte messe au couvent des Jacobins de la ville de Dinan,
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où était alors un de ses frères religieux qui prenait soin de la sacristie. Sa piété le porta à célébrer les divins mystères à l'autel du Bienheureux Raymond de La Roche, dominicain, l'un des plus grands zélateurs du saint rosaire, et des plus fervents réformateurs de son ordre. Il entra dans la sacristie, il y reconnut fort bien son frère sans en être reconnu et lui dit : "Mon cher frère, je vous prie de me donner des ornements /110/ pour dire la sainte messe", sans lui faire aucun autre compliment. Ce religieux, qui était prêtre depuis longtemps, se trouva choqué de ce qu'il ne l'avait appelé que frère. Et, sans le regarder d'un bon œil, il alla quérir les plus pauvres ornements de la sacristie et deux bouts de cierges, longs comme le doigt, voulant se venger par là du mépris qu'il croyait que ce prêtre avait fait de lui. Après la sainte messe, M. de Montfort remercia le sacristain, en l'appelant encore son cher frère, et le pria de lui garder les mêmes ornements pour le lendemain. Ce religieux, croyant que ce prêtre affectait de l'insulter, demanda, pendant qu'il faisait son action de grâce, à Frère Mathurin qui avait servi sa messe, comment il s'appelait ; et d’un ton de colère, il lui dit qu'il ne savait pas vivre: "Je veux qu'il sache, dit il, que je m'appelle père, que je suis prêtre, que je prêche et que je dis la messe, et que je confesse."
Frère Mathurin, à qui M. Grignion avait défendu de le nommer, s'excusa le mieux qu'il put, et lui dit que c'était un prêtre étranger, et /111/ qu'il devait lui pardonner cette incivilité. L'après-midi du même jour, le sacristain rencontra encore Frère Mathurin dans une rue de la ville, et comme cette prétendue injure lui tenait fort au cœur, il lui demanda pour la seconde fois le nom de ce prêtre qui avait dit la messe dans leur église ; alors Frère Mathurin, qui avait bien de la peine à s'empêcher de rire, lui répondit qu'il s'appelait M. de Montfort : "Je ne connais point ce nom là", dit le sacristain. Car, il y avait plus de dix-huit ans que M. Grignion avait pris ce surnom. Alors, frère Mathurin lui dit ouvertement qu'il se nommait Grignion de Montfort, et qu'il était originaire de Montfort la Cane : "C'est donc mon frère ?" répartit ce religieux : "Oui, sans
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doute", lui dit Frère Mathurin. Alors le Père, faisant de grandes exclamations, fut fort surpris du détachement de son frère, et fâché de ne l'avoir pas connu. Le lendemain, M. de Montfort étant entré dans la sacristie des Jacobins pour dire la messe, son frère l'embrassa très cordialement, et lui fit reproche de ce qu'il /112/ ne s'était pas fait connaître. Alors le serviteur de Dieu lui dit : "De quoi vous plaignez vous ? Je vous ai appelé mon cher frère ; hé, ne l'êtes vous pas ? Pouvais je vous donner des marques plus tendres de mon amitié ?" Après quoi, le sacristain lui fit réparation d'honneur en lui donnant les plus beaux ornements, et prôna sa vertu partout.
M. de Montfort trouva alors M. Leudugé, grand vicaire de Saint-Malo, qui faisait mission aux environs de Dinan. Il demanda à lui être associé, et à quelques autres missionnaires de Bretagne, qui travaillaient avec lui. Ce qu'il obtint facilement. Et, par humilité il ne voulut faire que le catéchisme aux enfants, préférant cet emploi à celui de prédicateur, parce qu'il était moins éclatant aux Yeux des hommes. Après cette première mission, il entreprit, avec la permission des supérieurs, d'en faire une aux soldats qui étaient en garnison à Dinan, et il toucha tellement leurs cœurs qu'ils fondaient en larmes à chaque sermon, et ils donnèrent tous des marques d'une solide pénitence et d'une sincère conversion.
/113/ Il établit aussi au même lieu des personnes charitables pour avoir soin des pauvres, qui leur distribuaient du pain et du potage tous les jours. Il fit faire à Dinan une grande image de la très Sainte Vierge, devant laquelle il y avait un cierge qui brûlait continuellement, et on y allait réciter le saint rosaire avec beaucoup de dévotion. La réputation du zèle de M. de Montfort, et du talent qu'il avait pour gagner des âmes à Dieu, se répandit tout à coup dans l'évêché de Saint-Malo, en sorte qu'on le demandait de toutes parts pour y faire mission. Il en fut faire une à Saint Suliac, à deux lieues de Saint-Malo, à Bacheret, où il donna la retraite à plus de deux cents
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personnes des Tiers Ordres de Saint François et de Saint Dominique.
/114/ CHAPITRE V Il passe par Montfort la Cane, son pays natal. Circonstances agréables et édifiantes de son voyage.
On avait demandé M. de Montfort pour faire mission à La Chèze, paroisse de Saint-Brieuc, où il devait travailler avec M. Leudugé.
Son chemin pour y aller était de passer par Montfort-¬la Cane, lieu de sa naissance. Il y avait un oncle, chez qui, par le détachement où il était de tous ses parents, qui lui était ordinaire, il ne voulut point aller loger. Il y avait aussi, à un quart de lieue de Montfort, une bonne veuve, autrefois sa nourrice qui vivait encore. Il voulait aller coucher chez elle, mais pour sonder quelle était sa charité pour les pauvres, il envoya Frère Mathurin qui était toujours le compagnon de ses voyages, Comes peregrinationis, pour lui demander, au Nom de Dieu, /115/ le couvert pour un pauvre prêtre et pour son compagnon, et il attendait la réponse, éloigné d'un jet de pierre de sa maison.
Cette bonne veuve n'était pas au logis. Frère Mathurin n'y trouva que son gendre, qui ne voulut pas exercer l'hospitalité envers deux personnes inconnues, qu'on ne nommait point ; car la maxime de M. Grignion était qu'il ne voulait pas qu'on fit la charité à Montfort, mais à Jésus-Christ en sa personne, renonçant entièrement à toutes les vues humaines. Les siennes étaient bien parfaites, mais tout le monde n'en avait pas de semblables, non omnes capiunt verbum istud.
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De là, ils furent chez un métayer assez proche, pour lui demander à loger pour l'amour de Dieu, avec une poignée de paille. Ce métayer les refusa très grossièrement. Ils furent ensuite frapper à une autre porte, où on les traita comme on fit Jésus-Christ à Bethléem, car personne ne voulut les loger, non erat eis locus in diversorio. Ils étaient prêts de coucher dehors, lorsque M. de Montfort fut inspiré /116/ d'aller, à quelques pas de là, demander la même grâce à un homme très pauvre et très vieux qui les reçut à bras ouverts, pour l'amour de Jésus-Christ, au nom duquel M. de Montfort lui demandait à coucher. Il partagea avec eux son pain, son eau et son lit.
Le lendemain sa nourrice, ayant su que celui que son gendre avait refusé était M. Grignion, vint se prosterner à ses pieds, et lui demander pardon de ce qu'on ne l'avait pas reçu en sa maison. Ses voisins en firent autant. Et il prit de là occasion de leur dire que leur charité envers le prochain devait être plus divine qu'humaine, et plus surnaturelle que naturelle. Qu'ils devaient, en la faisant, moins envisager la créature que le Créateur. Ce qu'ils n'avaient pas fait. "Car, leur dit il, si hier au soir je vous avais demandé le couvert au nom du prêtre Grignion de Montfort, vous le lui auriez accordé. Je vous l'ai demandé au nom de Jésus-Christ, votre Dieu et le mien, et vous me l'avez refusé. C'est une grande faute que vous avez commise, non pas contre moi, mais contre Jésus-Christ."
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/117/ CHAPITRE VI Il fait faire les exercices de la retraite à des Filles de communauté, après leur avoir fait la correction de leur peu de charité.
De La Chèze, il fut faire la mission à Plumieux, paroisse voisine. Il y fit encore des prodiges. De là, il alla à Saint-Brieuc, ville capitale de ce diocèse, pour y donner les exercices de la retraite à des filles d'une communauté séculière qui l'avaient demandé. Avant que d'y arriver, il envoya Frère Mathurin pour éprouver leur charité, en leur demandant un morceau de pain pour un pauvre prêtre passant et pour lui. La portière lui répondit qu'on ne pouvait rien leur donner, qu'elles étaient pauvres elles mêmes. M. de Montfort, mécontent de cette réponse, alla en personne demander quelque chose à manger pour l'amour de Jésus-Christ à la portière, /118/ qui ne le reçut pas mieux que son clerc. M. de Montfort lui fit instance, et lui dit: "Hé ! Ma sœur, je ne vous demande qu'un morceau de pain, si petit qu'il vous plaira, j'en serai content. Je vous le demande au nom de Dieu, pouvez vous me le refuser ?" La portière fut inexorable et ne se laissa point fléchir.
Pendant que Monsieur de Montfort et cette fille disputaient ensemble pour un morceau de pain, le prêtre qui l'avait gagné à venir donner la retraite à cette communauté arriva. Comme il n'y avait point de grille en cette maison et qu'on n'y gardait pas la clôture, il dit à cette portière : "Hé quoi, ma sœur ! Pourquoi laissez vous là si longtemps dehors M. de Montfort ? Que ne lui ouvrez vous la porte, pour le faire entrer ? Il vient pour faire les exercices de la retraite dans votre maison." A ces mots, la portière lui dit : "Vous vous trompez, Monsieur, c'est un prêtre qui demande l'aumône." "Non, dit le prêtre, je ne me trompe pas, c'est M. de Montfort." Alors la fille, chargée de confusion, lui fit bien /119/ des excuses, lui ouvrit la porte et
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le mena dans une chambre fort propre, où on lui servit bientôt une collation magnifique.
Monsieur de Montfort prit de là occasion de faire une grande correction à toute la communauté assemblée. Et, en lui racontant ce qu'il lui était arrivé, il leur dit d'un ton apostolique : "Vous n'avez point de charité, mes chères sœurs. Quoi ? Vous refusez un morceau de pain qu'on vous demande au nom de Jésus-Christ, le Saint des saints, et vous donnez un grand repas, qu'on ne vous demande point, à un pauvre pécheur. Par là, vous manquez de foi et de charité tout ensemble."
Après qu'il eût fait la retraite dans cette communauté, qui parut en avoir été très édifiée et très contente, il en fit encore cinq ou six pour toutes les femmes et filles de la ville, après lesquelles il leur fit faire une procession solennelle, où l'on porta une croix magnifique, toute entourée de rayons dorés, sur chacun desquels étaient écrites, en grosses lettres, des /120/ sentences tirées de l'Ecriture Sainte, pour encourager les chrétiens à bien porter leurs croix.
CHAPITRE VII II va faire la mission à Moncontour et à Montfort. Son détachement pour ses parents.
Il alla ensuite prêcher à Moncontour où, en arrivant, il trouva qu'il y avait grand nombre de garçons et de filles assemblés qui faisaient une danse publique. Le saint homme se mit à genoux au milieu de cette troupe de jeunes folâtres, disant à haute voix: "Que celui qui est du parti de Dieu se jette par terre pour apaiser sa colère.» Plusieurs obéirent en demandant miséricorde. Quelques autres ne firent qu'en rire. Cependant, le serviteur de Dieu leur parla
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d'un ton si ferme que les plus arrogants et les plus fiers furent obligés de fléchir le genou, comme les autres, et d'avouer leur aveuglement. /121/ Car, M. de Grignion leur fit connaître le grand mal qu'il y avait de faire des danses publiques. Que c'était une des pompes de satan, auxquelles ils avaient renoncé à leur baptême, dont le malin esprit se servait pour tendre un piège à leur innocence, et pour les faire tomber en enfer.
Après la mission de Moncontour, qui eut le même succès que toutes les autres, il vint dans la ville de Montfort, lieu de sa naissance, pour tâcher de sanctifier ses compatriotes, sachant que le Fils de Dieu a dit que personne n'est prophète en son pays. Que même l'évangile remarque que le Sauveur ne pouvait faire de miracles à Nazareth sa patrie, ch. 6. v. 5. et non poterat ibi virtutem ullam facere. Il voulut se comporter en étranger à Montfort, et comme s'il n'y avait jamais eu aucun parent, car son père et sa mère ayant appris qu'il entreprenait une mission à Montfort, ils y revinrent exprès de Rennes, non seulement pour le loger chez eux, mais aussi pour lui fournir les aliments nécessaires pendant tout le temps de la /122/ mission. Mais il ne voulut jamais aller demeurer en leur maison. Il prit une petite chambre abandonnée auprès d'un bois pour y aller coucher, et il défendit à ses parents de lui donner aucune provision : ni pain, ni vin, ni viande, les menaçant de les leur renvoyer s'ils lui faisaient apporter la moindre chose. Cependant rien ne manqua à tous les missionnaires qu'il avait amenés, et il disait qu'il voulait, en son pays comme partout ailleurs, être abandonné à la divine Providence ; et qu'il ne regarderait pas comme un de ses dons gratuits ce que lui fourniraient ses parents. En effet, Dieu pourvut abondamment à tous leurs besoins. Il nourrit même tous les pauvres de la ville et des environs. Les peuples de Montfort et des lieux circonvoisins se rendirent en foule aux exercices de la mission, où il ne fit pas moins de fruits que dans tous les autres.
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/123/ CHAPITRE VIII Il va à Nantes. Il s’unit au Père Joubart, jésuite. Des écoliers lui font insulte. Il fait plusieurs missions dans le diocèse.
Monsieur Grignion fut à Nantes au commencement de l'année 1708 où, du consentement de Monseigneur l'évêque, il s'associa avec le Père Joubart, jésuite, qui avait un grand talent pour les missions. Ils commencèrent par la paroisse de S. Sambin dans un faubourg de la ville. Comme M. Grignion y prêchait à son ordinaire, avec une force vraiment apostolique, contre tous les vices de chaque état, il y eut des écoliers qui, s'étant joints à des scélérats dont il avait repris les scandales, résolurent de le tuer, et de l'attendre un soir sur le chemin où il devait passer. M. de Montfort, qui ne craignait que Dieu et le péché, fut averti de /124/ leur mauvais dessein, mais il ne laissa pas de sortir et d'aller à ses affaires. Ces misérables l'ayant aperçu se jetèrent sur lui avec fureur. Le peuple, voyant qu'ils voulaient l'assassiner, le retira d'entre leurs mains, les poursuivant, les uns à coups de pierres et les autres avec des bâtons.
M. de Montfort, voyant que les écoliers étaient en plus grand danger de leur vie que lui, alla au devant de ceux qui le défendaient, et leur dit : "Mes chers enfants, ne leur faites point de mal, laissez les en paix. Ils sont plus à plaindre que vous et moi.» Il apaisa ainsi la populace qui voulait le défendre. De S. Sambin, il fut à S. Donatien et il fit des retraites aux Pénitentes. Ensuite il fut à Valette à cinq lieues de Nantes, à Cambon, à Pont Château, à Vertou, à S. Fiacre, à Crossac, à Béré, Messillac, Arbignac, à Sérrac, à Landemon, à S. Sauveur, à La Bretière, à Larmandière, à S. Christophle sur Roc, à Bougnay. Il parcourut encore plusieurs paroisses du diocèse de Nantes, où l'esprit de Dieu le portait et le suivait partout, /125/ faisant faire une
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infinité de réconciliations, de restitutions et de conversions. Et, quoiqu'il n'eût aucun fonds pour ses missions, ni logement, ni provisions assurées quand il les allait commencer dans un lieu, et qu'il s'abandonnât entièrement à la divine Providence, il ne manquait jamais de rien. On lui apportait de l'argent et des vivres de toutes parts. En sorte que non seulement tous les missionnaires étaient très bien nourris, mais il faisait encore tous les jours faire du potage pour les pauvres des paroisses où ils étaient. Et il engageait des filles pieuses couturières à faire des habits pour les vêtir. Et la Providence, en qui il se confiait entièrement, fournissait abondamment à toutes ses dépenses, par les aumônes des fidèles et par les restitutions indéterminées. De sorte qu'il n'y avait point de curés qui ne se fissent un plaisir de le demander pour instruire, pour convertir et pour soulager leurs peuples, parce qu'ils ne lui fournissaient presque rien que le logement.
/126/ CHAPITRE IX Monsieur de Montfort est persécuté à Nantes. Des soldats le veulent faire prisonnier, pour avoir détruit un jeu qui était l'occasion de leurs emportements et de leurs blasphèmes. Sa joie au milieu des croix.
Un jour, dit M. des Bastières, comme je passais par la place S. Pierre de Nantes, vers les quatre heures du soir, je rencontrai M. de Montfort que des soldats conduisaient au château, suivi d'une nombreuse populace qui faisait un bruit épouvantable. Il avait la tête nue et son chapelet à la main, qu'il disait à haute voix, le visage riant et vermeil, et marchait à si grand pas que les soldats avaient peine à le suivre. On ne le conduisit pas cependant jusqu'au château, parce qu'un de ses amis, l'ayant rencontré par hasard, le retira d'entre leurs mains. Il en fut très mécontent, /127/
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disant qu'on le privait d'un bonheur auquel il aspirait depuis longtemps, qui était d'être prisonnier pour l'amour de Jésus-Christ.
Quelques jours après, je lui demandai pour quelle raison on le traitait de la sorte, et ce qu'il avait fait pour être conduit si ignominieusement, et il me répondit simplement, en me racontant la chose, en ces termes : "Je venais, dit il, de la communauté de S. Clément, et en passant par la Motte S. Pierre, je vis des soldats qui se battaient avec des artisans, et qui faisaient des jurements exécrables, capables de faire trembler le ciel et la terre. Grand nombre de personnes de tous âges et de tous sexes couraient à eux pour être témoins de ce tragique spectacle. J'y fus aussi, mais avec un esprit bien différent de celui de curiosité qui attirait cette populace. M'étant avancé au milieu de cette multitude en furie, je me mis à genoux, et plusieurs personnes suivirent mon exemple. Ayant dit un Ave Maria et baisé la terre, je me relevai et me jetai à corps perdu au milieu de ces furieux, qui s'assommaient /128/ à coups de bâtons et de pierres. Je les séparai, quoique très difficilement. Les artisans se retirèrent aussitôt, quoiqu'ils fussent les plus forts, et les soldats demeurèrent sur le champ de bataille.
En m'en retournant, je vis une table où il y avait des marques blanches et noires. Je demandai ce que cela signifiait. On me répondit que c'était un jeu qu'on appelait blanc et noir, et qui causait tous les jours des querelles et des batteries semblables. Je le renversai par terre et le brisai à coup de pied.
Les soldats à qui il appartenait, l'ayant vu en pièces et ayant appris qui l'avait rompu, entrèrent contre moi dans une fureur diabolique, et s'étant jetés sur ma personne comme des lions acharnés, les uns me prirent par les cheveux, les autres déchirèrent mon manteau, et tous me menacèrent de me passer leurs épées au travers du corps, si je ne leur payais pas la table du jeu que je venais de briser.
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Je leur demandai combien elle leur /129/ avait coûté. Ils me répondirent qu'ils l'avaient achetée cinquante livres. Je leur dis que je leur donnerais volontiers de tout mon cœur cinquante millions de livres d'or si je les avais, et tout le sang de mes veines, pour faire brûler tous les jeux de hasard, semblables à celui que je venais de rompre. Ces paroles les irritèrent si terriblement contre moi que je croyais qu'ils allaient m'abîmer et me charger de coups.
Mais un de ces soldats dit aux autres : 'Ne le frappons pas, il nous en arriverait malheur; menons le plutôt au château : M. de Miane, gouverneur, qui nous a permis ce jeu, nous rendra bonne justice! Ils me conduisirent donc jusqu'au lieu où vous m'avez rencontré et, où malheureusement pour moi, on m'arracha d'entre leurs mains.
Je demandai ensuite à M. de Montfort, continue M. des Bastières, si dans cette fâcheuse conjoncture il n'appréhendait point qu'on ne lui donnât quelque coup mortel, ou du moins qu'on ne le mît en prison : "Tant s'en /130/ faut, me répliqua t il en riant, j'en aurais eu une joie extrême : je suis un trop grand pécheur pour mériter une si grande grâce. J'ai été exprès à Rome, ajouta t il, pour demander à notre Saint Père le pape la permission d'aller dans les pays étrangers faire mission chez les barbares et chez les infidèles, espérant de trouver parmi eux quelque occasion favorable de répandre mon sang pour la gloire de Jésus-Christ, qui a répandu tout le sien pour moi. Notre Saint Père me refusa cette grâce, parce que j'en étais indigne, et il me permit seulement d'aller dans tous les pays du monde chrétien."
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/131/ CHAPITRE X Il fait mission dans la paroisse de la Chèze au diocèse de Nantes. Le curé s’y oppose. On fait d'horribles calomnies contre lui. Sa patience. Il y tombe malade. Il est guéri d'une manière extraordinaire.
La première mission que j'ai faite avec M. de Montfort, dit M. des Bastières, fut à la Chèze, paroisse du diocèse de Nantes. Il la fit par l'ordre de M. l'abbé Barrin, l'un des grands vicaires de M. l'évêque, homme d'esprit et d'un grand poids. Le curé s'y opposa de toutes ses forces, mais il lui fallut enfin céder à l'autorité de son supérieur. Et, il ne le reçut qu'avec beaucoup de peine. Ne pouvant plus résister aux puissantes sollicitations de M. l'abbé et de plusieurs autres personnes de considération, qui savaient le besoin qu'en avait cette paroisse, le curé ne laissa pas pour /132/ cela de le persécuter, pendant plus de trois semaines que dura la mission. Et, il fit tout son possible pour empêcher que ses paroissiens n'assistassent aux exercices qu'on y faisait chaque jour, entr'autres aux sermons. Plusieurs n'y parurent point du tout. Beaucoup n'y venaient que très rarement. Mais, le plus grand nombre y fut très assidu. Le curé en fut si outré de chagrin qu'un jour, après le sermon du matin, tout le peuple étant assemblé dans l'église, fondant en larmes, tant il avait été touché des grandes vérités qu'il avait entendues de la bouche de M. de Montfort. Le curé, dis je, parut debout au milieu du grand autel, en surplis avec son étole, et fit une courte exhortation, ou plutôt une sanglante invective contre le prédicateur, prenant pour texte ces paroles du Sauveur : misereor super turbam, en Saint Marc, chap. 8. Cette troupe de personnes me fait grande compassion, dit il, et ensuite il commença son discours en disant : "Je me vois obligé, mes chers paroissiens, étant votre pasteur, de vous avertir charitablement /133/ que vous perdez votre temps à venir à cette mission. On ne vous y apprend que des
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bagatelles. Vous feriez bien mieux de rester dans vos maisons, et de travailler pour gagner votre vie et celle de vos enfants. C'est à quoi je vous exhorte de tout mon cœur." Il dit encore beaucoup d'autres pauvretés, qui faisaient pitié à tous ceux qui les entendirent.
Cependant M. de Montfort, qui était encore en chaire, se mit à genoux, écouta ce discours, les yeux baissés et les mains jointes. Si tôt qu'il fut fini, il se leva, sortit de chaire, fit une inclination profonde en passant devant M. le curé, et vint me trouver où j'étais, et me dit : "Chantons le Te Deum, mon cher ami, pour remercier notre bon Dieu de la charmante croix qu'il lui a plu nous envoyer. J'en ai une joie que je ne saurais vous exprimer.» Nous psalmodiames tous deux le Te Deum devant le Saint Sacrement, et il me dit après : "Cette mission est bien combattue, mais j'espère qu'elle en sera d'autant plus fructueuse et remplie de bénédiction."
/134/ En effet, 4joute M. des Bastières, je n'ai pas vu, dans toutes les autres que j'ai faites avec M. de Montfort, un plus grand nombre de pécheurs convertis.
Peu de jours après, M. le curé, son vicaire et plusieurs autres prêtres, non contents de cette scène, attaquèrent M. de Montfort à la sortie du sermon du soir, comme il passait par le cimetière, et lui dirent toutes les injures les plus atroces, le traitant de voleur, d'imposteur, de charlatan, de perturbateur du repos publie, et ajoutant qu'il ne faisait des missions que pour s'enrichir aux dépens des pauvres ; qu'il séduisait les gens simples par ses enchantements. M. de Montfort entendit et souffrit ces horribles calomnies avec une confiance, une joie et une patience qui charmèrent tout le peuple qui y était présent, sans qu'il leur répliquât un seul mot, cum malediceretur non male¬dicebat, cum pateretur non comminabatur. Petr. I. ch. 2. Lorsque ces messieurs furent fatigués de lui dire toutes ces invectives, ils le quittèrent, en lui faisant de terribles /135/ menaces, et lui disant qu'il le poursuivraient partout où il irait. Et c'est l'unique vérité qu'ils prononcèrent en cette occasion. Alors M. de Montfort, qui avait jusqu'alors gardé
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le silence, crut être obligé, pour l'honneur de son ministère, et justifier sa conduite, de leur dire avec beaucoup de modération et de douceur : "Messieurs, j'appelle au juste jugement du Juge des vivants et des morts, de toutes les faussetés que vous venez de dire contre moi". Et, en se séparant d'eux, il ajouta : "Je prie le Seigneur qu'il vous fasse tous des saints. Je vous prie de me pardonner tous les sujets de peine que j'ai eu le malheur de vous causer contre mon intention. Adieu, messieurs !"
Pour comble de mortification, M. de Montfort tomba malade pendant cette mission, environ quinze jours après qu'elle fut commencée. Sa maladie parut d'abord dangereuse et mortelle. Il fut attaqué d'une fièvre violente et continue et d'une colique très douloureuse. Il est surprenant que, dans cet état, il ne discontinua pas un seul /136/ jour de faire tous les exercices de la mission : il prêcha et confessa, comme s'il eût été en parfaite santé. Je l'ai vu, ajoute M. des Bastières, plusieurs fois monter en chaire, tremblant la fièvre, et souffrant les douleurs d'une colique très violente, ayant le visage semblable à celui d'un mort. On croyait d'abord qu'il n'aurait pas la force de dire un seul mot. Cependant, il ne me souvient pas de l'avoir jamais entendu prêcher avec plus de force et d'onction, ni d'une manière plus, pathétique, que dans le temps qu'il souffrait le plus, car il faisait pleurer tous ses auditeurs à chaudes larmes. Et, il les touchait jusqu'au fond du cœur. Cependant, la maladie qui devait augmenter le quitta à la fin de la mission, d'une manière tout à fait extraordinaire. Voici comment.
Le lendemain de la clôture de la mission, M. de Montfort voulut faire la cérémonie du plantement de la croix. Il faisait un temps fort rude. Il plut presque tout ce jour là. Les chemins étaient pleins d'eau et de boue. Le lieu où on devait planter la croix /137/ était fort éloigné du bourg. Cependant, M. de Montfort ordonna au peuple de la porter nu pieds et, pour mieux les engager à le faire, il joignit l'action à la parole, il se déchaussa, et tout aussitôt,
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plus de deux cents hommes se présentèrent à lui les pieds nus, pour avoir l'honneur de porter la croix.
Quoique M. de Montfort eût actuellement la fièvre, et fût accablé de mal et de fatigue, il leur aida néanmoins à la porter, les pieds et la tête nus, jusqu'au lieu où on la devait placer, insultant, pour ainsi dire, à l'injure des temps, à la rigueur de la saison et à la maladie.
Aussitôt que la croix fut plantée, M. de Montfort la bénit et prêcha ensuite avec une force surprenante. Plusieurs personnes de l'un et de l'autre sexe qui se portaient bien avant cette cérémonie, et qui y assistèrent, en tombèrent grièvement malade. Il n'y eut que M. de Montfort, qui l'était avant que la croix fût plantée, qui recouvra une parfaite santé. Je suis sûr qu'il n'y a point de médecins qui ordonnassent /138/ un pareil remède, pour guérir de la fièvre et de la colique.
Quinze jours ou trois semaines après cette mission, continue M. des Bastières, je me donnai l'honneur d'aller voir M. l'abbé Barrin, à qui je fis un détail de tout ce qui s'y était passé. Après quoi, il me dit qu'une fausse dévote, livrée au sens réprouvé et remplie de l'esprit de ténèbres, qu'on avait subornée, l'était venu trouver pour lui faire de grandes plaintes de M. de Montfort, lui disant qu'il était le plus grand hypocrite qui fût sur la terre ; qu'il séduisait le menu peuple ; qu'il n'y avait que l'esprit d'avarice qui le faisait agir ; que ses mœurs étaient très corrompues, et qu'en un mot, il l'avait sollicitée au mal dans le tribunal de la pénitence. Que cette malheureuse n'eût pas plutôt vomi ces abominables calomnies que l'abbé Barrin lui fit une si terrible correction qu'elle ne l'est pas venu trouver depuis. Mais elle eut l'effronterie d'en aller dire autant à M. l'évêque de Nantes, lequel ayant été prévenu par M. l'abbé Barrin, la fit chasser honteusement de son palais, et /139/ lui défendit de se présenter jamais devant lui, sous peine de la faire mettre en prison.
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CHAPITRE XI Il va faire une mission à la paroisse de Cambon. On veut attenter à sa vie. Il est préservé de la mort. Il fait réparer l'église.
Monsieur de Montfort fit ensuite une mission à Cambon, dit M. des Bastières, qui eut le même succès que toutes les autres. Nous devions, lui et moi, faire un voyage à Pontchâteau, dont nous avions déjà fixé le jour. Mais, la veille de notre départ, sur les sept heures du soir, une femme Cambonoise me vint trouver et me dit en pleurant qu'elle venait m'apprendre une bien triste nouvelle qui nous regardait personnellement, M. de Montfort et moi. Lui ayant demandé ce que c'était, elle me conta le fait en ces termes : "Je sais, dit elle, que vous devez /140/ partir demain pour Pontchâteau. Mais, donnez vous bien de garde d'y aller ce jour là, car cinq hommes armés doivent vous attendre sur le chemin pour vous assassiner.» Je lui demandai si elle en était bien assurée et comment elle le savait, et si elle connaissait les gens qui avaient résolu de faire un si mauvais coup : "La chose n'est que trop vraie, me répliqua t elle, je le sais d'eux-mêmes. Ils étaient auprès de la porte de ma maison à faire leur complot, ne sachant pas que je fusse si proche d'eux. J'ai entendu qu'ils se disaient les uns aux autres : 'Trouvons nous sans faute, demain à quatre heures du matin, à un tel endroit, dont je ne me souviens plus, mettons des pierres neuves à nos pistolets pour ne pas manquer notre coup. Pour moi, dit un de ces malheureux, je m'attaquerai à ce B. de Montfort. Je veux lui casser la tête'. Au reste, je ne connais point, dit elle, ces misérables, mais je vous avertis de leur mauvais dessein, afin que vous les empêchiez de l'exécuter.»
Je fus, sur le champ, continue M. Bastières, en donner avis à Monsieur de Montfort /141/ qui se moqua de
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moi et des avertissements de cette bonne femme, disant que ce n'était pas là le premier qu'on lui avait donné, et qu'on avait envie que de nous faire peur. Je lui dis qu'il était de la prudence de ne nous pas exposer ; que la témérité n'était pas une vertu, et que dans un pareil doute, il fallait prendre le parti le plus sûr. Il suivit mon avis et je partis le lendemain pour aller à Nantes. Et, Monsieur de Montfort resta encore quelques jours à Cambon. J'ai appris depuis très certainement, et à n'en pouvoir douter, que ces malheureux nous avaient attendus dans l'endroit où nous devions passer, depuis cinq heures du matin jusqu'à huit heures du soir.
Aussitôt que je fus arrivé à Nantes, ce complot s'étant répandu dans la ville, on me demanda si je revenais de l'autre monde. Ce compliment me surprit. Je demandai l'explication de cette énigme et on me dit que M. le curé de Cambon avait assuré que nous avions tous été tués sur le chemin ; qu'on ne nous croyait plus en vie, et qu'on avait fait dire des messes pour le repos de nos âmes.
/142/ Monsieur de Montfort fit un coup hardi à la mission de Cambon, où il montra qu'il n'avait aucun respect humain, ni acception de personne. Cette paroisse est du diocèse de Nantes et éloignée d'environ deux lieues de Pontchâteau. Nous y fîmes, dit Monsieur des Bastières, la mission de l'année du grand hiver, c7est à dire en 1709, pendant le carême, auquel temps le froid fut le plus rigoureux. L'église est grande, mais en ce temps là, elle était en un pitoyable état. Quinze jours après l'ouverture de la mission, M. de Montfort forma le dessein d'y faire toutes les réparations qui étaient en grand nombre, et dont elle avait un besoin extrême, car elle était toute décarrelée. Un jour, après avoir fini son sermon du matin, il fit sortir toutes les femmes et filles de l'église, et ordonna aux hommes d'y rester, leur disant qu'il avait une chose de très grande conséquence à leur communiquer. Après que les femmes furent sorties de l'église, il en fit fermer les portes, et fit un petit discours sur la décoration des temples consacrés au culte du vrai Dieu. Il fut /143/ court, mais
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touchant et demanda à ses auditeurs s'ils ne voulaient pas bien contribuer, chacun selon son pouvoir, à la réparation de leur église. Ils répondirent tous qu'ils le feraient de tout leur cœur. "Puisque cela est, leur dit il, mes chers enfants, mettez vous huit sur chaque tombe, quatre sur celles qui sont les moins pesantes, et deux sur chaque pavé."
Cet ordre fut exécuté sur le champ ; et il leur dit ensuite : "Prenez la pierre sur laquelle vous êtes placés, et la portez dans le cimetière." Cela fut fait dans un instant et, dans demi-heure tout au plus, l'église fut dépavée.
Le lendemain après son sermon, il fit, comme le jour précédent, sortir toutes les femmes de l'église. Il n'y resta que les hommes, qu'il exhorta de ne pas manquer de venir le lendemain, pour paver l'église ; d'amener des maçons, des tailleurs de pierre, de la chaux et du sable, et d'apporter tous les outils nécessaires pour exécuter cette entreprise. Il fut exactement et promptement obéi. On n'employa guère plus d'un jour et demi à /144/ achever cet ouvrage, tant il s'y trouva grand nombre d'ouvriers. Et, il fit ensuite blanchir l'église, et ordonna qu'on effaçât entièrement la ceinture ou litre où étaient les armes de M. le duc de Coislin, seigneur de la paroisse de Cambon. Ce coup était d'autant plus hardi qu'il ne pouvait ignorer combien les seigneurs fondateurs des églises sont jaloux de ces sortes de droits. En effet, le sénéchal de Pontchâteau, dont Cambon est une dépendance, ayant appris cette action, se transporta le lendemain sur les lieux, avec plusieurs autres officiers de la juridiction. Ils attaquèrent M. de Montfort dans le cimetière, à la sortie de son sermon du matin, et le menacèrent de l'entreprendre en justice
lui dirent les paroles du monde les plus fortes et les plus capables d'intimider l'homme le plus intrépide. Mais, M. de Montfort n'en parut nullement ébranlé, ni se repentir de ce qu'il avait cru faire pour la gloire de Dieu. Et, on n'a point su jusqu'à présent qu'il en soit rien arrivé. Il est même probable que Monsieur le cardinal de /145/ Coislin qui avait beaucoup de piété et de religion n'aura pas désapprouvé le zèle, tout indiscret qu'il paraisse, d'un
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missionnaire qui n'avait en vue que la gloire de Dieu et l'honneur de son église, dont il aura préféré les intérêts aux siens propres, ayant d'ailleurs d'autres meilleurs titres pour les soutenir.
CHAPITRE XII Il fait une mission à Crossac, paroisse du diocèse de Nantes. Il y fait retrancher l'abus universel qui s'était introduit d'enterrer tous les morts de la paroisse dans l'église.
Après la mission de Cambon, il en fit une dans la paroisse de Crossac, au même diocèse. Outre les fruits spirituels qu'elle produisit, il y fit une action très mémorable, qui causa de l'étonnement à tout le monde. Cette paroisse, dit M. des Bastières, était sans pasteur lorsque nous y allâmes. /146/ L'église en était très malpropre et n'était pavée que dans le sanctuaire. Presque toute la nef était labourée comme un champ, par sillons, et elle servait de cimetière à tous les paroissiens : nobles et roturiers, grands et petits, pauvres et riches, qui prétendaient avoir droit, de temps immémorial, de s'y faire enterrer. M. l'évêque de Nantes et messieurs ses grands vicaires avaient eu beau s'opposer à un si grand abus, contraire aux canons et à la pratique de l'Eglise, ils n'en purent jamais venir à bout. Et, après avoir inutilement usé des censures contre les habitants de Crossac, on procéda contre eux en justice. L'affaire fut portée au Parlement, et jugée par arrêt contradictoire en faveur des paroissiens de Crossac, sur la possession où ils étaient de se faire enterrer de tout temps dans leur église, et ils gagnèrent leur procès avec dépens.
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M. de Montfort, ayant été informé de ce fait, prêcha de toutes ses forces contre cet abus, et leur fit voir que dans toute l'église primitive on n'enterrait les papes, les évêques, les empereurs /147/ et les rois que dans les cimetières, ou tout au plus dans les vestibules. Que les églises ne devaient être destinées qu'à renfermer le Corps de Jésus-Christ et ceux des saints. Et qu'autrefois la canonisation ne s'en faisait que par la translation de leurs sacrés ossements,
des cimetières où ils avaient été enterrés, dans les églises où on les exposait à la vénération publique; que la coutume qu'ils avaient de se faire enterrer dans le lieu saint était purement abusive, et une espèce de profanation. Dieu donna tant de bénédiction à ses paroles que tous ses auditeurs pleurèrent amèrement l'aveuglement où ils avaient été jusqu'alors. Et M. de Montfort, profitant de leur bonne disposition, les obligea de lui promettre qu'ils ne se feraient désormais plus enterrer dans l'église. Et, après le sermon, les principaux d'entre eux s'assemblèrent avec lui dans la sacristie. On y fit venir un notaire, qui fit un acte, par lequel ils renonçaient de se servir de l'arrêt qu'ils avaient obtenu au Parlement de Bretagne, et promettaient tous de choisir /148/ le lieu de leur sépulture dans le cimetière.
Aussitôt après que cet acte fut signé, Monsieur de Montfort fit travailler à paver l'église, à la blanchir et à y faire toutes les autres réparations nécessaires.
CHAPITRE XIII Mission de Pontchâteau. Il y fait bâtir un Calvaire, qui est détruit par ordre de la Cour.
La plus fameuse de toutes les missions qu'il entreprit dans le Nantais, et qui fit plus de bruit, fut celle de Pontchâteau, à huit lieues de Nantes. Monsieur de
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Montfort, voyant la ferveur de tous les peuples du voisinage, et de toutes les paroisses où il avait prêché, entreprit d'ériger un calvaire en l'honneur de Jésus-Christ crucifié, sur une petite montagne de la paroisse de Pontchâteau, dont l'aspect se terminait à plus de dix lieues /149/ à la ronde, tant sur la terre que sur mer. A peine eut-il fait connaitre ce dessein que tous les peuples s'offrirent à lui avec empressement pour l'exécuter. Pendant quinze mois on y vint de toutes parts, de douze à quinze lieues, pour y travailler : hommes, femmes, garçons et filles, au nombre de plus de trois cents personnes. Chacun y apportait des provisions et des instruments pour faire cet ouvrage. Et, ce qui augmentait beaucoup leur ferveur, et les obligeait à l'envi, à mettre la main à l'œuvre, c'est qu'ils voyaient M. de Montfort à leur tète bécher la terre, remuer de grosses pierres et les porter, et ils chantaient tous des cantiques et s'entretenaient de choses pieuses pendant leur travail. Il fit faire tout d'abord tout autour de ce calvaire, des fossés de vingt pieds de largeur et autant de profondeur et planter, sur le haut de la montagne, trois grandes croix d'une hauteur prodigieuse, dont celle du milieu avait au moins 40 pieds de haut, afin qu'on la pût voir de plus loin, et qu'elle pût attirer l'adoration des peuples d'alentour. Il voulait y faire bâtir quinze /150/ chapelles où seraient représentés, en figures de grandeur naturelle, les quinze mystères du rosaire. Il y en avait déjà trois bâties. Mais l'ennemi de Jésus-Christ crucifié, prévoyant que ce lieu représentant le calvaire servirait à faire remporter de nouvelles victoires sur lui et à triompher de ses embûches, suscita des personnes zélées qui, sous de beaux prétextes, firent connaitre à la cour que ce calvaire ne servirait que de retraite à des voleurs qui pilleraient le voisinage. C'est pourquoi le roi Louis XIV, toujours attentif à procurer le bien de ses sujets et à empêcher les maux même apparents de son royaume, donna ordre de faire démolir ce calvaire et d'en abattre les croix. Aussitôt, on commanda aux habitants des paroisses voisines qui y avaient travaillé de le détruire. Ce qui ne fut pas fait sans peine et sans verser de larmes, lorsque ces pauvres gens se virent contraints
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d’obéir. Pour faire cesser les blasphèmes que prononçaient les soldats, et pour empêcher qu'on ne profanât la croix qu'ils voulaient abattre à coups de haches par le pied, ils aimèrent /151/ mieux l'abattre eux-mêmes, pour la conserver et la rendre à M. de Montfort, que de la voir mettre en pièces. Ainsi fut détruit cet ouvrage en moins de huit jours, qu'on avait été plus d'un an à bâtir, et que tout autre que M. de Montfort n'aurait pas fait faire pour vingt mille écus. On assure même que les tristes restes qui sont encore sur la place valent plus de vingt mille livres. Quoiqu'il y eût grande chèreté de vivres, durant le cours de l'année 1709 pendant laquelle M. de Montfort fit bâtir le calvaire, il trouva encore le moyen de nourrir une infinité de pauvres qui, sans lui, seraient morts de faim. Mais, comme un des missionnaires qui a travaillé avec lui nous a envoyé un détail très circonstancié de tout ce qui s'est passé dans cette mission, dans la destruction de ce calvaire, nous allons le rapporter ici dans les mêmes termes qu'il nous en a écrit, pour l'édification du lecteur.
RELATION DU CALVAIRE de PONTCHATEAU
/52/ Pour satisfaire, Monsieur, au désir que vous avez d'avoir la relation du Calvaire de Pontchâteau, vous saurez que M. Grignion, étant en une mission de l'évêché de S. Brieuc, à laquelle M. Leudugé, scolastique et chanoine de S. Brieuc, présidait, les missionnaires, firent faire un grand crucifix de sept pieds de haut. Il ne se trouva personne qui le voulut payer à l'ouvrier. M. Grignion quêta, de porte en porte, la somme de quatre vingt livres qu'il donna à l'ouvrier, de telle sorte que le crucifix lui demeura. Et depuis ce temps là, il forma l'idée d'un calvaire qu'il
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voulait construire, et cherchait continuellement un lieu propre pour cet effet. Etant venu dans le 11531 diocèse de Nantes, il aida au Père Joubart, jésuite, à finir une mission à S. Similien, qui est dans le faubourg de cette ville. M. Grignion y attira beaucoup de monde par sa manière extraordinaire de prêcher. De là, il fit des missions à Cambon, à Bené, à Crossac et à Pontchâteau, qui sont des paroisses proches d'une lande, qui a environ une lieue et demie de tour, qui est faite en forme de surface de champignon, c'est à dire que le milieu est élevé, et que les bords ou limites vont en descendant, mais d'une pente fort douce. Il forma le dessein de construire un calvaire au milieu le plus élevé de cette lande. C'était en 1709 environ, la fin du mois de juillet. Faisant la mission de Pontchâteau, il dit son dessein à messieurs les prêtres et aux peuples, en chaire, et leur fit voir les avantages qu'ils retireraient de ce calvaire. Il engagea plusieurs paysans d'aller par dévotion lui aider à faire un fossé autour, pour empêcher, disait il, que les bêtes ne se fussent approchées de la croix qu'il voulait planter en ce lieu là. Mais, voyant qu'il y venait un grand nombre / 154 / de peuples, il forma un plus grand dessein de faire, non pas un fossé, mais des douves autour de ce calvaire.
Il prit un cordeau et fit un rond de 400 pieds de circuit. Le second circuit avait environ 500 pieds. Ainsi la montagne, faite des terres rapportées des douves, avait 133 pieds de large, et les douves 15 pieds de large et 500 de circuit en dedans, et 600 pieds en dehors, où il éleva une terrasse aux deux bouts de laquelle il fit planter des arbrisseaux pour orner cette promenade. Etant venu à Nantes, il me pria instamment d'aller avec lui pour faire la mission de Missillac, qui est à une demi lieue du calvaire sur le bord de la dite lande. Etant à faire cette mission, nous allions une fois la semaine, le jour de repos, pour exciter les peuples à y travailler. La première fois que j'y fus, il y avait déjà bien soixante charretées de terre tirées des fossés qui commençaient la montagne. J'ai vu ordinairement, pendant cette mission là, quatre ou cinq cents personnes à y travailler, dont les uns bêchaient la
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terre, les uns chargeaient, et les autres la portaient dans des hottes, lesquels /155/ tous se contentaient d'un morceau de pain noir qu'ils apportaient dans leurs poches, et buvaient de l'eau de pluie bourbeuse qui était dans les fossés. Il fit chercher un arbre pour faire le pied de la croix. En ayant trouvé un très beau qui avait cinquante pieds de haut, il écrivit à celui à qui il appartenait, deux ou trois fois sans en avoir réponse. Il fut lui-même le prier de vouloir bien lui accorder cet arbre qui était de châtaigner. Il eut assez d'éloquence pour arracher de lui un léger consentement. Craignant qu'il fût révoqué, il le fit couper dès le soir par deux charpentiers qu'il avait amenés avec lui, et le fit traîner par douze couples de bœufs au calvaire dès le soir. Il fit un coup de maître, car il n'en eût pas trouvé un semblable dans toute la Province. De cette mission, nous fûmes à Herbignac éloigné de deux lieues du Calvaire, auquel nous allions une fois la semaine, le jour du repos. Je remarquai qu'il s'y trouvait plus de monde qu'auparavant. On y comptait plus de deux cents personnes de différents sexes et endroits. De cette mission, nous fûmes à Comois éloigné de trois lieues du /156/ Calvaire. Ensuite, au bourg dAssérac, où la mission fut faite dans le carême de l'année 1710. Les douves commençaient à être profondes, et la montagne qu'on formait des terres qu'on tirait des fossés fut assez élevée, parce que le concours du peuple s'augmentait de jour en jour ; de sorte que j'ai compté une fois environ cinq cents personnes et bien cent bœufs pour tirer les charrettes, tant le monde travaillait avec un courage surprenant ; si bien que j'ai vu quatre hommes avoir beaucoup de peine à charger une pierre sur la hotte d'une fille de 18 ans, qu'elle portait avec joie sur la montagne. J'ai vu traîner des douves, des pierres qui pesaient jusqu'à deux pipes de vin, seulement avec une ou deux cordes. Tout cela se faisait avec un tel ordre qu'on aurait dit qu'il y avait eu des gens à les commander, chantant des cantiques d'une manière si agréable qu'il me semblait entendre une harmonie céleste ; entre autre, quand on était sur le haut de la montagne, qui sortait du fond de ces fossés. J'ai vu toutes sortes de gens à
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y travailler, des messieurs et des dames de qualité, et même plusieurs prêtres / 157/ y porter la hotte par dévotion. J'ai vu des peuples y venir de tous côtés : il y en avait d’Espagne et même de Flandres. De la mission d’Asserac, après nous être reposés un peu au Calvaire, nous fûmes faire la mission à S. Donatien, à un quart de lieues de la ville de Nantes. Nous ne pûmes pas aller pendant cette mission au Calvaire. Mais aussitôt qu'elle fut finie, nous y retournâmes, où je remarquai que le peuple travaillait avec autant d'affection qu'auparavant. On les payait à la fin de la journée, en leur permettant de rendre leurs devoirs au crucifix qui était dans une petite grotte couverte de terre rapportée, dans laquelle on ne pouvait voir sans chandelle. On y voyait aussi les figures de la Sainte Vierge, de S. Jean et de Sainte Marie Madeleine et des deux larrons : spectacle qui ne se voyant qu'à la lueur d'une lampe, qui était ordinairement allumée, excitait les peuples à la componction, et leur tirait des larmes des yeux. Après avoir passé là quelque temps, nous vînmes faire la mission de Bougnais à trois lieues de Nantes. Cette mission fut très édifiante, entre autres / 158 / la procession de la clôture, où il se trouva bien dix mille personnes. Nous avions fait faire, à la mission précédente, quatorze étendards de satin blanc, d'une aulne et demie de longueur et d'une aulne de largeur, qui distinguaient les escadrons de toutes les personnes qui étaient à la procession. On les conduisit dans une vaste plaine sur le bord de la Loire, où il se trouva un reposoir très riche pour y placer le Saint Sacrement. De cette mission, M. Grignion retourna au Calvaire. C'était au mois d'août de l'an 1710. La montagne étant achevée, on bâtit sur la pointe une muraille de cinq pieds de haut, qui avait de circuit quatre-vingt pieds, laquelle fut fondue dès la première pluie, à cause qu'elle n'était fondée que sur la terre mouvante. On mit dessus cette muraille des piliers de bois, qui supportaient tout autour un rosaire enchaîné, dont tous les grains étaient aussi gros que des boules à jouer. Au-dedans de ce circuit on planta trois croix : celle du milieu qui était faite du bel arbre dont j'ai parlé était peinte en rouge, sous le pied de laquelle il y avait une petite
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chapelle qui était couverte / 159 / de quinze degrés de bois fort propres, qui servaient pour monter tout autour du pied de cette croix. Au côté droit de laquelle il y avait une croix verte, et de l'autre une noire. A la rouge on attacha le Christ de huit pieds, au haut de laquelle on y plaça le Saint¬ Esprit. A la verte on y mit le bon larron qu'on avait apporté dans son char de triomphe, rempli d'un grand nombre d'anges qui terminaient une belle procession ornée d'étendards, et qui venait d'une demie lieue. A la croix noire, on y mit le mauvais larron qui se déchirait le cœur. On y mit aussi au bas de la croix la Sainte Vierge et Saint Jean et Sainte Marie Madeleine. Sur la porte du circuit, il y avait une pipe qu'on remplissait d'eau, qui se dégorgeait par la gueule d'un serpent, qui représentait le serpent d'airain de l'ancien Testament. A l'entrée de la porte, il y aurait eu un Ecce Homo dans l'intervalle de ce circuit, jusqu'à celui de 400 pieds. Ce n'était que des terres rapportées qui formaient le mont, dans lequel on voulait faire un chemin, en forme de coquille de limaçon pour monter au calvaire, au bout duquel on aurait bâti / 160 / les trois chapelles avec chacun leur cellule et leur petit jardin, dans lesquelles on aurait représenté les quatorze mystères du rosaire, ajoutant la première grotte dont nous avons parlé, qui aurait fait la quinzième. Autour de ce circuit était une muraille de 400 pieds, autour de laquelle on avait planté un beau rosaire d'arbres de sapins et de cyprès, qui distinguaient les dizaines, de telle sorte quêtant dans l'allée qui était entre cette muraille et la douve on pouvait dire son rosaire entier sur ces arbres, en faisant le tour du calvaire. Une partie de ces arbres avait déjà dix à douze pieds de haut. Il n'y avait qu'une seule entrée qui était en face du crucifix, aux deux côtés de laquelle étaient deux jardins, dans la douve de 15 pieds en carré dont l'un s'appelait le paradis terrestre et l'autre, le jardin des olives. On devait faire la bénédiction de ce calvaire, le jour de l’Exaltation de la Sainte Croix, le 14 septembre de l'année 1710. Tout était déjà préparé pour cette grande fête. Quatre excellents prédicateurs furent nommés pour prêcher aux quatre coins les processions assignées. / 161 /
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Toutes les bourgades d'alentour ne pouvaient pas suffire pour loger les pèlerins. Une partie de la famille de M. Grignion était du nombre. Sur les quatre heures du soir, la veille de cette fête, un recteur vint, de la part de Monseigneur l'évêque, défendre qu'on le bénît, ce qui obligea M. Grignion d'aller à Nantes toute la nuit, nonobstant tout ce qu'on lui pût dire. Il arriva sur les six heures du matin où il trouva Monseigneur qui lui défendit de le bénir, quoique toutes choses fussent préparées. En effet, toute la lande fut couverte de peuples, depuis le matin jusqu'au soir. Les prédicateurs nommés y vinrent, dont deux prêchèrent. Il y eut, dans ce jour là, plus de quatre ou cinq cents livres d'offrandes, nonobstant qu'il n'y eût point de bénédiction. M. Grignion n'arriva que le* lendemain sur les onze heures. Lorsque je m'en retournais à Nantes, le dimanche suivant, il commença la mission de St Molf qui est à quatre ou cinq lieues du Calvaire. Le mardi ensuite, Monseigneur l'évêque m'envoya chercher, et me dit qu'il avait une affaire de conséquence à communiquer au sieur Grignion, qu'il vint le trouver /162/ incessamment. Il me donna un lettre qu'il lui adressait, où il lui marquait ses volontés, laquelle je lui mis en main, dont la lecture lui tira les larmes des yeux. Etant donc revenu à Nantes, il lui fut défendu de retourner au Calvaire. Il fit une retraite chez les Pères jésuites. Quinze jours après, l'ordre vint de détruire le dit calvaire, qui était l'objet et l'admiration de tout le pays, car on le voyait de sept à huit lieues autour. Il avait de hauteur, à prendre dans le fond des douves jusqu'au S. Esprit qui était au haut de la croix, environ cent pieds. Lorsque j'annonçai aux peuples dans une prédication qu'on le devait détruire, tout l'auditoire fondit en larmes, et ce fut une désolation universelle. M. Grignion fondait son espérance que ce calvaire subsisterait, sur plusieurs prédictions, entre autres d'un paysan qui avait quatre-vingts ans, et deux de ses enfants qui avaient environ soixante ans, qui sont venus à confesse à moi et m'ont dit avoir vu où était le calvaire. Il y avait en ce temps là, environ quarante ans, sur l'heure du midi, le temps étant fort clair, des croix environnées d'étendards
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qui descendaient du ciel dans le même endroit, et ils ajoutaient qu'il se fit dans le moment un si grand bruit en l'air que les bêtes qui /163/ paissaient dans la lande s'enfuirent dans les villages voisins, et que cela se termina par un nombre infini de voix, qui formaient une agréable harmonie, que le tout dura bien environ une heure. Ils ajoutèrent que plusieurs personnes avaient dit qu'ils avaient trouvé la même chose. Le second, était un grand nombre de miracles, qu'on disait s’être faits dans les pays éloignés, par le moyen de la terre qu'on emportait de toutes parts de ce calvaire. On apporta une liste de ce miracle à Nantes, de plus de cent cinquante. Je m'étais bien aperçu quelque temps auparavant, d'un mauvais dessein qu'on disait être bien avéré, d'une certaine personne, qui par son autorité prétendait empêcher la construction de ce calvaire. Ce que voyant, j'écrivis une lettre à Monseigneur l'évêque de Québec qui était alors à Paris, le suppliant d'interposer son crédit auprès de Monseigneur le cardinal de Coislin qui était seigneur de cette lande. Je reçus quelques jours après une réponse, par laquelle Monseigneur de Coislin priait ce M. de laisser M. Grignion et M. Olivier, missionnaires, de continuer à construire ce calvaire, ce qu'il fit. Mais il chercha un autre moyen. Il écrivit une lettre à M. de Châteaurenaut, dans laquelle il lui mandait que les missionnaires /164/ se faisaient suivre de tout le monde ; que sous prétexte de dévotion ils faisaient une forteresse environnée de douves et de sous terrains ; que les ennemis pourraient s'y loger, en cas qu'ils fissent une descente de ce côté là. Cette lettre où le contenu fut envoyé en cour qui, sur le récit, ordonna à une personne de distinction, qui fut au Calvaire avec quelques dames, qui y furent reçues fort froidement de M. Grignion, parce qu'elles ne se mirent pas à genoux pour adorer le crucifix. Il vit ce monsieur prendre les dimensions des douves et des sous terrains, sans avoir la prudence de lui demander pourquoi, dont il s'alarma fort. J'ai vu moi-même cette description. Mais, après le coup frappé, je fis voir à cette personne qu'elle aurait bien pu se servir de termes un peu plus doux, disant que ce n'était ni douves, ni sous terrains
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en termes de forteresse, en faisant la description de tout ce calvaire.
La cour donna ordre à Monsieur de Despinose, commandant de la milice de ce pays là, d'abattre le calvaire et de remettre les terres dans les douves. Il commanda aux paroisses circonvoisines de venir un certain nombre de chaque paroisse, avec des instruments. Et il ne manqua pas / 165 / de faire venir une compagnie de ses miliciens pour exécuter les ordres de la cour. Il vint les premiers jours, selon ses ordres, quatre ou cinq cents personnes, auxquelles il ordonna d'abattre ce calvaire, lesquels furent fort surpris d'entendre cet ordre. Mais auparavant que de se mettre à y travailler, ils se mirent tous à genoux en pleurant. Quelque bruit qu'il fit, il fut deux jours sans pouvoir rien avancer. Le troisième, il s'avisa de faire prendre une scie pour couper la grande croix, ce qui aurait fait rompre le Christ en tombant. Alors le peuple s'offrit de monter sur la croix et d'en descendre le Christ et les deux larrons sans rien rompre ; à quoi il acquiesça. Je lui ai ouï dire qu'il ne croyait pas que la descente des croix, faite à Jérusalem, fût si triste que celle¬-là. Tout le monde était à genoux, pendant que les autres faisaient l'office de Nicodème et de Joseph d’Arimathie. On apporta toutes les figures avec beaucoup de soin, en une maison. Premièrement à Pontchâteau, puis à Nantes, où elles sont dans une chapelle, à présent honorées des peuples. Cependant, les bois des croix furent emportés par les paysans qui les ont rendus depuis. On a été trois mois sans avoir pu défaire /166/ la moitié de la montagne, quoiqu'on ait forcé grand nombre de peuple à y travailler. Il semble que les hommes avaient eu des bras de fer pour l'édifier, et des bras de laine pour le détruire. On voit encore aujourd'hui le mont et les fossés presque tout entiers. Cette description suffira pour vous donner une idée de ce calvaire si fameux. Je me recommande à vos saintes prières et suis avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur G. OLIVIER, Prêtre Missionnaire Apostolique. A Nantes, ce sixième mai mille sept cent vingt et un.
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/167/ CHAPITRE XIV Saint usage que M. de Montfort fait de cette mortification. Il soulage les pauvres de Nantes pendant les grandes eaux, et établit une maison pour les incurables.
Monsieur de Montfort fut très sensible à la mortification que lui causa la destruction de son calvaire, mais il ne s'en prit à personne, qu'à Notre Seigneur qui voulait l'éprouver. Il fut faire une retraite aux jésuites de Nantes, pendant laquelle, bien loin de s'en plaindre, ou d'en témoigner son déplaisir, il garda un profond silence, en sorte que les jésuites, à qui on raconta cet accident trois ou quatre jours après qu'il fut entré dans leur maison, ne pouvaient pas croire qu'il fut véritable, parce qu'il ne leur en avait rien dit. Il s'occupa dans sa retraite à faire un cantique sur le renversement de ce calvaire, qui marque /168/ bien la situation de son cœur, qui était inébranlable dans tous les accidents les plus mortifiants de la vie ; imitant en cela la Sainte Vierge qui était debout, c'est à-dire ferme et constante sur le calvaire, au pied de la croix de Jésus-Christ son Fils : stabat juxtà Crucem Mater Jesu. Nonobstant toutes ces humiliations si profondes, M. de Montfort demeura à Nantes jusqu'au commencement de l'année 1711. Les eaux y furent si grandes, et la rivière si débordée, comme partout ailleurs, qu'elle renversa plusieurs maisons. Et son cours fut si rapide et si impétueux que personne n'osait s'exposer sur l'eau pour porter des provisions, dans le faubourg de Biesse, à quantité de pauvres familles environnées des eaux de toutes parts, et qui mouraient de faim, faute de vivres. M. de Montfort, plein de zèle et de charité, parla avec tant de force et d'efficace à des bateliers qu'il les obligea à le conduire jusqu'aux maisons de ces pauvres gens, pour leur porter des aliments et tous ceux qui virent le péril où il s'était exposé sans périr crièrent miracle.
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/169/ La charité de M. de Montfort toujours attentive à tous les besoins des pauvres, de quelque qualité qu'ils fussent, lui fit remarquer avec peine qu'il n'y avait point de lieu dans la ville de Nantes pour y recevoir les incurables et les invalides, parce qu'on ne les admettait dans aucun des hôpitaux. Ce qui l'obligea à louer une petite maison, pour en retirer plusieurs de cette espèce, qui demeuraient sans aucune assistance, et qui étaient d'autant plus à plaindre qu'ils ne pouvaient aller mendier leur vie par la ville. Et il fit venir une des Filles de la Sagesse de Poitiers, pour en prendre soin, et cette maison subsiste encore. C'est ainsi que les saints en agissent. Plus ils sont mortifiés en un lieu, plus ils produisent de fruits abondants, semblables en cela au grain de froment dont parle le Sauveur dans l'évangile, qui ne produirait aucun épi, s'il n'était mort et pourri dans la terre.
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LIVRE IV
CHAPITRE PREMIER Il va faire mission dans le diocèse de Luçon. Un curé le rebute. Il va ensuite à La Rochelle.
/170/ Monsieur de Montfort, suivant le conseil de l'évangile, voyant qu'on le persécutait dans un lieu, s'enfuyait dans l'autre. Au sortir du diocèse de Nantes, il alla dans celui de Luçon, où messire François de Lescure, docteur de Sorbonne, élevé au séminaire de Saint-Sulpice à Paris, puis grand vicaire de Monseigneur l'archevêque d'Albi, et fait évêque de Luçon par Louis XIV en 1702, l'avait appelé sur la fin de l'année 1711. La première mission qu'il y devait faire était en la paroisse de Saint-Hilaire. /171/ Le curé l'avait même annoncé un dimanche au prône de sa grand messe. Mais Dieu qui voulait que son serviteur ne fût jamais sans humiliations, en quelque lieu qu'il allât, permit que le curé de Saint Hilaire, qui avait apparemment appris ce qui était arrivé à M. de Montfort, au diocèse de Nantes, non seulement ne voulut pas lui permettre de prêcher dans son église, mais refusa même de le loger en sa maison, quoiqu'il fût tout mouillé, et très fatigué des mauvais chemins où il avait passé, et que la nuit fût proche et le congédia fort malhonnêtement. Le serviteur de Dieu, sans s'émouvoir, fut à une hôtellerie du village demander le couvert, mais l'hôte, voyant qu'il n'y avait pas grand profit à faire en logeant un pauvre prêtre, le refusa aussi, de sorte que M. Grignion, bénissant Dieu de tous ces mauvais traitements, était prêt à coucher dehors, lorsqu'une pauvre femme du voisinage, le voyant passer devant la porte de son logis, lui demanda où il allait si tard, M. Grignion lui répondit : "Ma bonne amie, je cherche /172/ quelqu'un qui veuille bien me retirer cette nuit, pour l'amour de Dieu." Alors elle le pria d'entrer
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dans sa maison avec son compagnon : "je suis bien pauvre, lui dit elle, mais j'ai encore un peu de pain et de paille à votre service." Ainsi, suivant l'évangile, cette pauvre femme reçut la récompense d'un prophète, pour avoir logé un prophète, et le curé en fut privé par sa faute.
Il commença donc la première mission au diocèse de Luçon à La Garnache et de là, il fut à La Rochelle, où messire Etienne de Champflour, évêque de La Rochelle, l'avait appelé. Ce prélat, homme d'une grande piété, a aussi été élevé au séminaire de Saint-Sulpice à Paris et, après avoir été plusieurs années doyen de l'église cathédrale de Clermont en Auvergne, et vicaire général de Monseigneur l'évêque du même lieu, fut nommé évêque de La Rochelle par Louis XIV, pour son seul mérite, en 1702, après la mort de messire Charles Magdelaine Fréseau de La Fréselière, angevin, qui en peu d'années a fait de grandes choses en ce diocèse. M. de Montfort, /173/ qui était fort connu de ce saint évêque, fit sa première entrée à La Rochelle vers le milieu de l'année 1712. Comme il était à pied à son ordinaire, et sans argent, il ne laissa pas de chercher une hôtellerie pour se reposer et pour manger. Mais comme il n'avait point de cheval, on le refusa dans la première où il s'adressa. On le reçut avec peine, dans une autre, pour la même raison. Le soir, pendant qu'il prenait un souper très frugal, son compagnon lui dit : "Mon Père, vous Wavez point d'argent, qui est ce qui paiera demain pour nous ?» "Ne vous mettez pas en peine, mon enfant, dit M. Grignion, la Providence y pourvoira." Le lendemain, il fit monter l'hôte dans sa chambre pour conter avec lui. La dépense se montait à douze sols. M. Grignion lui dit simplement qu'il n'avait point d'argent ; mais qu'il le priait de prendre sa canne en gage, et que dans peu il lui enverrait cette somme. Comme la canne valait beaucoup mieux que les douze sols, l'hôte la prit volontiers. Quelques jours après, une personne charitable, ayant appris cette aventure, retira /174/ la canne et la rendit à Monsieur de Montfort.
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CHAPITRE II Il va faire mission en la paroisse de l’Houmeau. Il revient à La Rochelle, où il en fait quatre.
Monseigneur l'évêque de La Rochelle ne jugea pas à propos qu'il fit d'abord la mission dans la ville de sa résidence. Il l'envoya dans la paroisse de l'Houmeau, à deux lieues de La Rochelle, pour savoir quel en serait le succès, avant que de l'exposer à un plus grand auditoire. Dieu répandit tant de bénédictions sur ses travaux, que M. l'évêque de La Rochelle, persuadé du mérite de ce saint missionnaire, et que toutes les humiliations qu'il souffrait n'étaient pas l'effet de son imprudence, mais plutôt la preuve de sa vertu, et la récompense de son zèle et de ses travaux apostoliques, l'engagea à revenir à La Rochelle, où il fit quatre missions de suite. La première à Saint-Louis, la /175/ seconde aux soldats des casernes, la troisième aux femmes et la quatrième aux hommes. Il prêchait au commencement dans les églises. Mais, le concours des peuples qui venaient à ses sermons fut si prodigieux que, quelques spacieuses qu'elles fussent, elles étaient trop petites pour pouvoir les contenir. Il fallut qu'il prêchât dans la cour de l'hôpital et ailleurs. Il fut même obligé d'emprunter l'église des Jacobins, parce qu'elle était fort grande. Les contradictions qui ont accompagné cet homme apostolique, partout où il a été, ne lui manquèrent pas, à La Rochelle non plus qu'ailleurs. Non seulement les mondains se déclarèrent contre sa morale, qui ne les accommodait pas, des prêtres même et des religieux tâchèrent de le décrier, jusqu'à le faire passer pour un fou et pour un homme extravagant. Mais, s'il eut de ce côté là quelque sujet de chagrin, il eut de l'autre la consolation d'avoir ramené grand nombre de pécheurs dans le chemin de la vertu d'où ils s'étaient écartés. Il s'y fit beaucoup de conversions, de restitutions et de réconciliations. Un homme /176/ de qualité entr'autres, s'étant moqué de lui et ayant tenu ouvertement des discours désavantageux de sa
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conduite et de ses sermons, en eut un reproche intérieur si vif et si pressant que le lendemain de grand matin, il vint trouver M. de Montfort et lui en faire des excuses, lui disant qu'il n'avait pu dormir toute la nuit, tant sa conscience lui en avait fait de grands reproches.
Les plus grands obstacles, qui auraient rebuté tout autre missionnaire que M. Grignion, ne l'ont jamais empêché d'entreprendre ni de faire l'œuvre de Dieu, et il est souvent arrivé qu'il a exécuté avec succès des entreprises qui, selon toute apparence humaine, ne devaient pas réussir.
CHAPITRE III Il fait la mission aux soldats de La Rochelle avec un grand succès.
Nous avons déjà dit que la seconde mission, que fit M. Grignion à La Rochelle, /177/ fut celle des soldats dans l'église des Jacobins. Que Dieu y donna un succès si extraordinaire que la plupart fondaient en larmes et donnaient des preuves assurées du changement de leur vie. En sorte que des personnes, qui n'étaient venues à ses sermons que pour y rire et s'en moquer, y accouraient pour en être édifiées, et tout le monde avouait que monsieur de Montfort prêchait en apôtre. Madame la comtesse de Chamilly, femme du gouverneur de La Rochelle, entendant parler des fruits merveilleux que produisait la mission des soldats, y envoya une jeune fille, Maure, demeurant chez elle, qui avait une très belle voix pour y chanter des cantiques. Un changement si prodigieux dans des soldats, donna tant d'estime à M. de Chamilly pour M. le missionnaire qu'il lui fit l'honneur plusieurs fois de le convier de manger à sa table. La procession, qu'il leur fit
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faire à la fin de la mission, fut des plus dévotes. Tous les soldats y marchèrent nus pieds, tenant un crucifix dans une main et un chapelet dans l'autre. Un officier à leur tête, aussi pieds nus, /178/ portait une espèce de drapeau ou d'étendard de la croix. Tous chantaient les litanies de la Sainte Vierge. Les chantres, d'espace en espace, entonnaient ces mots, "Sainte Vierge demandez pour nous» Et le chœur répondait, "l'amour de Dieu." Et cette réponse se faisait d'un air si touchant, chacun ayant les yeux sur son crucifix, que tous ceux qui étaient présents se trouvèrent attendris de ce spectacle.
CHAPITRE IV Il plante des croix à la fin de ses missions. Plusieurs personnes témoignent en avoir vu paraître en l'air pendant cette cérémonie.
Monsieur de Montfort, suivant sa coutume, fit planter à La Rochelle deux croix à la fin de ses missions, une à la porte Dauphine, l'autre à la porte Saint-Nicolas hors de la ville. La première était de pierre et la seconde de bois. Celle qui fut /179/ placée à la porte de Saint-Nicolas, et qui était de bois, fut portée très solennellement, tous les peuples chantant des cantiques, alternativement avec le clergé. Il arriva une chose assez extraordinaire, dit M. des Bastières, à cette cérémonie. Lorsque la croix fut élevée, M. de Montfort prêcha avec un grand zèle à son ordinaire sur l'amour des croix et des souffrances. Il avait un auditoire prodigieusement nombreux, car non seulement les habitants de La Rochelle, mais les peuples d'alentour étaient venus pour assister à un spectacle si pieux. Un moment après qu'il eut monté en chaire, il se fit un bruit terrible au milieu de l'auditoire. "Je crus d'abord, dit M. des Bastières, que les religionnaires allaient faire main
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basse sur nous. Mais je fus agréablement surpris lorsque j'entendis le peuple qui criait 'Miracle, miracle ! Nous voyons des croix en l'air'. Je regardai longtemps vers le ciel, mais je n'aperçus rien. Je m'approchai de M. de Montfort, et je lui demandai s'il voyait quelque chose, et il me répondit que non. /180/ Le cri du peuple dura au moins un quart d'heure. Plus de cent personnes, tant ecclésiastiques que laïques, tous dignes de foi, m'ont certifié depuis avoir vu ce jour là grand nombre de croix en l'air, et il ne faut pas s'étonner si Dieu les a fait paraître à plusieurs personnes, et les a cachées aux autres ; ç'a été peut-être pour fortifier la foi de ceux qui étaient chancelants sur le mystère de Jésus crucifié, les autres n'ayant pas besoin de ce signe extérieur. Il en parut une semblable à l'empereur Constantin, pour animer son courage contre ses ennemis, et pour l'engager à embrasser la religion chrétienne. D'ailleurs, il ne faut pas s'étonner si plusieurs personnes aperçurent ces croix, sans que les autres en vissent aucune. Il est dit, dans les Actes des Apôtres, que Notre Seigneur apparut à Saint Paul sur le chemin de Damas, sans qu'il fut vu d'aucune autre personne que de cet apôtre. Audientes quidem vocem, neminem autem videntes. Act. 9. v.7.
/181/ CHAPITRE V On l'attend pour l'assassiner. Il est préservé de la mort d'une manière très particulière.
Il arriva, dit M. des Bastières, une chose très singulière à M. de Montfort pendant qu'il faisait mission à La Rochelle, qui prouve que Dieu veillait d'une manière spéciale à la conservation de cet homme apostolique. Voici le fait.
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Sur la fin de la mission des hommes qui se fit aux Jacobins, M. de Montfort me pria un soir de l'accompagner jusqu'à Saint-Louis. Nous y fûmes tout au plus une demi¬-heure. En revenant, il voulait aller chez le sieur Adam son sculpteur, pour savoir s'il travaillait aux ouvrages qu'il lui avait commandés, et me pria de l'y conduire. Ne sachant pas où il demeurait, pour y aller par le chemin le plus court, il fallait passer par une rue de /182/ La Rochelle qui est fort étroite et très obscure. C'était en hiver et il était plus de sept heures du soir. Lorsque nous fûmes auprès de cette rue, et prêts à y entrer, M. de Montfort me dit que nous nous égarions. Je tâchai de lui persuader le contraire. Je n'en pus venir à bout. Il ne voulut jamais y passer. Il fallut retourner sur nos pas et faire une fois autant de chemin que nous en avions déjà fait pour éviter cette rue.
Après que nous fûmes sortis de chez M. Adam, je lui demandai pourquoi il n'avait pas voulu passer par la rue qui était le chemin le plus court pour aller chez son sculpteur : "Je n'en sais rien, me répliqua t il. Mais, lorsque nous avons été vis-à-vis de cette rue, mon cœur est devenu froid comme de la glace et je n'ai jamais pu avancer.»
Ce mystère si caché me fut développé, continue M. des Bastières, quelques années après, d'une manière fort claire. Je revenais de Nantes à La Rochelle, et je rencontrai sur la route sept cavaliers, tous de différents pays qui /183/ suivaient le messager, et quoiqu'ils ne sûssent point si je connaissais M. de Montfort, à toutes les dînées et couchées, deux ou trois d'entre eux ne manquaient point de le mettre sur le tapis, et d'en dire des choses qui ne convenaient qu'aux plus grands scélérats de l'univers. Et quand il aurait commis les crimes les plus atroces et les plus inouïs, ils n'auraient pas pu le traiter plus indignement. Je prenais toujours son parti, mais non pas aussi fortement que j'eusse pu, crainte de leur faire dire des choses encore plus infamantes contre son honneur et sa réputation. Et, je n'avais garde de leur faire connaître que j'étais du nombre de ses disciples.
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A la dernière couchée qui fut au Poiré, à sept lieues de La Rochelle, ces messieurs ne se couchèrent point ni moi non plus, parce que nous devions nous embarquer dès minuit pour passer à Marans. Ils se retirèrent néanmoins après le souper dans une chambre haute, et moi dans une basse, immédiatement au-dessous d'eux, d'où j'entendais aisément tout ce qu'ils disaient. /184/ Non contents de tout ce qu'ils m'avaient dit d'outré, pendant le souper, contre M. de Montfort, ils le prirent encore pour le sujet de leur conversation. Il n'y a point d'injure qu'ils ne vomissent contre lui, et ils se disaient les uns aux autres : "Il est pire que tous les démons d'enfer, c'est un hypocrite qui séduit tout le menu peuple. On rendrait un grand service à l'Etat si on détruisait ce malheureux, dit un d'entre eux, si je le rencontrais dans un lieu écarté, je le percerais à coups d'épée."
A ce sujet, un autre raconta l'histoire suivante. "J'étais, dit il, à La Rochelle lorsque cet antéchrist fit une mission à Saint-Louis. Deux de mes amis et moi y fûmes une fois à dessein de l'entendre. Sitôt que nous fûmes entrés dans l'église, nous ne pûmes nous empêcher de rire. Il nous apostropha en s'écriant de toutes ses forces : 'Qui sont ces trois gens qui viennent d'entrer avec des perruques poudrées ? Le démon les a suscités pour empêcher le fruit de la mission. Qu'ils sortent au plus tôt, ou je vais sortir de la chaire.' /185/ Puis il s'arrêta un moment. Nous sortîmes et il recommença à prêcher. Si nous avions tenu ce charlatan à l'heure même, nous l'aurions exterminé. Nous avons depuis cent fois cherché l'occasion de le rencontrer seul à l'écart. Sûrement nous lui aurions donné son compte. Nous apprîmes un jour, ajoutèrent ils, par hasard, qu'il devait aller un dimanche au soir avec Frère Mathurin chez Adam, sculpteur, et qu'il devait passer par cette petite rue de La Rochelle. Nous y fûmes dès sept heures du soir. Nous l'attendîmes jusqu'à onze heures, mais il n'y vint point." Un de la compagnie lui demanda ce qu'il lui aurait fait s'il avait passé, et il lui répliqua : 'Nous lui aurions cassé la tête. Hé, qu'auriez
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vous fait, lui répliqua t on, à Frère Mathurin ? Et il dit "Nous l'aurions envoyé au diable avec son maître."
Cette histoire prouve que M. de Montfort, semblable à tous les hommes apostoliques, a été sujet aux calomnies, aux injures et à toutes sortes de mauvais traitements, et que le Seigneur lui a fait la grâce aussi bien /186/ qu'à eux de les en délivrer. Multae tribulationes justorum, et de omnibus his eripuit eos Dominus. Psal.
CHAPITRE VI Il appelle M. Vatel prêtre, d'une manière extraordinaire, pour lui aider dans ses missions.
Pendant le séjour que M. Montfort fit à La Rochelle, il gagna plusieurs âmes à Dieu, et fit des conquêtes admirables à Jésus-Christ. Celle de M. Vatel, qui se joignit à lui, est une des plus singulières. En voici l'histoire. Messire Adrien Vatel, prêtre du diocèse de Coutances, était venu depuis peu de Paris à La Rochelle pour s'embarquer, passer dans les îles et y travailler à la conversion des infidèles. Il s'était même engagé avec le capitaine d'un vaisseau qui lui avait avancé trois cents livres pour acheter des livres et des ornements pour dire la sainte messe. M. Vatel avait pourtant quelques difficultés /187/ sur sa vocation, parce qu'il craignait que sa mission pour ce pays là ne fût pas bien autorisée. Il avait consulté différentes personnes à Paris, pour savoir de qui il devait la recevoir. Comme il avait demeuré quelque temps à la communauté du Saint-Esprit à Paris, il avait été trouver Monseigneur l'archevêque de Paris, pour demander sa bénédiction et tous ses pouvoirs pour travailler dans ces îles. Monseigneur l'archevêque les lui avait donnés tels qu'il le
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pouvait. M. Vatel, non content de cette mission, en avait encore demandé un autre à Monseigneur l'archevêque de Rouen, son Métropolitain, qui lui avait accordé la même chose que Monseigneur l'archevêque de Paris. Avec tout cela, il n'était point content. Il avait consulté plusieurs religieux de différents ordres, qui lui avaient tous dit qu'il n'avait point reçu de ces archevêques de pouvoir suffisant pour travailler dans ces pays éloignés, qui n'étaient point soumis à leur juridiction ; qu'il en fallait un du pape, qui est l'Evêque universel de toute la chrétienté, ainsi qu'il est appelé par Saint Grégoire /188/, Episcopus Catholicus. La conscience de M. Vatel n'était point satisfaite de cette réponse. Car, il craignait que les religieux, qui font des missions dans tous les lieux où il voulait aller, ne voulussent l'empêcher d'y travailler par un esprit de jalousie. Dans cette perplexité, il alla trouver M. Grignion à La Rochelle, qui lisait alors une lettre d'un prêtre, qui lui avait promis de venir travailler avec lui, et qui s'en excusait. Monsieur Vatel lui ayant dit sa peine, Monsieur Grignion lui répliqua : "Bon Monsieur, voilà un prêtre qui me manque. Dieu m'en envoie un autre. Il faut que vous veniez avec moi, nous travaillerons ensemble." Monsieur Vatel lui répliqua que cela ne se pouvait, parce qu'il était engagé avec un capitaine de vaisseau, qui lui avait avancé cent écus pour lui acheter ce qui lui était nécessaire. 'Vous voilà bien en peine, dit Monsieur Grignion, Monsieur l'évêque de La Rochelle les lui rendra en même temps." Il mena M. Vatel à Monsieur de La Rochelle, lequel ayant écouté toutes les raisons de part et d'autre alla prendre cent écus dans /189/ son cabinet, les donna à M. Vatel pour les rendre au capitaine, lequel, très mécontent de ce que Monsieur Grignion lui enlevait ainsi l'aumônier de son vaisseau, se mit à jurer qu'il le tuerait partout où il le trouverait. Ce que M. Grignion ayant appris, il pria Dieu pour lui, alla le trouver, l'embrassa, se réconcilia, et furent ensuite les meilleurs amis du monde. M. Vatel a depuis travaillé avec M. Grignion avec beaucoup de succès dans ses missions, et est un des prêtres de la compagnie de Marie.
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CHAPITRE VII Il fait différents établissements à La Rochelle pour l'utilité du prochain.
Pendant le séjour que Monsieur Grignion fit à La Rochelle, qui fut près de trois ans à différentes fois, il fit plusieurs établissements dans la ville pour perpétuer le fruit de ses missions. Le premier fut une confrérie en l'honneur /190/ de la croix de Notre Seigneur, dont les règlements et les statuts furent approuvés par Monsieur l'évêque, qui en parle dans le certificat qu'il en donne, en ces termes : "Il y a une confrérie de Filles de la Croix établie en La Rochelle, par défunt M. de Montfort, laquelle subsiste, et est dirigée par le sieur des Bastières qui a soin de les assembler tous les mois, et de leur faire un petit discours sur leurs obligations, et pour les entretenir dans la piété. Elles approchent souvent des sacrements." Donné à La Rochelle, le deux septembre mil sept cents vingt. Signé, ETIENNE évêque de La Rochelle. Et il est à remarquer qu'il y a toujours eu plus de soixante personnes dans cette confrérie.
Au sortir d'une mission, Monsieur Grignion écrivit une lettre circulaire aux confrères et aux Amis de la Croix, qui a été imprimée à Rennes avec approbation, où il leur dit entre autres choses.
Vous êtes unis ensemble, (Amis de la Croix), comme autant de soldats crucifiés, pour combattre le monde ; non en fuyant comme les religieux et les religieuses, 1911 de peur d'être vaincus ; mais comme de vaillants et braves capitaines, en demeurant fermes sur le champ de bataille, sans lâcher le pied et sans tourner le dos. Courage ! Combattez vaillamment ! Unissez vous fortement dans l'union de vos esprits et de vos cœurs, union infiniment plus forte et plus terrible au monde et à l'enfer que ne le
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sont aux ennemis de l’Etat les forces extérieures d'un royaume bien unies ensemble.
Les démons s'unissent pour vous perdre, unissez-¬vous pour les terrasser. Les avares s'unissent pour trafiquer et gagner de l'or et de l'argent ; unissez vos travaux pour acquérir les trésors de l'éternité, renfermés dans la croix. Les libertins s'unissent pour se divertir ; unissez vous pour souffrir. Vous vous appelez Amis de la Croix; que ce nom est grand ! Je vous avoue que j'en suis charmé et ébloui. Il est plus brillant que le soleil, plus élevé que les cieux, plus glorieux et plus pompeux que les titres les plus magnifiques des rois et des empereurs. C'est le grand nom de Jésus-Christ crucifié, vrai Dieu et vrai homme : c'est le nom d'un vrai chrétien.
/ 192 / Mais si je suis ravi de son éclat, je ne suis pas moins épouvanté du poids et des obligations qui y sont attachées, etc.
Il donne ensuite des règles aux Amis et aux Confrères de la Croix, qu'ils doivent garder.
1°. Souffrir toutes sortes de maux, de quelque part qu'ils viennent.
2°. Souffrir indifféremment, sans choix.
3°. Souffrir patiemment, sans murmure et sans plainte.
4°. Souffrir joyeusement, sans tristesse et sans chagrin.
5°. Souffrir saintement, sans vanité ni respect humain, etc.
Le second établissement qu'il fit à La Rochelle fut des écoles charitables, pour enseigner les garçons, surtout les pauvres de la ville, gratuitement. Monseigneur l'évêque loua pour cet effet une maison, qu'il a achetée depuis, et il y mit quatre régents, à la tête desquels était un prêtre qui présidait à leur petite communauté, et qui instruisait et confessait les enfants. Cette école subsiste encore par les
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libéralités de ce saint prélat. Monsieur de Montfort en fit autant pour les petites /193/ filles. Une femme de piété, voyant les grands biens que M. Grignion faisait à La Rochelle, en fut si touchée qu'elle lui donna une maison sa vie durant, dans un faubourg de la ville, paroisse de Notre-¬Dame, pour y venir demeurer pendant les vacances ; et plusieurs particuliers s'offrirent à l'envi à lui donner un ameublement semblable à celui du prophète dont il est parlé dans le Livre des Rois, c'est à dire : un lit, une table, une chaise et un chandelier.
M. Grignion ayant ouï dire un jour qu'il y avait une grande assemblée de garçons et de filles qui dansaient dans un des faubourgs de la ville de La Rochelle, transporté de son zèle ordinaire contre les bals, il y fut avec un ecclésiastique ; et étant entré dans la chambre, il se mit à genoux au milieu de la danse, et dit tout haut l’Ave Maria. Cette posture et cette prière, si peu attendue dans une semblable rencontre, surprit si fort cette assemblée qu'elle se sépara dans l'instant et s'enfuit. Deux garçons en furent si effrayés qu'ils s'évanouirent et tombèrent par /194/ terre. Un ecclésiastique digne de foi, qui y était présent, m'a raconté ce fait.
CHAPITRE VIII Il va à l'Ile d’Yeu, diocèse de Luçon. Il s'embarque sur mer. Il est poursuivi par des corsaires, il en est délivré comme par miracle. Il va ensuite à Sallertaine.
Peu de temps après la mission que M. de Montfort avait faite aux hommes à La Rochelle, dans l'église des R. P. Jacobins, il avertit, dit M. des Bastières , tous ceux qui lui avaient aidé, de se préparer à partir pour l'Ile-D’yeu,
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au diocèse de Luçon, qui est toute entourée de la mer, et où les peuples sont fort sauvages, parce qu'ils n'ont presque aucun commerce avec le reste des hommes. Nous devions, ajoute Mr. des Bastières, nous embarquer à La Rochelle. Le jour de notre départ était arrêté. Mais M. Clémenson, chez /195/ qui nous demeurions alors, nous avertit qu'il savait de science certaine que l'on nous avait tous vendus aux Grenezéens. M. de Montfort ne fit aucun état de cet avertissement. Pour moi, j’y fis une très sérieuse attention, et je lui représentai, le plus fortement qu'il me fut possible, l'extrême danger où il nous exposerait avec tous ceux qui devaient l'accompagner. Il fit tout ce qu'il put pour me persuader que ce qu'on nous avait dit, bien loin d'avoir aucun fondement, n'avait nulle apparence de vérité. Que les ennemis de Dieu et du salut des âmes avaient inventé cette fourberie pour nous faire peur, et nous empêcher d'aller dans cette île travailler à la conversion des pécheurs où nous étions appelés. Il ajouta que si les martyrs avaient été aussi lâches que nous, ils ne posséderaient pas la couronne de gloire dont ils jouissent présentement dans le ciel. Je lui répliquai que je n'avais ni le courage des martyrs ni le sien, mais que je me saurais toujours bon gré de ne l'avoir pas cru à Cambon dans une conjoncture à peu près semblable : "Vous pouvez, /196/ lui dis je, vous embarquer quand il vous plaira, pour moi je ne vous suivrai pas, je prendrai une autre route pour vous aller joindre." Me voyant si résolu, il acquiesça à mes sentiments. Nous différâmes notre départ de quelques jours, et ce fut pour nous un grand bonheur car nous apprîmes bientôt après que la barque qui nous devait passer, étant partie à deux heures du matin, avait été prise le même jour par un corsaire de Grenezay, mais que le capitaine fut bien surpris quand il ne nous y trouva pas ; qu'il demanda d'abord au patron de la barque, dont il s'était rendu maître, où étaient ces deux prêtres qu'il devait passer à l'Isle Dieu ; qu'il lui répondit qu'ils étaient restés à La Rochelle : "Tant pis pour toi, lui répliqua t il, je me serais contenté de les prendre et je t'aurais renvoyé avec de grandes récompenses ; mais puisque tu ne les as pas, tu
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perdras ta barque et toutes tes marchandises." C'est un matelot, parent du maître de cette barque, qui nous a raconté cette histoire que je viens de rapporter.
/197/ On nous conseilla d'aller aux Sables d'Olonne, assurant que nous trouverions là des chaloupes qui nous passeraient à l'Isle Dieu. Nous prîmes ce parti. Mais lorsque nous y fûmes rendus, nous ne trouvâmes personne qui voulut nous y conduire. Car on nous assura que, depuis quinze jours, cette île était investie de tous côtés de corsaires de Grenezay qui rôdaient tout autour. Nous fûmes obligés d'aller à St Gilles, à trois lieues des Sables. Tous les matelots de ce lieu là nous dirent la même chose que ceux des Sables d'Olonne et refusèrent tous de nous passer. De sorte que nous fûmes sur le point de nous en retourner tous à La Rochelle. Monsieur de Montfort parut en avoir un chagrin extrême, et moi une joie incroyable. Mais avant que de partir, il fit une dernière tentative, et fut trouver un maître de chaloupe à qui il fit tant de supplications et de si belles promesses, l'assurant que nous ne courrions aucun risque, et que nous ne serions certainement pas plis, que ce bonhomme consentit enfin à nous passer.
Il fallut donc le lendemain s'embarquer. /198/ Mais lorsque nous fûmes à trois lieues en mer, nous aperçûmes deux vaisseaux corsaires de Grenezay, qui venaient sur nous à toutes voiles. Nous avions le vent contraire et nous n'avancions qu'à force de rames. Tous les matelots s'écrièrent : "Nous sommes pris ! Nous sommes pris !" Et ces pauvres gens faisaient des cris lamentables, capables de faire pitié aux cœurs les plus endurcis. Cependant, Monsieur de Montfort chantait des cantiques de tout son cœur, et nous disait à tous de chanter avec lui. Mais comme nous avions plus d'envie de pleurer que de rire, nous gardions un morne silence. Alors M. de Montfort nous dit : "Puisque vous ne pouvez chanter, récitons donc ensemble notre chapelet." Nous le psalmodiâmes avec lui, avec le plus de ferveur qu'il nous fut possible ; et aussitôt qu'il fut fini, M. de Montfort nous dit à tous : "Ne craignez
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rien, mes chers amis, notre bonne Mère la Sainte Vierge nous a exaucés, nous sommes hors de danger." Nous étions cependant déjà à la portée du canon de ces vaisseaux ennemis. Alors un de nos matelots s'écria et /199/ dit : "Comment serions nous hors de danger, l'ennemi est sur nous et prêt à fondre sur notre barque ? Préparons nous plutôt à faire le voyage d'Angleterre." Alors M. de Montfort lui répliqua: "Ayez de la foi, mes chers amis, les vents vont changer." Effectivement, la chose arriva comme il l'avait prédit. Un moment après qu'il eut parlé, nous vîmes les deux vaisseaux ennemis virer de bord, et les vents étant tout à fait changés, nos vaisseaux s'éloignèrent les uns des autres, et nous commençâmes à respirer et à nous réjouir, et nous chantâmes de bon cœur le Magnificat en action de grâces.
Nous arrivâmes enfin à bon port. Nous fûmes parfaitement bien reçus des habitants de l'Isle Dieu, mais très mal de celui qui en était le gouverneur, et de tous ses amis, qui persécutèrent M. de Montfort pendant tout le temps que dura la mission. Ce qui n'empêcha pas que les habitants de l'Ile ne profitassent beaucoup de tous, les exercices qui s'y firent. On planta à la fin une croix, pour servir de monument à la postérité qu'on avait fait mission en ce lieu là.
/200/ Après la mission de l'Isle Dieu, M. de Montfort fut en faire une dans la paroisse de Sallertaine, du même diocèse de Luçon ; laquelle étant achevée, il y fit planter une croix à son ordinaire. Mais Monsieur de Chamilly, gouverneur de La Rochelle, craignant que le roi, qui avait fait abattre le calvaire de Pontchâteau, ne fut aussi mécontent de celui là, envoya des soldats pour la renverser, quoiqu1l s'en fallût beaucoup qu'elle ne fut plantée sur un pareil calvaire. En sorte que M. de Montfort pouvait dire avec St Paul, partout où il allait, qu'il était crucifié dans les croix qu'il faisait planter. Christo crucifixus sum cruci.
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/201/ CHAPITRE IX Il va faire grand nombre de missions dans les diocèses de La Rochelle et de Saintes. Il reçoit une très sensible humiliation dans la paroisse du Vanneau.
En sortant de La Rochelle, Monsieur Grignion fut faire des missions dans le même diocèse, avec les Pères Collusson et Doye, jésuites, dans les paroisses de Nozay, de la Jarrie, à la Croix Chapeau, à Tairé, à Saint Vivien, à l'Isle Daile, à Vérinne, à Saint Christophe, à Saint¬Medard, à Taugon, à la Rode, à Courton, à Saint Sauveur, à Nuaillé, et partout là, ses travaux étaient accompagnés de grâces abondantes, de guérisons miraculeuses, et surtout de croix très humiliantes. Il en reçut une, entre autre, dans la paroisse de Vanneau, au diocèse de Saintes, qui lui fut très sensible. Voici le fait.
Le curé de Vanneau, entendant parler /202/ des grands fruits que produisaient les missions de Monsieur de Montfort, souhaita l'appeler dans sa paroisse, pour faire participer ses paroissiens aux bénédictions qu'attirait partout cet homme apostolique. Ayant pour cet effet obtenu tous les pouvoirs nécessaires de M. son évêque, M. de Montfort s'y transporta avec joie, dans le dessein d'y gagner des âmes à Dieu. Mais le démon jaloux de ses succès, ne pouvant supporter qu'il lui enlevât ses dépouilles par la conversion de tant de pécheurs, fit entendre par ses émissaires à M. l'évêque de Saintes que M. de Montfort était un séducteur, un homme extravagant et un hypocrite, qui faisait plus de mal que de bien partout où il était. C'est pourquoi ce prélat pensant rendre service à Dieu, dix huit jours après la mission commencée au Vanneau, fit signifier à Monsieur de Montfort et à tous les prêtres qui travaillaient avec lui, une interdiction générale de toutes les fonctions sacerdotales. "Nous avions déjà, dit Monsieur des Bastières, dans ses mémoires, entendu
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toutes les confessions générales. Nous devions le lendemain /203/ commencer à absoudre les pénitents bien disposés, pour les préparer à la communion générale. Ce fut pour Monsieur de Montfort un coup de foudre. Il en fut touché jusqu'aux larmes, et il nous a dit qu'il n'avait jamais eu, en sa vie, aucune mortification plus sensible. Nous reçûmes cette sentence un peu après midi, et nous fûmes jusqu'au soir à délibérer sur le parti que nous avions à prendre et nous nous déterminâmes enfin à partir le lendemain pour retourner à La Rochelle. Mais M. le Curé de Vanneau, homme sage et fort pieux, nous engagea à rester jusqu'à ce qu'il fut revenu de Saintes, où il voulait aller, pour représenter à M. l'évêque les inconvénients qu'allait produire sa suspense, et les dommages qu'en recevraient ses paroissiens. M. Montfort y consentit. Le curé partit tout aussitôt, et quoi qu'il y eût 15 lieues de Vanneau à Saintes, il fit une si grande diligence, l'amour du salut de ses ouailles lui ayant donné des ailes, qu'il fut de retour le lendemain à 5 heures du soir, et il apporta aux missionnaires la prolongation de leurs pouvoirs jusqu'à la clôture /204/ de la mission. Cette nouvelle leur causa autant de joie que la première leur avait donné de tristesse, et il n'est pas concevable combien cette mission procura de conversions extraordinaires, et de combien de bénédictions elle fut accompagnée."
CHAPITRE X Il va faire un voyage à Paris. Il y fait mission. Il va en l'Ile d'Oléron. Il retourne dans le diocèse de La Rochelle, où il continue ses travaux avec la même bénédiction.
Au sortir du diocèse de Saintes, M. de Montfort alla faire un petit voyage à Paris, comme pour se délasser, en visitant ses anciens amis. Mais le feu de sa charité ne lui
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permettant pas de prendre aucun repos, il fallait qu'il fût dans un continuel mouvement. Il donna à Paris les exercices de la retraite aux religieuses de l’Ave Maria. Après quoi, il revint dans le /205/ diocèse de La Rochelle. Il passa en l'Ile d'Oléron, à Moussay, et fut ensuite à la Séguinière pour la première fois en l'année 1713, où il trouva un curé selon son cœur, appliqué à tous ses devoirs, nommé Pierre Kentin, Hibernois. Lequel m'a assuré que la mission, qu'il fit dans sa paroisse, produisit des fruits merveilleux qui y subsistent depuis huit ans avec la même ferveur ; et que le chapelet se dit encore tous les jours au soir dans son église, et trois fois les dimanches et fêtes. En sorte qu'on en dit cinq dizaines à la première messe, cinq dizaines à deux heures après midi à l'issue du catéchisme, et cinq autres dizaines après vêpres. Ainsi ces jours là, le rosaire se récite tout entier. Et ce bon curé me dit encore qu'il croyait qu'il n'y avait point de maison dans sa paroisse où on ne récitât le chapelet en commun ou en particulier, tous les jours de l'année.
Il fit aussi rebâtir une chapelle ruinée, dans la paroisse de La Séguinière, et la dédia à la Sainte Vierge.
Il alla ensuite à La Rochelle, où il fit faire les exercices de la retraite aux /206/ religieuses de la Providence. Il fut, de là, au Gué d'Alléré, à Saint Amand et à Marennes, faisant incessamment des courses apostoliques, sans prendre aucun repos, ni un moment de relâche. Il était comme ces nuées mystérieuses auxquelles le Saint-Esprit compare les apôtres qui volent, pour ainsi dire, d'un bout de l'un à l'autre hémisphère, pour répandre de toutes parts les lumières des vérités évangéliques, et les eaux fécondes de la grâce, pour fertiliser les campagnes, et amollir les cœurs les plus endurcis. Le zèle ardent de M. de Montfort ressemblait aussi au feu. Plus on lui donnait de matière pour exercer son activité, plus il en demandait d'autres, et ne disait jamais c'est assez.
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/207/ CHAPITRE XI Il retourne à La Séguinière. Il va à Mervent. Il délivre une possédée. Il y fait rebâtir l'église.
Il revint un an après dans la même paroisse de la Séguinière, où il fit faire une retraite, à la fin de laquelle il fut passer huit jours au château appartenant aux demoiselles de Beauveau, parentes de feu Monseigneur l'évêque de Nantes, filles d'une grande piété, qui le retinrent chez elles huit ou dix jours pour se reposer, avec quatre ou cinq missionnaires qui l'accompagnaient. De La Séguinière, il fut à Saint-Amand, où il trouva une femme qu'on avait raison de croire possédée du démon, tant elle souffrait de convulsions étranges, de mouvements et d'agitations extraordinaires. Elle désolait toute sa famille depuis très longtemps. M. de Montfort lui fit les exorcismes prescrits par l'Eglise, et quoiqu'elle n'entendît /208/ point le latin, elle lui répondait à tout ce qu'il lui demandait en cette langue. Il offrit à Dieu pour elle le Saint Sacrifice, et lui prescrivit des pratiques de piété, auxquelles s'étant rendue fidèle, quelques jours après elle fut délivrée du démon, et son mari vint remercier M. Grignion, comme d'une grâce signalée qu'il avait reçue de Dieu par ses prières.
De Saint-Amand, il fut dans la paroisse de Mervent, où ayant trouvé l'église paroissiale presque tombée par terre, en sorte qu'il n'y avait plus de charpente sous la nef, et très souvent le prêtre était en danger de ne pouvoir achever le Saint Sacrifice de la messe, à cause du vent qui venait de toutes parts, et de l'eau qui tombait sur le grand autel. Monsieur de Montfort, suivant sa coutume, entreprit de rétablir cette église. Il prêcha fortement sur cette matière, de manière que non seulement les habitants du lieu, mais les peuples d'alentour lui fournirent abondamment de quoi achever ce grand ouvrage : les uns de l'argent, les autres du bois. Ceux /209/ ci des charrois,
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ceux là de la chaux et du sable. Il y avait, dans la même paroisse, une pauvre fille affligée depuis six semaines d'une si grande fluxion sur un œil qu'elle l'avait enflé et gros comme un œuf. Elle en souffrait des douleurs très aiguës, et ne pouvait dormir ni jour ni nuit. Elle se présenta à Monsieur de Montfort, qui en ayant eu compassion, bénit de l'eau à son ordinaire, lui en donna pour en frotter son œil. Elle ne l'eut pas plutôt fait qu'elle en reçut du soulagement, et la nuit suivante elle en fut entièrement guérie. L'ecclésiastique, qui l'accompagnait dans cette mission, m'a dit que ce fait est très véritable, et qu'il en a été témoin.
/210/ CHAPITRE XII Il va faire mission à Saint Jean de Fontenay.
Monsieur Grignion, étant allé faire une mission à Saint Jean de Fontenay, diocèse de La Rochelle, commença par les femmes, et il eut bien de la peine à en exclure tous les hommes, quelque vigilance qu'il y pût apporter, tant on avait d'empressement pour l'entendre. Mais si Dieu accompagna partout ses prédications de grâces très abondantes : Dabo verbum Evangelizantibus virtute multa, il faisait aussi porter des croix très pesantes au prédicateur. Car, il eut dans cette mission plusieurs choses très humiliantes, et de très grandes contradictions à souffrir. Et nous ne saurions mieux les apprendre que de Monsieur des Bastières, témoin oculaire qui nous en a écrit en ces termes.
/211/ "Je suis surpris, Monsieur, de ce qu'on ne vous a pas donné de mémoire sur ce qui s'est passé à la mission de Fontenay. Il arriva cependant un fait d'éclat, dont je me souviendrai toute ma vie. Je ne crois pas que ceux qui en
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furent, comme moi témoins oculaires, puissent jamais l'oublier. Je vais vous en faire une courte relation, mais très véritable, où il n'y aura sûrement aucune exagération, non plus que dans les autres mémoires que je vous ai déjà envoyés.
Ce fut en 1714, au mois de septembre, autant que je puis m'en souvenir, que feu M. de Montfort fit deux missions à Fontenay-le-Comte.
La première aux femmes, et la seconde aux hommes, après laquelle il donna une retraite aux Dames religieuses de Notre-Dame du même lieu. Il n'arriva rien d'extraordinaire pendant la mission des hommes et pendant la retraite des religieuses. Ce ne fut que pendant la mission des femmes qu'il se passa une scène bien tragique, qui fit la plus grande de toutes mes craintes.
Monsieur de Montfort défendit, au commencement de cette première mission, /212/ à tous les hommes et garçons, de se trouver aux exercices qu'il y ferait, leur promettant de faire une mission particulière pour eux, pendant laquelle il défendrait également aux femmes et filles d'y venir.
Il y avait dans ce temps là des cavaliers à Fontenay, en quartier d'hiver. Leur capitaine ou leur colonel qu'on nommait, si je ne me trompe M. du Ménis, pria M. de Montfort de permettre que ses soldats assistassent à la mission des femmes, alléguant pour raison qu'il croyait partir de Fontenay avant qu'il commençât celle des hommes. Monsieur de Montfort lui accorda volontiers cette grâce. Presque tous les cavaliers assistèrent effectivement à tous les exercices, pendant près de quinze jours. Ils y furent assidus, le matin et le soir, avec une modestie exemplaire. Il arriva malheureusement une catastrophe des plus surprenantes et des plus imprévues, qui empêcha qu'aucun de ces pauvres soldats ne fit sa mission.
Vers les quatre heures du soir, étant dans la sacristie à confesser, j'entendis tout d'un coup un bruit terrible qw m'effraya. /213/ Je sors de la sacristie, j'entre dans l'église.
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Les femmes qui y étaient faisaient des cris à faire trembler. Je crus d'abord que quelque femme s'était trouvée mal et qu'on la portait dehors. Mais j'ouïs, un peu après, la voix de M. Montfort qui s'écriait de toutes ses forces : 'Femmes à moi !'Et presque dans le même temps, un autre qui dit : 'Soldats à moi !' Vous eussiez vu dans ce moment toutes ces femmes sortir de leurs places, et courir au secours de Monsieur de Montfort, avec une précipitation incroyable, poussant des cris ou plutôt des hurlements épouvantables. Les soldats coururent aussi à la voix de leur capitaine qui les appelait. Je crus alors qu'on égorgeait M. de Montfort. Je fus tellement saisi d'effroi que j'étais plus mort que vif Je rentrai dans la sacristie ; deux soldats y vinrent aussi. Je leur demandai ce qui se passait dans l'église. Ils me dirent avec une voix tremblante qu'on allait faire main basse sur toutes les personnes qui y étaient, et me prièrent de leur servir d'ami. Je leur demandai quel service j'étais capable de leur rendre dans une si /214/ funeste conjoncture : 'C'est, me dirent ils, de témoigner que nous n’avons nullement participé aux meurtres qu'on va faire.' 'Très volontiers, leur répondis je ; mais comment pourrons nous, nous-mêmes éviter la rage des meurtriers ?' 'Notre capitaine, me dirent ils, n'en veut qu'à M. de Montfort et aux femmes.' Ils fermèrent la porte de la sacristie et la barricadèrent le mieux qu'ils purent. Nous y restâmes renfermés pendant un petit quart d'heure. Sitôt que nous n'entendîmes plus de bruit, nous entrâmes dans l'église où régnait un profond silence. Je vis M. de Montfort en chaire, je m'approchai de lui le plus près que je pus : il avait un air riant, mais son visage était aussi pâle que celui d'un mort. Il prêcha néanmoins pendant près d'une heure, avec autant de présence d'esprit, de force et d'onction, que s'il ne fut rien arrivé. On donna la bénédiction après le sermon, après laquelle M. de Montfort voulut sortir de l'église, mais toutes les femmes s'y opposèrent, criant à pleine tête que les soldats l'attendaient dans le cimetière pour le tuer. Il sortit /215/ pourtant, mais avec bien de la peine, précédé, entouré et suivi d'une grande troupe de femmes. Effectivement, Monsieur du
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Ménis et ses soldats l'attendaient au cimetière, ayant tous le sabre nu à la main. Il passa au milieu d'eux avec un courage intrépide. Il fut quitte pour quelques injures qu'on lui dit en passant. La troupe féminine le conduisit jusqu'à la Providence. Il resta longtemps à la porte pour empêcher que les cavaliers n'y entrassent. Je restai plus d'une heure à l'église après que M. de Montfort en fut sorti. On me fit croire qu'on m'en voulait autant qu'à lui, et que si je sortais, on ne me ferait point de quartier. Cela n'étant point vrai, je passai au milieu des soldats, non sans crainte, mais tremblant comme une feuille morte. On ne me dit pas un mot.
Je ne fus pas plutôt rendu à la Providence que je m'informai, à plus de vingt personnes, comment la querelle était arrivée, et de celui qui avait été le premier agresseur. Presque toutes me répondirent différemment. Je m'adressai directement à M. de Montfort, /216/ après souper, dans le temps de la récréation. Je le priai de me dire comment toutes choses s'étaient passées. Il me raconta ce qui suit.
"Je fus, à mon ordinaire, à l'église vers les quatre heures du soir pour prêcher. En entrant, je vis un monsieur que je ne connaissais point, appuyé Sur le bénitier, son chapeau sur sa tête, qui prenait du tabac et qui riait, je ne sais avec qui ni à quelle occasion. J'allai à lui et le priai de sortir de l'église, parce que je ne faisais la mission que pour les femmes. Il me répondit fort brusquement qu'il ne sortirait pas, et me demanda pour qui je le prenais. Qu'il avait autant d'autorité que moi de rester dans l'église, et qu'enfin il était aussi bien chrétien que moi : 'Hé bien, lui dis-je, restez pour aujourd'hui ! Mais n'y retournez-pas demain, je ferai une mission particulière après celle-ci pour les hommes, à laquelle vous pourrez assister.' 'J'y retournerai malgré vous, me répliqua t il tout en colère, les églises ne sont pas faites pour les chiens, mais pour les chrétiens, j'ai droit d'y aller aussi bien que vous au moins.' /217/ 'M. lui dis je, n'y commettez point d'immodestie.' Ce fut alors qu'il jura le
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Saint Nom de Dieu exécrablement, en me disant des injures atroces, et en me menaçant de me passer son épée au travers du corps ; et mit en même temps plusieurs fois la main à la garde de son épée sans la tirer tout-à-fait. Je me mis à genoux et baisai la terre, en demandant pardon à Dieu des blasphèmes horribles que cet impie venait de vomir contre lui. M'étant relevé, quelques femmes vinrent à moi et poussèrent ce monsieur, le voulant faire sortir par force. Il entra dans une furie plus que diabolique, et se jeta sur moi comme un lion rugissant, me prit à la gorge, et me donna deux coups de poing sur l'estomac, avec tant de violence et de force que je pensai tomber à la renverse évanoui. Ce fut dans ce moment que j'appelai les femmes à mon secours. Il me laissa quand il vit qu'elles venaient avec bruit et précipitation à moi. Il appela ses soldats qui vinrent à lui. Je ne sais point ce qu'il leur dit. Les femmes m'entourèrent et me serrèrent si fort que je pensai étouffer. Les soldats sortirent de l'église avec /218/ leur capitaine. J'en fis fermer les Portes et commandai aux femmes de se mettre dans leurs places, et de garder le silence ; ce qu'elles firent sur le champ.
Les cavaliers restèrent dans le cimetière pendant le sermon et la bénédiction. Ils firent grand bruit pendant tout ce temps là. On ne cessa pas de jouer de la trompette comme pour appeler les soldats au combat. Il était plus de sept heures du soir quand ils se retirèrent tout à fait.
Monsieur du Ménis partit ce jour même pour l'Hermenault, où était alors M. l'évêque de La Rochelle. Plusieurs soldats l'accompagnèrent. Je n'ai point su les plaintes qu'ils lui firent de M. de Montfort. Ils revinrent dès le lendemain. Ils ne furent pas plutôt descendus de cheval qu'ils vinrent tout bottés à la providence et demandèrent à parler à M. de Montfort. Nous étions à table. Sitôt qu'il fut averti, il les alla trouver. Je ne fus guère à le suivre, et ne descendis pas tout à fait l'escalier du lieu où j'étais. Je vis trois ou quatre messieurs, dont le capitaine des cavaliers était du nombre. Ce fut lui qui présenta /219/ une lettre à M. de Montfort. Il lui dit qu'elle
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tenait de la part de M. l'évêque. De tout le discours qu'ils eurent ensemble, je n'entendis que ces paroles : 'Votre brutalité a pensé causer votre perte et celle de toutes les femmes qui étaient dans l'église. J'ai été sur le point de commander à mes cavaliers de vous tailler tous en pièces. Au reste, cette vengeance ne m'aurait tout au plus coûté que la vie. J'ai ordre de vous dire, de la part de M. l'évêque, de l'aller trouver incessamment." M. de Montfort lui parla pendant près d'un demi quart d'heure. Mais, si doucement et d'un ton si bas que je ne pus presque rien entendre.
Ce ne fut pourtant point Monsieur de Montfort qui alla à l'Hermenault, mais M. le curé de Saint-Jean, où nous filmes les deux missions de Fontenay. M. de Montfort fut parfaitement justifié de toutes les faussetés et calomnies que ces messieurs avaient fait de lui à M. l'évêque. Le champ de bataille lui resta et il demeura victorieux dans ce combat. Ce qui lui fit plus de peine fut de voir que leur capitaine lui ôta une /220/ trompette qui servait à chanter des cantiques dans l'église. Lequel, ayant passé dans une maison voisine, tandis que le peuple était occupé à chanter les louanges de Dieu, jouait des airs profanes, comme pour le braver. Ne pouvant supporter cette impiété, il s'en plaignit en publie, mais il ne les fit pas cesser pour cela.
2°. Comme selon sa coutume il se disposait à faire planter une croix dans la paroisse de Saint-Jean, il alla lui-même avec un des fabriqueurs chercher un lieu pour la placer. Il choisit une éminence auprès du bourg pour la faire paraître, disait il, de plus loin. Le curé, formalisé de ce qu'il ne l'en avait point averti, jugea plus à propos de la faire mettre dans un enfoncement, à cause que cette éminence était auprès d'une auberge, et il voulut absolument qu'elle y fut plantée. M. Grignion, craignant qu'elle ne fût pas autant honorée dans ce lieu là que dans l'autre, en sentit une véritable douleur. Mais enfin il céda aux volontés du curé. Le fabriqueur qui avait choisi avec lui l'autre emplacement ne fut pas de même avis. Car, par /221/ manière de rébellion, il fit transporter la croix dans
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une hôtellerie, immédiatement après qu'elle fut peinte. Ce que M. Grignion ayant appris, il s'en plaignit vivement et le reprit de cette espèce de profanation, que l'on avait faite en portant, cette croix dans un lieu profane. Ce qu'il lui fit tant de peine qu'il ne pût s'empêcher de dire en la plantant : 'O pauvre croix, tu as bien été crucifiée !' On l'empêcha aussi de faire bâtir une espèce de petite chapelle, dans laquelle il voulait faire mettre un beau crucifix, qu'il avait acheté pour ce dessein.
Il reçut encore dans cette mission un affront sensible, car ayant fait allumer un cierge devant l'image de l'Enfant Jésus, un prêtre alla lui-même l'éteindre, désapprouvant en cela sa conduite.
Il fit marcher, à la procession qui fut faite à la fin de cette mission, trente trois pauvres qu'il avait fait habiller en l'honneur des trente trois années que Notre Seigneur a vécus sur la terre.
On continue encore de dire le chapelet tous les soirs en cette paroisse, et après avoir sonné la cloche pour appeler /222/ le peuple, on tinte soixante trois coups à l'honneur des soixante trois années, qu'on croit que la Ste Vierge a vécues sur la terre.
Sachant que les pauvres sont ordinairement plus assidus à amasser les aumônes des fidèles aux portes des églises qu'à entendre les sermons qui s'y font, et ne pouvant souffrir qu'ils fussent privés de la parole de Dieu, il se servit d'un expédient qui lui réussit. Il emprunta un grand chaudron qu'il faisait emplir tous les jours de potage, et au sortir du catéchisme qu'il faisait à St Nicolas, il leur en donnait à chacun deux cuillerées. Par là, il attira tous les pauvres pour assister à ses catéchismes, et il les convertit tellement qu'au lieu des jurements qu'on les entendait prononcer, tous les jours, avant cette mission, ils n'avaient plus à la bouche que des cantiques. Et, ils firent eux mêmes une quête pour bâtir un oratoire, où ils faisaient tous les soirs la prière sous les halles, et allaient souvent de cet endroit, comme en procession, à la croix que
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M. Grignion avait plantée. Les pauvres ne furent pas les seuls à en /223/ agir de la sorte. Les enfants faisaient aussi des croix de bois et y allaient en procession, chantant des cantiques qu'on leur avait appris. Il se rendait tous les dimanches une quantité prodigieuse de personnes qui y disaient le chapelet. Plusieurs y allaient les pieds nus pour imiter les humiliations de Notre Seigneur. Cette dévotion continue encore, et peu de personnes passent par devant qu'elles ne s'y arrêtent pour y faire leurs prières à genoux.
Les peuples avaient une telle vénération pour Monsieur de Montfort que, lorsqu'il passait par quelque endroit, on courait à lui pour lui demander sa bénédiction. Dieu le récompensa de toutes ses peines, à proportion qu'il avait souffert dans la mission de Fontenay, car il lui accorda deux grâces signalées. La première fut la conversion d'une fille hérétique, qui fut bientôt suivie de celle de sa sœur. La seconde fut la vocation de M. Mulot, qui s'associa à lui pour le suivre dans toutes ses missions, de la manière que nous allons le dire.
/224/ CHAPITRE XIII Il appelle avec lui Monsieur Mulot. Circonstances admirables de sa vocation pour les missions.
Le curé de St Pompain à deux lieues de Fontenay, nommé M. Mulot, homme de bien et fort zélé, avait depuis longtemps le dessein de faire faire une mission dans sa paroisse. Il jetait les yeux sur un religieux d'un Saint Ordre, qui avait beaucoup de grâces et de talents pour les missions. Mais messire Pierre Mulot son frère, aussi prêtre, qui demeurait avec lui l'en détournait, en lui disant qu'il lui conseillait de prier M. de Montfort de la venir faire à Saint Pompain, parce qu'il savait que la grâce de
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Dieu l'accompagnait partout, et que les fruits de ses missions persévéraient bien plus longtemps dans les lieux où il avait passé que dans ceux où d'autres missionnaires avaient travaillé, soit qu'il eut une /225/ grâce plus abondante, soit parce qu'il se servait de pratiques très saintes pour y perpétuer les fruits de ses missions : par les petites écoles, par l'établissement du saint rosaire, des pénitents blancs et d'autres confréries ; de sorte que le prieur curé de Saint-Pompain dit à son frère que, puisque Dieu lui avait donné cette pensée, il le priait d'en aller faire lui-même la proposition à M. Montfort, qui était alors à Fontenay, quoiqu'autrefois il eût eu beaucoup d'éloignement pour lui à cause de son zèle extraordinaire, que plusieurs curés et prêtres blâmaient, parce qu'il leur semblait extravagant et ridicule. M. Mulot fut tout aussitôt prier M. de Montfort de vouloir bien venir faire mission chez son frère le curé. Le serviteur de Dieu lui dit qu'il ne pouvait pas lui accorder ce qu'il demandait, parce qu'il était accablé de travail ; que d'ailleurs il avait promis trois ou quatre missions à des curés qui l'en avaient prié avant lui ; qu'en un mot il ne devait pas s'attendre qu'il entreprit la mission de Saint-Pompain avant celles qu'il avait promises. M. Mulot /226/ ne se rebuta pas, et il fit tant d'instances que M. Grignion, en le regardant fixement, lui répliqua d'un ton ferme : "Si vous voulez me suivre et travailler avec moi le reste de vos jours, j'irai chez votre frère, non autrement."
Monsieur Mulot répondit modestement : "Vous rendez, Monsieur, l'exécution de ma demande impossible, car il y a plusieurs années que je suis paralytique d'un côté, que j'ai une oppression de poitrine et des maux de tête qui m'empêchent de dormir les jours et les nuits. Que feriez vous d'un pareil missionnaire ? Je vous serais plus à charge qu'utile.» M. Grignion, pénétrant sans doute le fond du cœur de M. Mulot et les desseins que Dieu avait sur lui, répliqua : "N'importe, Monsieur, toutes vos infirmités ne m'empêchent point de vous dire, comme Notre Seigneur dit à Saint Mathieu, sequere me, que sa volonté est que vous me suiviez. Tous vos maux
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s'évanouiront lorsque vous aurez commencé à travailler au salut des âmes, et il faut faire un coup d'essai par la mission de Saint-Pompain."
Monsieur Mulot, quoique surpris de /227/ cette proposition, crut le saint homme et le suivit à la mission de Saint-Pompain. Et, il ne se fut pas plutôt mis en chaire et au confessionnal, pour réconcilier les pécheurs, qu'il sentit ses faiblesses diminuer, et sa santé fut si parfaitement rétablie en peu de jours qu'il a suivi près de trois ans Monsieur de Montfort dans ses missions, sans incommodité. M. Grignion le prit pour son confesseur, et ce fut lui qui l'assista à la mort. Et il a été le premier avec M. Vatel sur lequel il jeta les yeux, pour établir cette congrégation de douze prêtres, qu'il appela la Compagnie de Marie, pour continuer ses missions et ses travaux apostoliques, qui subsiste encore, et qui prend tous les jours de nouveaux accroissements, ainsi que nous le dirons dans la suite de cette histoire.
/228/ CHAPITRE XIV Il va faire mission à Vouvant. On lui présente une fille possédée. Fruit qu'il en retire. Il veut se bâtir une solitude dans la forêt.
De Saint Jean de Fontenay, Monsieur Grignion fut en la paroisse de Vouvant. On lui amena d'abord une fille de piété, qui selon toutes les apparences était possédée, pour faire sur elle les exorcismes prescrits par l'Eglise. Il l'entreprit, et fit presque toujours obéir le démon à ce qu'il lui commandait. Un jour entre autres, quelques jeunes gens libertins, ayant su que Monsieur Grignion devait exorciser cette fille en présence d'un seul ecclésiastique, montèrent à la dérobée dans le clocher, sans que la possédée ni aucune personne eussent pu en avoir
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connaissance par les voies ordinaires. Mais aussitôt qu'elle fut entrée dans l'église, elle dit à Monsieur /229/ Grignion : "Tu crois être seul avec moi, mais tu te trompes, il y a des personnes cachées dans le clocher, qui veulent écouter ce que tu me diras et ce que je te répondrai." Monsieur Grignion examina la chose, et il la trouva très véritable. Prêchant le soir après que cet événement fut arrivé, il demanda un jeûne général à tous ses auditeurs, pour qu'il plût à Dieu de délivrer cette fille de la possession du démon. Tous le lui accordèrent. Ces jeunes gens, qui étaient cachés dans le clocher, frappés de ce qu'ils avaient été découverts d'une manière qui ne leur paraissait pas naturelle, s'engagèrent eux-mêmes à faire ce jeûne très exactement, quoiqu'ils avouassent de bonne foi qu'ils n'avaient jamais pratiqué aucun des jeûnes prescrits par l'Eglise, quoiqu'ils eussent l'âge et les forces nécessaires pour les accomplir. M. Grignion, voyant qu'il fallait donner beaucoup de temps pour faire les exorcismes nécessaires, pour délivrer cette fille de la servitude du malin esprit, et que par là le démon lui ferait prendre le change pour l'amuser, et lui faire /230/ perdre le temps qu'il aurait employé à la conversion des âmes, la renvoya, en lui donnant des avis salutaires pour faire un bon usage d'un état si pénible, si dangereux et si méritoire pour son salut. Et Dieu a permis que cette fille, toute possédée qu'elle parût, est devenue elle-même un missionnaire, parce que le démon a été forcé par l'ordre de Dieu de découvrir, à plusieurs personnes engagées dans les abîmes du péché mortel où elles vivaient depuis plusieurs années, l'état déplorable de leurs âmes. Et elles se sont converties, ont fait pénitence, et ont changé de vie ; ce qu'on peut sans doute attribuer aux ferventes prières de Monsieur de Montfort. Pendant cette mission et celle de Mervent, Monsieur Grignion allait de temps en temps dans la forêt de Vouvant qui était proche, pour méditer, éloigné du bruit, au milieu des bois, les saints mystères de notre religion et les vérités qu'il devait annoncer au peuple. Il y trouva un lieu fort retiré entre deux montagnes, au pied desquelles la rivière passait et où étaient plusieurs petites fontaines.
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/231/ Son dessein fut de bâtir en ce lieu là un petit ermitage, afin d'y aller après ses missions de temps en temps, pour y faire des retraites et se préparer à travailler de nouveau au salut des âmes. Il n'y eut pas plutôt mis la main que plusieurs personnes vinrent lui aider. Les uns tiraient de la pierre, les autres faisaient du mortier, ceux ci allaient chercher de l'eau à la rivière. Mais on peut dire que personne ne travailla avec plus de force que lui. Il fit tant qu'il creusa dans le roc un espace capable de contenir un lit, une table et une chaise. Il avait fait faire une chambre de maçonnerie qui servait de vestibule à cette grotte. Mais les eaux qui sont tombées depuis du rocher ont renversé cet ouvrage. Son dessein était encore, s'il eût vécu plus longtemps, d'y faire bâtir une petite chapelle et d'y planter une grande croix. Le peuple, depuis sa mort, y va prier Dieu devant une petite image de la Sainte Vierge, qu'on y a placée dans une petite niche.
/232/ CHAPITRE XV Monsieur de Montfort va à Saint Pompain faire une mission qui produit des fruits admirables. Il y fait faire une procession édifiante de pénitents et les envoie en pèlerinage à Notre Dame de Saumur.
La mission de Saint-Pompain fut une de celles qu'entreprit Monsieur Grignion, qui eut le plus d'éclat et de succès. Car, non seulement il y établit une compagnie de pénitents, comme partout ailleurs, dont la fin principale était de les retirer de la débauche et des cabarets, les fêtes et les dimanches, mais il y institua aussi une société de vierges qui étaient obligées de faire vœu de passer un an sans se marier, dont la fin était de ne se point trouver dans les assemblées mondaines : telles que sont les bals, les danses, et les compagnies de personnes de différents sexes;
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duquel vœu /233/ les évêques pouvaient les dispenser. Il y prêcha avec tant de force contre l'abus, qui se commettait en plusieurs paroisses, de tenir des foires les fêtes et les dimanches, qu'il eut la joie d'en faire transférer sept à huit, tant à Saint-Pompain qu'ailleurs, à d'autres jours non chômables. A la fin de sa mission, il fit faire selon sa coutume une retraite aux hommes, qui y furent si fort embrasés du feu de l'amour de Dieu et du désir de faire pénitence qu'ils lui proposèrent de faire un pèlerinage à pied à Notre-Dame de Saumur. Il les refusa d'abord pour éprouver leur persévérance, mais ils lui firent tant d'instance pour obtenir cette grâce qu'enfin il la leur accorda. Ils furent au nombre de trente six qui entreprirent ce pèlerinage. Monsieur de Montfort fit trois choses pour prévenir et empêcher les abus qui pouvaient arriver le long de la route. 1°. Il mit deux prêtres à leur tête pour les conduire. 2°. Il leur donna un règlement pour les occuper saintement le long des chemins. 3°. Il leur prescrivit la fin qu'ils devaient se proposer dans cette dévotion, qui était de demander à Dieu par /234/ l'intercession de la Sainte Vierge, la fuite du péché, une bonne mort, de saints missionnaires qui puissent perpétuer le fruit de ses missions. Ce règlement est si sage et si dévot que nous avons cru devoir le reporter à la fin de ce chapitre, pour servir de modèle en de semblables occasions, quoiqu'il y eût 21 lieues de Saint-Pompain à Saumur, et que les chemins fussent fort mauvais, parce que c'était au mois de mars et qu'ils fussent trois jours en route. La plupart marchèrent nu pieds, chantant tantôt des cantiques, tantôt disant leur chapelet, ou s'entretenant de choses pieuses et s'arrêtant par tous les lieux où ils passaient, comme à Thouars et dans les bourgs, pour entrer dans les églises et y adorer le très Saint Sacrement. Ils faisaient la lecture pendant leur repas, ils couchaient la plupart sur la paille dans les granges, tous ne pouvant pas trouver des lits dans les hôtelleries. Les plus riches contribuèrent à la dépense des plus pauvres. Un d'entre eux qui était goutteux prit un cheval pour aller dessus, et en descendait de temps en temps, pour y faire monter ceux
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qui étaient /235/ les plus fatigués, et tous le soutenaient par dessous les bras pour lui aider à marcher. En entrant dans les bourgs, ils allaient deux à deux chantant des cantiques avec une très grande modestie, ne regardant point d'un côté ni d'autre, mais tenant la vue baissée. Des curés, touchés d'un spectacle si dévot, les venaient voir à leur hôtellerie et leur offraient leurs bourses. Ils entrèrent tous dans cet ordre dans la ville de Saumur. Tous les habitants se mettaient aux portes et aux fenêtres pour les voir passer. Chacun, touché d'un spectacle si édifiant, ne pouvaient retenir leurs larmes. Ils se confessèrent et communièrent tous à Notre Dame des Ardilliers et s'en retournèrent dans le même ordre qu'ils étaient venus. Leur voyage dura sept jours et la mission se termina par le plantement de la croix. Et, quoiqu'il y eût alors des neiges fort hautes, les pénitents ne laissèrent pas d'y marcher les pieds nus.
/236/ CHAPITRE XVI Règlement qu'il donne aux pèlerins, pour observer pendant la route. Fin qu'il leur propose, qui est de demander à Dieu de saints missionnaires.
1°. Vous n'aurez d'autre vue en ce pèlerinage que d'obtenir de Dieu, par l'intercession de la Sainte Vierge, de bons missionnaires qui marchent sur les traces des apôtres, par un entier abandon à la Providence et à la pratique de toutes les vertus, sous la protection de la très digne Mère de Dieu.
2°. Le don de la sagesse pour connaître, goûter et pratiquer la vérité, et la faire goûter et pratiquer aux autres.
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3°. Vous n'aurez rien dans vos habits qui vous distingue des autres qu'une grande modestie, un silence religieux, et une prière continuelle tout le long du chemin. Vous pourrez cependant, /237/ sans singularité extraordinaire, avoir un chapelet en votre main et un crucifix sur votre poitrine, pour marquer que ce n'est pas un voyage ordinaire que vous faites, mais un pèlerinage de dévotion.
4°. Vous vous mettrez deux à deux en passant par les villages, les villes ou les bourgs, pour édifier. Et, dans la campagne vous irez tous ensemble, sans vous séparer les uns des autres que par nécessité et obéissance. Si quelqu'un par nécessité ou lassitude demeure derrière, les autres par charité l'attendront et, s'il est nécessaire, le feront monter à cheval, s'entr'aidant comme tous les membres du même corps.
5°. Dans leur marche, ils chanteront des cantiques, ou réciteront le saint rosaire, ou ils prieront intérieurement en silence. Et ils ne parleront ensemble qu'une heure le matin, environ sur les dix heures, et après le dîner environ entre une et deux.
6°. Voici l'ordre des actions de leurs journées pendant le pèlerinage. 1°. Ils se coucheront tant qu'ils pourront /238/ dans la même auberge, les plus pénitents sur le foin et sur la paille, et les plus faibles dans les lits, mais tous en silence et avec modestie, après avoir fait la prière du soir tous ensemble. 2°. Ils se lèveront tous au point du jour, au signal que leur supérieur leur en donnera. Ils feront une courte prière ensemble : savoir, un Pater, un Ave, un Credo, les Commandements de Dieu et de l’Eglise. 3°. Ensuite, si l'église dans le lieu où ils auront couché est proche, et qu'il ne faille pas beaucoup s'écarter pour y aller, ils iront pour adorer à la porte le Saint Sacrement, chantant en son honneur Tantum ergo, avec l'oraison. 4°. En se mettant en chemin, ils chanteront d'abord, et réciteront la petite couronne de la Sainte Vierge, ensuite pendant une demi heure ils garderont le silence, pour méditer la mort et passion de Jésus-Christ. 5°. Après
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la méditation, ils réciteront à deux chœurs le premier chapelet et pour le faire mieux, ils tâcheront de se mettre deux à deux ou quatre à quatre, si le temps et le chemin le permettent. 6°. Après avoir récité le chapelet, /239/ ils chanteront des cantiques pendant environ une heure. Ensuite, au signal du supérieur, ils s'entretiendront de bonnes choses jusqu'à la dînée, et quand ils entreront dans les bourgs ou villages, ils chanteront en chœur des cantiques. 7°. Si dans le lieu de la dînée, il y a une église où repose le Saint Sacrement, ils iront le visiter tous ensemble avant d'aller à l'auberge. 8°. Quand ils entreront dans l'auberge, ils monteront tous, autant que faire se pourra, dans une chambre haute ou du moins dans la même salle basse, ils s'y mettront tous à genoux, chanteront : O Saint Esprit, donnez nous vos lumières, etc. Puis, ils réciteront un Ave Maria et ensuite, ils s'assoieront. 9°. Un de la compagnie, après avoir dit le Benedicite tout haut, leur fera une petite lecture qu'ils écouteront en mangeant et sans causer, après laquelle ils pourront parler en achevant leur repas, au signal du supérieur auquel ils obéiront en tout pour l'amour de Jésus-Christ. 10°. Avant que de partir de l'auberge, ils chanteront Mère de Dieu, etc. et le cantique Daignez /240/ rendre Seigneur, etc. et ensuite, ils réciteront un Ave. 11°. Après la dînée, ils se récréeront saintement en marchant. L'heure de la récréation finie, au signal du supérieur, ils réciteront à deux chœurs, comme ci dessus, le deuxième chapelet pour l'édification de ceux des lieux qui les verront et les entendront. Enfin, ils collationneront et iront se coucher, comme il a été dit ci dessus.
6°. Ils tâcheront de Jeûner tous les jours de leur marche, à moins que la maladie ne les en empêchât.
7°. Ils ne se sépareront point de la troupe, et n'entreprendront rien d'extraordinaire, sans la permission et l'agrément du supérieur, afin que la sainte obéissance les sanctifie plus que la pénitence.
8°. Ils pourront, un quart de lieue avant d'entrer dans la ville de Saumur, se déchausser et entrer deux à deux les pieds nus, en chantant des cantiques, dans la
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chapelle de la Sainte Vierge. S'ils y arrivent le matin ou le soir qu'on ne chantera pas d'office, le supérieur ira demander la permission de réciter le /241/ chapelet devant l'image de la Ste Vierge et de chanter quelque cantique. Si on la leur refuse, ils se tiendront contents et prieront Dieu en silence dans la dite chapelle jusqu'au signal du supérieur, et aucun ne sortira que par nécessité et par sa permission, afin de combattre et de vaincre tous ensemble les ennemis de Dieu, le monde, le diable et la chair, qui ne manqueront pas de s'unir ensemble, pour en séparer et renverser quelqu'un de leur compagnie.
9°. Ils se confesseront tous et communieront au moins une fois à Notre-Dame et tous ensemble sur les dix heures et, le lendemain de leur arrivée, ils demeureront à Saumur, non pour voir la ville comme font les curieux, mais pour remercier et prier Dieu comme de bons pénitents.
10°. Ils partiront le lendemain de leur communion, après avoir entendu la sainte messe, à laquelle ils pourront encore communier, s'ils n'ont point fait de péchés considérables depuis leur dernière communion, et s'ils ont été fidèles à leurs règles et à leur supérieur.
11°. On leur permet d'aller une fois /242/ seulement, au signal du supérieur, chez les chapeletiers pour y acheter quelque chose, et ensuite se rendront à leur auberge sans aller ailleurs.
12°. Le lendemain de leur communion après la messe entendue, et une demi heure de prières, ensuite ils sortiront deux à deux nus pieds en chantant des cantiques par la ville, sans se mettre en peine des railleries des libertins, auxquels ils ne répondront que par leur modestie et leur chant de joie divine.
13°. S'ils font le pèlerinage de cette manière, je suis persuadé qu'ils seront un spectacle digne de Dieu, des anges et des hommes, et qu'ils obtiendront de Dieu par sa sainte Mère de grandes grâces, non seulement pour eux-¬mêmes, mais encore pour toute l'Eglise de Dieu.
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14°. Il est à propos qu'ils ne parlent point des missionnaires qui leur ont donné le présent règlement, et on leur demande le secret, afin que Dieu seul en soit glorifié. Puisqu'il a été seul l'auteur de ce dessein, il en aura aussi seul la récompense.
/243/ 15°. Quand ils seront de retour, ils viendront rendre compte de toutes les croix qu'ils auront portées et de toutes les choses qui leur seront arrivées, afin qu'on dise pour eux une messe solennelle d'action de grâce.
CHAPITRE XVII Projet d'une société de prêtres missionnaires, sous le titre de la Compagnie de Marie.
Monsieur de Montfort, à l'exemple de Jésus-Christ, voulant laisser avant sa mort des successeurs de son zèle, pour rendre le fruit de ses travaux, stable et permanent, ut fructus vester permaneat, pensa aux moyens d'établir une société de prêtres missionnaires, sous le titre de la Compagnie de Marie, pour aller de ville en ville, et de bourgade en bourgade, allumer le feu de la charité qui, par la fragilité humaine, a coutume de se ralentir, ou même de s'éteindre après les missions.
/244/ A l'exemple de S. Ignace de Loyola, qui avait dans le pénultième siècle, établi la Compagnie de Jésus pour instruire la jeunesse, et pour faire des missions dans le Nouveau Monde, il voulut assembler des prêtres sous le titre de la Compagnie de Marie, dans notre siècle, pour travailler à la sanctification de tous les peuples de ce royaume. Ce projet est si beau et si parfait que, s'il réussit comme il y a lieu d'espérer par les heureux commencements qu'on en voit déjà, on peut dire que ce
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sera un miracle qui surpassera de loin tous ceux que l'on dit avoir déjà été faits par l'intercession de M. de Montfort.
Mais comme il est fort long, nous avons cru en devoir faire ici l'analyse en abrégé, afin d'en donner une connaissance exacte au publie, nous réservant de le faire imprimer à l'entier, si Dieu continue à y répandre sa bénédiction comme il a déjà commencé.
Monsieur de Montfort met d'abord, à la tête de ce projet, une prière également fervente et éloquente, qui commence par ces termes : Memento Domine congregationis tuae, quam possedisti /245/ ab initio. "Souvenez vous, Seigneur, de votre Congrégation que vous avez possédée de toute éternité, en pensant à elle dans votre esprit ab initio ; que vous avez possédée dans vos mains, lorsque vous avez tiré l'univers du néant ab initio; que vous avez possédée dans votre cœur, lorsque votre cher Fils mourant sur la croix l'arrosait de son sang et la consacrait par sa mort, en la confiant à sa Ste Mère. Etablissez votre empire sur les ruines de celui de vos ennemis. Tempus faciendi Domine, tempus faciendi, dissiparaverunt legem tuam : il est temps de faire ce que vous avez promis. Votre divine loi est transgressée, votre évangile est abandonné. Les torrents d'iniquité inondent le monde et entraînent jusqu'à vos serviteurs. Toute la terre est désolée, desolatione desolata est terra. L'impiété est sur le trône, votre Sanctuaire est profané ; l'abomination est jusque dans le lieu saint. Laisserez vous ainsi tout à l'abandon, Seigneur juste Dieu ?
Tous les saints du ciel ne vous crient ils pas justice : vindica Domine Sanguinem /246/ justorum ? Tous les saints de la terre ne vous demandent ils pas miséricorde ? Les créatures, même les plus insensibles, gémissent de se voir obligées de servir d'instrument aux iniquités des hommes, omnis creatura ingemiscit. Souvenez vous de donner à votre divine Mère une nouvelle compagnie, pour renouveler par elle toutes choses, et pour finir par Marie les années de la grâce, comme elles ont commencé par elle. Da Matri tuae liberos : donnez des enfants et des serviteurs. Liberos !
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libres de cette sainte liberté, qui fait les enfants de Dieu détachés de tout, sans père, sans mère, sans parents selon la chair, sans ami selon le monde, sans biens et sans embarras, sans soins des choses temporelles, même sans volonté propre. Liberos ! Des esclaves de votre volonté et de votre amour. Des hommes selon votre cœur, qui terrassent tous vos ennemis, comme autant de nouveaux David qui, avec le bâton de la croix, terrassent le Goliath de ce monde Da mihi liberos ! Donnez moi des gens qui, comme des nuées mystérieuses, se laissent conduire par le souffle /247/ du Saint Esprit. Ubi erat impetus Spiritus illuc gradiebantur. Da mihi liberos ! Donnez moi des ecclésiastiques toujours prêts à vous obéir et à la voix de leurs supérieurs, toujours prêts à courir partout et à souffrir tout. Da mihi liberos : de vrais enfants de votre Sainte Mère qui, comme saint Dominique, aillent partout, le flambeau luisant et brûlant du saint évangile à la bouche, et le saint rosaire à la main, écraser partout la tête de l'ancien serpent, afin que la malédiction que vous lui avez donnée au commencement du monde soit entièrement accomplie. Ponam inimicitias inter te et mulierem, etc. Il est vrai grand Dieu que le démon mettra comme vous l'avez prédit et dressera de grandes embûches au talon de cette femme mystérieuse, c'est à dire qu'il s'élèvera contre cette compagnie des enfants de Marie, qui viendront sur la fin du monde, et qu'il y aura de grandes inimitiés contre cette postérité bienheureuse de Marie, et la race maudite de Satan. Mais c'est une inimitié toute divine, dont vous êtes seul l'auteur, ponam inimicitias. Les /248/ combats et les persécutions, que les enfants de Bélial livreront à ceux de la divine Marie, ne serviront qu'à faire éclater davantage la puissance de votre grâce et celle de votre divine Mère, pluviam volontariain segregabis Deus haereditati tuae et infîrînata est, tu vero perfecisti eam. Psal. 67. v. 10. Quelle est, Seigneur, cette pluie volontaire que vous avez séparée et choisie pour votre héritage, toute faible qu'elle est, sinon ces saints missionnaires, enfants et disciples de votre divine Mère, que vous devez assemblés, tous faibles qu'ils sont, et que vous devez rendre parfaits pour le bien de votre
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Eglise ; que vous devez rendre des canaux mystérieux, qui recevront les eaux salutaires et volontaires de votre grâce, pour les faire couler dans les cœurs endurcis des pécheurs, et fertiliser les campagnes. Dabis verbum Evangelisantibus virtute multa : vous ferez annoncer les paroles de votre évangile par des gens simples et grossiers, tels qu'étaient les apôtres, et on verra des fruits prodigieux de leur mission, virtute multâ speciei domus dividere spolia. Leur société /249/ remportera les dépouilles sur l'enfer, et ils en partageront entre eux le mérite. Et au lieu que la plupart des ecclésiastiques du clergé demeurent ensevelis dans le sommeil de l'oisiveté, ils seront comme des colombes qui porteront leur vol de zèle, la blancheur de l'argent, c'est à dire, la pureté et l'or de la charité dans les cœurs ; ou bien les missionnaires auront la sublimité du vol de la colombe, la pureté de la doctrine et l'or de la charité. Si dormitatis inter medios cleros, pennae columbae deargentatae, et posterio dorsi ejus in pallore auri dum discernit coelestis reges super eum nive dealbabuntur. Et autant qu'il y avait de pécheurs esclaves du démon, le Dieu du ciel en fera autant de rois, qui sauront dominer sur leurs passions ; et au lieu qu'auparavant ils étaient plus noirs que le charbon, ils deviendront plus blancs que la neige ; et par dessus tout cela, ils seront appuyés sur la montagne de Dieu, mons Dei, qui est la Sainte Vierge, mons pinguis, montagne pleine de grâce, mons coagulatus, montagne dont les fondements, c'est à dire, les commencements / 250 /de sa vie sont plus parfaits et plus élevés que la cime des plus hautes montagnes, fundamenta ejus in montibus sanctis mons in vertice montium.
Ah! permettez moi, Seigneur, de crier partout : Au feu, au feu ! A l'aide, à l'aide ! Au feu dans la Maison de Dieu, au feu dans les âmes, au feu jusque dans le Sanctuaire ! A l'aide de notre frère qu'on assassine ! A l'aide de vos enfants qu'on égorge ! A l'aide de notre bon père qu'on fait mourir dans les âmes ! Qu'il me soit permis, Seigneur, de m'écrier avec Moïse, en voyant tant de veaux d'or et d'idoles révérées dans le monde : "Que
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celui qui est du parti de Dieu, se joigne à moi ! "Qui est a partibus Dei, stet mecum, ou avec le prophète roi: quis consurget mihi adversus malignantes, aut quis stabit mecum adversus operantes inequitatem. Que tous les bons prêtres qui sont répandus dans le monde chrétien, soit qu'ils soient actuellement dans le combat, comme les missionnaires, soit qu'ils soient hors de la mêlée dans les déserts comme les solitaires, qu'ils viennent et se joignent à nous pour /251/ faire, sous l'étendard de la croix, un corps d'armée bien rangée en bataille, pour attaquer les ennemis de Dieu, qui ont déjà sonné et mis l'alarme au camp. Sonuerunt et multiplicati sunt. Celui qui habite dans les cieux se moque de tous leurs efforts, qui habitat in coelis irridebit eos. Le Dieu des batailles n'a qu'à s'élever pour dissiper ses ennemis, exurgat Deus et dissipentur inimici ejus : Seigneur, levez vous ! Pourquoi semblez vous dormir ? Exurge Domine, quare obdormis ? Formez une compagnie choisie des gardes du corps de votre Eglise, du corps de votre Fils adorable, pour défendre votre bercail, afin qu'il n'y ait plus qu'un Pasteur et une Bergerie, fiat unus pastor et unum ovile.
Na. Nous ne donnons pas ici les règlements de la Compagnie de Marie comme nous l'avions promis, parce qu'ils sont trop longs. Nous réservons à les faire imprimer à part si on le juge à propos.
/252/ CHAPITRE XVIII Monsieur de Montfort va faire mission à Saint Laurent¬-sur Sèvre. Il écrit à la supérieure de la maison des invalides à Nantes. Il tombe malade. Il fait son testament. Il meurt. Circonstances de sa mort et de sa sépulture.
Après que la mission de Saint-Pompain fut achevée, M. de Montfort en alla commencer une autre à Saint
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Laurent sur Sèvre, diocèse de La Rochelle, au commencement du mois d'avril 1716. Et comme il ne perdait point de vue le nouvel établissement qu'il avait fait à Nantes pour des pauvres invalides, il écrivit la lettre suivante à la supérieure, aussitôt qu'il y fut arrivé. /253/
De la mission de Saint Laurent sur Sèvre,
le 4 avril 1716. Vive Jésus, vive la Croix.
Appuyé sur le fond inépuisable de la divine Providence, notre bonne Mère, qui ne nous a jamais manqué dans nos entreprises, pour sa gloire je réponds hardiment qu'on peut faire et passer le bail à ferme de la maison en question, pourvu que les sujets qui doivent avoir soin des pauvres incurables, aient les qualités suivantes : 1°. Il faut qu'avec leur bien grand ou petit, avec leur science ou ignorance, elles ne s'appuient ni sur aucun bras de chair, ni sur aucun talent naturel, mais uniquement sur les secours invisibles et inconnus de la Providence de notre Père céleste ; 2°. Qu'elles suivent universellement et ponctuellement la même règle et le même directeur, sans qu’aucune, quelqu'argent qu'elle apporte ou quelque talent qu'elle ait, puisse, par privilège ou condescendance, /254/ s'exempter de la communauté, de la règle, et du directeur. 3°. Enfin, qu'elles soient préparées, si l'œuvre est de Dieu, à souffrir joyeusement toutes sortes de croix. Car, cette maison est la maison de la croix, et on ne lui doit point donner d'autre nom ; et la première chose qu'il faudra faire en cette maison, ce sera d'y planter une croix, avec la permission de Monseigneur, afin qu'elle en acquière le nom, la grâce et la gloire à perpétuité. Il ne faudra d'abord planter dans le milieu du jardin ou de la cour qu'une simple croix, en attendant mieux. C'est le premier meuble qu'on y portera. Mais il faudra que Monsieur notre bon ami la bénisse ou la fasse bénir. Lorsque j'ai reçu cette nouvelle, je méditais d'envoyer chez vous à Nantes deux Filles de la
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Sagesse, qui travaillent auprès des pauvres en ce diocèse, dont l'une est âgée de quarante ans ou environ, et que je crois toutes deux propres à cet emploi. Prions Dieu tout bon qu'il nous fasse connaître son adorable volonté. Mais, mon Dieu, qu'il y a peu de filles obéissantes, silencieuses, prudentes /255/ et crucifiées. Chacune a son suffisant quant à moi dans le cœur, ou du moins dans la tête.
Je crois que des filles étrangères, jointes à celles que je vous marque, pourvu qu'elles aient les qualités susdites, seraient plus capables de commencer et fonder l'ouvrage dont il est question, s'il est planté et remis sur des pierres vives. Je salue avec un très profond respect Monsieur Du Portail, et toutes ces bonnes âmes qui entrent avec nous dans la charité du cœur de Jésus, le plus crucifié d'entre les hommes. Si Monsieur l'évêque de Nantes le juge à propos, car je ne partirai pas sans sa permission, je serai à Nantes le cinq du mois de mai au soir. Voilà une petite lettre que je me donne l'honneur d'écrire à sa Grandeur. Je salue avec le plus profond respect M. l'abbé Barrin, et je le prie de la présenter par M. de Vertamont à sa Grandeur. Si elle me refuse quinze jours que je lui demande à me reposer de mes travaux, à Nantes, sans perdre le trésor infini de la sainte Messe c'est une marque certaine que ce n'est pas la volonté /256/ de Dieu que j'aille à Nantes. Et quand je n'irais pas, je crois fermement, comme un article de ma foi, que les choses en iront infiniment mieux. Je me recommande aux prières de tous les Amis de la Croix, afin que Dieu ne tire pas ici vengeance de mes péchés, en refusant la conversion véritable aux pauvres peuples qui m'entendent. Tout à vous en Jésus-Christ et sa sainte Mère. Je salue tous les anges de la ville de Nantes, et le vôtre en particulier. Humilité, humiliation, humiliation. Deo gratias. L. M. GRIGNION.
Il était tellement épuisé et fatigué de ses travaux apostoliques, et encore plus des mortifications dont il accablait continuellement son corps, qu'il tomba très grièvement malade, et prévoyant bien que sa maladie serait mortelle, il voulut faire son testament, le cinquième jour de
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sa maladie. Comme ce testament est conçu en des termes très édifiants, et renferme des particularités singulières, nous le rapporterons ici tout du long.
/257/ TESTAMENT de M. de MONTFORT
Je soussigné, le plus grand des pécheurs, veut que mon corps soit mis dans le cimetière, et mon cœur sous le marchepied de l'autel de la Sainte Vierge.
Je mets, entre les mains de M. l'évêque de La Rochelle et de M. Mulot, mes petits meubles et livres de mission, afin qu'ils les conservent pour l'usage de mes quatre frères unis avec moi dans l'obéissance et la pauvreté, savoir: Frère Nicolas de Poitiers, Frère Philippe de Nantes, Frère Louis de La Rochelle, et Frère Gabriel qui est avec moi, tandis qu'ils persévéreront à renouveler leurs vœux tous les ans ; aussi pour l'usage de ceux que la divine Providence appellera à la même communauté /258/ du Saint-Esprit. Je donne toutes mes figures du Calvaire avec la croix à la maison des sœurs des incurables de Nantes. Je n'ai point d'argent à moi en particulier, mais il y a 135 liv. qui appartiennent à Nicolas de Poitiers. M. Mulot donnera dix écus de l'argent de la boutique à Jacques, dix autres à Jean, et dix écus de même à Mathurin s'ils s'en veulent aller et ne pas faire vœu de pauvreté et d'obéissance. S'il y a quelque chose de reste dans la boutique, M. Mulot en usera en bon père, à l'usage des Frères et à son propre usage. Comme la maison de La Rochelle retournera à ses héritiers naturels, il ne restera plus pour la communauté du Saint-Esprit que la maison de Vouvant, donnée par contrat par M. de La Brûlerie, dont M. Mulot accomplira les conditions ; et les deux boisselées de terre données par Madame la lieutenante de Vouvant, et
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une petite maison donnée par une bonne femme, à condition que s'il n'y a pas moyen d'y bâtir, on y entretiendra les frères de la communauté du Saint-Esprit pour faire l'école charitable. Je donne /259/ trois de mes étendards à Notre-Dame de Sainte Patience à la Séguinière, les quatre autres à Notre-Dame de la Victoire à La Garnache, et à chaque paroisse de l’Aunis, où le rosaire persévérera, une des bannières du saint rosaire. Je donne à M. Bonny les six tomes de sermons de La Volpilière, et à M. Clisson les quatre tomes des catéchismes des peuples des campagnes. S'il en est dû quelque chose à l'imprimeur on le paiera de la boutique. S'il y a du reste, il faudra rendre à M. Vatel ce qui lui appartient, si Monseigneur l'évêque le juge à propos. Voilà mes dernières volontés, que M. Mulot fera exécuter avec un entier pouvoir, que je lui donne de disposer comme bon lui semblera, en faveur de la communauté du Saint-Esprit, des chasubles, calices et ornements d'église et de mission. Fait à la mission de Saint Laurent-sur-Sèvre, le 27 Avril 1716. Signé, LOUIS MARIE GRIGNION.
Comme il n'était couché que sur de la paille à son ordinaire, son confesseur l'obligea par obéissance à prendre un matelas. Sa maladie qui dura /260/ sept jours, s'étant rendue supérieure à tous les remèdes qu'on lui pût donner, il vit bien que sa dernière heure était venue. Il demanda les sacrements de pénitence, de viatique et de l'extrême onction, qu'il reçut avec de grands sentiments de piété. Il se fit attacher de petites chaînes de fer aux pieds, aux bras et au col, voulant mourir, comme il avait vécu, esclave de Jésus vivant en Marie. Il prit dans sa main droite le crucifix qu'il avait apporté de Rome, auquel notre Saint Père le pape avait attaché une indulgence plénière à la mort, et mit dans sa main gauche l'image de la Sainte Vierge qu'il avait toujours coutume de porter sur soi. Et il baisait tendrement ces images l'une après l'autre, en invoquant Jésus et Marie.
Quelques heures avant qu'il mourût, le peuple était en foule assemblé à la porte de sa chambre, qui demandait
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à y entrer pour recevoir sa bénédiction. Comme il entendait du bruit, il en demanda la cause. On la lui dit et il pria ceux qui étaient autour de lui de les laisser entrer. Les peuples ne furent /261/ pas plutôt dans la chambre qu'ils se mirent tous à genoux, pour demander sa bénédiction en pleurant et en sanglotant. Il leur dit qu'il n'était pas digne de les bénir, que ce pouvoir ne lui appartenait pas. Alors M. Mulot son confesseur lui dit : "Bénissez les, Monsieur, avec votre crucifix, ce sera Jésus-Christ qui leur donnera sa bénédiction, et non pas vous.» Il le fit. La chambre étant trop petite pour contenir tous les peuples, il fallut les laisser entrer les uns après les autres, jusqu'à trois fois. Alors Monsieur Grignion ramassant tout ce qui lui restait de forces, il se mit à chanter deux couplets d'un cantique de la mission :
"Allons, mes chers amis,
Allons en paradis ;
Quoiqu'on gagne en ces lieux,
Le paradis vaut mieux."
Un moment après il sembla s'assoupir, puis il se réveilla tout tremblant et en frémissant et dit à haute voix : "C'est en vain que tu m'attaques, je suis entre Jésus et Marie" dont il tenait les /262/ images, Deo gratias et Mariae. Je suis au bout de ma carrière ; c'en est fait, je ne pécherai plus.» Et il expira à l'instant avec beaucoup de tranquillité et de paix, le 29 avril 1716. ( ?)
A peine le bruit de sa mort fut répandu qu'il vint de tous côtés, même de la ville de Nantes, une infinité de personnes pour assister à sa sépulture, en sorte qu'on assure qu'il y en avait plus de dix mille qui l'invoquaient déjà comme un saint, et qui faisaient toucher à son corps, les uns des chapelets, les autres des mouchoirs, et tous demandaient quelque chose qui eût été à son usage. On l'inhuma dans la chapelle de Notre-Dame de l'église de Saint Laurent sur Sèvre et depuis ce temps là, il y a eu un très grand concours de différentes personnes, qui viennent journellement à son tombeau invoquer le crédit de Monsieur Grignion auprès de Dieu, et presque toutes
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disent qu'elles ont été exaucées, et reçu des guérisons miraculeuses par ses prières.
/263/ CHAPITRE XIX On exhume le corps de Monsieur de Montfort, et on le trouve sans corruption dix huit mois après sa sépulture.
Dix-huit mois après la mort de Monsieur de Montfort, des personnes zélées pour l'honneur de ce serviteur de Dieu demandèrent permission à Monseigneur l'évêque de La Rochelle de faire lever sa tombe pour y en faire mettre une de marbre, élevée sur quatre piliers, avec une épitaphe gravée en lettres d'or. Monsieur de La Rochelle y consentit, mais il défendit qu'on lui rendît aucun culte publie, ainsi qu'il paraît par la lettre qu'il en écrivit à Madame de Bouillé, femme de qualité, le 31 Juillet 1718, en ces termes.
"Je suis très édifié, Madame, des bons sentiments que vous avez pour /264/ la mémoire de Monsieur de Montfort. J’en ai aussi de très avantageux, et je le crois très agréable aux yeux de Dieu. Ayant vécu aussi saintement qu'il a fait, il y a tout lieu de croire que Dieu lui a fait miséricorde, et qu'il l'a mis au rang des bienheureux dans le ciel. Il est vrai, Madame, que j'ai défendu qu'on lui rendît un culte publie de religion, comme de lui faire des vœux, mettre des figures de cire de pieds, de mains, de bras, etc. auprès de son tombeau, et de faire aucune cérémonie publique de cette nature, parce que l'Eglise ne l'ayant pas reconnu ni déclaré saint, on ne peut sans abus lui rendre aucun culte publie. Mais on peut bien avoir pour lui une dévotion particulière, aller à son tombeau sans y faire de vœux, recommander à ses prières. Je ne blâme pas cela, au contraire. Je ne blâme pas non plus qu'on
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boive sur quelque chose qui lui ait servi, même sur du bois de son cercueil. Enfin, Madame, j'approuve la dévotion particulière qu'on peut avoir à cet illustre défunt et la confiance qu'on a dans ses prières et dans son intercession. /265/ Mais je condamne le culte publie et les pratiques publiques de piété qu'on ne peut et qu'on ne doit rendre qu'aux Sts reconnus et déclarés tels par l'Eglise. J'ai l'honneur d'être avec bien de l'estime et du respect, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur." ETIENNE, évêque de La Rochelle.
Suivant la permission de Monsieur de La Rochelle, on leva la tombe, même le couvercle de bois qui était dessus son cercueil, pour voir si son corps était encore entier, et si son visage était reconnaissable. M. le doyen, curé de Saint-Laurent sur Sèvre, m'a assuré qu'il ne voulait pas qu'on fît cette espèce d'exhumation pendant le jour. Qu'il laissa même entrer peu de personnes dans son église la nuit, parce qu'il craignait fort que ce corps enterré depuis dix-huit mois n'exhalât une puanteur insupportable ; mais que les hommes qui avaient descendu, les premiers, dans le fond du sépulcre, lui ayant dit que bien loin de sentir aucune mauvaise odeur, ce corps en exhalait une très agréable, comme si c'eût été de l'encens, il eut la curiosité d'y descendre /266/ lui-même. S'étant approché fort près du cadavre, il ne sentit aucune puanteur. Ce qui parut surprenant à tout le monde, et fit que plusieurs personnes déchirèrent des morceaux de sa soutane et de son aube. Il m'assura aussi que son visage était tout entier et fort reconnaissant, nullement défiguré. On couvrit ensuite le corps de terre, et on mit dessus la pierre de son sépulcre de marbre, avec cette épitaphe gravée en lettres d'or.
QUID CERNIS VIATOR,
Lumen obscurum,
Virum charitatis igne consumptum,
Omnibus omnia factum,
Ludovicum Mariam Grignion de Montfort,
Si vitam petis, nulla integrior,
Si poenitentem, nulla austerior,
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Si zelum, nullus ardentior,
Si pietatem in Mariam, nullus Bernardo similior,
Sacerdos Christi, Christum moribus expressit,
Verbis ubique docuit,
Indefessus nonnisi in feretro recubuit,
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Pauperem Pater,
Orphanorum Patronus,
Peccatorum reconciliator,
Mors gloriosa vitae similis,
Ut vixerat devixit,
Ad Coelum Deo maturus evolavit
Die 28, mensis Aprilis anno
Domini 1716. obiit,
44. aetatis suae.
CHAPITRE XX Société de plusieurs prêtres, qui commencent à exécuter le projet de Monsieur de Montfort, sous le titre de la Compagnie de Marie.
Messieurs Mulot et Vatel, ayant été appelés aux missions par Monsieur Grignion, d'une manière aussi extraordinaire que nous l'avons rapportée pendant sa vie, crurent être obligés de continuer les mêmes fonctions après sa mort, et d'entrer dans toutes ses vues. Pour cet effet, Monsieur le prieur, curé de Vihiers, leur procura à chacun /268/ un bénéfice d'un assez bon revenu, d'où dépendaient deux maisons dans un gros bourg où ils pourraient se retirer pendant l'été, lorsque les peuples occupés à la récolte de leurs moissons ne pourraient assister aux exercices de leurs missions. Mais ces fervents
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missionnaires, voyant que par là ils ne suivraient pas les intentions de leur zélé instituteur, ne gardèrent ces bénéfices que très peu de mois. Ils en firent démission entre les mains des présentateurs, craignant de n'être pas par là assez abandonnés à la Providence. Ils firent même vœu de pauvreté, et Dieu, pour les en récompenser, suscita deux vertueux curés, qui leur promirent de les loger et de les entretenir pendant qu'ils ne seraient pas en mission, jusqu'à ce qu'ils eussent une maison fixe. Bien plus, ces deux curés, sur l'approbation de Messeigneurs les évêques de La Rochelle et de Poitiers, présentèrent une supplique au pape, tendant à demander à Sa Sainteté celles de leurs missions, et des indulgences plénières. Voici la copie de cette supplique /269/ :
Très Saint Père, les sieurs Pierre Garnier prêtre, prieur, curé de Saint Martin de Mellé diocèse de Poitiers, et Jean Mulot prêtre, prieur, curé de Saint Pompain du diocèse de La Rochelle, très édifiés d'un petit nombre de pieux et vertueux ecclésiastiques, élevés et animés par feu Messire Louis Marie Grignion de Montfort, très digne prêtre missionnaire apostolique, mort en odeur de sainteté, s'efforçant de marcher sur ses traces, et voyant la moisson abondante et peu d'ouvriers, se sont appliqués à faire depuis deux ou trois ans, sous le bon plaisir et l'agrément des seigneurs évêques, des missions très fructueuses qu'ils continuent actuellement.
Représentant très humblement à Votre Sainteté que les susdits ecclésiastiques, pour s'appliquer entièrement au salut des âmes, ont renoncé à tous bénéfices et fait vœu de pauvreté volontaire, ne vivant que de la charité des peuples, distribuant le reste aux pauvres, et n'ayant aucune retraite pendant la récolte, les susdits prieurs, en secondant leur zèle, /270/ se les ont associés, et se sont engagés de les retirer pendant le temps de la dite récolte ; de les secourir même en cas de maladies ; de les nourrir, entretenir et conduire dans les paroisses où ils jugeront, de l'avis et agrément des seigneurs évêques, que leur mission
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sera nécessaire, jusqu'à ce que la Providence divine qui fait le fondement de leur mission, et à laquelle ils se sont entièrement abandonnés, et qui répand visiblement ses bénédictions sur leurs travaux, leur ait procuré une retraite où ils se rassemblent tous pour travailler pendant leurs vacances, en particulier à leur sanctification. C'est pourquoi, Très Saint Père, les susdits prieurs, du consentement de leurs évêques, ont recours à Votre Sainteté, et la supplient très humblement d'approuver cette naissante mission et tous ceux qu'ils y associeront, qu'on prévoit être en nombre dans peu, sous le titre de nouveaux missionnaires apostoliques de la communauté du Saint-¬Esprit, pour faire mission dans les diocèses où ils seront appelés, et de vouloir, Très Saint Père, pour cet effet leur accorder vos pouvoirs et indulgences plénières ; /271/ spécialement pour la rénovation des vœux du baptême, qu'ils font faire dans chaque mission, ce qui fait le plus grand fruit de leurs dites missions. Et, afin de renouveler par cette rénovation le premier esprit du christianisme, vous demandent, Très Saint Père, indulgences plénières pour tous ceux qui renouvelleront, chaque année, les dits vœux du baptême, envoyant pour cet effet une copie du petit contrat dont ils se servent, pour que Votre Sainteté l'approuve, y ajoute ou diminue ce qu'elle jugera à propos.
Comme les susdits missionnaires s'appliquent principalement à faire des missions dans les paroisses de la campagne, qui se trouvent éloignées des villes et lieux où habitent les révérends pères dominicains, ils supplient aussi très humblement, Votre Sainteté, de leur permettre d'établir, dans chaque paroisse la confrérie du très saint rosaire quotidien, que tout le monde embrasse à l'envi, et que M. de Montfort a renouvelé depuis peu avec un très grand fruit ; de leur accorder les mêmes indulgences qu'aux révérends Pères dominicains. /272/ Les susdits missionnaires, ayant l'expérience du bien qu'ont produit dans les missions précédentes les confréries des pénitents, des vierges et des frères et sœurs de la Croix, qui n'ont d'autre but que de retirer les hommes des débauches, et les filles, des veillées, des danses et assemblées, pour les porter
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les uns et les autres à la fréquentation des sacrements, demandent indulgence plénière pour quatre à cinq fois l'année, qu'on les assemble à l'édification de tout le peuple. Demandent très humblement à Votre Sainteté, si elle le juge à propos, d'accorder des indulgences pour le Saint Nom de Jésus, qu'ils distribuent à la fin de chaque mission, pour récompense de l'assiduité à entendre la parole de Dieu.
Supplient aussi Votre Sainteté d'accorder indulgence plénière, pour une communion qu'ils font faire pour les trépassés, à la fin de chaque mission.
Plus, demandent la continuation de l'indulgence plénière que Votre Sainteté avait donnée à un crucifix qu'avait feu M. de Montfort, en faveur de ceux qui le baiseraient à l'heure de la mort. /273/
APPROBATION
De Messeigneurs les évêques
de La Rochelle et de Poitiers.
ETIENNE, par la Providence de Dieu et l'autorité du Saint Siège Apostolique, évêque de La Rochelle : Nous certifions à tous qu'il appartiendra que les sieurs Adrien Vatel, Hilaire Toutan, Cyprien Aumon, et René Mulot, tous prêtres, s'appliquent avec beaucoup de piété, de zèle et d'édification à faire. des missions dans les paroisses de notre diocèse que Nous leur indiquons, et qui de notre connaissance y font beaucoup de fruit, et que Dieu répand abondamment ses grâces et ses bénédictions sur leurs travaux, et sur la vie exemplaire qu'ils mènent. Donné à la Rochelle, le premier août 1719. Signé, † ETIENNE, évêque de La Rochelle. Par Monseigneur ROULLEAU.
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/274/ Nous, évêque de Poitiers, certifions pareillement que les dits sieurs Adrien Vatel, Hilaire Toutan, Cyprien Aumon et René Mulot, prêtres missionnaires, ont prêché dans plusieurs paroisses de notre diocèse avec beaucoup de fruit et d'édification, ce qui attire de tous côtés les peuples à la conversion et à la persévérance dans la piété chrétienne, par les grâces et bénédictions que Dieu répand sur leurs travaux et sur leur vie exemplaire. Donné à Poitiers, ce huitième jour d'août 1719. Signé, † JEAN CLAUDE, évêque de Poitiers.
/275/ CHAPITRE XXI Monsieur Le Valois s'associe à messieurs Mulot et Vatel, à l'occasion d'une chose très singulière arrivée sur une image de Monsieur de Montfort. Messieurs Toutan et Guillemot font la même chose.
Monsieur Le Valois est un prêtre du diocèse de Coutances en Normandie, qui demeurait depuis dix ans dans la communauté du Saint-Esprit à Paris, où il avait répété la philosophie et la théologie à de pauvres ecclésiastiques que Monsieur des Places, prêtre d'une grande piété, y avait assemblés, pour les élever dans les principes de la plus saine doctrine de l'Eglise catholique et romaine, et dans les maximes de la cléricature. Comme Monsieur Le Valois avait beaucoup d'estime pour Monsieur de Montfort, qui avait pendant sa vie entretenu une grande liaison avec les directeurs de /276/ cette maison, et qu'il y avait donné une figure de la Sainte Vierge qu'on y conserve encore, il avait dans sa chambre une image de Monsieur de Montfort, collée contre la muraille. Un ecclésiastique de la maison qu'on croyait obsédé, entra dans sa chambre, et voyant l'image de
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Monsieur de Montfort, la prit et la déchira en trois morceaux, dont l'un fut jeté dans la cour, l'autre resta dans la chambre, et le troisième où était la tête fut ramassé par un jeune homme qui était alors dans la communauté du Saint-Esprit, à dessein de la faire dessiner. Quelques jours après, Monsieur Le Valois étant de retour de la promenade, rentrant dans sa chambre qui avait été fermée pendant son absence, et dont il avait la clef, fut surpris de voir l'image de Monsieur de Montfort remise fort proprement dans l'endroit où elle avait été placée auparavant, et des lignes fort délicates comme des cicatrices dans les endroits où elle avait été déchirée. En sorte qu'à peine pouvait on remarquer les places de la fracture. Il sentit en même temps une douce odeur /277/ qui sortait de l'image, et qui dura plusieurs jours. Il en avertit un autre prêtre, son voisin, lequel avait vu l'image déchirée, qui sentit la même odeur. Tous les ecclésiastiques, qui étaient alors plus de cinquante dans la même communauté, expérimentèrent la même chose, qui frappa leur vue et leur odorat. Et il est à remarquer que plusieurs autres images qui étaient collées auprès de celle de M. de Montfort, lesquelles furent rompues de la même manière, ne s'y retrouvèrent point replacées. Ce fait arriva il y eut trois ans, les fêtes de la Pentecôte dernière. Cette merveille a été certifiée par 13 témoins dignes de foi, le 8 novembre 1721, entre lesquels sont MM. Bouie, supérieur de la communauté du Saint Esprit à Paris, Detehar, Caris, Thomas, Heguy, Dotassini, tous prêtres, etc.
Ce prodige frappa si fort Monsieur Le Valois qu'il se détermina à suivre la pensée qu'il avait depuis peu de s'associer à Messieurs Mulot et Vatel, successeurs de Monsieur de Montfort, pour faire des missions ensemble. Et après avoir distribué tout l'argent qu'il avait aux pauvres, il se mit en chemin, abandonné /278/ aux soins de la Providence, pour commencer son apprentissage de la vie apostolique, en demandant l'hospitalité à tous les curés des bourgs par où il passerait. Et il arriva ainsi dans le lieu de sa naissance au diocèse de Coutances, pour dire le dernier adieu à ses parents, et mettre ordre à ses affaires
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domestiques. Puis, il vint en Poitou, où il trouva Messieurs Mulot et Vatel qui faisaient mission à Nueil sous¬-Passavant. Il ne fut qu'un ou deux jours avec eux, et alla ensuite au tombeau de Monsieur de Montfort à Saint¬-Laurent-sur-Sèvre, où il fit une neuvaine pour le prier de recommander à Dieu son entreprise, et lui demander l'esprit apostolique, pour travailler au salut des peuples. Puis, il retourna se joindre avec ces deux fervents missionnaires à la mission qu'ils avaient commencée à Niort.
Monsieur Toutan, prieur de Villiers en Bois, diocèse de Poitiers, quitta son prieuré valant au moins 600 liv. et vint aussi les trouver pour travailler avec eux.
La vocation de Monsieur Guillemot, /279/ aux mêmes missions, n'est guère moins admirable. Il était curé de la cure de Contré, au diocèse de Poitiers, proche Saint Jean-¬d'Angely. Ayant entendu parler des grands fruits que produisaient les missions de ces trois prêtres, il fit démission de sa cure qui valait au moins 800 liv. de rente, et vint s'offrir à travailler avec eux. Ainsi leur nombre est présentement de cinq, sans compter les quatre Frères coadjuteurs, dont Monsieur de Montfort parle dans son testament, et qui ayant fait vœu de pauvreté et d'obéissance, les suivent partout, et sont appliqués à faire le catéchisme, l'école, et la cuisine des missionnaires. Et ce qui est de plus surprenant, c'est que ce ne sont pas ces Messieurs dont nous venons de parler, qui ont sollicité ces curés, mais ce sont ces curés qui, inspirés de Dieu, les ont prié de les recevoir dans leur Compagnie.
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/280/ CHAPITRE XXII On fait deux établissements à Saint Laurent sur Sèvre : l'un pour les prêtres de la Compagnie de Marie, et l'autre pour les Filles de la Sagesse.
Comme ce qui est arrivé, après la mort de M. de Montfort, parait aussi merveilleux que ce qu'il a fait pendant sa vie pour prouver sa sainteté, nous ne croyons pas en devoir omettre aucune circonstance. Le bruit des miracles, qui se faisaient à son tombeau, donna la pensée à deux personnes de qualité et de piété de faire deux établissements dans le bourg de Saint Laurent sur Sèvre où il est mort, pour conserver sa mémoire et pour perpétuer les deux instituts qu'il avait eu en vue, pour procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes. Le premier de ces établissements est pour servir d'asile aux missionnaires de la Compagnie de Marie, pendant le temps de leurs vacances, lors /281/ qu'ils ne pourraient travailler aux missions. Messieurs les curés de Mellé et de Saint Pompain, ne s'étant engagés de les nourrir que jusqu'à ce qu'ils eûssent une demeure fixée. Monsieur Grignion avait prédit longtemps avant que de mourir que ce serait un laïque qui y travaillerait. En effet, un gentilhomme d'Anjou nommé Monsieur le marquis de Magnanne, très distingué par sa naissance et encore plus par sa piété, fut inspiré il y a deux ans d'aller au tombeau de M. de Montfort, et en même temps d'acheter une maison dans le bourg de Saint-Laurent, pour y loger les missionnaires ; ce qu'il a exécuté depuis, en payant tous les droits de lots et vente, d'indemnités et d'amortissements. Et la maison s'est trouvée en état de les loger dans la présente année 1722. Et il leur a fourni les meubles et les aliments nécessaires à leur subsistance. Ce pieux seigneur fut l'an passé à La Rochelle, pour proposer son dessein à Monseigneur l'évêque qui l'approuva fort, aussi bien que Messeigneurs les évêques de Poitiers et de Luçon qui y
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étaient alors assemblés, pour consacrer Messeigneurs /282/ de Foudras et de Bastignac, l'un coadjuteur de Poitiers, et l'autre évêque de Tulle. Madame de Bouillé, femme d'une grande piété et veuve douairière de messire de Colasseau, seigneur de La Machefolière, ayant admiré la grâce qui suivait partout M. Grignion dans ses missions ; est celle qui a aussi fait tous les frais pour acheter les meubles, et entretenir dans le même bourg de Saint Laurent sur Sèvre, une maison pour les Filles de la Sagesse, instituées par M. de Montfort, qui y demeurent actuellement au nombre de sept, y font l'école à plus de soixante petites filles et se proposent d'y recevoir des pauvres malades, lorsque la Providence leur aura fourni les moyens de les loger et de les nourrir. Madame de Bouillé leur a même promis de se joindre à elles, lorsqu'elle aura pourvu deux filles qu'elle a eues de son mariage.
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LIVRE V De ses vertus en particulier.
CHAPITRE PREMIER De sa foi.
/283/ Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu. Comme elle est le principe et le fondement de toutes les autres vertus chrétiennes, elle en est aussi la règle et la mesure. Plus on a de foi, plus on espère en Dieu et plus on l'aime. La foi de M. de Montfort était vive, pure et simple. Vive, opérante par les œuvres ; pure, éloignée de tout soupçon d'erreur et de nouveauté ; simple, s'attachant à toutes les vérités révélées et proposées par l'Eglise, sans hésiter et raisonner. Il ne pouvait souffrir ces prétendus esprits forts, qui préfèrent /284/ leur jugement à celui de l'Eglise, et qui ne veulent pas captiver leur entendement sous le joug de la foi. Il a toujours choisi ses directeurs dans des communautés qui font profession de recevoir, avec humilité et simplicité, les décisions du Saint-Siège. Il ne voulait pas que les ouvriers, qui travaillaient en mission avec lui, disputassent sur les matières du temps, ni qui traitassent dans leurs sermons des questions curieuses ou trop relevées. Et il les priait de prêcher d'une manière simple et naturelle, qui fût intelligible et à la portée des peuples, pour imiter les apôtres, dont il est dit dans les Actes que par la simple exposition des mystères de la passion, de la mort et de la résurrection du Sauveur, ils convertissaient des trois à quatre mille personnes. C'est par la foi que M. de Montfort a opéré la conversion de tant de pécheurs, fides tua te salvum fecit. C'est par la foi qu'il a tant aimé les pauvres en la personne desquels il regardait Jésus-Christ. C'est par la foi qu'il a préféré la pauvreté, à toutes les richesses de la terre. C'est par la foi qu'il a mis
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tout son bonheur /285/ à porter la croix du Fils de Dieu, à souffrir les injures, les mépris et les humiliations. C'est par la foi qu'il a entrepris tant de voyages et fait tant de missions, pour détruire le règne du péché, et établir celui de Jésus-Christ dans les âmes des pécheurs : parce que cette vertu lui avait appris ce qu'elles valent, ayant été créées à l'image de Dieu et rachetées par le sang de Jésus Christ. En un mot, toutes ses actions, toutes ses pensées, toutes ses paroles et toutes ses souffrances étaient animées d'une foi très vive, et il vivait lui même de la foi. Justus ex fide vivit.
CHAPITRE II De sa confiance en Dieu et de son abandon à la divine Providence.
Monsieur de Montfort était, entre les bras de la divine Providence, comme un petit enfant sur le sein de sa mère, qui se laisse conduire partout où elle veut, et ne pense point au lendemainj286/ assuré qu'il trouvera toujours en elle des ressources, et la nourriture proportionnée à son âge et à ses besoins. Et dans cet esprit, il disait souvent avec le prophète, Dominus regit me, et nihil mihi deerit. Et pour en dépendre encore davantage, il avait fait vœu de pauvre té : il ne possédait rien en propre. Et il. n'a jamais voulu recevoir aucune somme d'argent, pour faire les frais de plus de deux cents missions qu'il a entrepris en différents diocèses, quoiqu'on lui en ait offert plusieurs fois. Toutes celles que j'ai eu l'honneur de faire avec lui, dit Monsieur des Bastières, qui sont au nombre de quarante ou plus, ont été faites aux dépens de la Providence, qui lui a toujours fourni si abondamment des vivres qu'après en avoir tiré son nécessaire et celui de ses missionnaires, il trouvait encore de quoi nourrir un grand nombre de pauvres et de
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les vêtir. Il est vrai que les deux ou trois premiers jours nous manquions de plusieurs choses. Mais aussitôt que Monsieur de Montfort avait déclaré publiquement en chaire que lui et les missionnaires /287/ vivaient des aumônes des fidèles, et qu'ils donnaient gratuitement les intentions de toutes leurs messes à ceux qui contribuaient à leur nourriture, alors la Providence se déclarait si ouvertement en notre faveur qu'on nous apportait des aliments de toutes parts, et en si grande abondance, que non seulement nous en étions tous nourris, mais encore tous les pauvres de la paroisse et des environs, et souvent il en restait de quoi remplir plusieurs corbeilles ; ainsi qu'il arriva dans le désert, après la multiplication des cinq pains. Car j'ai quelquefois vu jusqu'à cinquante grands pains rester de notre nourriture de chaque jour, et de celle des pauvres qui étaient toujours en très grand nombre, puisque j'en ai compté jusqu'à deux cents par jour, dans plusieurs paroisses où j'ai fait mission.
Deux choses, continue Monsieur des Bastières, m'ont davantage frappé sur ce sujet, et qui m'ont paru fort extraordinaires. La première est que M. de Montfort a fait plus de huit missions où je l'ai accompagné dans des paroisses si /288/ pauvres, que les plus riches habitants avaient à peine un morceau de pain pour vivre. C'était cependant en ces lieux là où la divine Providence était plus libérale à notre égard, car les missionnaires et les pauvres y étaient mieux traités que partout ailleurs. La seconde chose, est qu'ayant ordinairement le soin de conduire les pauvres, dans le lieu où on leur donnait à manger et de les servir à table, il est arrivé que, cinq ou six fois, je n'avais pas un morceau de pain à leur donner, et qu'il n'y en avait point aussi dans la maison de la Providence où logeaient les missionnaires. J'en avertis la première fois Monsieur de Montfort, qui n'en parut nullement embarrassé, et me dit simplement de les conduire au lieu accoutumé, et que la Providence pourvoirait à leurs besoins, J'exécutai ses ordres, ne sachant d'où il nous pourrait venir du pain, ni s'il en descendrait du ciel. Cependant je les fis asseoir à table, n'ayant rien à mettre dessus, ce qui me mortifiait
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beaucoup, parce qu'il y avait près de deux cents personnes présentes qui s'attendaient à avoir le plaisir de voir manger ces /289/ pauvres qui avaient grand faim. Je leur fis faire en attendant un petite lecture, pendant laquelle j'allai dans la maison de la Providence, où je fus fort étonné de trouver une grande quantité de pains et d'autres provisions, qui étaient venues de je ne sais où. Je les fis porter tout aussitôt à nos pauvres, qui eurent ce jour là double portion. Pareille chose est arrivée cinq ou six fois de ma connaissance.
Monsieur Normand, procureur du roi de Poitiers, certifie que M. de Montfort ne vivait que de la Providence ; que jamais il ne tenait d'ordinaire pour manger ; que souvent à midi il n'avait rien pour dîner. Qu’étant encore fort jeune, Monsieur de Montfort le retint un jour dans sa chambre avec plusieurs écoliers jusqu'au soir, pour leur parler de Dieu, et que tous lui ayant témoigné qu'ils avaient besoin de manger, il leur répondit qu'il n'avait rien à leur donner, mais que la Providence y pourvoirait. En effet, sans qu'il se mit en peine de faire venir des aliments, il lui fut envoyé, dans le moment, plus de vivres qu'il ne leur en fallut pour les rassasier.
/290/ Monsieur de Montfort ayant besoin d'un mulet pour porter son équipage de mission, c'est à dire ses cantiques, ses livres, ses images, ses chapelets et ses étendards, s'adressa à un marchand qui lui dit qu'il vendrait ce mulet quatre-vingt-sept livres. Monsieur de Grignion lui répliqua : "Vous me ferez donc crédit, car je n'ai point d'argent." Le marchand lui dit que oui, et s'engagea de lui amener cette bête un tel jour, dans le lieu qu'il lui marqua. A quoi n'ayant pas manqué, il a assuré qu'il avait été fort surpris de voir qu'en arrivant avec son mulet, dans le village où Monsieur de Montfort faisait mission, plusieurs personnes à lui inconnues qui avaient appris leur marché, vinrent l'aborder. L'un lui donnant un écu, l'autre cent sols, plusieurs jusqu'à dix livres, qu'ils mettaient entre ses mains ou dans ses poches et, qu'étant entré dans la maison d'un de ses amis, il compta tout l'argent qu'on lui avait donné, et trouva avoir reçu quatre
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vingt livres, et que cet ami lui donna sept livres pour achever la somme qu'il avait vendu le mulet.
/291/ Plus Monsieur Grignion s'abandonnait ainsi à la divine Providence, moins la divine Providence l'abandonnait.
Ses sentiments et ses expressions ne sont pas moins admirables sur ce sujet que ses actions. Voici comme il en écrit, à Rennes, à Monsieur de La Vizeule Robert son oncle, prêtre, en deux lettres, dont la première est du 26 septembre 1694 en ces termes. "Monsieur de La Barmondière, mon directeur et supérieur est mort et fut enterré dimanche dernier avec le regret de toute la paroisse de Saint Sulpice, et de tous ceux qui l'ont connu. Il a vécu en saint, et est mort de même. C'est lui qui a fondé le séminaire où je suis, et qui m'y a reçu pour rien et m'a tant fait de bien. Je ne sais point encore comment tout ira, si j'y demeurerai ou si j'en sortirai. Quoiqu'il m'en arrive, je ne m'en embarrasse pas. J'ai un Père dans les cieux qui est immanquable. Il m'a conduit ici, et m'y a conservé jusqu'à présent, il le fera encore avec ses miséricordes ordinaires. Quoique je ne mérite que des châtiments /292/ pour mes pêchés, je ne laisse pas de prier Dieu, et de m'abandonner à sa Providence."
Monsieur Grignion ne fut pas longtemps sans expérimenter les soins amoureux et paternels de cette même Providence, et il en écrivit à son même oncle le 11 juillet 1695, en ces termes. "Monsieur et très cher oncle. Le pur amour de Dieu règne dans nos cœurs. Je vous écris pour vous marquer que la Providence de Dieu m'a mis au petit séminaire de St Sulpice, par le moyen de Madame d'Alègre, laquelle a donné cent soixante livres de revenu par an pour la nourriture d'un ecclésiastique, dans la communauté de défunt Monsieur de La Barmondière, laquelle ayant été unie au petit séminaire de Saint-Sulpice après sa mort, Madame d'Alègre a fait dire au supérieur de ce petit séminaire qu'elle voulait que ce fût moi qui remplit cette place. Mais comme la pension de cent soixante livres n'est pas suffisante pour payer celle du petit
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séminaire, qui est de deux cents soixante livres, l'aimable Providence de Dieu y a encore pourvu ; car elle m'a fait avoir, /293/ sans que j'y ai jamais pensé, une chapelle d'environ cent livres de revenu à deux lieues de Nantes, dont je suis pourvu, de sorte qu'elle me servira de titre et à payer la pension de deux cents soixante livres. Remerciez, je vous prie, Dieu pour moi des grâces qu'il me fait ; non seulement pour les choses temporelles, qui sont peu de choses, mais pour les éternelles. Qu'il n'entre point en jugement avec moi, car je ne fais point de profit de ses grâces, je ne fais que l'offenser tous les jours. Peu de temps après, Monsieur de Montfort fit démission de ce bénéfice, persuadé qu'il aurait été un obstacle à l'abandon général où il voulait vivre. Etant à Paris, au séminaire de St Sulpice, il pria un vertueux laïc, nommé Monsieur Valier, d'aller lui acheter à la friperie un habit de dessous de peau d'élan, afin qu'il fût de plus longue durée, et lui donna trente sols pour faire cette emplette. Le laïc lui dit qu'il n'aurait pas un tel habit pour ce prix là : "Allez, lui dit Monsieur de Montfort, ne vous mettez pas en peine, si on veut le vendre plus cher, la Providence y pourvoira et donnez la pièce /294/ de trente sols au premier pauvre que vous trouverez." En effet, le commissionnaire revint et lui dit qu'il ne lui avait rien apporté, qu'on s'était moqué de lui quand il n'avait offert que trente sols de ce qui valait deux pistoles et que, suivant son intention, il avait donné les trente sols au premier pauvre qu'il avait rencontré dans la rue : "Bon, dit Monsieur Grignion, pendant que vous étiez occupé à me faire cette charité, une personne m'a apporté deux pistoles que voilà. Je vous prie de les reporter au marchand pour m'acheter un habit."
On pourrait rapporter cent autres traits semblables, mais pour éviter la longueur, on se contentera de ceux ci.
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CHAPITRE III De son grand amour pour Dieu et de son oraison.
L'amour de Dieu, disent les théologiens, produit trois effets dans les cœurs de ceux qui en sont embrasés: /295/ la bienveillance, la complaisance et la reconnaissance. L'amour que Monsieur Grignion avait pour Dieu le portait à aller par tout l'univers pour faire connaître son saint Nom, et le faire aimer de toutes les créatures. Et si ses supérieurs ne l'avaient empêché, il serait allé à l'autre bout du monde, pour publier ses grandeurs parmi les nations infidèles. Il faisait toutes ses actions pour lui plaire. Il ne pensait qu'à Dieu, ne parlait que de Dieu, et n'agissait que pour Dieu. Et comme il savait que Dieu même ne s'occupe pendant toute l'éternité, et ne prend ses complaisances que dans les grandeurs et les perfections de son essence, et celles de son Verbe, in quo mihi bene complacui, il était souvent si ravi et transporté hors de lui-même, dans la contemplation des beautés et des bontés de Dieu, que quelquefois dans ses méditations, il laissait échapper des transports et des élans d'amour, qui surprenaient ceux qui étaient autour de lui. D'autres fois, il semblait dormir, et lorsqu'on lui demandait ce qu'il faisait dans son oraison, il répondait : "J'étais entre Jésus et Marie, je croyais que l'un /296/ et l'autre étaient dans mon cœur, l'un à la droite et l'autre à la gauche. Je tâchais de leur témoigner ma reconnaissance de la visite qu'ils me faisaient.» Il sortait souvent de l'oraison ayant le visage tout enflammé ; et les paroles qu'il prononçait alors étaient autant de traits et de flèches de feu, qui embrasaient les cœurs de ceux qui l'écoutaient : "Oh ! disait il, quel malheur ! Dieu n'est point aimé, parce qu'il n'est point connu." Il paraissait, dit Monsieur Crebron, curé du Lude, qui a demeuré longtemps à Paris avec lui, si égal et si recueilli dans toutes ses actions que je suis persuadé qu'il ne perdait jamais Dieu de vue, ni la présence actuelle de
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Dieu. Je fus un jour de dimanche, sur les dix heures du matin, pour lui demander quelques cahiers dont j'avais besoin. Je crois qu'il était en oraison, car lorsque je frappai à la porte de sa chambre, il vint me l'ouvrir et son visage me parut alors lumineux, et tout rayonnant d'une lumière plus que naturelle. Je passais souvent les récréations avec lui. Son plus grand plaisir était d'y parler de Dieu et de la Sainte Vierge, et /297/ il en parlait d'une manière si édifiante qu'on ne le quittait point sans se sentir animé de zèle et de ferveur. Il était gai dans les récréations, mais sans distractions, et il était aisé de voir à ses manières et à sa conduite que l'amour de Dieu l'occupait infiniment plus que tous les jeux auxquels on se divertissait.
Monsieur des Bastières assure, dans ses mémoires, qu'il l'a souvent entendu dire en chaire : "Ah! pécheur, ah! pécheur, si tu savais combien Dieu est bon et combien il est aimable, tu ne l'offenserais jamais. Le plus grand des malheurs, c'est de ne vous pas connaître, ô mon Dieu, et le plus grand des supplices, c'est de ne vous pas aimer. Oh! mon doux Jésus, faites que je vous aime tous les jours de plus en plus. Quand sera ce, ô ma très bonne Mère, que j'aurai la consolation de vous voir non plus en figure, mais réellement ? Je vous ai, moi seul, plus d'obligation que tout le monde entier, il y a longtemps que je serais perdu sans vous."
Il me serait impossible de répéter toutes les édifiantes paroles que je lui /298/ ai entendu prononcer pendant ses oraisons. Je ne saurais dire au vrai combien il faisait d'oraisons par jour. Je crois que le nombre était indéterminé. Outre celle que nous faisions en commun, je l'ai vu en faire une avant de dire la sainte messe, et une après l'avoir dite. Celle-ci lui servait d'action de grâces, et avant de prêcher. II pouvait par conséquent en faire cinq par jour pendant le temps de ses missions. Peut-être en faisait-il plus en d'autres temps. Outre celle du matin qui durait une demi-heure, je ne saurais, dire combien de temps duraient les autres. Il les faisait toutes à genoux. Je n'ai jamais pu apprendre quels étaient les sujets les plus
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ordinaires de ses oraisons. Je l'ai quelquefois trouvé dans sa chambre, la face prosternée contre terre et les bras en croix. Je ne sais point s'il demeurait longtemps dans cette humiliante posture, ni si cela lui arrivait fréquemment, parce que je sortais tout aussitôt, et que ce n'était que par hasard et par surprise que je le trouvais dans cet état. Hors le temps de ses missions, je l'ai entendu /299/ nombre de fois se lever vers minuit. Après s'être donné la discipline jusqu'au sang, il faisait oraison. Celle là durait longtemps, car après avoir bien dormi, je l'entendais encore soupirer et parler de temps en temps à voix basse, de sorte que je ne pouvais bien l'entendre, étant trop assoupi par le sommeil. J>ai été souvent obligé de l'aller chercher pour prêcher, parce qu'il tardait trop à venir. Je le trouvais dans sa chambre toujours à genoux, les mains jointes, ayant devant lui un crucifix et sa petite statue de la Sainte Vierge. J'avais beau lui parler, et lui dire que le peuple s'impatientait, il ne me répondait rien ; il ne remuait pas plus qu'une statue inanimée. Je lui disais quelquefois, par impatience: "Etes vous mort ou en vie ?" Il était quelquefois plus d'une demi-heure à venir après que je l'avais averti.
Il commençait toujours toutes ses lettres par ces paroles: Que l'amour de Dieu règne dans nos cœurs. Et il n'entreprenait rien que ce ne fût pour la gloire et pour l'amour de Dieu. Et quand il ne réussissait pas dans ses entreprises, /300/ il disait qu'il en espérait la même récompense que s'il avait eu le meilleur succès du monde, parce qu'il n'avait cherché que le bon plaisir de Dieu en les commençant.
Le Père de La Tour, jésuite, son confesseur, dit que sa vie était un recueillement continuel qu'il avait un don sublime d'oraison et de contemplation que son zèle égalait celui des apôtres, et qu'avec cette présence de Dieu et ce recueillement, il était infatigable aux travaux des missions. Et souvent il passait des quatre et cinq heures devant le Saint Sacrement en oraison. Il apprenait à tout le monde à la faire. Il avait formé une petite société d'écoliers dans la ville de Poitiers, qu'il faisait assembler de temps en
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temps, auxquels il enseignait la méthode de faire la méditation. Il la leur faisait pratiquer devant lui, et leur donnait des sujets d'oraison pour la faire en leur maison.
/301/ CHAPITRE IV De sa conformité à la volonté de Dieu.
Vouloir tout ce que Dieu veut, et de la manière qu'il le veut, et souffrir avec joie tout ce qui arrive de fâcheux, c'est être heureux dès cette vie. Et c'est l'état où a toujours été Monsieur de Montfort. Rien ne lui faisait de peine que le péché, pour lequel il avait une haine irréconciliable. Son esprit était toujours égal, en tout temps et en toutes occasions. Soit qu'il eût bien ou mal réussi dans ses entreprises, rien n'était capable de le décourager ni de l'affliger. Toutes les persécutions qu'on lui a faites, toutes les injures qu'il a reçues, les maux corporels, et toutes les humiliations qu'il a souffertes pendant qu'il a vécu n'ont jamais pu l'ébranler, ni arracher de son cœur ni de sa bouche la moindre plainte ni le moindre murmure. Sa /302/ volonté était toujours si parfaitement unie à celle de Dieu qu'il était inébranlable et intrépide dans toutes les adversités qui lui arrivaient, les recevant de la part de Dieu, sans l'ordre ou la permission duquel il était persuadé qu'il ne se faisait rien dans le monde, suivant cette parole Non est malum in civitate quod non fecerit Dominus semblable en cela à un rocher au milieu de la mer, que les flots les plus furieux, et les tempêtes les plus horribles ne peuvent ébranler, ni faire changer de situation. Si quelque chose, dit Monsieur des Bastières, avait été capable d'intimider ou d'abattre Monsieur Grignion, ç'aurait été sans doute lorsque les soldats le conduisaient en prison. Bien loin de s'en faire de la peine, et d'en concevoir du chagrin, il y allait avec joie, en disant son chapelet, et son
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unique douleur fut de n'y avoir pas été mis au rang des scélérats. Il reçut un jour, continue Monsieur des Bastières, une lettre pendant que nous dînions. Après l'avoir lue, il leva les yeux au ciel et dit ces paroles de Job : Dominus dedit, /303/ Dominus abstulit, sit nomen Domini benedictum. Je le priai de me faire part des nouvelles qu'il venait d'apprendre, et il me dit en souriant : "C'est la mort de mon père ; je le recommande à vos prières." Et il continua ensuite son repas, sans donner aucune marque de tristesse. Je lui demandai, le lendemain, pourquoi il avait paru si insensible à la mort de son père ; il me répondit que le péché véniel était un plus grand mal que la destruction de tout l'univers ; qu'il valait mieux pleurer le péché que la perte de tous ses parents, parce qu'il était inutile, et même très dangereux de s'opposer à la volonté de Dieu.
Lorsque Monseigneur l'évêque de Nantes, ajoute Monsieur des Bastières, lui signifia les ordres de la cour pour la destruction du calvaire de Pontchâteau, il les reçut avec une tranquillité admirable, et s'y soumit comme s'ils fussent venus du ciel. Aussitôt que monsieur l'abbé Barrin eut appris cette nouvelle, il alla à l'évêché pour en savoir la vérité. Monsieur l'évêque lui fit voir la lettre de /304/ cachet qu'il avait reçue, et lui dit que Monsieur Grignion avait reçu les ordres du roi d'une manière qui l'avait charmé ; qu'il fallait qu'il fût un grand saint, ou le plus insigne hypocrite qui fût au monde. Mais, il n'y a pas de doute qu'il reçut ce coup là, comme aurait fait le plus grand saint, car il alla tout aussitôt faire une retraite chez les Pères jésuites, qui dura quinze jours ou trois semaines. A la première visite que je lui fis dans sa solitude, dit Monsieur des Bastières, je crus le trouver accablé de chagrin. Je me disposais à faire tout mon possible pour le consoler, mais je fus bien surpris lorsque je le vis bien plus gai, et beaucoup plus content que moi, qui avais plus besoin de consolation que lui. Je lui dis en riant : "Vous faites l'homme fort et généreux. Pourvu qu'il n'y ait rien là d'affecté, à la bonne heure !" "Je ne suis ni fort ni courageux, me répondit il, mais Dieu merci, je n'ai ni peine ni chagrin, je suis
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content." "Vous êtes donc bien aise, lui répartis je, qu'on détruise votre calvaire ?" "Je n'en suis ni bien aise /305/ ni fâché, répliqua t il, le Seigneur a permis que je l'ai fait faire, il permet aujourd'hui qu'il soit détruit. Que son saint Nom en soit béni. Si la chose dépendait de moi, il subsisterait autant de temps que le monde, mais comme il dépend immédiatement de Dieu, que sa volonté soit faite et non pas la mienne. J'aimerais mieux, ô mon Dieu, mourir mille fois, s'écria t il, en élevant les mains et les yeux aux ciel, que de m'opposer jamais à vos saintes volontés."
Telle fut la conformité de la volonté de Monsieur Grignion à celle de Dieu, dans une occasion qui lui devait être des plus sensibles. Je doute qu'on puisse en avoir une plus grande et une plus parfaite.
A la fin de la mission de Crossac, je partis, dit encore Monsieur des Bastières, pour aller à Nantes, sans lui en avoir donné aucune connaissance. Ayant su mon départ, il crut que je l'avais abandonné pour toujours, et dans le même temps, un des frères laïcs se révolta contre lui, et le chargea d'injures très atroces. Il fit sur ce sujet cette /306/ strophe de cantique, qu'il inséra depuis au milieu de ceux qu'il avait faits, sur la conformité à la volonté de Dieu.
Un ami m'est infidèle,
Dieu soit béni, Dieu soit béni.
Un serviteur m'est rebelle,
Dieu soit béni, Dieu soit béni.
Dieu fait tout ou le permet,
C'est pourquoi tout me satisfait.
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CHAPITRE V De sa dévotion envers le Saint Sacrement.
Tous les prêtres doivent avoir une souveraine religion envers le St Sacrement. Monsieur de Montfort possédait cette vertu dans le plus haut degré. Il disait la sainte messe avec une piété angélique, et souvent avec abondance de larmes. Et lorsqu'il devait entreprendre quelqu'affaire importante à la gloire de Dieu, il allait passer les /307/ nuits au pied des autels, pour la recommander à Jésus-Christ. Lorsqu'il arrivait dans quelque paroisse où il devait faire la mission, la première visite qu'il y faisait était au Saint Sacrement. Il entrait dans l'église, et y faisait une méditation qui durait souvent plus d'une heure. Il ne passait jamais devant la porte d'une église, sans y faire une génuflexion lorsqu'il était pressé. Mais en d'autres temps, il se mettait à deux genoux pour adorer Jésus-Christ immolé sur l'autel. Vers la fin de chaque mission, il ne manquait jamais de faire publiquement une réparation d'honneur au Saint Sacrement, ayant la corde au col, et un cierge allumé à la main. Il prêchait alors avec tant de force et d'onction qu'il aurait fallu avoir un cœur de bronze pour ne pas pleurer amèrement ses péchés. Aussitôt, son auditoire fondait en larmes et éclatait en soupirs. Il établissait par tous les lieux où il passait des confréries en l'honneur du Saint Sacrement, pour lui procurer jour et nuit des adorateurs. Et il s'était pour cela associé aux religieuses /308/ du Saint Sacrement, établies à Paris dans la rue Cassette, dont l'Institut est de faire successivement les unes après les autres, jour et nuit amende honorable au Saint Sacrement, ayant la corde au col, un flambeau ardent à la main. Et par le moyen de cette association, il rendait tous ceux qui s'enrôlaient en ces confréries, participants à toutes les indulgences que le Saint-Siège a accordées à ces saintes filles, et à toutes leurs bonnes œuvres. A la fin de ses missions, il faisait faire des processions générales, où on portait le Saint Sacrement comme en triomphe. Il
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n'était pas possible de rien voir de mieux ordonné, ni de plus dévot que la marche du clergé et du peuple qui s'y trouvait en foule. Nous en parlerons ci-après.
/309/ CHAPITRE VI De son zèle pour la réparation et la décoration des églises.
On peut appliquer à Monsieur de Montfort ces paroles du prophète : "Le zèle de votre maison m'a dévoré." zelus domus tuae comedit me : car, dit Monsieur des Bastières, je ne me souviens pas qu'il ait entrepris aucune mission, sans avoir fait faire des réparations considérables dans les églises paroissiales, ou dans les chapelles particulières, surtout lorsqu'elles étaient dédiées à Dieu sous l'invocation de la Sainte Vierge. Il a fait rebâtir tout à neuf la chapelle de Notre-Dame des Victoires, dans la paroisse de La Garnache, au diocèse de Luçon, où on assure qu'il s'est fait, et se fait encore, quantité de miracles. C'est lui qui a fait faire le rétablissement magnifique de l'église paroissiale de Taugon la Ronde, la chapelle de /310/ St Jean l'Evangéliste dans la ville de Poitiers, et l'église toute entière de Mervent, et à La Séguinière ; la chapelle de Notre-Dame de toute Patience au diocèse de La Rochelle. Il a fait paver et entièrement blanchir les églises de Cambon, de Pontchâteau, de Crossac, du Vanneau et de beaucoup d'autres dans le diocèse de Nantes. Il faisait raccommoder tous les ornements et blanchir les linges des églises où il faisait mission. Quand ils n'étaient pas propres, il en faisait faire de neufs. Il faisait aussi acheter des tabernacles magnifiques, et dorer ceux qui ne l'étaient pas. Lui-même se donnait la peine de nettoyer les autels, les murs des églises, et les vases sacrés, les statues et les tableaux des saints, et faisait toutes ces fonctions en
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surplis, en chantant des cantiques, ou en psalmodiant le chapelet avec les personnes qui lui aidaient ; ramassait tous les ornements des églises qui ne valaient pas la peine d'être raccommodés, pour en faire des cendres pour le premier jour de carême.
Il menait toujours avec lui dans ses /311/ missions un peintre et un sculpteur, pour couvrir ou reformer les tableaux et les statues des saints qui étaient indécentes ou mal faites. Il lègue par son testament 150 livres, pour faire apprendre à cette intention à Frère Nicolas le métier de sculpteur. Il a aussi fait bâtir beaucoup de sacristies. Il ne pouvait souffrir que les armes des personnes de qualité fussent brodées sur les chasubles et autres ornements de l'église, ni même peintes sur les murailles. Ce qui l'obligea, sans avoir aucun respect humain, de faire effacer la litre de l'église de Cambon. Il ne pouvait aussi souffrir qu'on enterrât personne dans les églises, qui ne sont destinées que pour renfermer le corps de Jésus-Christ, ou les reliques des saints. Et il obligea les paroissiens de Crossac, au diocèse de Nantes, de renoncer à la coutume et au droit qu'ils prétendaient avoir, par arrêt, de se faire tous inhumer dans leur église paroissiale.
/312/ CHAPITRE VII De sa dévotion envers la Sainte Vierge.
Après Jésus-Christ, le plus grand objet de la piété de Monsieur Grignion était la très digne Mère de Dieu. Il dit à une personne de confiance qu'elle lui était si présente à l'esprit, et si profondément gravée dans le cœur qu'il ne pouvait se mouvoir ni agir qu'en elle, par elle et pour elle après Dieu. Non seulement il récitait tous les jours, outre l'office divin, le rosaire de quinze dizaines tout entier, mais
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il le faisait réciter dans toutes ses missions, et il n'en a presque fait aucune où il n'en ait établi, à l'exemple de Saint Dominique, la confrérie, persuadé avec ce grand saint que cette prière est un moyen efficace pour attirer la grâce de Dieu dans les cœurs, et y détruire le règne du péché. Et ce qui est plus surprenant et qui /313/ tient du prodige, c'est qu'il avait coutume, nonobstant toutes ses grandes occupations, de faire tous les jours trois cents génuflexions à différents temps, devant une de ses images, en la saluant chaque fois avec un éloge particulier, disant par exemple, Virgo singularis Mater misericordiae, etc. Il portait toujours une image de Notre-Dame sur lui, grande de demi pied, enfermée dans une espèce de petite chapelle, et toutes les fois qu'il priait Dieu, soit qu'il récitât son bréviaire ou le rosaire, ou qu'il fît oraison mentale, il avait cette image entre les mains ou sur une table, et de temps en temps, il baisait les pieds avec tant de tendresse et de dévotion, qu'il en versait souvent des larmes.
Outre le rosaire de quinze dizaines, il récitait tous les jours la petite couronne de la Sainte Vierge, et beaucoup d'autres oraisons très édifiantes qu'il avait tirées de saint Bernard, de saint Bonaventure et de saint Anselme.
Il distribuait aussi de petites images de la Sainte Vierge à tous ceux qui /314/ lui en demandaient et expliquait, avec beaucoup de piété et d'onction, les 15 mystères qui sont honorés par les quinze dizaines du rosaire. Et il avait fait faire quinze étendards dorés et magnifiques, où ces mystères étaient représentés, qu'il faisait porter à ses processions. Il avait aussi des images où les mêmes mystères joyeux, douloureux et glorieux étaient dépeints d'une manière très dévote, pour les expliquer au peuple dans l'église.
Il prêchait hautement son Immaculée Conception, et il inspirait à tous ses auditeurs une grande idée de toutes les vertus de la Mère de Dieu, surtout de sa pureté et de sa virginité. Il en faisait l'éloge dans toutes ses missions, et tâchait de porter les filles à la pratique de cette vertu pour honorer celle de la Sainte Vierge. Pour cet effet, il les faisait
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consacrer à son exemple au Dieu de toute pureté, d'une manière très spéciale, en leur faisant faire, avec la permission des évêques, des vœux simples de virginité pour un an, ou de ne se point marier. Souvent il s'en trouvait plus /315/ de soixante ainsi associées, dans chaque paroisse, à qui il faisait porter le voile blanc aux processions et à certaines fêtes de l'année. Et ces filles ont suivi exactement les règles qu'il leur a données : qui consistent particulièrement à fuir les compagnies des personnes de différent sexe, à ne se trouver dans les assemblées du monde, tels que sont les danses et les festins des noces, etc. ; fréquenter les sacrements et à garder une modestie très exacte dans leurs habits et dans leurs conversations. Comme les gens du monde ont fort crié contre cette association, nous en ferons l'apologie à la fin de ce traité.
Il établissait, dans toutes les paroisses où il faisait Mission, la dévotion du saint esclavage de Jésus vivant en Marie, fondée sur ces paroles du prophète roi : Ego servus tuus et Filius ancillae tuae ; et celles de S. Paul, formam servi accipiens et habitu inventus est homo. Cette pratique a attiré bien des croix sur Monsieur de Montfort, et beaucoup de grâces sur ses auditeurs. Il s'était lui même enrôlé /316/ dans la confrérie du saint esclavage de Jésus vivant en Marie, et c'est d'où vient qu'il signait souvent ses lettres en ces termes : Louis-Marie Grignion, serviteur indigne de Marie, ou esclave de Jésus vivant en Marie.
Il composa en trois jours un livre des avantages de cet esclavage, qui fut trouvé admirable, et il en porta les chaînes jusqu'à la mort, pour marquer sa soumission et sa dépendance au Fils de Dieu et à sa Sainte Mère. Je connais, dit Monsieur des Bastières, très grand nombre de pécheurs scandaleux, à qui il a inspiré cette dévotion, et de dire tous les jours le rosaire, qui sont parfaitement convertis, et dont la conduite est très exemplaire. Et on ne saurait compter le nombre de personnes de l'un et de l'autre sexe, qu'il a fait changer de vie par ce moyen.
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Lorsqu'il parlait de la Sainte Vierge, soit en publie, soit en particulier, c'était avec des termes si forts et si touchants que les cœurs de ses auditeurs en étaient attendris. Il enlevait tout le monde et se surpassait lui¬-même, ce qui arrivait ordinairement tous les samedis. /317/ Quoique souvent il affectât de parler dans ses discours d'une manière simple et naturelle, afin de se conformer à la portée des peuples, il ne pouvait ramper dans les expressions dont il se servait, qui regardaient les louanges de Notre-Dame. Elles étaient sublimes et presque surnaturelles. Tous les samedis de l'année étaient pour lui des jours solennels qu'il gardait comme le jour du saint dimanche, en l'honneur de la Sainte Vierge, et il jeûnait ces jours-là très régulièrement, et ne buvait que de l'eau.
Il a fait quantité de pèlerinages à pied en des chapelles dédiées à la très Sainte Vierge Mère de Dieu, pour invoquer son secours, comme à Notre-Dame de Lorette en Italie, à Notre-Dame de Chartres, de Saumur, etc. et il a fait bâtir dès les fondements plusieurs chapelles en son honneur en différents lieux sous ces titres, de Notre-Dame de toute Patience, de Notre-Dame de Miséricorde, de Notre-Dame des Victoires, et de la Reine des Cœurs.
/318/ Etant à Poitiers, il fit acheter, pendant la mission de Montbernage, une grange qu'il fit accommoder, pour y mettre, sur un autel, une image de la Sainte Vierge, de grandeur naturelle, en présence de laquelle, les peuples allaient en foule tous les jours réciter le chapelet, aussi bien qu'à toutes les portes de la ville et sur les ponts, où il y a de petits oratoires dédiés à Notre-Dame. Il portait tout le monde à avoir recours à elle, et il écrivait un jour à son oncle en ces termes : "Dites à mon frère Joseph que je le prie de bien étudier, et qu'il fera un des mieux de sa classe. Que pour cela, il doit mettre son étude entre les mains de sa bonne Mère, la Sainte Vierge. Qu'il continue à lui rendre ses petits devoirs, elle saura bien lui donner ce qui lui est nécessaire. Je recommande la même chose à mes sœurs."
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/319/ CHAPITRE VIII De sa dévotion envers les âmes du purgatoire.
Il avait une dévotion très tendre pour les âmes du purgatoire, et un respect singulier pour les cimetières. Il faisait un service solennel à la fin de chaque mission, pour soulager les défunts de la paroisse qui étaient en purgatoire. Il offrait le saint sacrifice de la messe, trois fois la semaine, pour tous les fidèles trépassés. Il faisait ces jours-là toutes ses pratiques de piété à leur intention. Il disait l'office des morts et les sept psaumes. Il augmentait même ses mortifications ordinaires, et les recommandait souvent dans ses discours publics à la piété des fidèles. Il leur procurait le plus de messes qu'il pouvait. Il conseillait à ses pénitents d'offrir à Dieu, pour elles, toutes les prières et les autres bonnes œuvres qu'ils feraient tous lés lundis de /320/ l'année. Il aurait voulu que tous les chrétiens eûssent pratiqués cette sainte dévotion.
Il ne pouvait souffrir que les animaux entrassent dans les cimetières. Il les faisait murer ou clore de fossés. Nous avons trouvé des paroisses où les fabriqueurs affermaient les cimetières à des particuliers pour y faire paître leurs bestiaux ; et aussi des églises où on faisait le vin, et qui servaient de cellier. Il a entièrement aboli ces criminelles coutumes, partout où il les a trouvées établies, parce qu'elles étaient contraires au respect dû à ces saints lieux.
178 CHAPITRE IX Sa haine implacable contre le péché.
Monsieur Grignion, ayant appris par la foi que le péché mortel ou qui donne la mort à l'âme est le plus grand mal qui soit au monde, le souverain mal comme Dieu est le /321/ souverain bien, l'unique mal et la source de tous les maux, lui faisait la guerre à toute outrance. Quoiqu'il n'y eût aucune espèce de crimes qu'il n'eût voulu anéantir, il en attaquait pourtant cinq sortes, qu'il croyait avec raison être la source de tous les autres, savoir : le blasphème, les jeux de hasard et les danses, l'ivrognerie et l'impureté. Et c'est le zèle qu'il avait contre tous ces péchés qui lui a attiré les persécutions, les calomnies, les injures et les contradictions de la part du démon, du monde et de la chair, dont il voulait absolument détruire l'empire: ut destrueret eum qui habebat mortis imperium, id est, diabolum. Hebr. 2. 14.
Un jour qu'il passait par la Place Royale de Poitiers, il entendit un officier d'armée jurer le Saint Nom de Dieu, il fut à lui tout transporté de zèle, lui parla si vivement, en le traitant de malheureux, que quoiqu'il fût avec d'autres officiers ses camarades, il lui inspira sur le champ une telle crainte des jugements de Dieu contre les blasphémateurs qu'il /322/ l'obligea à se mettre à genoux dans la rue, à baiser la terre et à demander pardon de son crime. Ce trait paraîtrait incroyable, si on n'avait connu l'officier qui était un des plus déterminés de son régiment, et si plusieurs personnes dignes de foi n'avaient été témoins du fait, et ne l'avaient certifié.
Son zèle était ardent contre les ivrogneries et les débauches. On vint un jour l'avertir qu'il y avait une grande assemblée d'impies dans un cabaret, qui faisaient des jurements exécrables, insultaient tous les passants, et s'étaient déjà battus deux ou trois fois dans le jour, qui était
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un dimanche. Monsieur Grignion fut seul les trouver, car personne ne voulut l'accompagner, craignant d'être maltraité par ces misérables. Il entra dans ce lieu d'abomination, où il trouva cinq ou six tables pleines de jeunes gens. Les uns chantaient, ou plutôt hurlaient, les autres dansaient au son des hautbois et des musettes. Ceux-ci blasphémaient le saint Nom de Dieu d'une manière horrible, ceux-là se querellaient /323/ et se disaient des injures atroces. Monsieur Grignion se mit à genoux au milieu de cette troupe frénétique, dit un Ave Maria. Puis, en se relevant, il commença par se saisir des hautbois et des musettes, qu'il mit en pièces, renversa les tables et tout ce qui était dessus. Jamais on n'a vu des gens plus étonnés. Cependant, neuf ou dix de ces furieux tirèrent l'épée contre lui, il se présenta devant eux, avec une contenance ferme, tenant son chapelet d'une main, et son crucifix de l'autre. Ils furent si épouvantés de ce spectacle imprévu qu'ils rengainèrent leurs épées, et s'enfuirent précipitamment. Tous les autres, également surpris, les suivirent, de sorte qu'il demeura seul dans la maison avec l'hôte, qui était si consterné de ce qu'il venait de voir qu'il ne dit pas un mot, et écouta tranquillement la correction que lui fit Monsieur Grignion, qui l'assura qu'il était participant de tous les crimes que commettaient les ivrognes à qui il donnait à boire.
Monsieur de Montfort ne pouvait souffrir les danses ni les assemblées /324/ des personnes de différents sexes et il les empêchait, autant qu'il lui était possible, parce qu'elles sont ordinairement la cause ou l'occasion d'une infinité de péchés. En voici un exemple des plus signalés. Etant à Nantes, le dimanche d'après la fête des saints Donatien et Rogatien, Patrons de la ville, il passa par la Motte de Saint Nicolas sur les cinq heures du soir, retournant à la Providence où il demeurait. Il aperçut un grand concours du peuple sur cette Motte, et il demanda quel était le sujet de cette nombreuse assemblée. On lui dit que c'était des garçons et des filles qui dansaient ensemble. Il se sentit intérieurement inspiré d'aller les trouver pour faire cesser leurs danses. Ayant fendu la presse avec
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beaucoup de peine, il se trouva au milieu de plus de cent personnes de l'un et de J'autre sexes, qui dansaient au son d'un fifre. il essaya sept à huit fois de les faire séparer, et de les dissiper, mais ils se redonnaient aussitôt les mains, et M. de Montfort se trouvait toujours au milieu de la troupe. Et alors, ces /325/ jeunes gens faisaient des éclats de rire épouvantables et, par impiété, ils entonnaient un cantique qu'on avait coutume de chanter à la mission, en dansant tout autour de Monsieur Grignion, qui ne sachant plus ce qu'il devait faire, prit son chapelet à la main, et élevant les bras vers le ciel, il s'écria de toutes ses forces : "S'il y a dans cette compagnie des amis de Dieu, qu'ils se mettent à genoux avec moi." Il n’eut pas plutôt prononcé ces paroles que tous les danseurs et les danseuses, et tous les spectateurs se jetèrent à terre, et ce qu'on aura peine à croire, ils psalmodièrent tous avec Monsieur Grignion une dizaine du chapelet. Puis, il fit une exhortation contre les danses, leur faisant voir qu'elles étaient une occasion prochaine d'une infinité de péchés. Son discours eut un effet si merveilleux que leurs chants profanes furent en un moment changés en pleurs.
La profanation des fêtes et des dimanches lui causait encore une affliction sensible. C'est pourquoi il a fait tout son possible pour empêcher qu’on 326/ ne fit des foires et des marchés, et qu'on ne tînt des assemblées ces jours-là. Prêchant un jour dans une paroisse, il apprit qu'on devait tenir une foire le jour de la fête du Patron. Quelques jours auparavant, il fit un discours contre un si pernicieux abus, et il exhorta tous ses auditeurs à ne se pas trouver à cette foire, leur disant que si elle se tenait ce jour-là, il les en chasserait, comme Notre-Seigneur fit autrefois les vendeurs et les acheteurs du Temple, dût il lui en coûter la vie. On ne fit pas grand état de son avertissement, car ce jour du Patron étant arrivé, il prêcha à son ordinaire à sept heures du matin. A peine s’y trouva t il trente personnes, et après le sermon, ayant demandé pourquoi il y avait si peu de inonde, il apprit que la foire était la cause de ce dérangement. Il descendit de chaire, et sans communiquer son dessein à personne, il fut à la foire, et transporté du
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zèle de Phinéès, ou de celui de Moise, il renversa toutes les boutiques, à droite et à gauche, qui se présentaient devant lui, et en moins d'un quart d'heure, tous /327/ les marchands plièrent bagage, fermèrent leurs boutiques, et emportèrent leurs marchandises. Il courut ensuite un bruit, par tout le champ de foire, qu'on allait tuer tous les chevaux, les bœufs et les autres animaux qu'on y vendrait. Cette nouvelle, qui ne venait que d'une terreur panique, mit une telle épouvante parmi les vendeurs et les acheteurs qu'ils s'enfuirent précipitamment et, en moins d'une heure, cette fameuse foire fut dissipée. Il n'y a que des hommes inspirés de Dieu qui puissent faire de tels coups, ni qui soient capables de les faire réussir.
Il avait horreur du crime de l'impureté. Il prêchait contre avec véhémence, et il n'y avait point d'adresse ni de moyens dont il ne se servit pour convertir les personnes qui en étaient coupables, ainsi que nous verrons ci-après.
/328/ CHAPITRE X De son amour pour les croix.
On ne saurait exprimer J'amour ardent qu'avait M. de Montfort pour les croix . Elles étaient ses plus chères Iles délices et l'objet le plus tendre de son cœur. Plus elles étaient pesantes, plus il se plaisait à les porter, plus sa joie augmentait. Il était aisé de connaître quand il en avait reçu quelques-unes, car il était ce jour-là d'une gaieté extraordinaire. Sa coutume était de dire un Te Deum en action de grâces toutes les fois qu'il recevait quelque mortification. Mais lorsque ses croix étaient de poids, c'est ainsi qu'il nommait celles qui étaient les plus difficiles à supporter, il invitait tous ses amis à en remercier Dieu pour lui et avec lui. Il faisait tous les jours des prières
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toutes particulières, et en faisait faire de publiques pour tous ceux qui lui en procuraient, et il les /329/ aimait si tendrement qu'il se serait entièrement sacrifié pour leur rendre service, les regardant comme ses plus intimes amis. Et lorsqu'il les connaissait, il ne manquait pas de les aller voir pour les en remercier. Voici deux exemples qui prouvent cette vérité, dit M. des Bastières.
Etant allé faire mission dans une des paroisses du diocèse de Nantes, par l'ordre de Monsieur l'abbé Barrin vicaire général, le curé et tous ses prêtres se déclarèrent les ennemis de M. Grignion. Ils lui dirent mille injures et lui firent des insultes très outrageantes. Avant que de sortir de cette paroisse, il me mena avec lui voir le curé pour lui dire adieu. Il lui parla avec tant de douceur et de charité que j'en fus charmé, car il lui demanda mille pardons pour les prétendus sujets de chagrins qu'il lui avait pu causer : "Je vous assure, Monsieur, lui dit-il en l'embrassant tendrement, que je prierai toute ma vie le Seigneur pour vous, je vous ai trop d'obligation pour jamais vous oublier. Je m'estimerais trop heureux si je pouvais trouver /330/ quelque occasion de vous rendre service."
Une personne de piété, ayant été témoin de toutes les injures que ce curé lui avait dites, dépêcha un exprès vers Monseigneur de Nantes, pour l'informer des mauvais traitements qu'il lui faisait souffrir. Quand Monsieur Grignion l'eut appris, il la blâma et lui dit que les affronts, qu'il avait soufferts en cette mission, attireraient la bénédiction de Dieu sur les ouvriers et sur les peuples. Et comme cette personne était sa pénitente, il la priva pendant longtemps des sacrements, pour la punir de cette faute et lui ordonna, en se séparant d'elle, de prier Dieu qu'il lui envoyât bien des croix, qu'il l'humiliât beaucoup, et que cela était nécessaire pour attirer des grâces sur la mission et sur les peuples.
Le second exemple est, que Monsieur de Montfort s'associa une fois un religieux prêtre, pour lui aider dans une mission qu'il devait faire. Pendant un mois qu'elle dura, ce religieux ne cessa pas de calomnier Monsieur
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Grignion de la manière du monde la plus cruelle /331/ et la plus ignominieuse. Car il publiait partout qu'il vendait les sacrements, et qu'il était un des plus zélés sectateurs de Simon le magicien, et osait assurer sur sa vie qu'il était sorcier. Je fus si scandalisé de la conduite de cet insigne calomniateur que je crus être obligé en conscience d'avertir Monsieur de Montfort de ce qu'il disait contre lui. Je fis même tous mes efforts pour l'engager à le congédier. Mais le serviteur de Dieu, bien loin de suivre mon avis, le comblait d'honnêteté, lui faisait mille amitiés, le faisant placer à table à sa droite, et il ne lui a jamais fait aucun reproche de ce qu'il savait de lui. N'est ce pas là imiter de près la conduite que Jésus-Christ a tenue à l'égard du traître Judas ?
Une si sainte et si charitable manière d'agir a fait des effets, si extraordinaires et si prodigieux sur les esprits de la plupart de ses persécuteurs, qu'un grand nombre sont devenus ses plus fidèles amis.
J'ai déjà dit, continue Monsieur des Bastières, que je me trouvai un /332/ jour à Nantes, comme on le conduisait en prison. L'ayant été voir le lendemain, il me parut si rempli de joie qu'il ne se possédait pas. J’étais seul dans sa chambre, il me prit par les mains, et me dit : "Hé ! Que dites-vous, mon cher ami, de la journée d'hier ?" Je lui répondis qu'elle avait été très humiliante pour lui et très triste pour moi, que j'avais beaucoup souffert en le voyant traiter si indignement. "Pour moi, me dit il en riant, je ne me souviens pas d'avoir eu tant de joie dans toute ma vie. Mon contentement aurait été parfait si j'avais eu le bonheur d'être emprisonné." Il chanta ensuite un cantique sur la croix.
Lorsqu'on lui proposait plusieurs missions à faire, il choisissait toujours celle où il croyait recevoir plus de croix. Quand nous fîmes celle de Vertou, dit Monsieur des Bastières, à laquelle Dieu donna toutes sortes de bénédictions, Monsieur Grignion n'y ayant reçu aucune croix considérable, me prit un jour par la main, après la prière du soir, et me conduisit dans sa chambre. Je lui
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demandai ce qu'il souhaitait. /333/ Il me parut si affligé et si peiné que je crus qu'il lui était arrivé quelque grand malheur. Il me dit en soupirant d'une manière si triste qu'il me glaça le cœur : "Mon cher ami, que nous sommes mal ici !" "Point du tout, lui répondis-je, où irions-nous pour être mieux ? Nous avons tout à souhait et tout en abondance." "C'est que nous sommes ici trop à notre aise, me répliqua-t-il. Nous sommes très mal, notre mission sera sans fruits, parce qu'elle n'est pas fondée ni appuyée sur la croix. Nous sommes ici trop aimés, voilà ce qui me fait souffrir. Point de croix, quelle croix ! Quelle affliction pour moi ! J'ai dessein de finir cette mission dès demain. Que vous en semble t il, mon cher ami ? Ne serions nous pas mieux en une autre paroisse à porter la croix de Jésus-Christ, notre cher Maître, que d'être ici sans rien souffrir?" Je lui répondis : "Vous feriez mal, Monsieur, de laisser l'œuvre de Dieu imparfaite. Si vous n'avez pas de croix ici, ce n'est pas notre faute, voilà peut-être la première mission où elles vous ont manqué." Il eut la bonté /334/ de me croire. Nous achevâmes celle de Vertou, qui dura un mois, et Dieu y répandit ses grâces et ses bénédictions en abondance. Toutes ses lettres, ses discours, ses actions et tous ses désirs ne respiraient que la croix, et ne parlaient que de la croix. Voici comme il s'en exprime dans une lettre à une religieuse du très Saint Sacrement de Paris. "Ah , que votre lettre est divine, puisqu'elle est remplie des nouvelles de la Croix, hors de laquelle, quoique la nature et la raison en disent, il n'y aura jamais ici-bas, jusqu'au jour du jugement, aucun véritable plaisir ni aucun solide bien.
Votre âme porte une croix grosse, large et pesante. Oh, quel bonheur pour elle ! Qu'elle ait confiance, si Dieu tout bon continue de la faire souffrir, qu'il ne l'éprouvera pas au-dessus de ses forces. C'est une preuve qu'elle en est assurément aimée. Je dis assurément, car la meilleure marque que l'on est aimé de Dieu, c'est quand on est haï du monde et assailli de croix, c'est à-dire de privations des choses les plus légitimes, d'oppositions à nos volontés /335/ les plus saintes, d'injures les plus atroces et les plus touchantes, de persécutions et de mauvaises
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interprétations de la part des personnes les mieux intentionnées et de nos meilleurs amis, des maladies les moins à notre goût, etc. Mais., pourquoi vous dis je ce que vous savez mieux que moi, par le goût et l'expérience que vous en avez? Ah, si les chrétiens savaient la valeur des croix, ils feraient cent lieues pour en trouver une. Car, c'est en cette aimable croix qu'est renfermée la sagesse véritable, que je cherche jour et nuit avec plus d'ardeur que jamais. Ah, bonne croix, venez à nous à la plus grande gloire du Très Haut. C'est ce que mon cœur dit souvent malgré mes faiblesses et mes infidélités. Je mets, après Jésus, notre unique amour, toute ma force dans la croix. Je vous prie de dire à N. que j'adore Jésus-Christ crucifié en elle, et je prie Dieu qu'elle ne se souvienne d'elle-même que pour s'offrir à des sacrifices encore plus sanglants."
Dans une autre lettre qu'il écrivit à une religieuse, il lui parle en ces termes : /336/ «Que vous dirai-je, ma chère Mère, pour répondre à la vôtre, sinon ce que l'Esprit-Saint vous dit tous les jours. Amour de la petitesse et de l'abjection, amour de la vie cachée, du silence, sacrificateur muet de Jésus-Christ au Saint Sacrement, amour de la divine Sagesse, amour de la croix. Je suis contredit en tout, je suis captif, remerciez pour moi le bon Dieu des petites croix qu'il m'a données, proportionnées à ma faiblesse, etc.»
Voici comme il s'explique dans une autre lettre qu'il écrivit à sa sœur, datée à La Rochelle le premier janvier 1713. "Dieu prend plaisir, ma chère sœur, à nous voir combattre et à nous rendre tous deux victorieux, vous dans le secret et moi dans le publie. Car vos combats se passent dans vous-même, ils n'éclatent pas hors de votre communauté ; mais les miens éclatent par toute la France, soit à combattre les démons de l'enfer, soit à faire la guerre au monde et aux mondains, ennemis de toute vérité. Vous seriez sans doute surprise si vous saviez le détail de l'aimable croix dont le ciel /337/ me favorise par l'intercession de notre bonne Mère. Je vous prie d'en remercier mon aimable Jésus et de prier votre aimable
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communauté, que je salue, de m'obtenir de Jésus crucifié la force de porter les plus rudes croix et les plus pesantes comme des pailles, de résister avec un front d'airain aux puissances infernales.
Il écrivit encore à.la même de Paris, le 15 d'août 1713 et commença par ces paroles : "Vive Jésus, vive sa Croix. Si vous saviez mes croix et mes humiliations par le menu, je doute si vous désireriez si ardemment de me voir; car je ne suis jamais dans aucun pays que je ne donne un lambeau de ma croix à porter à mes meilleurs amis, souvent malgré moi et malgré eux. Aucun ne me peut soutenir et n'ose se déclarer pour moi qu'il n'en souffre, et quelquefois qu'il ne tombe sous les pieds de l'enfer que je combats, du monde que je contredis, de la chair que je persécute. Une fourmilière de péchés et de pécheurs que j'attaque ne me laisse, à aucun des miens, aucun repos. Toujours sur le qui-vive, /338/ toujours sur les épines, sur les cailloux piquants, je suis comme une balle dans un jeu de paume : on ne l'a pas sitôt poussée d'un côté qu'on la pousse de l'autre, en la frappant rudement. C'est la destinée d'un pauvre pécheur. C'est ainsi que je suis sans relâche et sans repos, depuis treize ans que je suis sorti de Saint-Sulpice. Cependant, ma chère sœur, bénissez en Dieu pour moi, car je suis content et joyeux au milieu de toutes mes souffrances, et je ne crois pas qu'il y ait au monde rien de plus doux pour moi que la croix la plus amère, quand elle est trempée dans le sang de Jésus crucifié et dans le lait de sa divine Mère. Mais, outre cette joie intérieure, il y a grand profit à faire en portant les croix. Je voudrais que vous vissiez les miennes. Je n'ai jamais plus fait de conversions qu'après les interdits les plus sanglants et les plus injustes. Courage, ma très chère sœur, portons tous trois notre croix aux deux extrémités du Royaume. Portez¬-la bien de votre côté, je tâcherai de la bien porter du mien, avec la grâce de Dieu, /339/ sans nous plaindre, sans murmurer, sans vous décharger, sans vous excuser, même sans pleurer comme de petits enfants qui versent des larmes et se plaindraient de ce qu'on leur donnerait cent livres d'or à porter, ou comme un laboureur qui se
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désespérerait de ce qu'on aurait couvert son champ de louis d'or pour le rendre plus riche."
Il est étonnant combien Monsieur de Montfort a reçu Pendant sa vie d'injures, de mépris, de contradictions et d'opprobres de la part de ses supérieurs et de ses inférieurs. Car, plusieurs évêques l'ont souvent interdit dans leur diocèse, où ils l'avaient appelé, sur les plaintes qu'on leur avait faites de ses prétendues imprudences et indiscrétions. Leurs grands vicaires l'ont traité d'ignorant, d'hypocrite et de vagabond. L'un d'entre eux lui dit un jour tout ce que la colère la plus outrée peut inspirer de plus mortifiant. A quoi Monsieur Grignion ne répondit jamais autre chose, sinon qu'il suivait toujours les ordres de nos seigneurs les évêques dans leurs /340/ diocèses, et qu'il n'y faisait rien contre leur volonté. Puis il demanda à ce grand vicaire la grâce de le confesser. Il le fit attendre plus de deux heures à son confessionnal, lui ayant promis de l'y venir trouver, après quoi il le renvoya sans le vouloir entendre.
Enfin, la croix le suivait partout : à Paris, à Poitiers, à Saintes, à Nantes, à La Rochelle, à Luçon, à St Brieuc, à Saint-Malo, et dans plus de deux cents missions qu'il a faites par tous ces diocèses. Il faisait toujours ériger et approuver les confréries de la croix, planter des croix dans les lieux les plus éminents. Il en distribuait de petites à ceux qui le venaient entendre. Il faisait chanter des cantiques en l'honneur de la croix. Il écrivait et faisait imprimer des lettres circulaires, adressées aux Amis de la Croix, et ne se lassait jamais de les procurer et d'en parler avec éloge, de les porter en tout temps et en tous lieux.
Que cette conduite est éloignée de celle des gens du monde, qui ne cherchent que la joie et les plaisirs.
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/341/ CHAPITRE XI De sa vie pénitente.
La vie pénitente de Monsieur Grignion est plus admirable qu'imitable. Ses austérités journalières excédaient de beaucoup les forces naturelles de l'homme. Voici comme en parle M. des Bastières.
"Il s'est donné jusqu'à cinq fois par jour la discipline. Je l'ai entendu qu'il disait en se frappant : 'Seigneur, pardonnez s'il vous plaît à mes ennemis, ne leur imputez point ce qu'ils font et ce qu'ils disent contre moi. Seigneur, convertissez tous les pécheurs de cette paroisse, faites leur à tous miséricorde. Punissez-moi, châtiez-moi tant qu'il vous plaira, je le mérite, mais de grâce, épargnez-les!
On m'a dit qu'il se levait souvent la nuit, même pendant l'hiver, lorsqu'il gelait très fort, et allait dans des jardins ou autres lieux à l'écart, où il se /342/ disciplinait jusqu'au sang. Des personnes dignes de foi m'ont assuré l'avoir trouvé plusieurs fois caché dans des fossés où il se flagellait très cruellement. Ce qu'il ne manquait jamais de faire avant que de monter en chaire pour prêcher. Et il avait coutume de dire qu'un coq ne chantait jamais mieux que lorsqu'il s'était bien battu de ses ailes.
La discipline dont il se servait était armée et hérissée de pointes de fer. Je l'ai souvent trouvée teinte de sang dans les lieux où il l'avait mise. Il portait jour et nuit un cœur de fer, en forme de râpe, très piquant, sur sa poitrine. Un jour, sortant de chaire en cet état, il s'évanouit. On lui trouva, après qu'on l'eut déshabillé pour le soulager, cet instrument de pénitence sur le corps, et on le lui ôta. Revenu à soi, l'ayant aperçu entre les mains d'un des assistants, il dit ces paroles : Ego dormio et cor meum vigilat. Il portait très souvent une ceinture et des bracelets à pointes de fer très aiguës. Et il observait ce même genre de vie assez souvent dans le temps de ses missions.
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/343/ Il se levait tous les jours à quatre heures en tout temps, et se couchait le plus souvent à onze heures et à minuit, jamais dans un lit, toujours à plate terre sur une poignée de paille, ou tout au plus sur une paillasse.
Il jeûnait régulièrement tous les mercredis, les vendredis et les samedis de l'année, outre les jours commandés par l'Eglise. Il prêchait ordinairement quatre fois les dimanches et fêtes : deux fois le matin et deux fois l'après dînée, et confessait le reste du temps. Il ne déjeunait souvent ces jours-là qu'à une heure après-midi. Il était très sobre dans ses repas. Il ne mangeait ordinairement qu'une sorte de viande, choisissant toujours celle qui était la moins ragoûtante. Il ne buvait point de vin pur. Il y mettait au moins la moitié d'eau. Il faisait si peu d'attention à ce qu’il buvait que je l'ai vu une fois boire une tassée de vinaigre mêlée d'eau sans s'en apercevoir, croyant que ce fût du vin. Je lui demandai, dit Monsieur des Bastières, si le vin qu'il venait de boire était bon. Il me' dit qu'il l'avait trouvé bon. J'ai plusieurs fois /344/ aperçu qu'il mettait de l'absinthe dans son potage, ou beaucoup de vinaigre, ou du vin éventé.
Il faisait pour le moins trois sermons sur la nécessité de la Pénitence, et il traitait cette matière avec tant de force, et si efficacement, qu'il touchait ses auditeurs jusqu'au fond du cœur. Et il les faisait pleurer très amèrement. Après qu'il avait prêché seulement une fois sur cette matière, les confesseurs n'avaient nulle peine à faire accepter à leurs pénitents, soit gens de qualité ou gens du commun, des pénitences rigoureuses lorsqu'ils les avaient méritées. Ils leur en demandaient même plus qu'ils ne voulaient leur en accorder.
Monsieur Grignion avait un mercier qui vendait, à la porte des églises où il faisait mission, des images, des livres, des chapelets et toutes sortes d'instruments de pénitence. Et de toutes ces marchandises, la plus recherchée et la mieux débitée c'était les disciplines, les cilices, les haires, les ceintures de fer et de crin, les bracelets et les cœurs piquants. Il n'y en avait jamais
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assez, tant était grand l'amour de la pénitence que /345/ Monsieur Grignion avait inspiré à ses auditeurs dans ses missions.
Quoique Monsieur de Montfort menât une vie très sainte, et qu'au sentiment de ses confesseurs, il n'eut pas perdu l'innocence de son baptême, il se croyait pourtant le plus grand pécheur du monde. Et lorsqu'il lui échappait de faire quelque faute légère, dont les plus grands saints n'ont jamais été exempts, il se prosternait la face contre terre dans sa chambre, et il restait souvent plus de demi-heure dans cette posture gênante et humiliante.
Lorsqu'il faisait des voyages à la campagne, soit qu'il fit une excessive chaleur, ou une pluie abondante, il marchait souvent la tête nue et son chapeau sous son bras pour se mortifier ' ou il portait un crucifix au bout d'un bâton. Et lorsqu'il entrait dans les maisons de ceux qu'il allait voir, il se mettait presque toujours à genoux pour dire l'oraison : Visita quaesumus super hanc familiam tuam, etc. Ce qui lui attirait le mépris et les railleries de tout le monde.
/346/ CHAPITRE XII De son amour pour la pauvreté.
Tertullien raillait autrefois agréablement les païens, en leur disant que la pauvreté leur semblait une divinité plus formidable que tous leurs dieux, Apolog., puisque souvent il vendaient leurs idoles d'or et d'argent pour subvenir à leurs nécessités. Mais nous pouvons dire au contraire que les saints ont estimé que la pauvreté évangélique était une vertu si divine et si aimable, qu'ils ont vendu tous leurs biens pour l'acheter, en les donnant aux pauvres.
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En effet, c'est un trésor caché, puisque Saint Paul dit que le Fils de Dieu, qui était riche des trésors de son Père, s'est fait pauvre pour l'amour de nous, afin de nous enrichir par sa pauvreté même. Christus cum esset, Christus propter vos egenus factus est cum esset dives ut illius inopid vos divites essetis. /347/ 2. Corinth. c. 8. v. 9. C'est pourquoi ce saint apôtre, reconnaissant l'élévation, la dignité et la noblesse de la pauvreté que le Fils de Dieu fait homme a consacrée en sa personne, la traite d'altesse, et dît qu'elle abonde en toutes sortes de richesses de la simplicité de Dieu. Altissima paupertas eorum abondavit in divitias simplicitatis. 2. Corinth. 8. 2. En effet, elle est si fort élevée, au dessus de la nature des sens et de la raison même, que les mondains la perdent de vue, et n'en peuvent connaître le prix et la valeur. Il n'y a que les saints qui sachent que le Fils de Dieu l'a canonisée dès cette vie, en la faisant passer pour une des béatitudes : Beati pauperes spiritu, l'ont estimée, recherchée et préférée à toutes les richesses de la terre, persuadés que ne possédant rien en ce monde, ils posséderaient tout en l'autre. Nihil habentes et omnia possidentes, et que manquant de toutes choses, ils seraient plus en état que les riches d'assister les pauvres. Egentes et multos locupletantes. 2. Cor. c. 6. v. 10. Monsieur Grignion, appuyé sur /348/ ces grandes vérités de foi, s'était fait pauvre, avait renoncé à son patrimoine et à toutes sortes de bénéfices, et fait vœu de pauvreté. Et il insinuait à tous les ouvriers, qui le suivaient en mission, de faire la même chose, et il leur a laissé, sur cette pauvreté volontaire et évangélique, des écrits admirables, en leur prescrivant les règles convenables pour la pratiquer. Bien plus, il a formé une société de prêtres, sous le titre de la Compagnie de Marie, voulant qu'ils fussent semblables aux apôtres, à qui Notre Seigneur a dit : "Marchez sans argent et sans bourse, sans chaussure, et n'ayez jamais deux habits.» Et faisant réflexion que le même Sauveur demanda un jour à ses disciples si quelque chose leur avait manqué dans leurs missions, et qu'ils lui répondirent hardiment que non, parce que Dieu avait soin des oiseaux qui ne semaient point de blé dans les champs, et ne
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faisaient aucune récolte dans leurs greniers. Il voulait que ses missionnaires, aussi bien que lui et les apôtres, s'appuyassent uniquement sur la divine /349/ Providence, persuadé que rien ne leur manquerait des choses nécessaires à la vie.
Ainsi, la pauvreté fut toujours la vertu chérie et bien aimée de Monsieur Grignion. Son cœur était tellement détaché des biens de ce monde qu'il ne respirait que pour ceux du ciel. Et dès sa plus tendre jeunesse, il avait ressenti un si grand attrait pour cette vertu qu'il avait eu des pensées très fortes de quitter la maison paternelle, et d'aller dans un pays inconnu, afin qu'étant destitué de tous les biens de la terre, il put vivre pauvrement et mendier son pain, jusqu'à ce qu'il eut eu assez de forces pour gagner sa vie à la sueur de son front, et lui ayant demandé, dit Monsieur des Bastières, quel métier il , aurait choisi, il me répondit qu'il aurait toujours préféré le plus mécanique et le plus vil à tous les autres.
Il était encore jeune, quand il commença à s'abandonner entièrement à la divine Providence, et à mener une vie très' pauvre, qu'il a continuée jusqu'à la mort.
/350/ Il n'a jamais voulu posséder aucun bien fonds dans le monde, il a renoncé à son patrimoine, il n'a pas même voulu recevoir aucun bien ecclésiastique, car il a refusé plusieurs bénéfices considérables. Je sais, dit M. des Bastières, que Monsieur l'abbé Barrin lui avait présenté un prieuré, qu'il n'a jamais voulu accepter, disant qu'il ne changerait pas son état de pauvreté, pour tous les biens du monde.
Lorsqu'il fit son premier voyage à Paris, ses parents lui avaient fait prendre un habit neuf et de l'argent. Quand il fut un peu avancé en campagne, il se jeta à genoux, et ne pouvant supporter ce qu'on lui avait donné, il se dépouilla de son habit et le donna au premier pauvre qu'il trouva en prenant le sien,. et se laissant aller aux transports de sa ferveur, il fit vœu de ne jamais rien posséder en propre. Il
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arriva en cet équipage à Paris, où il a dit à une personne de confiance qu'il fut loger dans un petit trou d'écurie, où la Providence lui envoyait à manger, sans qu'il demanda rien à personne, /351/ jusqu'à ce qu'il fut reçu à Saint-Sulpice.
Depuis ce temps-là, il donnait tout ce qu'il possédait aux pauvres, jusqu'à se dépouiller de ses habits et de ses chemises pour les en revêtir. Une personne de qualité lui ayant un jour fait présent de deux pistoles pour ses besoins, il les donna tout aussitôt à un officier, qui lui demanda l'aumône dans une rue.
Sa mère, lui ayant fait faire une soutane neuve, il la donna à un pauvre prêtre qu'il trouva et prit la sienne. Grand nombre de personnes lui faisaient reproche de ce qu'il distribuait aux pauvres ce qu'elles lui avaient donné pour son usage. Mais, il leur disait des choses si admirables de la pauvreté qu'elles s'estimaient heureuses d'avoir contribué à sa charité, et en avaient davantage d'estime pour lui.
Dès qu'on lui avait donné des collets et du linge, il en faisait part aux missionnaires, à ses frères ou aux pauvres. Il n'avait jamais deux habits à la fois. Il n'en changeait que lorsque /352/ le sien était usé, et il n'en demandait à personne, attendant que Dieu inspirât la pensée de lui en fournir. Une demoiselle de Nantes fort charitable, voyant sa soutane toute déchirée, lui en fit une d'estame brochée, et sans couture, à peu près comme celle de N. S. que l'évangile appelle, Tunica inconsutilis. Il l'a porta avec dévotion jusqu'à ce qu'elle ne fût plus en état de lui servir, par esprit de pauvreté. Il était plus de trois mois sans changer de linge, sans pourtant être malpropre, et lorqu'on lui en présentait de blanc, il rendait le sale, sans vouloir le reprendre lorsqu'il était blanc ; ni n'ayant point de mouchoir, il se mit à genoux pour en demander à sa sœur qui lui en apporta deux. Mais, il n'en prit qu'un, disant qu'il n'en avait pas besoin de davantage. Il portait des souliers et des bas qui étaient déchirés de tous côtés et sans semelles.
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Ce dépouillement universel de toutes choses, où était parvenu M. Grignion, n'empêcha pas les ennemis du bien qu'il faisait de l'accuser /353/ très souvent d'exaction et d'avarice, disant qu'il s'appropriait toutes les restitutions déterminées et indéterminées qui se faisaient à ses missions. Et, qu'il refusait l'absolution et les sacrements à ceux qui ne voulaient pas lui donner de l'argent. Ce qui l'obligea, en sortant de Nantes, de réitérer le vœu de pauvreté qu'il avait déjà fait, et de ne plus toucher l'argent des restitutions indéterminées, le faisant mettre dans un tronc, dont MM. les curés des lieux auraient une clef et lui l'autre. Et il n'était ouvert qu'en présence de trois témoins, et l'argent à l'instant distribué au profit des pauvres, ou destiné pour la décoration ou réparation des églises. Il a fait grand nombre de cantiques sur l'excellence de la pauvreté évangélique, qui font bien voir quelle estime il en faisait.
/354/ CHAPITRE XIII De sa charité pour les pauvres.
Il est plus facile d'aimer les pauvres que d'aimer la pauvreté. Mais, il est plus glorieux aux riches, dit le Fils de Dieu, de donner aux pauvres que d'être en état de recevoir : Beatius est magis dare quam accipere. M. de Montfort a fait l'un et l'autre. Non seulement il a eu une singulière prédilection pour la pauvreté, mais sa tendresse pour les pauvres, si j'ose dire, est allée jusqu'à l'excès. Il les regardait comme un sacrement qui contenait Jésus-Christ caché sous leur extérieur rebutant. Un pauvre, disait il, est un grand mystère, il faut savoir le pénétrer : Beatus qui intelligit super egenum et pauperem, c'est à-dire, intus legit .
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Sur ces principes, non seulement M. Grignion chérissait et embrassait les pauvres comme ses enfants et ses frères, mais il les honorait et les respectait /355/ comme ses seigneurs et ses maîtres. Lorsqu'il en trouvait quelqu'un dans les rues, il les saluait, il ne leur parlait que le chapeau bas, il les baisait et leur lavait les pieds. Il les faisait mettre à sa table à sa droite, il les servait les premiers de tout ce qu'il y avait de meilleur. Il buvait souvent dans leur verre et mangeait leurs restes. Il embrassait ceux qui étaient tout. hideux et pleins d'ulcères. Il sortait de table lorsqu'il n'avait point de pauvres avec lui, et disait : "Je vais chercher le bon Jésus." Il ne se rebutait jamais de leur puanteur, ni de leur difformité, et lorsqu'ils faisaient difficulté de se mettre à table au-dessus de lui ou des autres missionnaires, de crainte de leur faire de la peine, il les encourageait à s'y placer, comme s'ils avaient été les enfants de la maison. Lorsqu'ils étaient estropiés et ne pouvaient marcher, il les chargeait sur ses épaules. Il coupait lui-même les cheveux des teigneux et en ôtait la vermine. Il en prenait un si grand soin qu'il les guérissait en peu de temps, et ce qu'il y a de surprenant, c'est que, quoiqu'il bût dans leurs tasses, qu'il mangeât /356/ de leurs restes, et qu'il les embrassât, il n'en a jamais ressenti la moindre incommodité. Et, ce qui aurait été contagieux pour un autre était pour lui quelque chose de délicieux. Aussi préférait il la compagnie des pauvres à celle des riches. Un d'entre eux étant venu le demander à l'hôpital de Poitiers, une des sœurs, craignant qu'il ne lui fût importun, le renvoya sans le lui faire parler. Monsieur de Montfort l'ayant appris l'en blâma très fort, et la mit en pénitence.
Etant tombé malade à Paris, et à La Rochelle, il se fit porter à l'hôpital parmi les pauvres, estimant que c'était trop d'honneur pour lui d'être logé à l'Hôtel-Dieu, parce qu'il n'appartenait qu'aux princes à loger dans le Louvre et dans la maison du roi.
Tous les jours que duraient ses missions, il faisait distribuer du potage à tous les pauvres qui s'y trouvaient. Il leur fournissait même des habits auxquels des personnes
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de piété travaillaient pendant le cours de la mission. Et à la fin, il établissait des dames de charité dans les paroisses, d'où il sortait /357/ pour visiter les pauvres et les malades, et les assister dans leurs besoins. Et c'est une des principales fins pour lesquelles il a institué les Filles de la Sagesse. Il faisait marcher les pauvres deux à deux dans toutes les processions, la croix levée devant eux, et le chapelet à la main. Il leur faisait le catéchisme, et leur apprenait à aimer Dieu de tout leur cœur, à le servir fidèlement, faisant un saint usage de leur pauvreté.
Etant à Montfort, son père tâcha de le retenir dans sa maison. N'ayant pas voulu y loger, il le pria au moins d'y dîner. Ce qu'il accepta, à condition qu'il ferait un repas plus grand qu'à l'ordinaire, parce qu'il avait beaucoup d'amis qu'il voulait traiter ce jour-là. Ce que son père, ayant pris à la lettre, fut fort surpris losqu'il vit son fils amener une troupe de gueux qu'il avait ramassés dans toute la paroisse. Et il fut obligé de leur donner à manger, parce qu'il lui dit que c'était là ses amis dont il lui avait parlé.
/358/ CHAPITRE XIV De son zèle pour le salut des âmes
Celui qui n'a point de zèle pour le salut des âmes, dit saint Augustin, n'a point d'amour pour Dieu, qui non zelat, non amat. M. de Montfort, ayant appris par la foi que les âmes des hommes ont; été créées à l'image de Dieu, qu'elles ont été rachetées par le sang de son Fils, et qu'il a eu une volonté sincère de les sauver toutes, et de les faire jouir de la gloire du paradis, était semblable aux anges dont saint Paul dit qu'ils sont les ministres de Dieu pour coopérer à leur salut: sunt administratorii Spiritus propter
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eos qui capiunt haereditatem salutis. Tous les voyages qu'il a entrepris, toutes les missions qu'il a faites, tous les établissements qu'il a procurés en plusieurs diocèses, en sont une preuve indubitable. Il serait allé à l'autre bout du monde pour sauver une seule âme. Son dessein était /359/ d'abord, comme nous l'avons déjà dit, d'aller dans les Indes pour prêcher l'évangile aux infidèles, si le pape Clément XI ne l'en avait point empêché. Il s'est présenté en dix ou douze diocèses pour y faire des missions, mais le démon, prévoyant le fruit qu'il y aurait fait comme partout ailleurs, avait fait répandre mille calomnies contre lui, afin qu'il n'y pût y être reçu, ce qui n'aura pas empêché que Dieu n'ait récompensé son zèle. Car quoiqu'on ait pu avancer contre lui, il est certain qu'il avait un talent admirable pour convertir les pécheurs. Et on ne saurait pas nier qu'il y ait eu un très grand nombre de gens, coupables de tous les crimes les plus abominables, même parmi les ecclésiastiques et les religieux qui avaient eu le malheur de scandaliser le public, qu'on a vu pleurer à chaudes larmes à ses pieds, et pousser des cris si violents, en se frappant la poitrine, que tous ceux qui étaient dans l'église, les entendant, en étaient touchés. Un homme de qualité, ayant assisté à plusieurs de ses sermons, s'en était moqué d'une manière très scandaleuse, et en avait fait des /360/ railleries piquantes et publiques. Peu de temps après, il tomba dangereusement malade. Il ne voulut point se confesser à d'autres qu'à Monsieur Grignion qu'il demanda, et lui fit une confession générale de toute sa vie, avec des sentiments de la plus vive douleur de ses péchés, après une réparation publique du scandale qu'il avait causé, et enfin il mourut entre ses bras.
Le seigneur d'une paroisse où il faisait mission ne voulut d'abord point assister à ses sermons. Il défendit même à ses officiers de lui aider à accommoder les procès, et à réconcilier ceux qui avaient des inimitiés dans sa paroisse. Un jour que Monsieur Grignion était en chaire, il survint un tonnerre si terrible sur l'église qu'il fit trembler tous ceux qui y étaient. Il prit son crucifix à la main, et lui fit amende honorable, en disant . "Seigneur, ne permettez-
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pas que vos foudres tombent sur ce peuple qui vous honore. Faites que les ennemis de votre gloire et ceux de la mission en soient tellement épouvantés qu'ils se convertissent." Dans l'instant, le tonnerre tomba dans une métairie appartenant /361/ au seigneur de la paroisse, proche de son château. On fut plusieurs jours sans pouvoir éteindre le feu. Le seigneur, rentrant en lui-même, vint prier Monsieur Grignion de demander à Dieu miséricorde pour lui. Il alla au lieu où était le feu. Il pria Dieu de l'éteindre et, tout aussitôt, sa prière fut exaucée, car le feu s'éteignit. Ce qui toucha si fort ce seigneur que, tous les jours, il allait avec sa femme des premiers pour entendre les sermons de la mission. Et ils attendaient, dès le grand matin, la porte de l'église à ouvrir. Il fit des charités considérables aux pauvres de la paroisse, et donna de l'argent à Monsieur de Montfort pour en faire de bonnes œuvres.
Il ne faut pas s'étonner s'il faisait tant de conversions. Car, comme nous l'avons déjà dit, il se préparait à ses sermons par faire une heure d'oraison aux pieds de son crucifix. Il faisait faire des prières de toutes parts pour la conversion des pécheurs, et il était trois ou quatre jours de la semaine sans boire de vin, pour demander à Dieu celle de quelque ivrogne. Il est souvent arrivé /362/ que des libertins venaient à ses sermons uniquement pour s'en railler et pour en rire, qui en sortaient tous changés.
J'en ai vu deux, dit une personne digne de foi, dans l'église, qui se mirent d'abord à bouffonner de ce qu'il disait. Mais, dans la suite ils furent si touchés de ses discours qu'ils pleuraient à chaudes larmes, et ils se retirèrent au coin d'un autel, pour en y répandre en abondance pendant plus d'une heure.
Si j'avais voulu, dit Monsieur des Bastières, aller à Rome avec lui, il y aurait été pour la deuxième fois et pour le même sujet. Il a fait tout ce qu'il a pu pour m'engager à faire ce voyage et pour me persuader que Dieu demandait cela de nous. "Mon cœur est pénétré de la plus vive douleur, me disait il quelquefois, quand je pense qu'un
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nombre presque infini d’âmes se damnent, faute de connaître le vrai Dieu et la religion chrétienne. Si nous avions nous-mêmes de la foi et de la charité, nous n'hésiterions pas d'un moment à partir. Que ceux-là sont heureux /363/ qui ont le bonheur de travailler à un si divin emploi. Ils font ce que fit autrefois Notre Seigneur, ce qu'ont fait à son exemple les saints apôtres, et ce que font encore aujourd'hui un grand nombre de généreux et saints missionnaires. "Ce sont mes péchés, disait-il encore en soupirant, qui me rendent indigne d'une si excellente faveur. Je ne mourrai jamais content, si je n'expire au pied d'un arbre, comme l'incomparable missionnaire du Japon, S. François Xavier."
Il est marqué dans le saint évangile que Notre Seigneur allait souvent chez les publicains, et qu'il buvait et mangeait avec eux, afin de les convertir par ce moyen. Monsieur Grignion s'est comporté de cette manière envers les pécheurs. Peu de jours après qu'il était arrivé dans une paroisse pour y faire mission, il s'informait s'il y avait des personnes scandaleuses, et où elles demeuraient. Il allait de temps en temps les voir, et les prêchait en particulier. Il les traitait avec toute la douceur imaginable. Il en a beaucoup converti par ce saint /364/ exercice. On ne saurait dire combien de fois il a exposé sa vie pour retirer des personnes abandonnées aux crimes. "Il m'a souvent conduit dans des lieux de débauches sans m'en avertir, craignant avec raison que je n'y eusse pas voulu aller si je l'avais su, dit le coadjuteur de ses missions. Quand nous entrions dans ces endroits malheureux, il se mettait d'abord à genoux au milieu de la chambre, ayant un petit crucifix à la main. Je m'y mettais aussi à son exemple, et nous disions un Ave Maria. Et après avoir baisé la terre nous nous relevions. Il les prêchait ensuite avec tant de force et d'onction que ces messieurs et leurs créatures ne savaient, que dire ni faire, tant ils étaient consternés. La plupart sortaient sans rien dire, et les créatures restaient. Il y en avait qui pleuraient amèrement, les autres étaient comme des statues immobiles. Mais, Monsieur de Montfort les faisait mettre à genoux et s'y mettait lui-même. Après
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les avoir bien prêchées, il leur faisait promettre de quitter pour toujours leur infâme commerce, et /365/ de faire des confessions générales. Plusieurs de ces créatures, et même des messieurs qui les avaient vus criminellement, nous sont venus trouver pour se confesser.
Il arriva une fois que, comme M. de Montfort disait son Ave Maria au milieu de neuf ou dix personnes de mauvaise vie, il y en eut une qui se jeta aussi à genoux pour prier Dieu. Tous les hommes sortirent, excepté un qui se jeta sur Monsieur de Montfort comme un loup ravissant sur un agneau. Il le prit aux cheveux de la main gauche, tenant en l'autre son épée nue, il lui dit en jurant exécrablement que s'il ne sortait à l'heure même, il lui passerait son épée au travers du corps. Monsieur de Montfort, sans être nullement intimidé, lui fit cette sage réponse : "Je consens, Monsieur, que vous m'ôtiez la vie et je vous pardonnerai volontiers ma mort, pourvu que vous me promettiez de vous convertir. Car, j'aime mieux mille fois le salut de votre âme que dix mille vies comme la mienne." Ces paroles furent comme un coup de foudre pour ce /366/ malheureux. Il en fut si épouvanté qu'il tremblait des pieds et des mains, de sorte qu'il eut bien de la peine à rengainer son épée, et encore plus à trouver la porte pour sortir. Nous restâmes seuls dans la chambre avec cette pauvre malheureuse qui était à genoux comme nous, et qui était plus de demie morte, aussi bien que moi. Monsieur Montfort l'amena avec nous et la mit entre les mains d'une fille très pieuse, qui l'a si bien instruite qu'elle est présentement un parfait modèle de pénitence.
Monsieur Montfort m'a raconté beaucoup d'autres aventures à peu près semblables aux précédentes. J'ai même été témoin oculaire de quelques-unes, et qui doivent suffire pour faire connaître, à ceux qui liront la vie sans prévention, qu'il est peu de personnes dont le zèle pour le salut des âmes ait égalé celui qu'il a eu pendant sa vie apostolique. Quand il ne pouvait convertir par ces remontrances quelques Pécheurs. qui étaient notés de crimes odieux et scandaleux, il offrait pour eux toutes les
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prières qu'il faisait /367/ Pendant la mission. Il jeûnait et prenait souvent des disciplines sanglantes, pour obtenir de Dieu leur conversion.
CHAPITRE XV De son humilité.
Je ne crois pas qu'on puisse porter l'humilité à un plus haut degré que Monsieur Montfort l'a fait. Ce que je vous rapporte, dit Monsieur des Bastières, prouvera clairement la vérité. Les actions les plus éclatantes d'humilité, que Notre Seigneur a faites pendant sa vie publique, sont d'avoir lavé les pieds à ses apôtres, d'avoir fréquenté les publicains, bu et mangé à leur table, d'avoir préféré la conversation des pauvres à celle des riches, et celle des ignorants à celle des docteurs, et d'avoir pris plaisir à s'entretenir avec les petits enfants, les préférant aux grandes personnes, etc. Monsieur Montfort a parfaitement imité cette sainte conduite. Je l'ai /368/ vu cent fois se mettre à genoux devant des pauvres, mendiants et autres et leur baiser les pieds, quoiqu'ils fûssent pleins d'ordures. Il se prosternait souvent devant ses frères, et il avait de si humbles sentiments de lui-même qu'il leur faisait sentir qu'il méritait qu'ils le foulassent aux pieds. Il leur ordonnait même de lui mettre les pieds sur la gorge, ce qu'ils faisaient pour lui obéir. A la fin de chaque mission, il faisait venir tous les petits enfants de la paroisse, depuis deux ans jusqu'à environ sept ans. Il se mettait au milieu de cette petite troupe d'innocents, et prêchait les plus grands. Il leur parlait comme s'il eût été lui-même un enfant. Il leur donnait ensuite à tous sa bénédiction. Il était tout à fait ingénieux à s'humilier et à se procurer des humiliations. il a toujours préféré les
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pauvres et les gens du commun aux riches et aux personnes de distinction.
On peut objecter à ce que je viens de dire que des actes d'humilité, purement extérieurs, ne font qu'un hypocrite, je l'avoue. Mais, il est aisé /369/ de prouver que Monsieur de Montfort était véritablement humble de cœur, autant qu'on en peut juger par les lumières de la raison. N'avoir point d'autre volonté que celle de Dieu et de ses supérieurs ; d'avoir de bas sentiments de soi-même ; se croire le plus grand pécheur des mortels ; aimer les humiliations ; avoir assez de courage pour les rechercher, ne sont ce pas là des marques évidentes d'une humilité profonde ? En faisant le portrait de cette vertu, j'ai fait celui de Monsieur Montfort. Car, non seulement il a fait ce que je viens de dire, mais il a encore été humble jusqu'à préférer les sentiments de ses inférieurs aux siens propres. Ses persécuteurs ne croiront jamais cet article comme beaucoup d'autres. Il est pourtant très vrai que je l'ai vu consulter ses frères beaucoup de fois sur des choses qui ne regardait à la vérité, ni la foi ni les mœurs, et il suivait leurs avis au préjudice des siens. On ne peut avoir des sentiments plus bas de soi-même qu'il en avait de sa personne. Il ne faisait jamais de bien selon lui, il /370/ croyait être le plus grand pécheur du monde. Quand il me pouvait trouver seul après la prière du soir, il se jetait à mes pieds, s'accusait des fautes qu'il croyait avoir faites, avec des paroles si touchantes qu'il aurait fallu avoir le cœur de Pharaon pour n'en être pas attendri. Après qu'il avait dit sa coulpe, il me priait de lui donner des pénitences les plus humiliantes, mais avec tant d'instances que je ne pouvais m'empêcher de me laisser fléchir à ses instantes sollicitations. Quand on lui disait qu'il avait beaucoup d'ennemis, il répondait qu'il ne connaissait d'ennemis au monde que ceux qui le flattaient ou qui parlaient à son avantage, et qu'il regardait comme ses meilleurs amis ceux qui lui procuraient, ou lui donnaient de bonnes croix à porter. Il n'était jamais plus content que lorsqu'on l'humiliait, et quand on lui disait des injures. Quelques grandes qu'elles fussent, il se mettait à genoux pour les recevoir. Il priait tous ceux qui
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demeuraient avec lui de le reprendre de ses moindres défauts, et surtout de /371/ ne lui point pardonner ses plus grièves fautes. Et il nous réitérait de temps en temps cette humble prière, et la faisait également à ses frères et aux missionnaires. Lorsque je lui donnais quelques pénitences qui l'avaient humilié, sitôt après l'avoir faite, il venait m'en remercier a genoux et me priait de lui en imposer encore de plus grandes et de plus humiliantes. Lorsque je lui en donnais de légères, loin de m'en savoir gré, il me disait que je lui étais bien cruel. Enfin il était insatiable d'humiliation.
CHAPITRE XVI De sa patience et de sa douceur.
Monsieur Montfort a possédé ces deux excellentes vertus, la patience et la douceur, dans le suprême degré. Sa plus grande joie était de souffrir. Son plus grand chagrin était de n'en avoir pas l'occasion. Je lui ai vu souffrir de très grandes maladies, /372/ dit Monsieur des Bastières, des maux inexplicables, comme des coliques, auxquelles il était fort sujet, des douleurs de côté à ne pouvoir respirer, des maux de tête à ne pouvoir ouvrir les yeux, il en endurait beaucoup d'autres très violentes avec une patience héroïque. Bien loin de s'en plaindre, il priait toujours Dieu ou chantait des cantiques. Lorsque je lui demandais comment il se portait, il me répondait que s'il pouvait se lever il se porterait bien. Il me parlait ensuite comme s'il eût été en parfaite santé, toujours rempli de joie et de contentement.
Monsieur Seignette, médecin, qui le traita pendant la grande maladie qu'il eut à La Rochelle, et qui dura environ sept semaines, m'a dit plusieurs fois que de cent hommes
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qui auraient eu le même mal que lui, il n'en serait pas échappé un seul. Il avait une grosse fièvre continue et un abcès dans une partie fort sensible. Lorsqu'on le sondait, ce qui arrivait deux fois le jour, il ne donnait aucune marque, dit Monsieur Seignette, qu'il sentit /373/ du mal. Il ne poussait pas même le moindre soupir. Bien loin de prononcer des paroles de plainte, il nous encourageait à ne le point épargner, nous assurant qu'il se souviendrait de nous dans ses prières. Il riait avec nous comme s'il eût ressenti le plus grand plaisir du monde. Lorsque la sonde touchait son mal ' il chantait le verset des cantiques, Vive Jésus, Vive sa Croix, n'est il pas bien juste qu'on l'aime," etc. Le chirurgien qui faisait cette opération et les assistants étaient surpris de sa patience, et ils ont avoué n'en avoir jamais vu une pareille.
Il ne refusait point les remèdes que les médecins lui ordonnaient, non pas qu'il y eût beaucoup de foi, mais parce qu'il y trouvait un sujet de souffrance et de mortifications. Ses maux de colique étaient quelquefois si violents qu'il s'écriait de toutes ses forces : O Crux amabilis, ô Crux desiderata. Voilà un modèle de patience admirable, mais qui n'est guère imité. Nous lisons dans la vie de Saint François de Sales qu'il était naturellement violent et vif, mais que la vertu l'avait /374/ rendu doux comme un agneau. C'est là le caractère de Monsieur Grignion. Il m'a dit, lui-même, qu'il avait beaucoup plus de peine à vaincre sa vivacité et la passion de la colère que toutes les autres ensemble, et que si Dieu l'eût destiné pour le monde, il aurait été le plus terrible homme de son siècle. Il était extraordinairement fort. Il mettait très facilement une barrique remplie sur ses genoux. Je lui ai vu porter une tombe, que deux hommes forts ne pouvaient lever de terre. Il a fait des efforts incroyables pour vaincre son impétuosité naturelle. Il en est venu à bout, et s'est acquis cette charmante vertu de douceur, si souvent préconisée par le Fils de Dieu. Il l'avait peinte sur son visage. Elle éclatait dans toutes ses conversations. Tous ceux qui lui parlaient en étaient charmés.
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A la fin de la mission de N., un des frères laïcs de Monsieur Grignion s'enfuit pendant la nuit, et lui emporta quarante écus qu'on lui avait donnés par charité, et qu'il avait destinés /375/ pour les pauvres de la paroisse. Le Frère Jean courut après lui et l'attrapa, et le ramena à Monsieur Grignion, qui le reçut avec une douceur angélique, lui fit une exhortation si touchante que le pauvre enfant, ayant avoué sa faute, la pleura amèrement et lui demanda grâce. Monsieur de Montfort la lui accorda de tout son cœur, et lui donna de l'argent pour se conduire chez lui. C'est aujourd'hui un parfait honnête homme, qui rend service au publie.
Pareille chose est arrivée à une autre mission, le même jour qu'elle finit. Un des Frères, qui était mercier, s'enfuit aussi furtivement, et emporta tout l'argent des marchandises qu'il avait vendues, et emmena le mulet. Il était déjà tard lorsque Monsieur Montfort en fut averti. Il en donna avis à l'hôte chez qui nous logions, qui monta à cheval sur le champ avec son valet, et tous deux coururent après lui, l'attrapèrent et l'amenèrent à M. Grignion. Ce pauvre criminel se jeta d'abord à ses pieds et lui demanda la vie. Cette action attendrit si fort ce saint homme /376/ qu'il le releva et l'embrassa si tendrement. Il en versa des larmes, il lui fit une morale remplie de douceur et de charité, après quoi il nous pria tous de garder un éternel silence sur tout ce qui s'était passé à son égard. Il lui laissa, avant de partir, de quoi lever une petite boutique, et le recommanda à la charité des paroissiens, qui en effet en ont eu un très grand soin.
Monsieur de Montfort était doux jusque dans le tribunal de la pénitence. Il a toujours évité ces deux funestes excès, qui ont causé autrefois, et qui causent encore aujourd'hui de si grands maux dans l’Eglise, savoir, la trop grande rigueur et le trop grand relâchement dans la morale. Il tonnait en chaire contre tous les vices, mais il était doux et ferme tout ensemble, dans le tribunal. Il avait un don singulier pour toucher les cœurs, tant au confessionnal que dans la chaire. Mais, il avait tant
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d'horreur pour la morale trop sévère, qu'il croyait que les confesseurs rigoristes faisaient cent fois plus de mal dans l'Eglise que ceux qui étaient relâchés, quoique /377/ ceux-ci en fissent beaucoup : "J'aimerais mieux, disait-il, souffrir en purgatoire pour avoir eu trop de douceur pour mes pénitents, que pour les avoir traités avec une sévérité désespérante. Car le Fils de Dieu dit que ceux qui sont chargés de crimes, et qui travaillent sous le poids de l'iniquité, doivent s'approcher de lui pour en recevoir du soulagement." Cependant, quoique Monsieur de Montfort passât pour être extrêmement sévère, les grands pécheurs s'adressaient plus à lui pour se confesser qu'à aucun autre des missionnaires.
CHAPITRE XVII De son détachement des affaires du monde et de ses parents.
Nous ne pouvons pas mieux apprendre quel a été le détachement des affaires du monde de Monsieur Montfort, que de lui-même. Voici comme il en écrit à son oncle le 6 mars /378/ 1699: "Je vous prie de dire à Madame B. que j'ai reçu son paquet de lettres pour Monseigneur l'évêque de Saint-Malo. Ces commissions différentes, mon cher oncle, je vous l'avoue, me font de la peine et me font comme revivre au monde. Plût à Dieu qu'on me laissât en repos comme les morts dans le tombeau, ou le limaçon dans sa coquille, qui y étant caché paraît quelque chose, mais en sortant il n'est qu'ordure et que vilainie. C'est ce que je suis, et même pis, puisque je ne fais que tout gâter lorsque je me mêle de quelque affaire. Je vous prie donc, au nom de Dieu, de ne vous souvenir de moi que pour prier Dieu pour moi. Non praevaleat homo, ab homine iniquo et doloso erue
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me. Je suis, en Notre Seigneur et notre bonne Mère, tout vôtre pour le temps et pour l'éternité."
Le détachement de ses parents n'était pas moins grand que celui qu'il avait pour les affaires du monde. Nous avons déjà dit qu'étant à Rennes, il fut trois jours sans aller voir son père et sa mère. Etant à faire mission à Montfort, il ne voulut pas aller loger chez eux ; et qu'étant /379/ à Dinan, il ne voulut pas se faire connaître à son frère qui était Jacobin, lorsqu'il alla dire la messe dans le couvent dont il était sacristain, pour lui demander des ornements. Mais la lettre qu'il écrivit à sa mère de Poitiers le 28 août 1704 passe de loin tout ce que nous pourrions dire sur cette matière. En voici les termes : "Préparez vous à la mort qui vous talonne par beaucoup de tribulations. Souffrez les chrétiennement, comme vous faites. Il faut souffrir et porter sa croix tous les jours, il est nécessaire. Il vous est infiniment avantageux d'être appauvrie jusqu'à l'hôpital, si c'est la volonté de notre grand Dieu, d'être méprisée jusqu'à être délaissée de tout le monde et de mourir en vivant. Quoique je ne vous écrive pas, je ne vous oublie pas dans mes prières et sacrifices. Je vous aime et honore d'autant plus parfaitement, que ni la chair ni le sang n'y ont plus de part. Ne m'embarrassez point de mes frères et sœurs ; j'ai fait pour eux ce que Dieu a demandé de moi par charité. Je n'ai pour le présent aucun bien temporel à leur faire, étant plus pauvre /380/ que tous. Je les remets avec toute la famille entre les mains de celui qui l'a créée. Qu'on me regarde comme un mort ; je le répète afin qu'on s'en souvienne : qu'on me regarde comme un homme mort. Je ne prétends rien voir ni toucher de la famille dont Jésus-Christ m'a fait naître. Je renonce à tout, hormis mon titre parce que l'Eglise me le défend. Mes biens, ma patrie, mon père et ma mère sont là-haut ; je ne reconnais plus personne selon la chair. Il est vrai que je vous ai et à mon père de grandes obligations pour m'avoir mis au monde, pour m'avoir nourri et élevé dans la crainte de Dieu et rendu une infinité de bons services : c'est de quoi je vous rends mille actions de grâces, et c'est pourquoi je prie tous les jours pour votre salut, et je le ferai pendant
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votre vie et après votre mort, mais de faire autre chose pour vous, rien et moi, c'est la même chose dans mon ancienne famille. Dans la nouvelle famille dont je suis, j'ai épousé la Sagesse et la Croix, où sont tous mes trésors temporels et éternels de la terre et des cieux, mais si grands que, si on les connaissait, /381/ Montfort ferait envie aux riches et plus puissants rois de la terre. Personne ne connaît les secrets dont je parle, ou du moins très peu de personnes. Vous les connaîtrez dans l'éternité, si vous avez le bonheur d'être sauvée, car peut-être ne le serez vous pas ; tremblez et aimez davantage. Je prie mon père, de la part de mon Père céleste, de ne point toucher la poix, car il en sera gâté, de ne point manger de la terre, car il en sera suffoqué. De ne point avaler de fumée, car il en sera étouffé. La fuite et le mépris du monde, et la dévotion à la Sainte Vierge, avec laquelle je suis tout à vous et à mon Père. Je salue votre Ange gardien et suis tout en Jésus et Marie, Signé, MONTFORT, prêtre et esclave indigne de Jésus vivant en Marie.
INVENTIONS ET MOYENS dont se servait Monsieur de Montfort pour perpétuer les fruits de ses missions.
/382/ Monsieur de Montfort avait appris de l'évangile que le Fils de Dieu envoyant ses apôtres pour faire mission par toute la terre, et convertir les pécheurs, leur recommanda entr’autres choses de faire en sorte que le fruit de leurs travaux apostoliques fût stable et permanent, ut eatis, et fructum afferatis, et fructus vester maneat. Joan. c. 15. v. 16. C'est pourquoi il se servait de toutes les industries que l'Esprit de Dieu pouvait lui suggérer, afin que les pratiques de piété, et les grandes /383/ maximes de
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la religion, qu'il avait tâché d'enseigner aux peuples durant le cours de ses missions, ne s'effacent pas sitôt de leur esprit et de leurs cœurs, et qu'ils persévérassent dans l'observation de la loi de Dieu jusqu'à leur mort.
Pour cet effet, il se servait de dix ou douze pratiques fort excellentes, dont nous allons parler.
Premier Moyen Etablissement des écoles chrétiennes.
La principale occupation de Monsieur Grignion était d'établir, dans le cours de ses missions, des écoles chrétiennes pour les garçons et pour les filles. Et il voulait que les maîtres d'école fussent habillés de noir, au moins en soutanelle, pour leur faire porter plus de respect, et les maîtresses vêtues d'une grande coiffe, qui les prit depuis la tête jusqu'aux pieds. Sa méthode pour les enseigner était de les faire ranger sur neuf bancs qui étaient en amphithéâtre /384/ les uns au-dessus des autres, afin qu'ils ne pussent pas causer ni badiner, sans que le maître s'en aperçût. Et il donnait à tous ces bancs les noms des neuf chœurs des anges. Le plus haut était celui des Séraphins, le second des Chérubins, et ainsi du reste.
Tous ceux d'un même banc avaient le même livre, et disaient la même leçon tout à la fois, parce que le premier était obligé de reprendre le second, et le second le troisième, quand il manquait, etc. Par cette méthode, souvent un maître avait cent cinquante écoliers, dont il n'était pas plus embarrassé que s'il n'en avait eu qu'une douzaine. Le maître les menait à la messe, chantant des cantiques. Un des écoliers entonnait le premier verset, les autres le suivaient. Il faisait nommer plusieurs inspecteurs qui marquaient les bons ou mauvais points de chacun, et ils les conduisaient tous dans les maisons de leurs parents. Tous ensemble disaient le chapelet de cinq dizaines, tous les jours, en l'honneur de la Sainte Vierge après la classe.
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/385/ Deuxième Moyen Confrérie des pénitents et des vierges.
Monsieur de Montfort faisait dans ses missions différentes assemblées ou confréries, l'une des pénitents blancs pour les hommes, l'autre pour les filles, qu'il appelait compagnie des vierges.
La première n'était que pour retirer les hommes des cabarets et des débauches, du jurement et de la médisance. L'autre n'avait pour but que de préserver les filles de la corruption du siècle, en les éloignant des danses, des assemblées de garçons, des veilles, et de toutes les occasions d'offenser Dieu, ordinaires à leur sexe. Et il faisait faire à celles-ci, par la permission de Monseigneur l'évêque, entre les mains de leur curé, un vœu simple de ne se point marier pendant un an, et les faisait marcher à ses processions en habit blanc, les vierges ayant un voile sur la tête. Cette pratique /386/ a paru très extraordinaire à plusieurs. Mais comme jusqu'ici on n'en a vu que de très bons effets, et que celles qui s'y sont engagées ont été très fidèles à garder les règlements que nous allons rapporter, Monsieur l'évêque de La Rochelle a donné quarante jours d'indulgences à ces sortes de pénitents et de vierges, toutes les fois qu'ils s'assembleraient.
D'ailleurs, ces confréries de pénitents sont fort ordinaires en Italie et en France, au Puy en Velay, etc.
REGLEMENT DE PENITENTS BLANCS
1°. Ils seront de bonne vie et mœurs, et diront régulièrement le rosaire.
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2°. Ils se confesseront souvent, surtout les premiers dimanches du mois, et les fêtes principales de l'année.
3°. /387/ Ils iront quatre fois l'an en procession, les pieds nus et habillés de blanc.
4°. Ils feront chaque semaine quelque mortification corporelle, suivant leurs forces, et l'avis d'un sage directeur.
5°. Ils édifieront les fidèles de l'un et l'autre sexe, par la pratique des vertus chrétiennes.
6°. Ils n'auront entr'eux aucun procès, et en cas qu'ils eussent quelques différents à régler, ils s'adresseront à des personnes prudentes et éclairées, pour terminer leurs affaires sans aller au palais.
7°. Ils n'iront que par nécessité au cabaret, pour éviter l'occasion du scandale et de la débauche.
8°. Si quelqu'un d'entr'eux meurt, ils assisteront à son enterrement, prieront et feront prier Dieu pour le repos de son âme.
9°. Ils s'assembleront souvent par l'avis de leur directeur, pour recevoir de lui les instructions qu'il jugera leur être nécessaires.
10°. Nul ne sera reçu dans la congrégation, qu'à la pluralité des voix de chaque confrère. /388/
REGLEMENT DE QUARANTE QUATRE VIERGES.
1°. Elles ne seront en nombre que quarante quatre, et quand quelqu'une par mort ou autrement viendra à manquer, monsieur le curé de la paroisse en mettra une autre en sa place, qu'il connaîtra être sage et de bonnes mœurs, et elle fera vœu pour un an de ne se point marier.
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2°. Celles que Dieu appellera au mariage consulteront leur directeur et, par son avis, après le temps de leur vœu accompli, elles mettront entre ses mains, avant leurs noces, leurs voiles et leurs bagues, dont il leur rendra le prix si elles le souhaitent, et il en sera remboursé par celles qui prendront leurs places.
3°. /389/ Elles seront plus fidèles que les filles du commun à réciter le chapelet tous les jours, et à éviter tout ce qui pourrait ternir le moins du monde leur pureté, et donner la moindre atteinte à la sainteté de leur état, tels que sont les bals et les danses, les compagnies et les assemblées des personnes de différent sexe.
4°. Elles s'assembleront quatre fois l'année à l'église, aux fêtes : de l'Annonciation de la Sainte Vierge, le dimanche dans l'octave de son Assomption, le jour de la Conception, et de la Purification. Elles communieront ensemble habillées de blanc, à la grand-messe, et après vêpres, elles porteront une figure de la très Sainte Vierge en procession, après quoi elles assisteront à une instruction que leur fera monsieur le curé ou autre prêtre dans la chapelle du rosaire.
5°. Elles obéiront simplement à leur mère maîtresse et à ses deux assistantes, et recevront leurs avis, avec respect et soumission, lorsqu'elles leur ordonneront ou défendront quelque /390/ chose pour le bon ordre de leur compagnie.
6°. Si quelqu'une, après deux avertissements charitables, continue à donner mauvais exemple, on ôtera son nom du catalogue des vierges, et on en mettra une autre plus sage en sa place.
7°. Tous les ans, le jour de l'Annonciation, elles renouvelleront leur vœu pour un an.
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Troisième Moyen Le chant des cantiques.
Le troisième moyen, dont il se servait pour faire du fruit dans ses missions, était d'y faire chanter des cantiques. Il en avait composé un volume tout entier écrit de sa main, sur différentes matières, dont voici les titres.
I°. Sur l'utilité des cantiques. 2. Contre les poètes du siècle qui s'appliquent à composer des vers obscènes, /391/ des mauvaises chansons, et des comédies. 3°. Sur l'estime qu'on doit faire et le désir qu'on doit avoir de la vertu en général. 4°. Sur l'excellence de la charité. 5°. Sur les lumières de la foi. 6°. Sur la fermeté de l'espérance. 7°. Sur l'humilité. 8°. Sur les charmes de la douceur. 9°. Sur le mérite de l'obéissance. 10°. Sur la force de la patience. 11°. Sur la beauté de la virginité. 12°. Sur la nécessité de faire pénitence. 13°. Sur la charité du prochain. 14°. Sur les splendeurs de l'oraison. 15°. Sur la puissance du jeûne. 16°. Sur le crédit de l'aumône. 17°. Sur les cris des pauvres. 18°. Sur le triomphe de la croix. 19°. Sur les trésors de la pauvreté. 20°. Sur l'ardeur du zèle. 21°. Sur les emplois d'un missionnaire. 22°. Sur la bonne odeur de la modestie. 23°. Sur la conversion des scrupuleux. 24°. Sur la sagesse du silence. 25°. Sur la fausse dévotion. 26°. Sur la pratique de la présence de Dieu.
Il fit aussi d'autres cantiques sur les devoirs de la reconnaissance, sur l'abandon à la divine Providence, sur la consolation des affligés, sur le mépris /392/ du monde, les pièges du monde tels que sont les jeux de hasard, la danse, le bal, la comédie, les spectacles, le luxe, le respect humain. Sur la dévotion au Cœur de Jésus, sur les trésors infinis de ce divin Cœur, sur les excès de son amour, les outrages qu'il a reçus, sur la réparation d'honneur qu'on doit lui faire. Ce qu'il y a d'admirable dans ses cantiques, où tout ce qu'on doit croire, ce qu'on doit faire, ce qu'on doit souffrir, et ce qu'on doit éviter, est renfermé, c'est qu'il
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donne d'abord la définition de chaque chose. Il marque les motifs qui nous engagent à pratiquer chaque vertu, il apporte les moyens qu'on doit prendre pour en venir à bout, les marques qui la font connaître, et ce qui lui est opposé. Le tout, d'un style simple et naturel, et sur des airs populaires, en sorte que rien n'est plus facile à retenir ni à chanter. Et par là, Monsieur de Montfort enseignait les petits et les grands, les riches et les pauvres, et leur donnait de quoi s'instruire et s'édifier, et l'entretenir à la ville et à la campagne, à l'église et dans les maisons particulières. Et il n'est pas /393/ concevable combien ces cantiques produisaient de bons effets dans les familles, car ils sont tous terminés par une prière faite à Dieu, pour obtenir la grâce de pratiquer la vertu, ou d'éviter le vice sur lesquels ils sont composés.
Quatrième Moyen Faire le catéchisme.
Le quatrième moyen était de faire le catéchisme d'une manière simple et familière. Il voulait que les missionnaires se fournissent du catéchisme de la mission ; que les demandes en fussent courtes, claires et faciles à retenir ; qu'on fit placer les enfants sur des bancs en amphithéâtres. Que le catéchiste s'appliquât plus à les interroger qu'à leur parler et à leur faire répéter ce qu'on leur avait expliqué dans le catéchisme précédent ; qu'on se fit aimer et craindre tout ensemble qu'on ne les frappât jamais de la main et de la gaule qu'on leur fit une exhortation d'un quart d'heure à la fin.
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/394/ Cinquième Moyen Le renouvellement des vœux du baptême.
Le cinquième moyen était de faire renouveler les vœux du baptême à tous les pénitents, avant que de leur donner l'absolution, et même de leur en faire réitérer les promesses à haute voix au milieu d'un sermon, en leur faisant lever la main pour les en faire souvenir, les avertissant qu'ils ne faisaient par là ni vœu ni aucun serment. Et que leur engagement de croire en Dieu et renoncer au démon, à ses pompes et à ses œuvres, qui sont les danses, les comédies etc. n'était pas plus grand, en donnant cette marque extérieure de leur renouvellement des dits vœux, que celui qu'ils avaient contracté à leur baptême, par la bouche de leurs parrains, et qu'ils étaient obligés de les réitérer et ratifier lorsqu'ils avaient atteint l'usage de raison. Outre cela, pour les engager /395/ à s'en mieux souvenir, il avait fait imprimer une formule de ce renouvellement des vœux du baptême, qu'il faisait signer à ceux qui savaient écrire en ces termes.
CONTRAT D'ALLIANCE AVEC DIEU VŒUX OU PROMESSES DU SAINT BAPTEME
1. Je crois fermement toutes les vérités du saint évangile de Jésus-Christ.
2. Je renonce pour jamais au démon, au monde, au péché, et à moi-même.
3. Je promets, moyennant la grâce de Dieu qui ne me manquera point, de garder fidèlement tous les commandements de Dieu et de l'Eglise, évitant le péché
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mortel et ses occasions, entr'autres les mauvaises compagnies.
4. Je me donne tout entier à Jésus-Christ /396/ par les mains de Marie, pour porter ma croix à sa suite tous les jours de ma vie.
5. Je crois que ceux qui transgresseront ces vœux sans en faire pénitence seront damnés, et que ceux qui les garderont jusqu'à la mort seront sauvés, en foi de quoi j'ai soussigné. Fait en face de l'Eglise, dans la Paroisse de
........................ : L'an 17
PRATIQUES
De ceux qui ont renouvelé les vœux de leur baptême, pour
vivre chrétiennement.
1. Je fuirai la danse, la comédie et autres spectacles, les jeux de hasard, le luxe, la vanité, la lecture des mauvais livres, et les mauvaises chansons.
2. Je n'irai jamais que par nécessité au cabaret et autres lieux dangereux.
3. J’irai à confesser tous les mois ou plus souvent, si je puis, par obéissance à un bon directeur.
4. /397/ Tous les ans, en particulier, je recommencerai les vœux de mon baptême, je réciterai le saint rosaire, j'adorerai le Saint Sacrement pendant demi-heure, et je tâcherai de communier ce jour-là.
5. Je dirai tous les jours la petite couronne de la Sainte Vierge, et cinq Pater, et cinq Ave en l'honneur du Saint Nom de Jésus ; je garderai chèrement ces résolutions jusqu'à la mort.
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Monsieur Grignion tâchait de bien convaincre ses auditeurs que les promesses du saint baptême étaient très solennelles et indispensables. Solennelles, puisqu'elles ont été faites en la présence de Dieu et des anges, à la face de l'Eglise.
Indispensables, puisqu'en certains cas les papes et les évêques peuvent dispenser des vœux les plus solennels, et que toute l'Eglise assemblée, et Jésus Christ même ne peuvent jamais dispenser des vœux du baptême. Tels que sont ceux que fait un chrétien, de croire en Dieu, de l'aimer, de renoncer au démon et à toutes ses œuvres.
Sixième Moyen /398/ L'adoration perpétuelle du Saint Sacrement.
Il établissait dans toutes les paroisses l'adoration perpétuelle du Saint Sacrement, faisant prendre à chacun de ses auditeurs une heure dans la semaine , ou dans le mois, ou dans l'année pour venir dans l'église rendre leurs adorations à Jésus-Christ sur nos autels, pour le remercier de toutes les grâces qu'ils en avaient reçues, pour lui demander toutes celles dont ils avaient besoin, pour répandre leurs cœurs en sa présence : desiderium meum ante te, et gemitus meus non est a te absconditus ; pour lui faire amende honorable de tant de profanations, d'injures et de sacrilèges qu'il y souffre de la part des hérétiques, des mauvais chrétiens, et des indignes communiants. Pour cet effet, il avait obtenu des religieuses du Saint Sacrement établies à Paris un /399/ acte d'association à toutes les adorations qu'elles rendent à Jésus-Christ au Saint Sacrement, et à toutes les indulgences que leur a accordées le Saint- Siège.
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Septième moyen La Confrérie du Rosaire
On peut dire que, depuis saint Dominique, il n'y a point eu d'homme plus zélé que Monsieur de Montfort pour l'établissement de la confrérie du saint rosaire, par tous les lieux où il ne la trouvait pas encore érigée, et pour la rétablir dans les paroisses où la négligence des pasteurs et des peuples l'avait fait abandonner. Car, non seulement, il récitait tous les jours les quinze dizaines du rosaire en son particulier, mais il le faisait réciter à haute voix aux peuples qui venaient l'entendre, ou partageant les quinze dizaines trois fois par jour. Il faisait porter à toutes les processions, à la fin de chaque /400/ mission, quinze étendards, où étaient représentés les quinze mystères, savoir: cinq joyeux, cinq douloureux, et cinq glorieux. Et il avait fait faire des images semblables où ces mystères étaient peints, qu'il expliquait dans l'église, persuadé que c'était à cette dévotion envers la Sainte Vierge qu'il était redevable de tant de grâces, et de toutes les bénédictions que Dieu répandait sur ses missions. Et ce qu'il y a de plus merveilleux, c'est que cette dévotion continue avec la même ferveur, depuis sa mort, dans les paroisses où il l'a établie. Car, comme nous l'avons déjà dit, Monsieur de La Séguinière m'a assuré que, depuis huit ans, on récite tous les dimanches le rosaire dans son église : cinq dizaines à la première messe, cinq à la grande, et les cinq autres à vêpres ; et qu'il n'y avait pas une maison dans toute sa paroisse, ni un habitant qui ne récitât tous les jours le chapelet en particulier ou en commun.
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/401/ Huitième Moyen Association des Amis de la Croix.
Monsieur Grignion, appuyé sur cette maxime de Jésus-Christ, que pour être du nombre de ses disciples, il faut renoncer à soi-même, porter sa croix tous les jours, et le suivre : tollat crucem suam quotidie, et sequatur me, tâchait d'inspirer à tous les peuples l'amour des croix, de quelque nature qu'elles fussent, temporelles ou spirituelles, telles que sont les maladies, les injures, les humiliations, les mépris, etc. Et il prêchait cette grande vérité encore plus efficacement par ses exemples que par ses paroles. Car, comme nous avons déjà dit, il recherchait les croix avec autant d'ardeur que les mondains recherchent les plaisirs. Il les recevait avec joie, les supportait avec patience et avec actions de grâce. Il remerciait même ceux qui le faisaient souffrir, et il les regardait comme /402/ ses meilleurs amis. Pour inspirer cette dévotion, si contraire au sens et à la nature corrompue, il faisait des associations de plusieurs personnes sous le titre de la croix. Il leur donnait des règlements et des pratiques approuvées des évêques. Il y en a une qui subsiste encore à La Rochelle, composée de plus de soixante personnes. Il plantait de grandes croix, à la fin de chaque mission, avec beaucoup de solennité, et en bénissait de petites brodées sur des étoffes, qu'il donnait à tous ceux qui avaient assisté à trente trois sermons de ses missions, pour les mettre sur leurs manches, afin de se souvenir des vérités qu'ils avaient entendues, dont une des principales était l'obligation qu'a un chrétien de souffrir dans tous les temps de sa vie. Il a fait plusieurs cantiques de la croix, et imprimer une lettre circulaire adressée aux Amis de la Croix, qui contient des maximes évangéliques nécessaires au salut.
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NeuvièmeMoyen /403/ L'établissement de la Compagnie de Marie, ou du Saint Esprit.
Le moyen le plus efficace, dont se servait Monsieur de Montfort pour rendre les fruits de ses missions permanentes, fut de laisser des missionnaires après lui, qui fussent comme les successeurs de son zèle, pour aller prêcher l'évangile par tout le monde, et porter le feu de l'amour de Dieu en tous lieux. Nous avons déjà vu l'esprit de détachement des biens du monde et de la plus haute perfection qu'il leur a inspirés et les règlements qu'il leur a donnés. A peine Monsieur de Montfort est il sorti de ce monde que leur compagnie s'est formée sous le nom du Saint-Esprit ou de la Compagnie de Marie. Ils sont déjà soixante ou soixante-dix prêtres assemblés, qui travaillent avec bénédiction dans les diocèses de La Rochelle, de Saintes /404/ et de Poitiers, avec l'approbation de nos seigneurs les évêques, et même du Saint-Siège.
Dixième Moyen L'établissement des Filles de la Sagesse.
Monsieur de Montfort qui a eu, pendant toute sa vie, pour but de ses travaux de combattre la fausse sagesse et les maximes du monde, commença l'institut des Filles de la Sagesse, à l'hôpital de Poitiers en l'année 1706. Et quoique les oppositions, que le monde et le démon apportèrent dès le commencement à cet établissement, dussent absolument le renverser et le détruire, ainsi que nous l'avons déjà dit, Dieu qui se plaît à se servir des choses les plus faibles pour combattre les puissances de l'enfer et qui, dès la naissance de l'Eglise, a confondu la sagesse des gens du siècle, des philosophes et des grands
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esprits, /405/ par la folie apparente de son évangile, a fait réussir l'entreprise de Monsieur de Montfort contre toute apparence. Car, il s'est insensiblement formé une maison des Filles de la Sagesse, au nombre de soixante ou soixante-dix dans le village de Saint Laurent sur Sèvre, au pied de son tombeau, dont l'emploi est de faire la petite école aux filles, et de servir les pauvres et les malades de la paroisse et des environs. Ainsi, le zèle de Monsieur de Montfort pour le salut des personnes des deux sexes est ressuscité et toujours vivant, et est devenu comme immortel après sa mort.
Onzième Moyen Cérémonies des processions générales, et de l'ordre qu'il y gardait.
Monsieur Grignion faisait sept processions par chaque mission. La première, le jour de la communion générale des femmes ; la seconde, le jour de la communion des /406/ hommes ; la troisième, le jour de la communion des enfants ; la quatrième, le jour du service des morts ; la cinquième, le jour du renouvellement des vœux du baptême ; celui-ci est général. La sixième, le jour du plantement de la croix ; la septième, le jour de la distribution des croix, et des noms de Jésus.
Voici l'ordre qu'il tenait dans , ses processions générales.
Le jour marqué pour la procession étant venu et le peuple assemblé dans l'église, Monsieur Grignion montait en chaire, et après une courte exhortation, il prescrivait l'ordre de la marche en cette manière. La croix et la bannière marchaient à la tête de la procession. Tous les enfants du catéchisme les suivaient ; les filles précédaient les garçons, toutes les autres filles et les autres garçons, toutes les femmes et les hommes veufs, marchaient ensuite. Enfin, le clergé et ceux qui avaient l'honneur de
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porter le Saint Sacrement les suivaient. /407/ Puis, la statue de la Sainte Vierge était portée, sur un brancard richement paré, par des filles qui avaient fait vœu de chasteté pour un an, habillées en blanc et ayant des voiles blancs sur la tête. Elles marchaient au milieu des rangs des vierges. On nommait ainsi les filles qui avaient fait ce vœu.
Un diacre, vêtu des ornements de son ordre, portait le saint évangile, marchant à la tête du clergé, et ayant deux flambeaux à ses côtés. Un grand nombre de pénitents marchaient entre les rangs, tous pieds nus, ayant une espèce d'aube par dessus leurs habits ordinaires, plusieurs une corde au col, d'autres une chaîne de fer. Ceux-ci avaient les mains liées, ceux-là tenaient des bouts de corde à nœuds dans la main, avec lesquels ils se frappaient rudement. J’en ai vu qui traînaient de gros morceaux de fer, attachés à leurs pieds. Ils avaient tous un linge fort clair qui leur couvrait le visage, de sorte qu'on ne pouvait les connaître. Ils marchaient avec une si grande modestie et un recueillement si édifiant que les spectateurs en étaient /408/ touchés jusques aux larmes. Chaque état avait un étendard à sa tête. Toutes sortes d'instruments précédaient le Saint Sacrement. Quatre ou cinq coureurs voltigeaient continuellement entre les rangs, pour avertir quand il fallait s'arrêter ou marcher. Deux personnes choisies conduisaient la compagnie de chaque état, et leur faisaient chanter des cantiques ou des psaumes, des hymnes, et psalmodier le chapelet. Quand la procession était trop nombreuse pour faire marcher le peuple deux à deux, on les faisait marcher quatre à quatre. Il.y en avait plus d'un quart de lieues de loin. La marche était toujours de trois pas de distance, l'ordre en était tout à fait régulier ; la piété, la dévotion et la modestie y régnaient universellement. On n'admettait personne dans cette procession qu'elle n'eût un chapelet, une croix et un contrat d'alliance à la main. Tous ceux qui n'étaient pas munis de ces marques de piété et qui n'avaient pas fait leur mission, c'est à-dire, qui ne s'étaient pas confessés, ou qui n'étaient pas /409/ de la paroisse, marchaient confusément et sans aucun ordre après le S. Sacrement. Quand on était
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arrivé au reposoir, le diacre chantait l'évangile du jour, et le clergé une des hymnes du Saint Sacrement, et l'officiant ayant dit l'oraison, Monsieur Grignion prêchait. Ensuite, on continuait la marche de la procession comme auparavant, excepté que le diacre marchait alors immédiatement après la croix et la bannière, et étant arrivé à la grande porte de l'église, il s'asseoit dans un fauteuil, tenant le S. Evangile ouvert sur ses genoux. Et tous ceux qui avaient marché en procession, et non les autres, avant d'entrer dans l'église, se mettaient à genoux, le baisaient, en disant:
Je crois fermement toutes les vérités du S. Evangile de Jésus-Christ.
Ils entraient ensuite dans l'église et, passant par devant les fonts baptismaux, un prêtre leur faisait prononcer les vœux de leur baptême, en leur faisant baiser les fonts, et dire ces paroles :
Je renouvelle, de tout mon cœur, les /410/ vœux de mon baptême, et renonce pour jamais au démon, au monde et à moi-même.
Ce renouvellement étant fait, ils allaient à un autel Où était Monsieur Grignion, qui tenait entre ses mains une petite statue de la Sainte Vierge qu'il portait toujours sur lui, de laquelle il leur faisait baiser les pieds et prononcer ces paroles :
Je me donne tout entier à Jésus-Christ par les mains de Marie, pour porter ma croix à sa suite tous les jours de ma vie.
Ces cérémonies étant achevées et les prêtres les ayant aussi faites à leur tour, ils allaient aux fonts et entonnaient le grand Credo que tout le peuple chantait, cependant que M. Grignion montait en chaire. Il n'avait pas plutôt achevé de le chanter qu'il commençait son sermon. Vers la fin de son discours, il faisait quelques interrogations au diacre, qui tenait le S. Evangile entre ses mains. Il lui demandait, par exemple, si on pouvait se sauver dans toutes les religions ; quelle était la meilleure, si la /411/ catholique
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était seule dans laquelle on pouvait se sauver ; s'il suffisait de faire une profession extérieure de la religion catholique pour être sauvé ? etc. Le diacre, ayant répondu à toutes ces questions, Monsieur Grignion lui demandait quelle était la règle que tout chrétien devait nécessairement observer pour mériter le bonheur éternel. Le diacre répondait en faisant voir le livre de l'Evangile au peuple : "Voilà la règle, disait-¬il, de tous les chrétiens. Quiconque n'en observera pas tous les préceptes et ceux de l'Eglise n'entrera jamais dans le Royaume des Cieux." Après quelques autres paroles, il portait le livre d'Evangile au prédicateur, qui le prenait à genoux et, l'ayant pris sur sa poitrine après s'être relevé, il prêchait si patiemment que tous ses auditeurs fondaient en larmes.
Après ses sermons, il bénissait tous les rosaires, chapelets, croix et images du peuple. On donnait ensuite la bénédiction du Saint Sacrement. Ainsi se terminaient toutes les cérémonies des processions générales que /412/ faisait Monsieur Grignion, à la fin de toutes ses missions.
Voici la manière dont il se servait pour faire marcher le peuple, dans un ordre très beau et très régulier. Etant en chaire et après avoir fait son sermon, il appelait toutes les petites filles du catéchisme, et leur ordonnait de prendre chacune une compagne et de passer toutes, deux à deux, par devant la chaire, et de suivre la croix et la bannière. Il commandait ensuite aux petits garçons et à tous les autres selon leur rang et leur état, de faire la même chose. Le tout était exécuté sur le champ, sans trouble ni dérèglement, et il faisait lui seul, sans remuer de sa place, ce que douze personnes auraient eu de la peine de faire, en se donnant beaucoup de mouvement.
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PREUVES
/413/ De l'établissement des vierges consacrées à Dieu d'une manière spéciale, sans être renfermées dans un monastère. Tiré de l'histoire ecclésiastique de Monsieur Fleury. Tom. V à commencer depuis 395 jusqu'en 429.
a Il est rapporté que Théodore, évêque arien de la ville Oxyringue en la Basse Thébaïde, persécuta, comme avaient fait les autres évêques ariens, les vierges catholiques qui étaient au nombre de 20.000, en cette ville, et pour montrer évidemment qu'il n'entend pas parler des religieuses cloîtrées, il s'en explique ainsi clairement.
b La vie de celles qui étaient cloîtrées est marquée en ces termes. Elles ne buvaient point de vin, /414/ ne mangeaient point de fruits, et jeûnaient souvent deux ou trois fois la semaine. Elles étaient vêtues d'un cilice qui les couvrait depuis la tête jusqu'aux pieds ; n'usaient point de bain. Elles gardaient une clôture exacte. Elles avaient cependant 60 jeunes vierges qui sortaient le dimanche, pour aller à l'église, recevoir la communion ; et pour faire voir que ces 60 jeunes vierges n'étaient pas seulement pensionnaires, c'est qu'il y en avait de ce nombre qui ne sortaient jamais, quoiqu'elles le pûssent faire, et mouraient en la communauté.
a Il y avait à Vérone une vierge, nommée Iudicia, que Zénon, évêque de cette ville, avait consacrée à Dieu. Elle avait demeuré à Rome avec Sainte Marcelline, dans la maison de Saint Ambroise, et avait toujours donné une grande opinion de sa vertu. Etant revenue à Rome, elle demeura chez sa sœur, mariée à un nommé Maxime, vivant toujours si retirée que quelques-uns furent choqués
a Page 25. ligne 8. Tom. 4.
b Page 26. dernière ligne, et page 27. première ligne.
a Page 41, ligne 26.
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de ce /415/ qu'elle ne rendait pas visite à leurs femmes. Elle fut calomniée, mais Saint Ambroise entreprit sa défense et la justifia, étant aidé de Sainte Marcelline sa sœur, et de la vierge Paterna, avec laquelle elle avait toujours été à Milan pendant le procès. Voilà donc une vierge consacrée à Dieu par un évêque, et vivant cependant dans le siècle. Il est à remarquer que ces vierges portaient des voiles en certains jours, comme il se verra ci-après.
b Au troisième Concile de Carthage, auquel Saint Augustin assista avec 44 autres évêques, sous l'évêque Aurélius, et presqu'en tous les autres qui s'assemblèrent du temps de Saint Augustin comme on le verra dans la suite, on fit des règlements pour les vierges. Car il est ordonné en celui-ci parmi les points de discipline, Canon 4. que les vierges ne seront consacrées qu'à l'âge de 25 ans ; ce qui s'entend de celles qui s'étaient vouées pour toute la vie, puisqu'on en a vu (ci-dessus, page 41 ) prendre /416/ le voile à 7 ans. Et le Canon 33 ordonne que celles qui auront perdu leurs parents seront mises, par le soin de l'évêque, dans un monastère de vierges, ou en compagnie de quelques femmes vertueuses. On voit ici clairement deux sortes de vierges consacrées à Dieu : les unes vivant en communauté, les autres dans des maisons particulières. Et c'est la réflexion que fait, mot pour mot, Monsieur l'abbé Fleury en son histoire ecclésiastique au lieu cité à la marge.
c Grégoire de Tours rapporte qu'à l'enterrement de Saint Martin, il s'assembla une grande troupe de vierges qui fondaient en larmes avec le peuple, quoique personne ne doutât de la gloire du saint évêque.
a Lucius Canitacius, ami d'Acase, évêque donatiste, traita indignement les vierges assemblées par l'ordre de
b An 397. page 62
c An 400. page 114. dernière ligne.
a An 400. page 114. dernière ligne.
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Saint Jean Chrysostome en l'église, avec tout le peuple, la nuit de la veille de Pâques. Les mêmes violences furent exercées le lendemain /417/ sur les clercs, les laïques et les vierges assemblées avec eux. On arracha les pendants d'oreilles aux dames et les oreilles mêmes, et aux vierges leurs voiles dont elles étaient voilées, quoique non cloîtrées. Et ces violences furent commises par des hérétiques, en haine de S. Jean Chrysostome, parce que ce peuple et ces vierges étaient de sa communion, et ses ennemis étaient de la communion de Donat, et par conséquent hérétiques donatistes.
b Sainte Nicarete se retira aussi de Constantinople en cette occasion. C'était une vierge d'une des plus illustres familles de Nicomédie, qui pratiqua toutes les vertus, particulièrement l'humilité, quoiqu'avec un grand courage. En sorte qu'elle ne se plaignît point de ses grands biens qui lui furent ôtés injustement. Et, par son économie, le peu qu'on lui laissa lui suffit pour vivre avec les siens jusques en la vieillesse, et donner encore libéralement. Elle préparait toutes sortes de remèdes pour les pauvres ; guérissait ceux que les médecins /418/ n'avaient pu soulager, et faisait des cures qui paraissaient miraculeuses. Elle avait grand soin de se cacher. Jamais elle ne voulut être élevée au rang des diaconesses, quelque instance que lui en fit Saint Jean Chrysostome, ni prendre la conduite des vierges ecclésiastiques, c'est à dire, de celles qui n'étaient point enfermées dans des monastères, mais logées chez leurs parents, et dont l'Eglise avait le catalogue. La mémoire de Sainte Nicarete est célébrée le 27 décembre. Voyez le martyrologe. romain.
c Il est marqué que les vierges et les moines vinrent par troupes au devant de Saint Jean Chrysostome entrant dans la Capadoce, pleurant et disant : "Il eût mieux valu que le soleil eût retiré ses rayons, que de voir la bouche de
b An 404. p. 206. ligne 13
c An 404. p. 208. Ci-dessus encore marqué page 200. et p. 203.
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Jean dans le silence." On peut voir, page 200, quels furent les adieux de Saint Jean Chrysostome aux vierges de Constantinople, et en personne à Sainte Olympiade. /419/
a Saint Innocent pape, premier du nom, dans la lettre qu'il écrivit à saint Victrice, évêque de Rouen, marque la pénitence d'une vierge voilée, qui se maria au préjudice de son vœu. Le même Saint Victrice avait établi partout des monastères, des vierges et des veuves. Il est à remarquer que l'auteur ne dit pas des monastères de vierges et de veuves, mais seulement des monastères et après, des vierges, et des veuves, c'est à dire, des sociétés de vierges, et d'autres veuves distinguées des monastères. b C'est ce que signifie la particule qui est après le mot de monastère.
c Saint Jérôme, en ses écrits contre Vigilence, exhorte à garder la virginité, et soutient la profession monastique, en disant qu'on ne doit point craindre que le monde périsse. Quoiqu'il y ait des vierges, on peut juger de l'estime que Saint Jean Chrysostome faisait de ces vierges
d par les lettres qu'il leur écrit, et surtout par celle qu'il écrit à Sainte Olympiade et à Italique. Il marque même /420/ à cette dernière, pour la remercier, comme il avait fait à Sainte Démétriade, de la part qu'elles avaient prises en sa persécution et à le soutenir à Rome auprès du pape, et en son exil, par leurs libéralités, e que les femmes peuvent prendre part, aussi bien que les hommes, aux combats pour la cause de Dieu et de son Eglise.
f Saint Jérôme se plaint des insultes faites aux vierges de Toulouse, et la vierge Eutropie fut tuée à la porte
a An 404. p. 227.
b p. 228.
c An 405. p. 2. 56.
e Encore ci-dessus p. 92.
f An 408. p. 175. en 410. p. 285.
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de l'église. On en fait mémoire le 14 décembre au martyrologe Rom. L'histoire rapporte que la même chose arriva à Rome aux vierges consacrées à Dieu, et pour prouver que ce n'était pas des vierges cloîtrées, il est fait mention d'une vierge qui possédait de grands biens en sa maison. Elle y fut attaquée par un officier, lequel fut si touché du désintéressement de cette vierge, que non seulement il ne prit rien de toutes les richesses qu'il lui avait demandées, et qu'elle avait chez elle, mais il la /421/ fit conduire par une escorte en sa maison, crainte qu'elle ne fût insultée par des soldats. a La même année, Pulchérie, Arcadie et Maxime, vierges, et qui demeuraient vierges consacrées à Dieu dans le palais de Théodose le jeune, leur frère, prirent aussi soin de l'empereur leur frère, et Pulchérie gouverna l'Etat en sa minorité.
b Les païens même se plaignirent des insultes faites aux vierges des chrétiens qui, disaient ils, n'avaient pas même été épargnées, non plus que les leurs, tant cette profession était en honneur, même parmi les païens qui leur érigeaient des temples, et les appelaient des déesses vestales.
c Saint Augustin, au premier livre de la Cité de Dieu, chap. 17, relève les vierges chrétiennes, et fait voir que leur courage et leur sagesse est au dessus de Caton et de Lucrèce, si vantés par les Romains.
d Saint Augustin, affligé de la mort /422/ de Marcellin, reçut une grande consolation par la consécration de la vierge Démétriade, fille d'Olybrius, consul, en 395. Elle se sauva après la prise de Rome, avec sa mère Julienne et Proba son aïeule paternelle. Elles
a Page 280.
b an 412. p. 366.
c p. 368.
d an 413. p. 378.
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avaient résolu de la marier en Afrique, quoiqu'elles eussent mieux aimé lui voir embrasser la virginité, mais elles n'osaient attendre d'elle une si grande perfection. Cependant, Démétriade prit cette sainte résolution au milieu de quantité de filles qui la servaient, au milieu des délices d'une si grande maison. Elle commença à pratiquer les jeûnes, à pratiquer des habits pauvres et rudes, et à coucher sur la terre, couverte seulement d'un cilice. Elle le faisait en secret, il n'y avait que quelques vierges domestiques de la maison qui le savaient. Enfin, le jour des noces étant venu, elle se déroba de la chambre nuptiale, et elle se jeta à genoux aux pieds de son père et de sa mère, les priant de souffrir qu'elle fût consacrée vierge. Elles y consentirent avec joie. Plusieurs de ses amies et de ses esclaves suivirent /423/ son exemple, et se consacrèrent à Dieu. Proba et Julienne ne diminuèrent rien de la dot de leur fille, et donnèrent aux pauvres tout ce qu'elles avaient destiné à leur époux. Elle reçut le voile de la main de l'évêque. Saint Augustin en eut une joie d'autant plus grande que ces exhortations n'y avaient pas peu contribué. Saint Jérôme lui en marqua aussi sa joie, et lui écrivit pour lui faire un règlement de vie.
a Il s'assembla un Concile à Carthage, de plus de 200 évêques, qui permet en certains cas de voiler les vierges avant 25 ans. Pour preuve que ces vierges n'étaient pas cloîtrées, c'est que, la même année, b les reliques de Saint Etienne ayant été apportées à Neace, dont Evode était évêque, les vierges, comme tout le peuple, s'assemblèrent pour rendre leurs respects dans la cathédrale à ces reliques. Et comme ils en parlaient un jour, une vierge consacrée qui se trouva présente dit en elle-même : "Hé ! qui sait si ce sont véritablement les reliques /424/ du saint martyr ?» La nuit suivante, elle eut un songe qui fut vérifié par l'événement, aussi bien qu'un autre semblable d'une
a An. 418. p. 463.
b p. 485.
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autre vierge, et il se fit quantité de miracles, c rapportés par Saint Augustin qui était ami d'Evode. Il est fait mention d'un, à l'occasion d'une religieuse, ce mot est remarquable, pour faire voir la distinction d'une vierge cloîtrée à une non cloîtrée, et qui vit dans le monde comme on l'a fait voir ci dessus.
d L'empereur Honorius, le 8 mai 420, fit une loi qui condamne au bannissement, avec confiscation de biens, les ravisseurs des vierges consacrées à Dieu. Cela s'entend aussi de celles qui vivent dans le monde qui étaient plus exposées. Car, s'il avait voulu parler de celles qui sont cloîtrées, il aurait dit comme ci-dessus des religieuses, quoique cette loi pût regarder les unes comme les autres.
e Pulchérie, sœur de Théodose ' dont il est parlé ci¬-dessus, voua à Dieu sa /425/ virginité, quoiqu'elle n'eût pas encore 15 ans. Elle persuada à ses deux sœurs d'en faire de même. Pour témoignage publie de son vœu, elle offrit, dans l'église de Constantinople, une table d'autel d'or, ornée de pierreries, avec une inscription qui marquait le sujet de cette offrande, et elle demeura dans le palais impérial, gouvernant avec Théodose, qui de ce jour l'associa à l'empire. Enfin toute l'histoire des premiers siècles, fait mention des vierges consacrées à Dieu, et voilées quoique non cloîtrées.
a En l'an 439, page 232, le concile de Riez permet à un évêque ordonné sans titre de consacrer des vierges, dans une église qu'on lui donne et dont il avait le gouvernement comme corévêque. Et, page 245, un canon du dit concile de Riez porte que les filles, qui après avoir pris l'habit de vierges se sont mariées, quoiqu'elles n'eussent pas été
C Page 490.
d An 4 10. p. 511.
e An. 42 1. p. 542.
a An 439.
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consacrées, ne laissent pas d'être coupables. Sur quoi l'auteur dit positivement qu'il /426/ y avait, en ce temps-là, deux sortes de vierges : les unes engagées par un vœu solennel dans un monastère, et les autres engagées par un vœu simple, demeurant chez leurs parents. Et Saint Léon, pape, règla l'âge auquel on devait les recevoir, et il dit que la consécration de ces dernières se devait faire par l'évêque, un jour de fête solennelle. Ce que S. Germain d'Auxerre avait fait auparavant, à Paris, à Sainte Geneviève qui, quoique consacrée vierge, resta chez ses parents, fut même un jour maltraitée par sa mère, qui ne goûtait pas les dévotions de sa fille. Sa mère lui ayant donné un soufflet, sa main demeura sèche et sans mouvement. Mais, elle fut guérie par les prières de sa fille. Enfin, rien n'est si positif pour faire voir qu'il y a eu autrefois des vierges voilées, et distinguées par un habit particulier et consacrées à Dieu, qui pouvaient cependant se marier après leur vœu accompli ; peut-être par dispense obtenue pour le bien de l'Etat, ainsi que l'histoire de sainte Pulchérie, citée ci¬-dessus nous l'apprend. Cette vierge /427/ déjà associée à l'empire de Théodose son frère, après la mort de Théodose en l'an 450, étant empereur Marcien, natif d'Illirie et grand capitaine, l'empereur Martinien qui commandait en Occident agréa cette élection, après laquelle Sainte Pulchérie épousa Marcien, empereur, pour lui donner plus d'autorité et pour régner avec lui, mais à condition de demeurer vierge. Aussi, avait elle cinquante et un an, et lui-même était aussi avancé en âge. Il avait eu une fille nommée Euphémie d'un premier mariage. Il fut zélé pour les catholiques et libéral envers les pauvres.
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GUERISONS EXTRAORDINAIRES Faites par l'intercession de Monsieur de Montfort.
/428/ Voici les noms des personnes qui ont déposé, le vingt cinq novembre mil sept cents dix-huit, par devant Perronet et Sigonière, notaires royaux à Poitiers.
Dame Hilaire Nicolas, veuve de messire Olivier Guilbaut, sieur de La Faverie, docteur en médecine de la Faculté de Poitiers, âgée de cinquante six ans, a déposé avoir appris, d'une des demoiselles suivantes de Madame de Montespan, que le dit Sieur Grignion, ayant un jour dit la sainte messe dans la chapelle de la dite dame de Montespan, il entra dans la sacristie pour y faire son action de grâces, qu'en sortant il aperçut un homme aveugle, et lui demanda /429/ s'il voulait être guéri. Que cet homme lui
ayant dit que oui, Monsieur de Montfort prit de sa salive avec un de ses doigts, lui en frotta les yeux. Qu'au même instant, l'aveugle recouvra la vue et s'écria qu'il voyait très bien.
Marie-Louise Leigné, âgée de vingt six ans, a déposé que sa sœur, ayant une grosse fièvre depuis deux mois, qui l'avait obligée de garder le lit pendant six semaines, avec des redoublements et des agitations étranges, ayant éprouvé en vain toutes sortes de remèdes pour la guérir, on lui conseilla de mettre dans de l'eau une dent de Monsieur Grignion, qu'elle avait. Ce qu'elle fit, et en ayant fait boire à sa sœur, elle fut guérie sur le champ. Qu'elle même, Louise Leigné, avait une grosse tumeur sur un genou depuis deux mois, qui l'incommodait beaucoup ; qu'elle appliqua dessus un morceau de fer d'une des disciplines de Monsieur de Montfort, et que la tumeur fut dissipée en peu de jours.
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Antoinette de Bège, femme âgée de quarante ans, a déposé qu'ayant une fille âgée de trois ans, qui ne buvait ni ne mangeait, qui avait les jambes /430/ et les cuisses comme mortes, et ne marchait point depuis deux mois, ayant de plus une si grande oppression de poitrine qu'elle ne pouvait respirer, s'avisa de mettre sur sa fille un soulier qui avait servi à Monsieur de Montfort, et qu'elle fut guérie sur le champ de tous ses maux.
Demoiselle Marie Montois fille âgée de vingt et un an, demeurant à Poitiers paroisse de Saint Michel, a déposé qu'ayant depuis plus de deux ans une loupe sur la main, qui l'incommodait beaucoup, elle fut inspirée d'aller faire une neuvaine au tombeau de Monsieur de Montfort à Saint¬Laurent sur Sèvre, et d'y dire cinq Pater et cinq Ave. Ce que n'ayant pu accomplir sitôt qu'elle l'aurait souhaité, elle fit dire une messe dans l'église de Saint Jean, pour remercier Dieu des grâces qu'il avait faites à Monsieur de Montfort, et demander sa guérison par son intercession, et qu'au bout de neuf jours, elle se trouva entièrement guérie, et sa loupe dissipée.
André Launay, postillon de Madame de Bouillé, demeurant ordinairement au château de La Machefolière, a déposé /431/ qu'il a une parfaite connaissance que Jeanne Launay, de la paroisse de La Renaudière en Mou, ayant un fils en langueur depuis sept ans, avec une fièvre continue et d'une maigreur extrême, ne profitant point, fut parfaitement guéri, lorsque sa mère lui eut fait boire de l'eau où avait trempé un morceau du cercueil de Monsieur de Montfort. Que le même remède avait rendu la santé à grand nombre de personnes tourmentées de fièvres malignes et pestilentielles de coliques, de dartres vives, d'hydropisie, de léthargie et de cataractes sur les yeux. Et, entr'autres au nommé Ouvrard de la dite paroisse de La Renaudière, malade depuis six mois, abandonné des médecins, ayant reçu les derniers sacrements, lequel ayant appris les merveilleux effets de cette eau, en demanda à boire, et fut tout à l'instant guéri. Aussi bien que le nommé Bretonis demeurant à La Grolière, paroisse de Roussay,
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qui s'était grièvement blessé en se donnant un grand coup de hache à un bras, en coupant une branche d'arbre, fut guéri en très peu de jours sans suppuration, ayant appliqué /4321 de cette eau sur la plaie de son bras.
A de plus déposé que la nommée Anne Ripoche, qui depuis quatre ou cinq mois avait perdu l'esprit, courait les rues, était à tous moments prête à se noyer en se jetant dans l'eau, faisait de plus des jurements exécrables, ses parents ayant fait dire tine messe pour les âmes du purgatoire, elle en fut beaucoup soulagée, et parfaitement guérie lorsqu'ils l'eurent menée au tombeau de Monsieur de Montfort.
Le nommé André de Launay dépose qu'ayant reçu un coup de pied de cheval, qui lui fit presque sortir un œil de la tête, auquel survint une grosse fluxion, un crachement de sang, désespéré des chirurgiens, fut entièrement guéri par l'application de la même eau sur son mal.
René Pyroanet, journalier, a déposé à Poitiers, le 28 novembre 1718, qu'ayant les écrouelles sous la gorge depuis huit ans, avec ouverture et suppuration, sans avoir jamais pu trouver aucun remède qui put le guérir, sa femme nommée Adrienne Lamy alla au tombeau de Monsieur Grignion à Saint Laurent sur Sèvre, à vingt cinq /433/ lieues de Poitiers. On lui donna un petit morceau du cercueil de Monsieur Grignion qui avait depuis peu été levé de terre, et étant de retour en sa maison, elle l'appliqua sur le mal de son mari, qui en fut parfaitement guéri, le neuvième jour.
La dite Adrienne Lanly a déposé ce fait avec son mari et a dit de plus que plusieurs de ses voisins, attaqués de différentes maladies, ayant appris qu'elle allait à Saint¬-Laurent, lui donnèrent des linges pour faire toucher au tombeau de Monsieur de Montfort, et que les leur ayant rendu à son retour, ils en avaient tous reçu une guérison entière, par l'application qu'ils avaient faite de ces linges sur leurs maux,
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Charles Guillar, maître chirurgien, demeurant à Poitiers, paroisse de Saint Etienne, âgé de cinquante ans, a donné son certificat et déposé devant les notaires ci-après nommés, avec serment, qu'ayant été appelé pour traiter et médicamenter Jeanne Alleaume, fille âgée de quatre ans et demi, attaquée d'une fluxion considérable sur les yeux, /434/ qui lui avait ôté l'usage de la vue, ayant les yeux tous couverts, tous ses remèdes furent inutiles, même un cautère qu'il lui appliqua. Que depuis ce temps-là, il l'a vu guérie ; qu'en ayant demandé la cause, on l'avait assuré que ses parents l'avaient menée au tombeau de Monsieur de Montfort, et qu'elle y avait recouvré la vue. Qu'il a une parfaite connaissance de la vie merveilleuse que ce serviteur de Dieu avait menée à Poitiers, ayant assisté plusieurs fois à ses sermons, dont il a été charmé et tout-à-¬fait touché.
Louise Ouvrard, femme de François Alenneau, marchand, demeurant à Poitiers paroisse de Saint Etienne, âgée de trente cinq ans, a déposé que Jeanne Alonneau, sa nièce étant devenue aveugle, qu'après avoir fait faire tous les remèdes dont tous les médecins et chirurgiens purent s'aviser suivant les règles de leur art, et n'ayant pu lui procurer aucun soulagement, elle invoqua enfin Monsieur de Montfort, et appliqua pendant neuf jours sur les yeux de sa nièce un morceau d'un des souliers de Monsieur de Montfort, qu'elle conservait, /435/ au bout desquels elle fut entièrement guérie et recouvra la vue. Qu'elle alla même ensuite au tombeau de Monsieur Grignion à Saint Laurent sur Sèvre, pour le remercier de cette grâce ; qu'à son retour, il lui prit une fausse pleurésie dont elle pensa mourir. Mais, qu'ayant imploré l'intercession de ce fervent missionnaire, elle se mit sur l'estomac un mouchoir qu'elle avait fait toucher à son tombeau, qu'elle y avait mené sa nièce, et qu'elle en fut aussitôt guérie.
Nous n'aurions jamais fait si nous voulions rapporter en détail toutes les autres guérisons miraculeuses, qui se sont faites par l'intercession de
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Monsieur Grignioin, avant et après sa mort. Nous en avons, entre les mains, une copie signée de deux notaires, qui a été tirée sur l'original, dont les minutes sont restées entre les mains des sieurs Perronet et Sigonière, notaires royaux et apostoliques, demeurant à Poitiers, en date des 20, 25, 28 et 30 novembre 17 18 et il n'y manque, comme nous avons déjà dit, que l'autorité de nos seigneurs les évêques pour les rendre authentiques.
/436/ Et tous les jours, on parle de nouvelles merveilles opérées à son tombeau, où deux prêtres dignes de foi m'ont assuré qu'ils y avaient vu, pour un matin, des personnes infirmes venues de cinq diocèses.
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ATTESTATIONS DE MES SEIGNEURS
les évêques de Nantes, de La Rochelle et de Poitiers, et de plusieurs autres personnes qui ont écrit en faveur de Monsieur Grignion, pendant sa vie et après sa mort, pour servir de preuves des faits contenus dans sa vie.
Attestation de Monseigneur l'évêque de Nantes.
Aegidius de Beauveau, Dei et sanctae Sedis Apostolicae gratiâ Episcopus Nannetensis, Regi ab omnibus Consiliis, etc. Notum facimus universis atque testamur Magistrum, /437/ Ludovicum Mariam Grignion de Montfort, Macloviensis Dioecesis Presbyterum, perbiennium diversis in Parochiis nostrae Dioecesis de nostrâ licentiâ munia Evangelii praeconis piè et laudabiliter gessisse, ipsumque bonis vitâ et moribus, ac sanâ doctrinâ, nec non pietate et modestiâ maximè commendabilem fuisse, nullisque censuris Ecclesiasticis saltem nobis cognitis impeditum. In quorum omnium fidem praesentes testimoniales litteras concessimus et tradidimus. Nannetis in Palatio nostro Episcopali, sub signo sigilloque nostris et Secretarii nostri ordinarii infrà scripti chyrographo, die decimâ mensis Maii, anno Domini millesimo septingentesimo decimo tertio. Signatum AEG. Episcopus Nannetensis. Et infrà de Mandato Illustrissimi et Reverendissimi DD. Episcopi Nannetensis. Signatum BRULE, Presbyter Canonicus Secretarius.
Attestation de Monseigneur l'évêque de La Rochelle
Stephanus, Providentiâ Divinâ, et autoritate santae Sedis Apostolicae /438/ Episcopus Rupellensis. Notum facimus et attestamur Magistrorum Grignion de Montfort, Presbyterum multis Missionibus in nostrâ Dioecesi, cum zelo pietate, fructu et aedificatione operam dedisse et etiam nunc dare, eumque esse pium ac probum, vita commendabilem, sanamque sectari Doctrinam. Datum Rupellae die decimâ Martii anni Millesimi septingentesimi
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decimi sexti. Signatum, Stephanus Episc. Rupellensis et infra de Mandato Illustrissimi ac Reverendissimi DD. Epise. Rupellensis. Signatum ROULLEAU.
Copie d’une lettre de Monseigneur l'évêque de La Rochelle
qui répond à quatre questions très importantes que lui avait
faites Monsieur Mulot après la mort de Monsieur de
Montfort, et qui regardait les pratiques de ce défunt
missionnaire.
Je ne vois pas, Monsieur, assez de fondement pour approuver et autoriser les indulgences attachées aux chapelets bénis par les prieurs des PP. /439/ Brigitins ; la copie que vous m'en avez envoyée avec la lettre, que ce Brigitin écrivait à feu Monsieur de Montfort, ne suffisant pas pour cela. Je ne vois pas non plus assez de fondement pour les condamner tout à fait.
A l'égard de la confrérie de l'esclavage, ce qui a fait que plusieurs ont parlé contre, c'est qu'on ne doit pas être esclave d'une créature. Mais, ce n'est pas là le sens de cette confrérie. Il faut faire entendre, à ceux qui s'y mettent, que c'est la confrérie de l'esclavage de notre Seigneur, dans la Sainte Vierge, et non pas, simplement l'esclavage de la Sainte Vierge. En l'expliquant ainsi, la confrérie est très bonne, et vous pouvez bénir les petites chaînettes que feu Monsieur de Montfort bénissait.
On a tort de me faire parler. Je n'ai jamais désapprouvé le vœu de chasteté que Monsieur de Montfort faisait faire pour un temps limité, au contraire, je les regardais comme une bonne pratique. Il ne faut pas être surpris de tous les mauvais discours qu'on pourra tenir de ce pauvre défunt. Il a eu /440/ pendant sa vie assez de traverses et de contradictions, pour qu'après sa mort, on continue à le calomnier. Mais je le crois toujours un grand saint devant Dieu, et partout où il a fait des missions, on lui donne des marques de reconnaissance, d'estime et d'attachement, par tous les services et les prières qu'on
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faisait pour le repos de son âme. Je me recommande aux vôtres, et suis avec estime, Monsieur, tout à vous. ETIENNE, évêque de La Rochelle.
Attestation de Monseigneur l'évêque de Poitiers.
Nous, évêque de Poitiers, certifions que feu Monsieur Grignion de Montfort, très digne prêtre et missionnaire, a donné des exemples admirables de pénitence, d'oraison, de zèle et charité, pendant quelques années qu'il a demeuré dans notre diocèse. En foi de quoi, Nous avons donné ce présent témoignage. A Poitiers, ce 29 novembre 1718, Signé JEAN CLAUDE, évêque de Poitiers.
/441/ Autre lettre
Comme vous écrivez, mon cher Monsieur, la vie de feu Monsieur Grignion de Montfort, serviteur de Dieu, voici un événement miraculeux qui vient d'arriver à Poitiers, comme vous le verrez par le certificat de la demoiselle gouvernante de l'Hôtel-Dieu. J'ai eu la consolation de voir guérir deux bonnes filles maléficiées, par le moyen de l'eau où a trempé du linge de ce serviteur de Dieu, laquelle j'envoyai pour la leur faire prendre. Elles ont été guéries dès qu'elles en ont pris, et auparavant, elles tombaient toujours dans leurs accidents de maléfice, où les médecins ont avoué qu'ils ne connaissaient rien, et que cela n'était pas de leur compétence. Dieu soit béni, qui manifeste combien ce serviteur de sa divine Majesté lui a été agréable pendant sa vie, et l'est encore après sa mort. Je me recommande à vos saintes prières et suis, plus que personne, votre très humble et très obéissant serviteur. JEAN CLAUDE, évêque de Poitiers. A Poitiers, ce 13 /442/ décembre mille sept cents vingt trois.
Je soussignée, gouvernante de l'Hôtel-Dieu de Poitiers, certifie que le six octobre mille sept cents vingt trois, que j'ai reçu au-dit Hôtel-Dieu, les nommées Perrine
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et Françoise Tartre, filles de Jacques Tartre et de Michelle Geste, paroisse de S. Aubin, près Partenay, une âgée de 13 ans et l'autre de 21 ans, qu'on disait maléficiées ; lesquelles on a traité d'abord comme malades, auxquelles les remèdes n'ont paru leur donner aucun soulagement. Ayant remarqué que, quand elles en prenaient, ou la nourriture ordinaire, elles tombaient toujours dans de longs évanouissements, avec des raideurs et des contorsions de leurs membres, surprenantes, avec des cris et des hurlements effroyables de bêtes féroces, et que cet état durait plus d'une heure, et se réitérait plusieurs fois chaque jour, lorsqu'on les obligeait à prendre de la nourriture ordinaire des malades ; ne pouvant avaler ni bouillons ni potages, qu'avec beaucoup de répugnance, /443/ et quand on les obligeait d'en prendre, elles tombaient dans leurs évanouissements ; mais prenaient seulement quelques fruits communs, ce qui les avait extrêmement affaiblies et exténuées. Et, j'ai aussi remarqué que pendant la neuvaine de prières, qu'a fait depuis les remèdes, par ordre de Monseigneur notre digne évêque, Monsieur Bottreau, chantre de l'église de Notre-Dame, que ces fâcheux symptômes ont redoublé. Et que lorsqu'il lisait l'évangile de S. Marc, qu'on lit à la fête de l'Ascension, leur mettant selon la coutume, le bout de l'étole sur la tête, à ces mots précisément, in nomine meo daemonia ejicient, elles faisaient des contorsions de bras et de mains plus affreuses, des hurlements plus épouvantables, et tombaient évanouies sans sentiment. Ce qui est arrivé deux fois, matin et soir, tous les jours de la neuvaine, à la prononciation de ces paroles, daemonia ejicient. Et, ensuite Monseigneur, notre saint prélat, touché de compassion pour l'état de ces pauvres filles, et plein de charité pour leur guérison, m'ayant /444/ envoyé d'une eau dans laquelle sa Grandeur m'a dit avoir trempé un linge, de feu Monsieur Grignion de Montfort, missionnaire et serviteur de Dieu, décédé en odeur de sainteté, j'ai mêlé de cette eau dans tout ce qu'elles mangeaient et buvaient. Et j'ai remarqué qu'elles ont pris aisément toute nourriture où j'en avais mis, que les symptômes qui arrivaient ci-devant
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ne sont plus arrivés, qu'elles ont repris leurs forces, et ont été parfaitement guéries. J'ai été très édifiée de leur piété dans tous les temps où elles étaient à elles-mêmes, durant leur maladie et après leur rétablissement ; dans les neuvaines qu'elles ont faites à Notre-Dame des larmes, de Saint Michel, et à Sainte Radegonde, où je les ai accompagnées. C'est le témoignage que je me crois obligée de rendre au publie, et qu'elles sortirent du dit Hôtel-Dieu, le 7 de décembre sans être indisposées, et s'en furent avec joie avec leurs parents, bénissant le Seigneur. Fait et signé au dit Hôtel-Dieu, le neuf /445/ décembre mille sept cent vingt-trois. DEVOIS.
Lettre du P. fflfontaine, jésuite.
A Vannes le 28 novembre 1718.
Je suis bien aise, Mademoiselle, qu'on travaille enfin à écrire la vie de feu Monsieur Grignion de Montfort. Il y avait longtemps que je souhaitais qu'il se trouvât quelqu'un, assez zêlé pour entreprendre cet ouvrage, qui peut être si utile à la gloire de Dieu, et au salut de ceux qui travaillent, comme feu Monsieur de Montfort au salut des âmes, puissent trouver de quoi les aider à la faire utilement. Puisqu'il n'est question que d'avoir des mémoires sur la conduite et la vie de ce saint homme missionnaire, il ne sera pas difficile d'en trouver, persuadé que je suis que ceux qui ont eu le bonheur de le connaître et de le pratiquer, se feront un plaisir d'en donner, et s'estimeront heureux d'avoir par là occasion de rendre justice à son mérite et à sa vertu. Pour ce qui est de moi, /446/ c'est dans ces sentiments que je vais avoir l'honneur de vous écrire ce que j'ai remarqué en lui, pendant quatre ou cinq années qu'il a passées à Nantes, et où je l'ai vu et connu pendant ce temps-là, et l'ai même confessé plusieurs fois.
Un désir ardent et continuel de procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes, c'était à mon gré sa vertu particulière et ce qui faisait son caractère. Il ne
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s'appliquait à autre chose. C'était la fin à laquelle il rapportait tout, et ce qui lui inspirait un zèle infatigable, et un courage que rien n'était capable d'abattre ou de ralentir. Les pauvres surtout, et les gens de la campagne étaient ceux auprès desquels il travaillait plus volontiers. C'était vers eux qu'il disait quelquefois qu'il était envoyé, et du salut desquels il se croyait chargé. Aussi, avait il un talent merveilleux pour les gagner et pour leur inspirer tous les sentiments qu'il voulait. Ces bonnes gens s'attachaient à lui. Ils le regardaient comme un saint, et, lorsqu'il quittait une paroisse pour aller dans une autre, ils /447/ le suivaient en foule, les larmes aux yeux, et croyaient en le perdant avoir tout perdu. Regardant Jésus-Christ avec les yeux de la foi, dans la personne des pauvres, il est inconcevable jusqu'où allait sa charité à leur égard. Dans toutes ses missions, ils le suivaient en foule, et en quelque nombre qu'ils fussent, sa charité leur faisait trouver à tous de quoi fournir à leurs besoins. Il les nourrissait, il les habillait. Sa tendresse pour eux et sa compassion se communiquaient à tous ceux qui l'approchaient et leur inspiraient des sentiments conformes aux siens. Son exemple entraînait tout le monde, et un chacun se faisait un plaisir et un devoir de contribuer à ses œuvres de miséricorde : les uns par leurs libéralités, les autres par le travail de leurs mains. Car, Monsieur de Montfort avait un talent particulier pour faire valoir, dans ces occasions, tous les moyens de faire du bien aux pauvres, qu'une ingénieuse et chrétienne charité sait mettre en usage. S'il exhortait tout le monde à aimer les pauvres, il était le premier à en donner /448/ l'exemple. Et plus d'une fois, je l'ai vu aller dans une foule de gueux démêler le plus malpropre, le plus dégoûtant, le prendre par la main, l'emmener avec lui, le faire asseoir à table à la première place à ses côtés, le servir avant tous les autres et ce qu'il y avait de meilleur et, à la fin du repas, l'embrasser et le conduisant lui-même à la porte, le renvoyer avec une aumône considérable. Ainsi en usait il chaque jour, et à toutes les missions que je lui ai vu faire, ou à Nantes ou aux environs.
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Pauvre lui-même dans sa personne, il ne portait jamais rien que la charité ne lui eut procuré. Peu de temps avant de sortir du diocèse de Nantes, pour passer dans celui de Luçon, il fit un vœu particulier de s'abandonner entièrement à la Providence, et de faire tous ses voyages, sans argent et sans provisions, et d'aller demander par charité à loger dans les lieux où il passerait, et où la nécessité l'obligerait de s'arrêter. La dévotion envers la Sainte Vierge était, si je puis parler de la sorte, sa dévotion favorite. Il portait /449/ toujours et partout avec lui une image de cette Mère de Dieu, dont il faisait ses délices et sa consolation. Toute son application était de trouver de nouvelles manières d'honorer cette divine Mère, et d'inspirer cette même dévotion partout à tous les peuples. Il établit parmi eux certaines pratiques de piété à son honneur, que ces peuples embrassaient avec joie, et qu'ils conservaient soigneusement. Moi-même, je fus témoin l'an passé dans le diocèse de Saint-Malo, où étant allé dans quelques paroisses où Monsieur de Montfort avait fait mission, il y avait douze ou quinze ans, ces pratiques subsistaient encore et s'observaient aussi régulièrement que le premier jour.
Il était d'une mortification à faire horreur à la nature. Toujours couvert d'un rude cilice qu'il ne quittait jamais, pas même durant le temps de ses maladies ; dormant peu, se relevant la nuit pour prier Dieu ; couchant sur la paille, quand il pouvait le faire sans être aperçu, et qu'il était maître de coucher aussi mal qu'il le voulait ; se /450/ nourrissant comme les pauvres, quand il était à la campagne parmi eux, et qu'il pouvait, sans se faire remarquer, se conformer à leur manière de vivre. Sa patience fut héroïque. Jamais homme n'a peut-être essuyé plus de contradictions, et n'a eu plus à souffrir, ayant été persécuté en tous lieux et par toutes sortes de personnes. Mais, tout le mal qu'on put lui faire et les persécutions qu'on lui suscita ne poussèrent jamais sa patience à bout. Obligé de sortir d'un endroit, il allait dans un autre. Il y demeurait sans se souvenir, dans celui où il était, de ce qu'il avait souffert dans celui qu'il avait quitté, ne se
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plaignant jamais de personne, et ne cherchant jamais à se justifier, en faisant connaître les injustes procédés qu'on avait tenus à son égard et la manière indigne dont souvent on l'avait traité. Tout le monde sait les mouvements qu'il s'était donné pour élever un calvaire dans les landes de Pontchâteau. Il avait toujours eu cet ouvrage à cœur pour honorer Jésus-Christ crucifié. Et, quand enfin il trouva un temps et un lieu qu'il crut propre à l'exécuter, il se mit /451/ en devoir de le faire. Il lui en coûta des peines infinies et des dépenses immenses, auxquelles les libéralités de plusieurs personnes, et le zèle des gens de la campagne contribuèrent également. L'ouvrage était presque achevé et Monsieur de Montfort bientôt au comble de ses vœux, en voyant ce lieu déjà devenir fameux, par la dévotion des peuples, qui de toutes parts y venaient en foule offrir leurs prières à Dieu, et à la vue de ce calvaire, se retracer celui où le Sauveur du monde s'était autrefois immolé pour eux. Lorsque tout à coup un ordre de la cour vint de renverser cet ouvrage, et de détruire ce calvaire, M. de Montfort reçut cette nouvelle, dont un autre qui n'aurait pas eu toute sa vertu aurait été sans doute accablé, il songea seulement à se retirer chez nous pour y passer huit jours en retraite et à se consoler avec Dieu. Il y entra, je le reçus sans que j'eusse pu m'apercevoir qu'il lui fût arrivé le moindre chagrin. Il me parla comme à son ordinaire, et ne me fit jamais paraître la moindre émotion, dans ses paroles, ni dans ses maximes, /452/ ni même sur son visage. Comme cet ordre fit grand bruit à Nantes et aux environs, nous en fûmes bientôt instruits. J'en parlai à Monsieur de Montfort. Il me confirma ce qui se disait, mais sans qu'il lui échappât une seule parole de plainte ou de mécontentement contre ceux qu'il avait raison de soupçonner de lui avoir attiré un ordre, si positif et si peu attendu. Cette paix, cette tranquillité, cette égalité d'âme dont il ne se démentit pas d'un seul moment pendant 8 jours, me surprit. Je l'admirai. Ce que j'avais vu et ce que j'avais su de lui me l'avaient fait regarder jusque-là comme un grand homme de bien. Mais cette patience, cette soumission à la Providence dans une occasion aussi
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délicate que celle-là, la sérénité, la joie même qui paraissait sur son visage malgré un coup si accablant pour lui, me le firent alors regarder comme saint, m'inspirèrent des sentiments de respect et de vénération pour sa vertu, que j'ai toujours conservés depuis et que je conserverai jusqu'à la mort.
Voilà, Monsieur, un petit abrégé des vertus /453/ que j'ai remarquées dans M. de Montfort. Je n'ai rien marqué que de très véritable, et que je ne soutienne l'être. Je souhaite que cela puisse servir à la gloire de Dieu, et à faire connaître le mérite d'un si saint homme. Je suis avec bien du respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, de PREFONTAINE, jésuite.
Lettre du Père de La Tour, jésuite,
à Poitiers le 23 mai 1718.
Monsieur, la paix de Jésus-Christ.
Vous m'avez fait plaisir de me demander ce que je sais de Monsieur de Montfort, parce que je suis ravi de rendre justice à la vertu et à la sainteté de ce grand serviteur de Dieu. Pour ce qui est des miracles, je n'ai rien vu, ni ne sais rien que je puisse juger évidemment, et absolument supérieur à toutes les causes naturelles. J'ai ouï dire bien des choses surprenantes. 1°. Comme des aveugles guéris en les touchant. 2°. /454/ Comme des malades abandonnés des médecins, revenus et guéris pour avoir bu à une petite tasse qu'il avait donnée à une personne ; et d'autres malades guéris, après un peu de prières qu'il avait fait dans leur chambre. Je dis que j'ai entendu dire cela. Mais, outre que je ne l'ai pas vu, je ne crois pas que tout ce qui était arrivé dans ces rencontres, et de la manière que cela s'est fait, que cela ne puisse s'imputer qu'à miracle. Ainsi je ne dis rien sur cet article. Mais sur l'autre point par où on commence, quand on veut
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béatifier ou canoniser quelqu'un, savoir sur les vertus héroïques, j'aurai bien des choses à dire.
Et pour commencer d'abord, par l'innocence. Elle était si grande en lui que pendant tout le temps que j'ai eu l'honneur d'être son confesseur, il me faisait toujours de la peine pour lui donner l'absolution, faute de matière. Il me fallait toujours recourir à sa vie passée pour avoir un seul péché véniel, sur lequel j'eusse pu appuyer une absolution.
2°. C'était un homme d'une grande /455/ mortification et pénitence. Les cilices et les disciplines, les jeûnes, les abstinences les plus rudes lui étaient ordinaires.
3°. C'était un recueillement continuel que sa vie et une dévotion la plus tendre. Il avait un grand don d'oraison et de contemplation, et surtout une dévotion pour la Sainte Vierge qui passait tout ce qu'on a de tendresse et de dévouement pour elle.
4°. Son zèle égalait celui des grands apôtres. Avec cette présence de Dieu et ce recueillement, il était infatigable aux travaux des missions, à entendre les confessions, à instruire et à conduire surtout le petit monde, tant de la ville que de la campagne, à aller partout pour les malades les plus contagieux et les plus pauvres, se privant de sa nourriture pour leur donner, et demandant souvent la charité pour lui aussi bien que pour les autres.
5°. Il était si désintéressé qu'il ne prenait pas les gages et les appointements des aumôniers quand il servait à l'hôpital ou ailleurs, comme il fit à l'hôpital de Poitiers où il servit et fut aumônier /456/ des pauvres pour rien, ne prenant que, par aumône, la soutane qu'il portait, et qu'il ne voulait prendre qu'à moins qu'elle ne fût bien usée.
6°. En quoi sa vertu paraîssait triomphante et surhumaine, c'était dans les croix, persécutions et guerres que lui faisait le monde, sous prétexte que sa prudence surnaturelle et son zèle ardent lui faisaient faire des choses qui selon la prudence ordinaire passent pour des actions imprudentes ou ridicules. Sous ce prétexte, les prêtres, les
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religieux, les grands et souvent ses supérieurs ecclésiastiques lui faisaient des remontrances, le condamnaient, le maltraitaient, l'arrêtaient, l'interdisaient. Et en tous ces cas, il supportait ses croix et surmontait ses peines avec une patience et générosité apostolique, ne craignant point pour le respect humain, et toujours prêt à continuer l'œuvre de Dieu ; soumis cependant toujours, et obéissant au moindre signe de la volonté de ceux qui avaient sur lui de l'autorité.
J'ajoute deux faits, l'un qui marque l'agilité de son zèle, savoir : le voyage /457/ de Rome qu'il fit à pied, allant et revenant en très peu de temps, ayant jugé que, par ce voyage, il obtiendrait des pouvoirs qui rendraient son ministère plus efficace pour la gloire de Dieu et la conversion des âmes. Voyage qu'il fit en demandant l'aumône.
Un autre : qu'ayant trouvé un jour un pauvre plein de poux et de toute la plus rebutante saleté, lequel ne pouvant supporter les piqûres de ces animaux, tira sa chemise de dessus son corps, et la jeta sur une haie. Monsieur de Montfort, voyant cela, alla vite quitter la sienne pour la donner à ce pauvre, et alla promptement chercher celle du pauvre, et s'en revêtit, toute sale qu'elle était.
Après cela, je ne suis pas surpris des grandes bénédictions que Dieu donnait à son zèle, et des grandes et fermes conversions qu'il opérait. J'ai confessé, depuis qu'il quitta Poitiers, certaines personnes qu'il avait gagnées à Dieu. Mais, leur vertu et leur piété, leur pratique des sacrements a toujours été constante depuis ce temps-là. Je ne doute pas que ce que Monsieur Grignion a /458/ fait ailleurs qu'à Poitiers ne soit encore plus illustre. Vous avez raison, Monsieur, de ne pas penser à moi pour faire la vie de ce saint homme. Outre que qui que se soit qui s'en mêle s'en tirera mieux que moi, et donnera plus de jour au mérite de cet homme merveilleux, il est certain que j'ai trop d'affaires, pour penser à autre chose qu'à mes emplois fatigants. Bien d'autres gens de Poitiers vous apprendront
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d'autres particularités, à ce qu'on m'a dit. Pour moi, il me suffit de vous avoir dit quelque chose de ses vertus, et de vous assurer en même temps de l'estime et du dévouement respectueux avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur, La TOUR, jésuite. A M. le doyen de Saint Laurent sur Sèvre.
Lettre de Monsieur l'abbé BARRIN vicaire général de Monsieur l'évêque de Nantes
Monsieur, je croyais que Madame la comtesse de Bouillé vous avait envoyé des mémoires pour écrire la vie /459/ de Monsieur de Montfort. Les demoiselles Dauvaise qui l'ont suivi dans ses missions, vous pourraient mieux instruire que moi des faits particuliers.
Ses principales vertus étaient la confiance en Dieu et la soumission à sa Providence. Il allait sans argent, dans ses missions, avec sept ou huit personnes, qui ne manquaient de rien sous sa conduite. Et il trouvait encore le moyen de nourrir et d'habiller les pauvres.
Il avait commencé un calvaire qui était un grand attrait pour la dévotion des peuples. Il y avait même des personnes de condition qui allaient en carrosse y travailler. On manda à la cour que ce serait une retraite de voleurs quand il serait achevé. Et, sur cette idée on en ordonna la destruction. Notre missionnaire reçut ce coup de foudre avec une soumission qui vous eût charmé. Je suis ravi que vous écriviez la vie de cet homme vraiment apostolique, et suis avec beaucoup de respect, Monsieur, votre très humble
et très obéissant serviteur, l'abbé BARRIN. A Nantes, le 25 d'août 1719.
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/460/ Lettre de Monsieur des Jonchères,
archidiacre de Nantes.
J'ai connu très particulièrement Monsieur de Montfort, et reçu de défunt monsieur Bouin de Saint-¬Sulpice, son directeur, que je crois un saint, à son sujet beaucoup de lettres pleines de marques d'estime et d'affection pour lui. Il lui procura un bénéfice à Saint-¬Julien de Concelles, en ce diocèse, dont je pris possession pour lui. C'était un homme d'une mortification très grande, d'un détachement entier, d'un zèle saint, d'un travail infatigable, ayant beaucoup de facilité et de talent pour parler. Mais en quoi il excellait, c'était dans un don et une grâce singulière à gagner les cœurs, et on avait une confiance entière en lui dès qu'on l'avait entendu. Il trouvait le moyen, par son savoir faire, de faire subsister les pauvres pendant ses missions. Et la confiance, prompte et facile, que les peuples avaient en lui, était si grande, qu'il a établi en plusieurs paroisses la prière du soir et le chapelet./461/ Et la sépulture dans les cimetières, qu'on ne pouvait établir, à cause d'un arrêt du Parlement de Bretagne, il en vint facilement à bout à la première proposition qu'il en fit. Et cette grande confiance des peuples lui fit entreprendre de faire une montagne de calvaire ; ce qui était au-dessus des forces de tout particulier, quelque puissant qu'il fût ; ce qui n'était pas toutefois suivant l'avis de beaucoup de gens, selon les règles de la prudence. Car, ce même calvaire fut aussitôt démoli par ordre de la cour.
Lettre du Père Martinet, jésuite.
J'ai lu avec une extrême joie et une grande édification le témoignage que le Père de Préfontaine rend à la vertu de Monsieur de Montfort. J'ai reconnu dans cette lettre que vous m'avez fait l'honneur de me communiquer le vrai caractère de ce serviteur de Dieu. Je puis affirmer,
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sur la connaissance que la parfaite confiance qu'il a eue en moi m'a donnée de toute sa vie, qu'on ne dit rien de toutes ses vertus, /462/ qui ne soit l'exacte vérité, et dont je n'ai vu et remarqué en lui des preuves sensibles et des exemples héroïques. J'ai toujours déclaré hautement, même en présence des personnes qui paraissaient les plus prévenues contre lui, et cela lorsqu'il vivait, ce que je déclare encore lorsque l'occasion s'en présente après sa mort. Que tout ce qui est rapporté dans les histoires des saints touchant leur innocence, la pureté de leur foi, la fermeté de leur espérance, la tendresse de leur confiance en Dieu et en sa sainte Mère, leur zèle pour le salut du prochain, leur charité pour les pauvres, leur mortification, leur patience, leur constance dans les peines, dans les persécutions, leur égalité dans les divers événements, leur douceur, leur obéissance, leur amour pour la pauvreté, pour le mépris, pour les croix, leur entier abandon à la Providence du Seigneur ; en un mot, tout ce qui fait les saints, je l'ai vu retracé dans les mœurs et dans la conduite de ce zèlé missionnaire. Je regarde encore aujourd'hui, comme une faveur singulière du ciel, le bonheur que j'ai eu d'être le dépositaire /463/ des grâces dont Dieu l'a comblé, et des beaux et généreux sentiments dont son grand cœur était animé. Tout ce qu'on dit de merveilleux de lui dans son histoire ne m'étonne point. Il ne fera que me confirmer dans la haute idée que j'ai conçue de la sublime perfection où le Seigneur l'a élevé. Il m'est bien doux d'apprendre que Dieu veuille bien manifester par des miracles la gloire d'un ami qui m'a été si cher pendant sa vie, et que j'ose me flatter qui ne dédaignera pas de se souvenir de moi après sa mort. Je vous supplie, Monsieur, de joindre vos prières aux miennes pour obtenir de Dieu l'accomplissement des désirs que j'ai souvent formés de marcher un peu sur les tracés de ce saint homme, et de participer à l'ardeur du zèle apostolique dont il était rempli. Je suis avec beaucoup de respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur en Notre Seigneur,
MARTINET, de la Compagnie de Jésus.
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/464/ Lettre du Père Collusson, jésuite, du 19 décembre 1718
Je vous envoie ce que j'ai remarqué dans la vie et la conduite de feu Monsieur de Montfort. Je loue votre zèle, et je voudrais pouvoir vous dire plus de particularités de la vie de ce saint missionnaire. Je ne doute pas que vous ne trouviez ailleurs des mémoires beaucoup plus abondants. Quelque chose qu'on vous mande d'avantageux, trouvera toujours chez moi une facile créance. Je l'ai dit et je le répète, je ne serai nullement surpris de voir qu'on lui attribue des miracles. Je lui ai trouvé les vertus, dans le degré qu'il faut, pour que Dieu les autorise par les effets de sa Toute Puissance. Je suis avec beaucoup de respect.
Lettre de Monsieur le Normand,
procureur du roi au Présidial de Poitiers,
du 8 septembre 1719.
Il est vrai que j'ai eu l'honneur de connaître très particulièrement M. /465/ de Montfort. J'ai même été pendant plusieurs mois d'une congrégation qu'il avait établie à Poitiers pour des jeunes gens, et dans laquelle il nous entretenait par des exercices de piété très édifiants. Il nous y faisait tous les jours des exhortations si naturelles, et avec tant de zèle, qu'il est certain que ceux qui avaient l'avantage d'en être, et qui en ont su profiter, ont pris le parti de l'Eglise, dans lequel ils ont depuis vécu avec autant de dévotion et d'édification qu'il en avait lui-même. J'ai connaissance qu'il y en a deux particulièrement qui ont toujours porté comme lui le cilice, et qui ont mortifié leurs corps par les peines les plus dures. L'un de ces deux appelés Monsieur Brunet, curé de Celles Lévescaut, est mort depuis quinze jours en odeur de sainteté, et reconnu même universellement pour saint. On a trouvé sur ses bras
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plusieurs bracelets de fer, un cilice sur son corps, dans son cabinet plusieurs disciplines. Il est nombre de filles pour lesquelles il avait établi une congrégation, qui ont pris le parti d'être religieuses ; d'autres qui vivent avec une dévotion sans /466/ exemple. Dans ces congrégations où nous nous trouvons tous les jours une fois, et les filles de même séparément, il nous apprenait à faire l'oraison, et nous la faisait faire devant lui. Ensuite, il nous donnait des matières pour les faire chez nous. Il est plus de deux cents personnes qu'il a sanctifiées dans cette ville. Son zèle était sans égal et sans ménagement. Il n'était personne pour lui de respectable dans l'Eglise. Dieu, qui faisait le principe de ses actions, l'a plusieurs fois obligé d'aller avertir des personnes, même constituées en dignité tant dans l’Eglise que dans la robe et la noblesse, les faire taire lorsque, par conversation, ils profanaient le temple de Dieu. Il prêchait tous les jours dans nos églises, y était suivi d'un nombre de gens, respectés même des plus libertins. Un jour qu'il passa dans la Place Royale, il entendit un officier jurer le Saint Nom de Dieu. Il fut à lui vivement, le traita de malheureux, quoiqu'il fût avec d'autres officiers, et lui imprima malgré son libertinage, une telle crainte qu'il l'obligea sur le champ d'en demander pardon à Dieu, à /467/ genoux, et à baiser la terre. Ce trait ici vous paraîtrait incroyable si vous aviez connu l'officier qui s'appelait Gantière. Mais, je puis vous le certifier. On connaissait à cet homme-là tant de piété qu'il n'était personne qui ne le craignît. Il marchait dans nos rues avec un air de béatifié, toujours suivi de plusieurs personnes. Il ne cherchait que l'occasion de réprimer le vice. Il a eu plusieurs ecclésiastiques envieux. Il a même plusieurs fois été maltraité de paroles par gens d'autorité ; il n'y a jamais répondu qu'avec une humilité qui passe tout ce que je puis vous en dire.
D'ailleurs Je puis encore vous certifier qu'il ne vivait que de la Providence ; que jamais il ne tenait d'ordinaire pour manger ; que souvent à midi il n'avait rien, et qu'un jour qu'il nous retint avec lui pour y passer jusqu'au soir, nous lui témoignâmes avoir besoin de manger, qu'il nous
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répliqua n'avoir rien, mais que la Providence y pourvoirait. En effet, il lui fut envoyé plus qu'il ne nous en fallait. Et, souvent même il nourrissait plusieurs pauvres /468/ de ce qu'on lui envoyait. Il a longtemps demeuré à l'Hôpital Général, où il a fait beaucoup de bien par le rétablissement de l'église, par les dons qu'il y a fait faire, par ses prédications et ses cantiques. On n'a pu lui imputer ici, de la part de ses ennemis, qu'un zèle indiscret, parce qu'il n'avait point de respect humain. Mais, en cela il n'a suivi que la loi de Jésus-Christ.
Un jour, il s'était fait un plaisir de faire brûler tous les mauvais livres de la ville, et en avait fait une recherche très exacte. Il en avait plus de cinq cents. Ce dessein était quelque chose d'admirable, s'il l'avait exécuté simplement. Mais, il s'imagina de faire dresser une espèce de diable au milieu d'une place, auquel il attacha tous ces livres. M. N., grand vicaire passa comme on allait y mettre le feu, il fit jeter à bas tout ce préparatif. Il dit même quelques paroles désobligeantes à Monsieur de Montfort. Mais, il ne put le déranger. Il reçut ce double chagrin avec une patience d'ange. Toute la populace emporta tous ces livres, et ce fut là sa plus grande mortification. Au reste, je puis /469/ encore vous assurer que, depuis trois semaines, j'ai été attaqué d'une maladie très fâcheuse, ayant une fièvre double tierce, et un transport au cerveau, avec des maux de tête étonnants. La foi et l'assurance que j'ai de la sainteté de M.. de Montfort m'a fait boire, pendant trois jours consécutifs, sur un morceau du bois de son cercueil qui m'avait été donné à St Laurent par M. le doyen. Le troisième jour, la fièvre me cessa tout à coup, mes maux de tête et le transport aussi, et je me porte à présent assez bien. Voilà, Monsieur, ce que je puis vous dire de Monsieur Grignion, pour l'avoir vu. Et, au reste, nous sommes très persuadés en cette ville qu'il est bienheureux dans le ciel.
Je suis ravi, Monsieur, que l'occasion de la vie de Monsieur de Montfort, à laquelle je vous conseille de travailler, me donne celle de cet entretien avec vous. Je ne doute pas même que cet ouvrage, où vous manifesterez une
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vie aussi édifiante qu'elle est exemplaire pour les serviteurs de Dieu, ne vous produise devant lui un grand bien.
Mais je trouve que l'on a manqué /470/ pour sa béatification à des choses essentielles. Il a fait et fait tous les jours plusieurs miracles à Saint Laurent, et l'on n'en a jamais fait dresser de procès verbaux par les juges du lieu. C'était une chose radicale, et à laquelle dans la suite on devrait remédier. J’en ai averti Monsieur le doyen. Je suis avec une très parfaite considération, Monsieur, votre très humble, etc.
Lettre de Mon8ieur Arot
Avocat au parlement de Bretagne
A Rennes, le 7 octobre 1719.
Monsieur, je prends la liberté de vous adresser plusieurs mémoires pour la vie de Monsieur de Montfort. On a cru, apparemment, que j'aurais pu travailler à cette sainte vie, quand on m'a chargé de ces mémoires. Et véritablement, j'aurais fort souhaité être capable et en état de le faire, mais les devoirs de ma profession ne m'ont pas permis d'y penser. Et comme c'est vous, M., que la Providence a dû choisir pour faire honorer ce saint prêtre, qui est déjà en vénération partout où il a /471/ passé, j'ai cru devoir vous remettre tous ces différents mémoires. J'y joins ceux que j'ai pu recueillir, avec plusieurs lettres, dont j'ai retenu les originaux. J'attendais encore d'autres mémoires, mais comme on ne me les envoie point, j'ai cru toujours devoir vous envoyer ce que je pouvais avoir. S'il m'en vient d'autres ou que vous ayez besoin de quelques instructions dont vous me jugiez capable, vous me ferez plaisir de me faire concourir en quelque chose à la gloire de notre S. et de me procurer des occasions dont je profiterai avec plaisir, pour vous offrir mes petits services en cette
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ville, et vous assurer qu'on ne peut être, avec plus de zèle et de considération que je suis, etc.
Lettre de Monsieur Dubois,
directeur de l'Hôpital Général de Poitiers,
du 25 mai 1718.
Monsieur Grignion a toujours été si ingénieux à cacher ses grâces intérieures, et tout ce qui aurait pu lui attirer quelque estime singulière, qu'il n'y a guère que ses confesseurs qui en /472/ puissent parler bien certainement. Mais, pendant le temps d'environ trois mois que j'ai demeuré avec ce saint prêtre, et travaillé sous lui à l'Hôpital Général de cette ville, j'ai été si attentif à considérer avec admiration toute sa conduite extérieure, qu'il m'aurait été impossible de n'en pas tirer de pieuses conséquences, en faveur de sa sainteté intérieure.
Depuis quatre heures du matin jusqu'à dix heures du soir, on ne l'a jamais vu un seul instant dans l'inaction. Ses exercices de piété n'étaient jamais interrompus que par des exercices de charité publique ou de mortification cachée.
L'oraison mentale, l'office divin, la célébration des saints mystères, les exercices du confessionnal, la prédication, les catéchismes, la visite des malades ou des pécheurs, le chant des cantiques spirituels l'occupaient continuellement et successivement, et malgré des travaux si pénibles et si continuels. Il jeûnait sévèrement et exactement trois fois la semaine : mercredi, vendredi et samedi ; le /473/ premier jusqu'au soir, et cet unique repas était un potage maigre avec deux œufs et un peu de fromage. Toujours il était chargé de chaines de fer autour du corps et des bras, si étroitement qu'à peine pouvait il se courber, des macérations sanglantes et fréquentes, couchait sur un peu de paille et fort mal couvert. Il ne mangeait souvent que du pain bis, et toujours les 2 tiers ou
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les trois-quarts d’eau dans son vin. A tous nos repas du soir et du matin, il faisait ordinairement mettre à notre table un Pauvre, à qui il donnait à boire dans son même verre qu'il emplissait de vin et d'eau, afin qu'il en restât au moins le tiers, qu'il prenait ensuite adroitement, en y remettant une goutte d'eau ou de vin pour cacher son premier dessein. Et ce qui aurait fait horreur à tout autre qu'à lui, c'est qu'ordinairement le pauvre, dont il buvait le reste, était ou écrouellé ou atteint de quelqu'autre mal dangereux et capable de causer de l'horreur. Cependant, il n'en a jamais été incommodé. Un pauvre homme, que la pauvreté avait conduit à l'Hôpital Général, se /474/ trouva enfin couvert d'infection et de pourriture, causées par un mal honteux ; sans parents, sans amis et rejeté des infirmiers publics, prêt à être abandonné et chassé de l'Hôpital Général, à cause du danger de son mal, et qu'il ne se trouva personne qui en voulut prendre soin. Notre saint prêtre se chargea du gouvernement entier de ce malade. Il le fit mettre dans un endroit séparé, où il lui servit de chirurgien et d'infirmier. Lui seul, lui rendit tous les services que requérait une maladie si dangereuse et si dégoûtante ; le nettoya et jeta ses ordures, lui seul, etc. jusqu'à la mort, sans qu'il en ait jamais été incommodé le moins du monde.
Monsieur Grignion avait un don tout particulier pour adoucir les pauvres, souvent irrités par les rigueurs d'un hôpital. Et, quand il trouvait de la résistance, ou que la correction aigrissait leur mauvaise disposition, il se mettait à genoux, (fusse dans la boue), tête nue, en leur protestant qu'il ne se lèverait point qu'il ne les vît tranquilles. Aussitôt, ils se mettaient eux-mêmes à genoux, et demandaient pardon, etc. /475/ Il arrêta et apaisa un jour, par ce pieux artifice, un soldat blasphémant le saint nom de Dieu dans les rues de Poitiers, etc. Et, quand dans toutes ces rencontres et autres semblables il essuyait quelque outrage piquant jusqu'au vif, (comme il lui arrivait presque tous les jours), il avait coutume de dire que c'était là son gain personnel et la récompense de sa bonne intention.
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Tout le monde sait la grande humiliation que lui attira une femme superbe et orgueilleuse, sur la fin d'une mission, parce qu'il lui avait refusé une croix qu'on mettait sur le bras, pour quelqu'opiniâtreté invincible de cette entêtée. Elle employa le crédit des puissances ecclésiastiques pour se venger de ce prétendu affront, et, à la fin d'un discours publie de notre zèlé missionnaire, on lui en fit une correction publique dans l'église, lui encore en chaire. S'apercevant du dessein qu'on avait, il se mit à genoux, tête nue, et essuya humblement, sans ouvrir la bouche pour sa défense, tout ce qu'un zèle faux peut inspirer, etc. On y ajouta des reproches sanglants contre un spectacle /476/ que son zèle (contre l'ennemi du genre humain) lui avait suggéré, et on livra tout l'appareil au pillage des libertins. Mais, le remède fut bien pire que le mal. Ce pieux missionnaire avait, pour déclarer le démon vaincu, ramassé quantité de mauvais livres qui tombèrent entre les mains de toutes sortes de gens, etc. Tout le monde crut que la mission allait tomber par là. Les ecclésiastiques, qui avaient aidé ce saint prêtre dans sa mission, jugèrent que tout le peuple allait regarder comme une fiction tout ce qu'on leur avait dit pendant la mission. Notre saint prêtre lui-même en fut alarmé. Il passa la nuit dans l'église, au pied du saint autel, dans l'agitation violente où était son esprit par l'irrésolution de ce qu'il devait faire dans une pareille conjoncture. Son zèle pour le salut du peuple qui venait de faire la mission, et qui devait le lendemain faire la communion générale, le pressait de rester pour soutenir une si bonne œuvre. La désapprobation publique, qu'il venait de recevoir et d'essuyer en pleine église, lui persuadait que sa présence désormais scandaliserait /477/ ce même peuple, etc. Ce peuple, revenu à l'église le lendemain avec le jour, leva tous ses doutes, et tous les confesseurs de la mission furent bien surpris. Ils craignaient même, avec quelque fondement, qu'une désapprobation, si publique et si authentique, n'eût changé la disposition de leurs pénitents pour ce pieux missionnaire. Mais, tout le contraire arriva. Ils demandèrent presque tous à se réconcilier. Et les
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confesseurs eurent la consolation de voir que c'était uniquement pour avoir eu des sentiments de zèle pour M. Grignion, et de murmure contre les auteurs ou promoteurs de son humiliation. Et tout le monde sait encore les travaux pénibles, les contradictions et les humiliations générales et particulières, que lui a attirés le rétablissement de l'église de Saint Jean de Poitiers, à la faveur des quêtes publiques qu'il a faites aux portes des églises. Quêtes comme on sait, toujours accompagnées de mille et mille humiliations différentes, et qu'il appelait son revenant bon particulier. Tout le monde sait qu'il y a lui-même personnellement /478/ porté les pierres et le sable, etc.
Tout le monde sait quel voyage son zèle lui a fait entreprendre à pied, de Poitiers à Rome une fois, et son retour à Poitiers, et plusieurs fois de Poitiers à Paris, et de Paris à Poitiers, pour des raisons que j'ignore, sans deniers ni sans maille, et sans jamais rien prendre de double à son usage. La Sainte Bible, son bréviaire, son rosaire et son crucifix furent toujours ses provisions, abandonné pour tout le reste à la divine Providence.
Les travaux de Monsieur Grignion ont été si pénibles pour le corps et l'esprit, ses exercices de piété si continuels et ses mortifications tellement sans relâches, que j'ai toujours regardé comme une espèce de miracle qu'il pût suffire sans mourir mille fois. Et, comme je marquais un jour à M. Revol, évêque d'Oléron, alors vicaire général de Poitiers, mes sentiments et ma surprise à ce sujet, il me fit l'honneur de me répondre que, lui aussi, de tous les miracles qu'on attribuait dès lors à Monsieur Grignion, c'était celui qu'il admirait le plus. Ce même /479/ prélat a dit dans quelqu'autre occasion, avec aussi beaucoup d'admiration, que Monsieur Grignion avait comme un droit acquis sur les ecclésiastiques de plus marqués et, sur lui-même en particulier, pour les engager sans réplique de leur part dans toutes ses pénibles fonctions, et qu'il n'avait qu'à dire : fac hoc et facit.
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On lui a vu plusieurs fois des torrents de larmes couler de ses yeux, pendant la célébration des saints mystères.
Il ne vivait que d'aumônes et charités, et un jour qu'on lui avait donné vingt livres ou environ pour ses besoins, il se présenta à lui deux officiers en mauvais équipages, il les leur donna généreusement.
Pour n'être pas à charge aux bateliers, parce qu'il ne portait jamais d'argent sur lui, on l'a vu s'exposer à traverser des rivières sur des écluses, qu'il a traversées sans aucun accident. Ce fait n'est point extraordinaire dans personnes qui y sont un peu accoutumées. Mais, il ne laissait pas de marquer une grande confiance dans un prêtre qui n'y était pas accoutumé.
/480/ Ce qu'il y a de bien singulier dans la vie de Monsieur Grignion, c'est qu'il ne s'est jamais relâché en rien, ni paru un seul instant différent de lui-même. Je laisse à l'historien qui doit écrire sa vie à faire valoir cet endroit, qui est très singulier et très rare dans les plus grands saints. Car, pratiquer les plus hautes vertus et les plus austères mortifications de l'esprit et du corps, sans jamais laisser échapper la nature en quelque occasion que ce soit, dans la retraite ou dans les fonctions publiques, avec les pauvres, avec les riches, dans le boire et dans le manger, seul ou en compagnie, etc.
Quoique tout ce que je viens de dire ait pu être aperçu de presque tout le monde, il peut pourtant y avoir plusieurs circonstances auxquelles peut-être personne n'aurait fait attention. C'est pour entrer dans votre estime, M., pour la mémoire de Monsieur Grignion, et pour entrer dans vos pieuses intentions, que je vous adresse ces remarques, dont vous pourrez faire tel usage que vous jugerez à propos. Je me trouverais bien récompensé, si le /481/ saint prêtre que nous louons pouvait m'obtenir de Dieu une petite portion de l'esprit qui l'a toujours animé. Je vous demande, pour cela, le secours de vos saintes prières, vous assurant que je suis en N. S. Jésus-Christ, et avec tout le zèle possible, votre très humble et très obéissant serviteur, DUBOIS.
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Lettre circulaire qu’écrivit Monsieur de Montfort au habitants de Montbernage, lorsqu'il fut obligé de sortir de Poitiers
DIEU SEUL
Chers habitants de Montbernage, de Saint Saturnin, Saint Simplicien, de la Résurrection et autres qui avez profité de la mission que Jésus-Christ, mon Maître, vient de vous faire salut en Jésus-Christ et Marie.
Ne pouvant vous parler de vive voix, parce que la sainte obéissance me le défend, je prends la liberté de vous écrire, sur mon départ, comme un pauvre père à ses enfants, non pas pour vous /482/ apprendre des choses nouvelles, mais pour vous confirmer dans les vérités que je vous ai dites.
L'amitié chrétienne et paternelle que je vous porte est si forte que je vous porterai partout dans mon cœur, à la vie, à la mort et dans l'éternité ! Que j'oublie plutôt ma main droite que de vous oublier en quelque lieu que je sois, jusqu'au saint autel ! que dis je ? Jusqu'aux extrémités du
monde, jusqu'aux portes de la mort : soyez en persuadés, pourvu que vous soyez fidèles à pratiquer ce que Jésus-Christ vous a enseigné par ses missionnaires et moi indigne, malgré le diable, le monde et la chair.
Souvenez vous donc, mes chers enfants, ma joie, ma gloire et ma couronne, d'aimer ardemment Jésus-Christ, de l'aimer par Marie, faire éclater partout et devant tous votre dévotion véritable à la très Sainte Vierge, notre bonne Mère, afin d'être partout la bonne odeur de Jésus-Christ, afin de porter constamment votre croix à la suite de ce bon Maître /483/ et de gagner la couronne et le Royaume qui vous attend. Aussi ne manquez point à accomplir et pratiquer fidèlement ~os promesses de baptême et les
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pratiques, et à dire tous les jours votre chapelet en public ou en particulier, à fréquenter les sacrements, au moins tous les mois.
Je prie mes chers amis de Montbernage, qui ont l'image de ma bonne Mère et mon cœur, de continuer et augmenter la ferveur de leurs prières, de ne point souffrir impunément dans leurs faubourgs les blasphémateurs, jureurs, chanteurs de vilaines chansons et ivrognes. Je dis impunément : c'est à-dire que, s'ils ne peuvent pas les empêcher en les reprenant avec zèle et douceur, du moins que quelque homme ou femme de Dieu ne manque pas de faire pénitence, même publique, pour le péché publie, quand ce ne serait qu'un Ave Maria dans les rues ou lieu de leurs prières, ou de porter à la main un cierge allumé dans la chambre ou l'église. Voilà ce qu'il faut faire, et vous continuerez, Dieu aidant, pour persévérer dans le service /484/ de Dieu. J'en dis autant aux autres lieux.
Il faut, mes chers enfants, il faut que vous serviez d'exemple à tout Poitiers et aux environs. Qu'aucun ne travaille le jour des fêtes gardées. Qu'aucun n'étale et n'entrouvre pas même sa boutique, et cela contre la pratique ordinaire des boulangers, bouchers, revendeuses et autres qui volent à Dieu son jour, et qui se précipitent malheureusement dans la damnation, quelques beaux prétextes qu'ils apportent, à moins que vous n'ayez une véritable nécessité reconnue par votre digne curé. Ne travaillez point les saints jours, en aucune manière, et Dieu, je vous le promets, vous bénira dans le spirituel, et même le temporel, en sorte que vous ne manquerez pas du nécessaire. Je prie mes chères poissonnières de Saint Sulpicien, bouchers, revendeuses et autres, de continuer le bon exemple qu'elles donnent à toute la ville, par la pratique de ce qu'elles ont appris dans la mission.
Je vous prie tous, en général et en particulier, de m'accompagner de vos /485/ prières dans le pèlerinage que je vais faire pour vous et pour plusieurs. Je dis pour vous
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car j'entreprends ce voyage long et Pénible, à la Providence, pour obtenir de Dieu, par l'intercession de la Sainte Vierge, la persévérance pour vous. Je dis pour plusieurs : car je porte en mon cœur tous les pauvres pécheurs du Poitou et autres lieux, qui se damnent malheureusement. Leur âme est si chère à mon Dieu qu'il a donné tout son Sang pour elle, et je ne donnerais rien ? Il a fait pour elle de si longs et pénibles voyages, et je n'en ferais rien ? Il a risqué jusqu'à sa propre vie, et je ne risquerais pas la mienne ? Ah ! Il n'y a qu'un idolâtre ou un mauvais chrétien qui n'est point touché de la perte de ces trésors infinis, les âmes rachetées de Jésus-Christ. Priez donc pour cela. Mes chers amis, priez aussi pour moi, afin que ma malice et mon indignité ne mettent pas obstacle à ce que Dieu et sa Sainte Mère veulent faire par mon ministère. Je cherche la divine Providence, aidez-moi à la trouver. J'ai de grands ennemis en tête : tous les mondains, qui estiment et /486/ aiment les choses caduques et périssables, me méprisent, me raillent et me persécutent, et tout l'enfer qui a comploté ma perte et qui fera partout soulever contre moi toutes les puissances. Au milieu de tout cela, je suis très faible et la faiblesse même, ignorant et l'ignorance même, et le reste que je n'ose dire. Il ne faut pas douter qu'étant unique et pauvre je périrai, à moins que la très Sainte Vierge et les prières des bonnes âmes, et en particulier les vôtres, ne me soutiennent, et ne m'obtiennent de Dieu le don de la parole, ou la divine sagesse, qui sera le remède à tous mes maux et l'arme puissante contre tous mes ennemis. Avec Marie il est aisé : je mets ma confiance en elle, quoique le monde et l'enfer en grondent, et je dis avec Saint Bernard : hoc filioli mei maxima fiducia mea, ac tota ratio spei meae. Faites vous expliquer ces paroles. Je ne les aurais pas osé avancer de moi-même. C'est par Marie que je cherche et que je trouverai Jésus, que j'écraserai la tête du serpent et que je vaincrai tous mes ennemis et moi-même, pour la plus grande gloire de Dieu.
/487/ Adieu, sans adieu, car si Dieu me conserve en vie, je repasserai par ici, soit pour y demeurer quelque
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temps soumis à l'obéissance de votre illustre prélat, si zélé pour le salut des âmes et si compatissant à nos infirmités, soit pour passer dans un autre pays, parce que, Dieu étant mon Père, j'ai autant de lieux à demeurer qu'il y en a où il est injustement offensé par les pécheurs.
Qui justus est justificetur adhuc.
Qui in sordibus est sordescat adhuc.
Aliis quidem odor mortis in mortem.
Aliis autem odor vitâ in vitam.
Tout vôtre,
LOUIS MARIE de Montfort, prêtre et esclave indigne
de Jésus en Marie.
F I N.
TABLE ONOMASTIQUE
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La présente table onomastique se réfère uniquement au texte de Grandet: son introduction et la biographie.
Les noms de lieux sont en italique et les noms des personnes en écriture courante.
Le premier chiffre, en italique gras indique la page de la première édition de Grandet de 1724. Le deuxième chiffre, en écriture courante, indique la page de l'édition de 1994.
A
Acase : 416. 226
Adam : 181.107 182.108
Afrique : 422.230
Albi (Mgr d') : 170.101
Alègre (M.et Mme d') : 292.163
Alleaume Jeanne : 433.236
Allenneau François : 434.236
Alonneau Jeanne : 434.236
Amis de la Croix : 190.111 191.112 256.144 340.187 401.219 402.219
Angers : 104.67
Angleterre : 199.116
Anjou : 281.157 431.234
Anselme : 313.174
Arcadie : 421.229
Armagnac (M. et Mme d') : 82.55 83.56
Arot : 470.255
Assérac (Sérrac) : 124.77 156.93 157.94
277
Aumon (Cyprien) : 273.153 274.154
Aunis : 259.146
Aurélius : 415.226
Auvergne: 172.102
B
B. (Mme) : 378.206
Bacheleraye (La Bachelleraie) : 1.13 7.16
Bacheret (Bécherel) : 113.71
Ballard : 4.4
Bargeaville : 35.31 36.31
Barmondière (M. Bottu de La) : 10.17 11.18 12.18 292.163
Barrin : 131.81 138.84 255.144 303.169 329.182 350.192 458.249 459.249
Bastignac : 282.158
Beauveau (Mgr de) : 436.238
Beauveau (demoiselles de) : 207.120
Bège (Antoinette de) : 429.234
Bellier (abbé) : 5.15
Bené (Besné) : 153.92
Bénédictines : 35.31
Béré (Besné) : 124.77
Bernard (sœur de L. M. de Montfort) : 43.35 50.39
Biesse (faubourg) : 168.99
Bonny : 259.146
Bouie (Boure) : 277.155
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Bouillé (Comtesse de) : 263.148 282.158 430.234 458.249
Bottreau : 443.241
Bouin : 460.250
Bougnais (Bouguenais) : 157 94
Bougnay (Bouguenais) : 124.77
Bretagne : 1. 13 10.17 23.24 112.71 147.89 461.250 470.255
Bretière (La) : 124.77
Bretonis : 431.234
Brigitins : 439.239
Brûle : 437.238
Brunet: 465.252
C
Calvaire : 56.42 80.54 89.59 91.60 92.61 148.90 149.90 150.90 151.91 152.91 153.92 154.92 - 155.93 156.93 157.94 158.94 160.95 161.96 - 162.96 163.97 164.97 164.98 165.98 166.98 - 167.99 168.99 200.116 258.145 303.169 - 304.170 450.245 451.245 459.249 461.250
Calvaire (religieuses du) : 88.59 94.62
Cambon (Campbon) : 124.77 139.85 141.86 142.86 144.87 145.88 153.92 195.114 310.172 311.173
Camus (Père) : 5.15
Canada : 23.24
Canitacius (Lucius) : 416.226
Capitole : 99.64
Caris : 277.155
279
Carmes : 106.68
Carthages : 415.226 423.230
Cassette (rue) : 35.31 – 50.39 308.171
Caton : 421.229
Celles Lévescaut : 465.252
César : 99.64
Cesson : 9.17
Chamilly (M. et Mme de) : 177.104 200.116
Champflour (Etienne de) : 172.102
Chartre Normande : 4.4
Châteaurenaut (M. de) : 163.97
Chérubins : 384.209
Chèze (La) : 114.72 117.74 131.81
Clément XI : 96.63 99.64 100.65 101.65 359.197
Clémenson : 194.114
Clermont : 172.102
Clisson : 259.146
Coislin (cardinal de) : 145.87 163.97
Coislin (duc de) : 144.87
Colasseau : 282.158
Colusson (Père) : 201.117 464.252
Communauté (St.Esprit) : 187.109 258.145 259.146 270.152 - 275.154 276.155 277.155
Comois (Camois) : 155.93
Compagnie de Jésus : 244.138
Compagnie de Marie : 189.110 227.130 243.138 244.138 251.142 267.150 280.157 348.191 403.220
Compagnie des vierges : 385.210
280
Constantin : 180.106
Constantinople : 417.227 418.228 425.231
Contré : 279.156
Corévêque : 425.231
Croix Chapeau : 201.117
Croix (sœurs de la) : 272.152
Courton (Courçon) : 201.117
Coutances : 186.109 275.154 278.155
Crebron : 296.165
Crossac : 124.77 145.88 146.88 153.92 305.170 310.172 311.173
D
Damas : 180.106
Darmenonville : 4.4
Dauvaise (demoiselles) : 459.249
Dauphine (porte) : 178.105
Démétriade : 421.228 422.229 422.230
Des Bastières : XVIII.12 126.78 129.80 131.81 134.82 136.83 138.84 139.85 140.85 142.86 145.88 - 179.105 181.106 182.107 190.111 194.113 - 194.114 202.117 210.121 286.160 287.161 - 297.166 302.168 302.169 303.169 304.169 - 305.170 309.172 316.175 329.182 331.183 - 332.183 341.188 343.189 349.192 350.192 362.198 367.201 372.203
Des Jonchères : 460.250
Despinose (M. de) : 164.98
Detehar : 277.155
281
Devois : 445.242
Dinan : 109.69 112.71 113.71 379.207
Dominicains (Pères) : 271.152
Donat : 417.227
Dotassini : 277.155
Doye (Père) : 201.117
Doyen (M. le) : 265.149 458.249 469.254 470.255
Dubois : 471.256 481.260
Du Portail : 255.144
E
Esnou (M. de) : 108.69
Espagne : 157.94
Etienne (de Champflour) : 190.111 265.149 273.153 440.240
Euphémie : 427.232
Eutropie : 420.228
Evode : 423.230
F
Faverie : 428.233
Filles de la Charité : 70.49
Filles de la Croix : 190.111
Filles de S. Joseph : 17.21
Filles de la Providence (religieuses) : 27.27 206.119
Filles de la Sagesse : 67.47 68.48 74.51 76.52 - 169.100 254.143 280.157 282.158 357.196 - 404.220 405.221
282
Flamanville (Jean Hervieu Bazan de) : 20.23
Flandres : 157.94
Fleury (abbé) : 413.225 413.226
Fontenay le Comte : 210.121 211.121 211.122 212.122 219.126 223.128 224.128 225.129 228.130
Fontevrault : 18.22 29.28
Foudras (Mgr de). 282.158
France : 3.4 100.65 101.65 103.66 336.185 386.210
Fréseau de la Fréselière : 172.102
G
Gabriel (Frère) : 257.145
Gantière : 467.253
Gârnache (La) : 172.102 259.146 309.17 2
Garnier : 269.151
Geste (Michelle) : 422.241
Girard (Mgr de) : 30.28 33.30 58.43
Goretterie (La) : 81.55
Gourdan (Père) : 53.40
Grenezay (Guernesey) : 196.114 197.115 198.115
Grignion (Jean Baptiste) : 1.13
Grignion (Louise) : 2.14 28.27 42.34 43.35 50.39
Grolière(La) : 431.234
Gué d'Alléré (d'Aleret) : 206.119
Guilbaut (Olivier) : 428.233
Guillar (Charles) : 433.236
Guillemot : 278.156
283
H
Haro : 4.4
Heguy : 277.155
Herbignac (Arbignac) : 124.77 155.93
Honorius : 424.231
Hôpital de la Charité : 104.67
Hôpital Général : 6.15 37.32 38.32 61.44 68.48 74.51 76.52 468.254 471.256 472.256 473.257 474.257
Hôtel Dieu : 11. 18 34.30 106.68 356.195 441.240 442.240 444.242
I
Illirie : 427.232
Incurables (sœurs des) : 258.145
Indes : 22.24 359.197
Indicia : 414.225
Isle Daile (Ile d'Elle) : 201.117
Isle Dieu (Ile d’Yeu) : 194.113 196.114 197.115 199.116 200.116
Italie : 96.62 97.63 317.176 386.210
Italique : 419.228
J
Jacobins : 109.69 111.71 175.103 177.104 181.107 194.113 379.207
284
Jacques (Frère) : 258.145
Japon : 22.24 363.199
Jarrie (La) : 201.117
Jean (Frère) : 258.145 375.205
Jésuites (collège) : 4.15 32.29
Jésuites (Pères) : 33.30 304.169
Joseph (frère de Montfort) : 318.176
Joubart, (Père) : 123.77 153.92
Julienne : 422.229 423.230
Jussé (Mademoiselle de): 5.15
K
Kentin Pierre : 205.119
L
La Brûlerie (M. de) : 258.145
La Chetardie (M. de) : 37.32
La Machefolière (M. de) : 282.158
Lamy (Adrienne) : 432.235 433.235
Landemont : 124.77
La Poype (Jean Claude de) : 58.43 274.154 440.240 441.240
Larmandière : 124.77
La Roche (Alain de) : 109.70
La Tour (Père de) : 60.44 82.55 95.62 104.67 300.167 453.246 458.249
Launay (André) : 430.234 432.235
285
Launay (Jeanne) : 431.234
Lavardin (Mgr de) : 108.69
La Volpilière (M. de) : 259.146
Leigné (Marie Louise) : 429.233
Leschassier : 12.19
Lescure (François de) : 170. 101
Leudugé (Ludugé) : 109.69 112.71 – 114.72 152.91
Le Valois : 275.154 276.155 277.155
Lévêque (Levesque) : 23.24 24.25
L'Hermenault (I’Armeneau) : 218.125 219.126
L'Houmeau (I'Humeau) : 174.103
Ligugé : 103.66
Loire : 24.25 158.94
Lorette : 98.64 317.176
Lorraine (La) : 39.33 40.33 43.35
Lorraine (duc de) : 43.35
Louis (Frère) : 257.145
Louis (Louis XIV) : 3.3 150.90 170.101 172.102
Louvre : 4.4 356.195
Luçon : 170.101 172.102 194.114 200.116 281.157 - 309.172 340.187 448.244
Lucrèce : 421.229
Lude (le) : 296.165
Lunéville : 43.35
Lyon (comte de) : 58.43
M
Machefolière (château de la) : 430.234
286
Magnane (marquis de) : 281.157
Marans : 183.108
Marcellin : 422.229
Marcien (empereur) : 427.232
Marennes : 206.119
Martinet : 461.250 463.251
Martinien (empereur) : 427.232
Mathurin (Frère) : 77.53 79.53 103.66 106.68 110.70 111.70 111.71 114.72 115.72 117.74 185.108 185.109 258.145
Maure : 177.104
Maxime : 414.225 421.229
Melchtilde (Mère de Ste) : 35.31 36.31 37.31 39.33
Mellé : 269.151 281.157
Ménis (M. du) : 212.122 215.124 218.125
Mervent : 207.120 208.120 230.131 310.172
Miane (M. de) : 129.80
Milan : 415.226
Missillac (Messillac, Mussillac) : 124.77 154.92
Moncontour : 120.75 121.76
Montbernage : 78.54 318.179 481.266 483.267
Montespan (Mme de) : 17.22 18.22 428.238
Montfort la Cane : 1. 13 111.70 114.72 120.75 121.76 357.196 378.207
Montigny (Mademoiselle de): 9.17 10.17 10.18 17.21
Montois (Marie) : 430.239
Montréal : 23.24
Mont St Michel : 104.68
Mont Valérien : 55.42 56.42
287
Mortemart (duchesse de) : 17.21
Motte St Nicolas : 324.183
Motte St Pierre : 127.80
Moussay : 205. 110
Mulot Jean : 269.151
Mulot Pierre : 224.128
Mulot René : XIX 12 223.128 224.128 225.129 - 226.129 226.130 257.145 258.145 259.146 - 261.147 267.150 273.153 274.154 275.154
N
Nantes :1.3 XIX. 12 23.24 23.25 26.25 26.26 29.28 56.42 76.52 123.77 124.77 126.78 131.81 138.84 142.86 148.89 153.92 154.92 157.94 161.96 162.96 163.97 165.98 168.99 169.100 170.101 171.101 182.107 207.120 252.142 254.143 255.144 256.144 257.145 262.147 303.169 305.170 310.172 311.173 324.179 329.182 330.182 332.183 340.187 352.193 353.194 436.238 446.242 448.243 448.244 452.245 459.249 460.250
Navarre : 1.3
Neace : 423.230
Néri (Philippe de) : XIV, 10
Nicolas (Frère) : 257.145 258.145 311.173
Nicolas (dame Hilaire) : 428.233
Nicomédie : 417.227
Niort : 278.156
Noailles Antoine (cardinal de) : 20.23 65.41
Normand (Le) : 289.162 464.252
288
Normandie : 275.154
Notre Dame (chap. égl. Psse) : 193.113 262.147 443.241
Notre Dame (religieuses de) : 211.122
N. D. des Ardilliers : 104.67 232.132 233.133 235.134
N. D. de Bonne Nouvelle : 106.68
N. D. de Chartres : 317.176
N. D. des Larmes : 444.242
N. D. de Lorette : 97.63 317.176
N. D. de Mséricorde : 317.176
N. D. de Toute Patience : 259.146 310.172 317.176
N. D. Reine des cœurs : 317.176
N. D. des Victoires : 259.146 309.172 317.176
Nouveau Monde : 22.24 95.62
Nozay (actuellement Mauzé) : 201.117
Nuaillé : 201.117
Nueil sous Passavant : 278.156
O
Occident : 427.232
Oléron : 93.61 204.118 205.118 205.119 478.259
Olivier (Gabriel) : 163.97 166.98
Olybrius : 422.229
Orient : 100.64
Orléans : 24.25
Ouvrard (Louise) : 431.234 434.236
Oxyringue : 413.225
289
P
Paris : XIX. 13 3.4 - 9.17 10.17 18.22 20.23 23.24 26.26 29.28 30.28 34.30 35.31 36.31 37.32 38.32 39.33. 43.35 44.36 – 51.39 54.41 55.41 56.42 - 58.43 163.97 170.101 172.102 186.109 187.109 187.110 204.118 204.119 275.154 277.155 293.164 296.165 308.171 334.184 337.186 340.187 350.192 350.193 356.196 398.217 426.232
Parthenay (Partenay) : 442.241
Paterna : 415.226
Pathmos (Ile de) : 83.56
Pénitentes : 74.51 76.52 79.54 80.54 84.56 124.77
Péronnet : 428.233 435.237
Perpignan : 20.23
Philippe (Frère) : 257.145
Phinéès : 59.43 326.181
Places (Poullart des) : 275.154
Plumieux : 117.74
Poiré (le): 183.108
Poitiers : XIX.12 29.28 30.28 32.29 33.29 33.30 37.32 38.32 48.38 58.43 59.43 60.44 61.44 61.45 64.46 68.48 74.51 76.52 77.53 78.53 79.53 80.54 81.54 82.54 86.57 88.59 90.60 91.60 93.61 95.62 96.63 103.66 103.67 104.67 108.69 169.100 257.145 258.145 268.151 269.151 273.153 274.154 278.156 279.156 281.157 282.158 289.162 300.167 310.172 318.176 321.178 340.187 356.195
290
379.207 404.220 428.233 430.234 432.235 433.235 433.236 434.236 435.237 436.238 440.240 441.240 442.240 453.246 455.247 457.248 458.248 465.252 471.256 475.257 477.259 478.259 480.261 484.262
Poitou : 278.156 485.263
Pontchâteau (Pont Château) : 56.42 124.77 139.85 140.85 142.86 144.87 148.89 148.90 152.91 153.92 165.98 200.116 303.169 310.172 450.245
Pont Neuf : 16.20
Préfontaine (Père de) : 445.242 453.246 461.250
Proba : 422.229 423.230
Providence (Maison de la) : 288.161 324 179
Pyronnet (René) : 432.235
Puy en Velay : 386.210
Q
Québec : 163.97
R
Rambervillers : 39.33 42.34 43.35 50.39
Religieuses du Saint Sacrement : 35.31 44.35 51.39 54.41 308.171 334.184 398.217
Renaudière (La) : 431.234
Rennes : 4.15 5.15 6.15 6.16 9.17 10.18 18.22 35.30 38.32 105.68 - 106.68 108.69 109.69 121.76 190.111 291.163 378.207 470.255
Résurrection (paroisse de la) : 80.54 84.56 481.261
291
Revol : 92.61 94.62 478.269
Riez : 425.231
Ripoche (Anne) : 432.235
Robert (Jeanne) : 1. 13
Rochechouart (de La) : 18.22
Rochelle (La) : XIX.13 76.52 172.102 174.103 175.103 176.104 177.104 178.105 181.106 182.107 183.108 184.108 185.108 186.109 188.110 – 189.111 190.111 192.112 193.113 194.113 194.114 197.115 200.117 - 201.117 203.118 205.119 210.121 218.125 251.143 252.143 257.145 258.145 263.148 265.149 269.151 273.153 281.157 310.172 336.185 340.187 356.195 386.210 402.219 403.220 436.238 – 438.239 440.240
Rode (la) (La Ronde) : 201.117
Romains : 421.229
Rome : 95.62 96.63 97.63 98.64 99.64 101.65 101.66 102.66 103.67 130.80 260.146 – 362.198 414.225 420.228 420.229
Rosaire (Confréries ou prière) : 259.146 271.152 399.218
Rouen : 187.110 419.218
Roulleau (Mgr) : 273.153
Roussay : 431.234
S
Sables d'Olonne : 197.115
Saint Amand : 206.119 207.120 208.120
Saint Ambroise : 414.225 XIV. 11
Saint Aubin : 442.225,
292
Saint Augustin : 14.20 358.196 415.226 421.229 423.230 424.312
Saint Bonaventure : 313.174
Saint Brieuc : 114.72 117.74 152.91 340.187
Saint Cantalice (Félix de) : XIV. 10
Saint Clément (Cté) : 23.24 427.79
Saint Christophe : 201.117
Saint Christophe/Roc : 124.77
Saint Dominique : 113.72 247.140 312.174 399.218
Saint Donatien : 124.77 157.94 324.179
Saint Etienne : 423.230 433.236 434.236
Saint Fiacre : 124.77
Saint François (Tiers Ordre) : 113.72
Saint François de Sales : 12.19 373.204
Saint François Xavier : 363.199
Saint Germain (d’Auxerre) : 426.232
Saint Germain (faubourg) : 10. 17 – 15.20 17.21
Saint Gilles : 197.115
Saint Grégoire : 14.20 188.110 416.226
Saint Hilaire (paroisse) : 103.66 170.101 171.101
Saint Innocent : 419.228
Saint Jean Baptiste : 8.16 21.23
Saint Jean Chrysostome : 416.227 417.227 418.227 418.228 419.228
Saint Jean d’Angély : 279.156
Saint Jean (Evangéliste) : 83.56 84.56 310.172 430.234 477.259
Saint Jean (Paroisse de Montfort) : 2.13
Saint Jérôme : 419.228 420.228 423.230
293
Saint Joseph (communauté) : 26.26 28.27 34.30
Saint Joseph (Mère de) : 52.40 53.40
Saint Julien de Concelles : 460.250
Saint Léon : 426.232
Saint Laurent sur Sèvre : 77.52 - 252.142 - 252.143 - 253.143 259.146 262.147 - 265.149 - 278.156 - 280.157 282.158 405.221 - 430.234 - 432.235 - 435.236 458.249 470.255
Saint Louis : 103.66 174.103 181.107 184.108
Saint Malo : 1.13 19.22 109.69 112.71 113.71 340.187 378.206 449.244
Saint Martin : XIV.10 103.66 269.151 416.226
Saint Médard : 201.117
Saint Molf : 161.96
Saint Nicolas : 178.105 179.105 222.127
Saint Philippe (de Néri) : XIV.10
Saint Pierre (de Rome) : 98.64
Saint Pompain : 224.128 225.129 226.130 232.132 233.133 234.133 252.142 269.151 281.157
Saint Porchaire : 31.29
Saint Rogatien : 324.179
Saint Saturnin : 80.54 481.261
Saint Sauveur (paroisse) : 106.68 124.77 201.117
Saint Sambin (Similien) : 123.77 124.77
Saint Savin : 79.54
Saint Similien : 153.92
Saint Simplicien : 481.261
Saint Suliac : 113.71
294
Saint Sulpice : 10.17 – 12.18 – 12.19 20.23 23.24 - 35.31 37.32 170.101 172.102 291.163 - 292.163 293.164 338.186 351.193 460.250
Saint Victor (abbaye) : 53.40
Saint Victrice : 419.228
Saint Vivien : 201.117
Saint Yves : 6.15
Sainte Catherine : 80.54
Sainte Catherine (religieuses de ) : 95.62
Sainte Démétriade : 420.228 422.229 422.230
Sainte Geneviève : 426.232
Sainte Marcelline : 414.225 415.226
Sainte Nicarète : 417.227 418.227
Sainte Pulchérie : 421.229 424.231 426.232 427.232
Sainte Olympiade : 418.228 419.228
Sainte Radegonde : 78.53 80.54 444.242
Saint Simon : XIV.9
Saint Père : 130.80 260.146 268.151 269.151 270.152 271.152 272.153
Saint Siège : 54.41 273.153 284.159 308.171 404.220
Saintes : 201.117 202.117 203.118 204.118 340.187 403.220
Sallertaine (Célartine) : 220.116
Salpêtrière : 56.42
Savarne : 86.57
Séguinière (La) : 205.119 207.120 259.146 310.172
Seignette : 372.203
Séraphins : 384.209
Sigonière : 428.233 435.237
295
Simon (le magicien) : 331.183
Sorbonne : 14.19 170.101
Sulpice – Sévère : XIV.10
Surin (Seurin) : 88.58
T
Tairé (Thairé) : 201.117
Tartre (Françoise Jacques Perrine) : 442.241
Taugon la Ronde : 201.117 309.172
Tertullien : 346.190
Théatin : 99.64.
Thébaïde (Basse) : 413.225
Théodore : 413.225
Théodose : 421.229 424.231 425.231 427.232
Thomas : 277.155
Thouars : 234.133
Toul : 39.33 42.34 43.35
Toulouse : 420.228
Toutan (Hilaire) : 273.153 274.154 278.156
Tronson : 12.18 23.24
Tulle : 282.158
V
Valier : 293.164
Vallet (Vallete) : 124.77
Vanneau (Le) : 201.117 202.117 203.118 310.172
Vannes : 445.242
Vatel : XIX. 12 186.109 187.110 188.110 189. 110 227.130
Verger : 1.3
296
Vérines (Vérinne) : 201.117
Vérone : 414.225
Vertamont (M. de) : 255.144
Vertou : 124.77 332.183 334.184
Vigilence : 419.228
Vihiers (Vihers) : 267.150
Villiers en Bois : 278.156
Vincent (M.) : 71.49
Vizeule (Robert de La) : 106.68 291.163
Vouvant (Vouvent) : 228.130 230.131 258.145
Z
Zénon : 414.225
297
TABLE ANALYTIQUE
Adoration. 13.19 33.30 306.171
Affection. 2.13 17.21 42.34 43.35
Apostolat. Pratiques spirituelles : 314.174 ; Etablissements d'écoles chrétiennes : 383.209 ; Confrérie des pénitents et des vierges : 385.210 ; Chant des cantiques : 391.213 ; Faire le catéchisme : 393.214 ; Adoration perpétuelle : 398.217 ; Confrérie du rosaire : 399.218 ; Amis de la Croix : 401.219 ; Compagnie de Marie : 403.220 ; Filles de la Sagesse : 405.220 ; Processions générales: 405.221
Approbation du travail apostolique de Montfort. Évêques de Nantes, La Rochelle et Poitiers: 273.153
Attentat à Nantes : 123.77 ; Campbon : 139.85 ; La Ro¬chelle : 181.106
Attestation en faveur de Montfort. Évêques de La Rochelle et Poitiers P. Préfontaine P. de La Tour Abbé Barrin M. des Jonchères P. Martinet P. Colusson M. Le Normand M. Arot M. Dubois : 437ss.238ss
Baptistère St Jean de Poitiers : 83.56
Bonté pour ses frères 374.204 ; au tribunal de la pénitence : 376.205
Calvaire. Construction à Pontchâteau : 148.89 ; Relation de l'événement: 152.91
Cantique "Dieu soit béni": 306.170
Carnaval/Jeux. Horreur de Louis-Marie : 7.16 128.79
Cesson. Départ pour Paris : 9.17
Chapelet. Fidélité à le réciter : 221.127
Cimetières. Contre les cimetières dans les églises : 143.87 146.88 311.173
298
Contradictions. On le prend pour un extravagant 175.103 202.117 ; Mission de Saint Jean de-¬Fontenay : 210.121
Corsaires. Poursuivi en allant à l'Ile-D’Yeu : 194.113
Courage. Lors des inondations à Nantes : 168.99
Croix. Il plante des croix: 178.105 220.126 ; amour des croix, faits et témoignages : 328.181 ; "Point de croix, quelle croix !" 333.184 ; qu'il distribue : 101.65 402.219
Crucifix. Indulgences plénières : 100.65 ; bénédiction avant sa mort : 261.147
Curé. Il trouve un curé selon son cœur, Pierre Kentin : 205.119
Dessin. Il apprend à dessiner: 8.16
Détachement des biens de ce monde, de ses parents : 377.206
Dévotion. A Marie: 4.14 312.173 au bienheureux de La Roche : 109.70
Disponibilité à la volonté de Dieu : 84.66
Douceur. 373.204 376.205 474.257
Ecoles charitables. 192.112 383.209
Eglises. Rénovation, décoration, réfection : 142.86 205.119 208.120 309.172
Epitaphe. Pierre tombale : 266.149
Etablissements à St Laurent-sur-Sèvre : 267.150 280.157 282.158 405.221
Evénements singuliers. Poitiers : 81.55 ; manifestation du démon 86.57 87.57 261.147 église des pénitentes 84.56 ; à Fontenay-le-Comte 212.122
Exhumation du corps de M. de Montfort : 263.148
Faits contradictoires. Cabarets, danses, profanation des fêtes et dimanches, foires : 321.178
299
Famille. Louis-Marie aide sa sœur : 17.21 26.26 35.30
Foi. (confiance abandon) principe et fondement de sa foi : 283.159 ; un fait : 198.115
Fondateur. Filles de la Sagesse : 68.48 ; Compagnie de Marie : 243.138
Fontevrault. Pour voir sa sœur : 29.28
Guérisons extraordinaires par intercession de M. de Montfort : 428.233
Humilité. Haut degré que M. de Montfort y porte: 367.201
Humiliation à Paris : 57.42 ; église des religieuses du Calvaire : 89.59 interdiction à Poitiers : 95.62 - 104.67 ; pendant voyage à Rome : 97.63 ; à la Chèze 132.81 ; paroisse du Vanneau : 202.117
Humour. Aventure à Dinan: 109.69 ; à St Brieuc : 117.74 en revenant de Rome : 102.65
Hôpital. L'appel des pauvres de Poitiers : 30.28
Hôtellerie. Hébergement chez une pauvre femme : 171.101 "... la Providence y pourvoira. " : 173.102
Infirmier pour les incurables : 65.46 169.100
Injures proférées par des prêtres : 134.82
Lettres. A sa sœur: 27ss.26ss 44ss.35ss ; aux Amis de la Croix : 190.111 Supérieure de la maison des invalides : 253.143 aux habitants de Montbernage : 481.261
Libertins. Correction des ... 24.25 32.29
Maître spirituel. Il connaît l'état intérieur d'une religieuse : 51.39
Malade. 11.18 135.83 137.84 256.144 372.203
Miracles des croix. Pontchâteau : 162.96 ; La Rochelle: 179.105
Missionnaire apostolique. Clément XI lui donne le titre de ... : 101.65
300
Missions avec M. Leudugé : 78.53 ; "Que faisons nous ici ?": 22.24 ; apprentissage de la ... : 25.25 ; alliance avec le P. Joubart : 123.77
Mortifications à modérer : 12.19 ; par la maladie 135.83 ; destruction du calvaire de Pontchâteau 164.98 467.253
Offrandes à Jésus Christ. 1.5
Oraison. Amour de l' ... : 294.165
Ordination. Crainte des saints ordres : 19.22 ; piété du jeune prêtre: 21.23
Pape. Message au P. de Montfort: 100.64 obéissance au ... 359.197
Pauvres. Organisateur de leur vie 61.44 partage avec eux : 96.63 ; repas à Montfort : 122.76 charité pour les ... "Sacrement de Jésus Christ" "Je vais chercher le bon Jésus.": 354.194
Pauvreté. Amour de la ... : 346.190 ; des faits : 62.45 105.67
Péché. Haine du ... : 321.178
Pèlerinages. à Rome: 96.62 ; Saumur, le Mont St Michel, Rennes 104.67 ; quantité de pèlerinages à pied : 317.176 des pénitents : 233.133
Persécutions. Par des écoliers : 123.77 ; par des soldats : 126.78
Pont Neuf. Combat contre les charlatans : 16.20
Possession. Un fait à la mission de Vouvant : 228.130
Pratique des vœux. 396.216
Précepteur de ses frères: 7.16
Prédication aux pauvres, enfants et jeunes: 31.28
Présence actuelle de Dieu : 296.165
Prière à Notre-Dame. Ses pratiques : 313.174
301
Prière embrasée. 244.139
Processions générales. Des pénitents : 233.133 ; des 33 pauvres : 221.12 7 ; l'ordre qu'il y gardait : 405.221
Providence. Témoignages de M. des Bastières : 286.160 M. Normand : 289.162 ; d'un mûletier : 290.162 ; "J'ai un Père dans les cieux qui est immanquable" 291.163 ; de M. Valier : 293.164
Purgatoire. Dévotion aux âmes du ... : 319. 177
Règlement des Filles de la Sagesse : 74.51 ; des péni¬tents : 386.210 ; des vierges : 388.211
Rencontre. Avec sa nourrice : 116.73 ; à St Brieuc : 117.74
Retraites personnelles : 86.57 104.67 162.96 167.99
Saint Eloi. 193.113
Saint Germain. Catéchismes aux enfants les plus dissipés : 15.20
Sculpteur. M. Adam : 181.107 185.108
Solitude. Grotte de Mervent : 230.131
Sorbonne. Louis-Marie y renonce : 13.19
Supplique au St Père : 269.151
Testament de M. de Montfort : 257.145
Vocation du Frère Mathurin : 79.53 ; M. Vatel : 186.109 ; M. Mulot : 224.128 ; MM. de Valois, Toutan, Guillemot : 275.154
Zèle. Incompris : 59.43 ; apostolique : 358.196 dans les lieux de débauche: 363.199
NOTES