Besnard 09 pp 513-571
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LIVRE NEUVIEME
169 - Ses vertus[1]
Sa
foi[2] était vive, pure, et
simple. Vive, opérant par les œuvres ; pure, à couvert de tout soupçon d'erreur
et de nouveauté ; simple, ne connaissant d'autre règle que celle qui est
commune à tous les fidèles, la révélation proposée par l'Eglise. Jamais on ne
le vit hésiter sur[3]
les décisions des premiers[4] pasteurs unis dans un même
enseignement avec le chef, le premier des pasteurs. Instruit dans les principes
d'une saine théologie, il sut en faire usage[5] pour se décider dans les
circonstances les plus critiques, et /261/ reconnaissant dans l’église un tribunal
toujours subsistant pour prononcer sur les points contestés, il[6] ne crut pas qu'on put
suspendre la soumission qui est due à ses jugements, et les reçut avec l'obéissance
la plus prompte et la plus entière. Il donna toute sa confiance à ceux dont il
connaissait mieux le zèle pour les intérêts de la foi, et il eut plus d'une
fois la gloire d'être persécuté par les partisans de l'erreur. Mais, outre
cette adhésion parfaite à tout ce que les fidèles sont obligés de croire, il
eut encore cette grâce particulière d'une foi qui rend les mystères comme
sensibles, et qui fait sur l'esprit une impression presqu'égale à celle que
ferait le témoignage des sens. On l'a vu rester comme en extase à l'autel,
regarder les malheureux[7] avec cet œil de la foi qui
non seulement s'attendrit sur eux, mais qui révère[8] en eux ce que l'évangile
canonise, jusqu'à s'écrier, portant un pauvre à qui il voulait donner un asile[9] : «Ouvrez la porte à
Jésus-Christ». On lui a entendu prêcher les grandes vérités[10] de la religion avec une
énergie qu'on ne pouvait attribuer qu'à la foi d'un saint et d'un homme
inspiré. Il faudrait revenir sur le détail de tout ce qu'il a fait, pour donner
une preuve complète qu'il ne vivait que de la foi.
C'était
ce même esprit de foi qui lui inspirait un zèle si ardent pour le respect qui
est dû au lieu saint. Son cantique sur les irrévérences dans les églises,
intitulé Amende honorable au
Saint-Sacrement en sera un monument éternel. On y trouve ce que la religion
peut inspirer de plus touchant et de plus attendrissant. Le style négligé n'en
parle que mieux le langage de la douleur, et se rapproche plus de l'élégie. On
y trouve même du sublime. Ce sont les vives expressions d'une foi qui gémit,
qui s'alarme, qui adore, qui aime. C'est Jésus-Christ outragé qui se plaint par
la bouche d'un saint.[11] Lui-même, à l'exemple de
ce Dieu Sauveur[12],
semblait oublier sa douceur ordinaire lorsqu'il s'agissait d'arrêter les
profanations. C'est peut-être une des singularités qu'on lui a reprochées ;
mais[13] elle entrait comme le
reste dans le plan qu'il s'était formé d'imiter autant qu'il lui serait
possible les actions de Jésus-Christ, et il ne croyait pas qu'un ministre de
ses[14] autels pût souffrir qu'on
manquât de respect dans sa sainte maison. Il reprenait pourtant avec cette
réserve qui évite d'augmenter le scandale en voulant l'arrêter. Il se
contentait de dire d'un ton humble, mais vif, d'un air sévère, mais charitable
: «Ne savez-vous pas que vous êtes dans la maison de Dieu ? »
La
foi ne le rendait guère moins sensible à l'état pitoyable où il trouvait un
grand nombre d'églises. Il n'en est peut-être aucune de celles dans lesquelles il
a donné des missions qu'il n'ait ou rétablies ou décorées. Il avait un talent
particulier pour engager les peuples à entreprendre ces sortes d'ouvrages, et
/262/ quelquefois ils les achevaient avec une promptitude qui semblait être un
miracle accordé à sa foi[15] Il faisait acheter des
tabernacles magnifiques et dorer ceux qui ne l'étaient pas. Lui-même il se
donnait la peine de nettoyer les murs des églises, les statues, les tableaux
des saints, les autels, et faisait toutes ces fonctions en surplis, en chantant
des cantiques, ou en psalmodiant le chapelet avec les personnes qui
partageaient le travail avec lui.
Sa
foi se manifestait encore mieux par les sentiments[16] dont il paraissait
pénétré dans le lieu saint. Fervent adorateur, ange à l'autel, soit qu'on le
vît célébrer, soit qu'on le considérât pendant le temps[17] de son action de grâces,
qu'il faisait toujours dans l'église. On ne pouvait n'être pas vivement frappé[18] de la grandeur des
mystères et de la sainteté du ministère. Ce fut par ces traits qu'il s'annonça
d’abord dans l'hôpital de Poitiers. «Venez, disaient les pauvres, en le voyant
recueilli, immobile, tout ravi en Dieu au milieu de la chapelle après sa messe,
venez voir un saint. Voilà l'homme qu'il nous faut pour nous conduire dans les
routes du salut. Il faut le demander et le retenir parmi nous.» Il n'était pas
quelquefois reconnaissable[19] en offrant l'adorable
sacrifice, son visage se couvrant alors d'une rougeur extraordinaire et
paraissant presque lumineux. On se rendait[20] en foule pour entendre sa
messe, et on enviait le bonheur de la servir. Enfin, la dévotion, la ferveur,
la dignité avec lesquelles il traitait le sacrement auguste, concouraient à en
affermir la créance et en devenaient comme un argument de crédibilité. Le
respect que la foi lui inspirait pour Jésus-Christ, Dieu et Homme corporellement
présent sur l'autel, elle l'en pénétrait[21] aussi, dans quelque lieu
qu'il fût, pour la présence de Dieu dont l'immensité remplit tous les espaces. De
là, cet air de recueillement et de dévotion qui l'accompagnait partout. De là,
cette décence dans toutes ses actions, cette tranquillité dans tous les
événements, voyant Dieu en tout, suivant en tout cette maxime qu'il avait prise
pour devise : Dieu Seul ! Tout lui servait à s'élever à Dieu, et l'on peut dire
qu'il ne regardait ce grand univers que comme un vaste et auguste temple que
Dieu remplit de sa majesté, et où il veut être adoré en tous lieux.[22] Cette pensée le pénétrait
si vivement qu'il était dans une adoration presque continuelle, faisant même
ses voyages la tête /263/ découverte, soit qu'il tombât de la pluie, soit que
les ardeurs du soleil fussent excessives, afin de joindre[23] par là un culte extérieur
à celui qu'il ne cessait de rendre intérieurement à l'Etre Suprême.
170 - Sa confiance en Dieu
Une
foi si vive ne pouvait manquer de produire en lui une ferme confiance dans la
bonté de Dieu et un parfait abandon à[24] sa divine Providence. Il
se reposait sur cette Providence bienfaisante, comme un enfant sur les bras de
sa mère, et ce fut pour en dépendre uniquement qu'il s'engagea à ne rien[25] posséder en propre, et
qu'il fit[26]
vœu de pauvreté. Jamais il ne voulut[27] recevoir aucune somme
d'argent pour ses missions, qu'il fit au nombre de plus de deux cents en
différents diocèses. Il est vrai que quelquefois, les deux ou trois premiers
jours, ses[28]
missionnaires et lui manquaient de bien des choses ; mais dès[29] qu'il avait déclaré en
chaire qu'ils vivaient des aumônes des fidèles et qu'ils donnaient gratuitement
les intentions de toutes leurs messes à ceux qui contribuaient à leur
nourriture, alors il leur venait de toutes parts des aliments en si grande
abondance qu'il en restait[30] de quoi[31] donner aux pauvres, que
M. de Montfort faisait subsister pendant tout le cours de la mission.[32] «J'ai vu, dit un des
missionnaires qui travaillaient avec lui, j'ai vu jusqu'à cinquante grands
pains rester de notre nourriture de chaque jour et de celle des pauvres qui
étaient toujours en grand nombre, puisque j'en ai compté jusqu'à deux cents par
jour, dans plusieurs paroisses où j'ai fait mission. Comme j'avais le soin ordinairement
de conduire les pauvres dans le lieu où on leur donnait à manger et de les
servir à table, il m'est arrivé cinq ou six fois de n'avoir pas un morceau de
pain à leur donner ; j'en avertis la première fois M. de Montfort, qui n'en
parut nullement embarrassé et me dit simplement de les conduire au lieu
accoutumé et que la Providence pourvoirait à leurs besoins. J'exécutai ses
ordres, ne sachant d'où il nous pourrait venir du pain. Cependant, je les fis
asseoir /264/ à table, n'ayant rien à mettre dessus, ce qui me mortifiait
beaucoup, parce qu'il y avait plus de deux cents personnes présentes qui
s'attendaient d'avoir le plaisir de voir manger ces pauvres qui avaient grand
faim. Je leur fis faire, en attendant, une petite lecture pendant laquelle j’allai
dans la maison de la Providence où je fus fort étonné de trouver une grande
quantité de pains et d'autres provisions, qui étaient venues de je ne sais où. Je
les fis porter tout aussitôt à nos pauvres, qui eurent ce jour-là double
portion. Pareille chose est arrivée cinq ou six fois de ma connaissance.»
M. de Montfort s'était exercé de bonne heure
à cet abandon entier à la divine Providence, et les puissants secours qu'il y
avait trouvés l'encourageaient à ne chercher jamais d'autre ressource. Lorsqu'il
était dans la communauté de M. de la Barmondière à Paris, ayant besoin d'un
habit de dessous, il pria un vertueux laïque nommé M. le Vallier, que le
charitable supérieur avait retiré dans sa communauté, d'aller lui en acheter un
à la fripperie. «Voilà trente sols, lui dit-il, pour faire cette emplette.» M.
le Vallier lui dit qu'il n'aurait pas cet habit pour ses trente sols. «Allez,
lui répliqua-t-il, ne vous mettez pas en peine ; si on veut le vendre plus
cher, la Providence y pourvoira, et donnez la pièce de trente sols au premier
pauvre que vous trouverez.» En effet, le commissionnaire revint et lui dit
qu'il ne lui avait rien apporté ; qu'on s'était moqué de lui quand il n'avait
offert que trente sols de ce qui valait vingt francs, et que, suivant son
intention, il avait donné les trente sols au premier pauvre qu'il avait
rencontré dans la rue. «Bon, dit M. Grignion, pendant que vous étiez occupé à
me faire cette charité, une personne m'a apporté deux pistoles que voilà ; je
vous prie de les porter au marchand pour m'acheter un habit.» Nous omettons
bien d'autres traits qui feraient voir quelle était sa confiance dans les soins[33] paternels de celui qui
revêt les lys de la campagne et qui[34] nourrit les plus[35] petits oiseaux, confiance
que Dieu récompensa souvent /265/ par des secours qui tenaient du prodige. R
les recevait avec des sentiments de reconnaissance qui égalaient la grandeur de
la foi qui les lui avait mérités et qui[36] concouraient à le
pénétrer d'un amour pour Dieu le plus vif et le plus enflammé.
171 - Son amour pour Dieu
Ce
feu sacré de l'amour divin se manifestait assez par ses œuvres. Lui seul
pouvait lui inspirer tant de saintes entreprises, lui faire surmonter tous les
obstacles, l'animer, l'encourager, au milieu des rebuts, des traverses, des
ignominies, des persécutions qu'il eut à essuyer. Mais cet[37] amour, qui semblait se
livrer tout entier à l'action, n'en était ni moins affectueux, ni moins tendre,
à en juger par le recueillement profond et presque extatique de ses
méditations.[38]
Souvent il l'exhalait en de touchantes aspirations dont on a conservé le
souvenir. «Oh ! s'écriait-il, quel malheur ! Dieu n'est point aimé, parce qu'il
n'est point connu.» Accoutumé à s'occuper de Dieu lors même qu'il fallait se
prêter au commerce des entretiens, il paraissait quelquefois dans une espèce de
sommeil, et lorsque ceux qui étaient présents lui demandaient ce qu'il faisait.
«J'étais, répondait-il, entre Jésus et Marie. Je croyais que l'un et l'autre
étaient dans mon cœur, l'un à la droite, l'autre à la gauche. Je tâchais de
leur témoigner ma reconnaissance de la visite qu'ils me faisaient.» Ceux qui
l'ont accompagné dans ses missions ont rapporté[39] qu'ils l'ont souvent
entendu dire en chaire : «Ah ! pécheur ! ah ! pécheur ! si tu savais combien
Dieu est bon, et combien il est aimable, tu ne l'offenserais jamais. Le plus
grand des malheurs, c'est de ne vous pas connaître, ô mon Dieu ! et le plus
grand des supplices, c'est de ne vous pas aimer. O mon doux Jésus faites que je
vous aime toujours de plus en plus.»
«Il
me serait impossible, dit un prêtre qui a vécu avec lui, de répéter toutes les
édifiantes paroles que je lui ai entendu prononcer pendant ses oraisons. Je ne
saurais dire au vrai combien il faisait d'oraison par jour. Je crois que le
nombre était indéterminé. Outre celle que nous faisions ensemble, je l'ai vu en
faire une avant de dire la sainte messe, et une après l'avoir dite, celle-ci
lui servait d'action de grâces, et une avant de prêcher. Il pouvait par
conséquent en faire cinq par jour pendant ses missions, ou plutôt son esprit
était /266/ occupé continuellement de Dieu et uni à Dieu.
Je
l'ai quelquefois trouvé dans sa chambre la face prosternée contre terre et les
bras en croix. Hors le temps des missions, je l'ai entendu nombre de fois se
lever vers minuit pour faire oraison, après s'être donné une sanglante
discipline, et cette oraison durait longtemps ; car après avoir bien dormi, je
l'entendais encore soupirer et parler de temps en temps à voix basse. J'ai
souvent été obligé de l'aller chercher pour prêcher, parce qu'il tardait trop à
venir. Je le trouvais dans sa chambre, toujours à genoux, les mains jointes,
ayant devant lui un crucifix et sa petite statue de la sainte Vierge. J'avais
beau lui parler et lui dire que le peuple l'attendait, il ne me répondait rien.
Il ne remuait pas plus qu'une statue inanimée. J ' e lui disais même
quelquefois par impatience : Etes-vous mort ou en vie ? Il était quelquefois
plus d'une demi-heure à venir après que je l'avais averti.»
Monsieur
Crebron, curé de Lude, qui a demeuré longtemps à Paris avec lui, dit :[40] «Il paraissait si égal et
si recueilli dans toutes ses actions que je suis persuadé qu'il ne perdait jamais
Dieu de vue. Je fus un jour de dimanche, sur les dix heures du matin, pour lui
demander quelques cahiers dont j'avais besoin. Je crois qu'il était en oraison,
car lorsque je frappai à la porte de sa chambre et qu'il vint m'ouvrir, son
visage me parut lumineux et tout rayonnant, mais d'une lumière plus que
naturelle. Je passais souvent la récréation avec lui. Son plus grand plaisir
était d'y parler de Dieu et de la sainte Vierge, et il en parlait d'une manière
si édifiante, qu’on ne le quittait point sans se sentir animé de zèle et de
ferveur. Il était gai dans les récréations[41] ; mais sans distraction
et il était aisé devoir à ses manières et à sa conduite que l'amour de Dieu
l'occupait infiniment plus que tous les jeux auxquels on se divertissait.»
Le
Père de la Tour, jésuite, son confesseur, dit que «sa vie était un /267/
recueillement continuel, qu'il avait un don sublime d'oraison et de
contemplation.»
Enfin
son union avec Dieu était si étroite, qu'un frère qui était à sa suite[42] nous a dit «qu'au milieu
des rues, dans les campagnes, dans les chemins, il s'arrêtait tout à coup, les
yeux levés au ciel et dans des transports d'amour de Dieu qui l'empêchaient de
faire attention à ce qui se passait autour de lui, marchant dans l'eau, dans la
boue sans s'en apercevoir.» Toujours il commençait ses lettres par ces paroles
: «Que le pur amour de Dieu règne dans nos cœurs», ou par celles-ci : «Vive
Jésus ! Vive sa croix ! », ou par ces deux mots qui étaient comme sa devise :
Dieu Seul !
172 - Sa conformité à la volonté de Dieu
De
cet ardent amour pour Dieu naissait une parfaite conformité à sa divine
volonté. Les événements les plus inopinés ne paraissaient faire aucune
impression sur lui et, soit qu'ils fussent fâcheux ou agréables, on ne le
voyait ni plus gai, ni plus triste. Vouloir tout ce que Dieu veut, et de la
manière qu'il le veut, c'était l'état habituel de son âme. Rien ne touche plus
sensiblement que le bon ou mauvais succès dans les entreprises. On eût dit[43] que les siennes lui
étaient étrangères. Il réussissait souvent au-delà de ses espérances ; d'autres
fois, des événements imprévus l'arrêtaient tout à coup. Dans ces différentes
positions, son esprit était également tranquille, et peut-être personne n'a
mieux su mettre en pratique ce qu'il faisait chanter : «Dieu fait tout, ou le
permet ; c'est pourquoi tout me satisfait.» Un de ses amis, étant allé le voir
dans le temps de la destruction de son calvaire de Pontchâteau : «Si la chose
dépendait de moi, lui dit-il, ce calvaire subsisterait autant que le monde ; mais
comme elle dépend immédiatement de Dieu, que sa volonté soit faite, et non pas
la mienne. J'aimerais mieux, o mon Dieu ! mourir mille fois, s'écriait-il, en
levant les mains et les yeux au ciel que de m'opposer jamais à votre sainte
volonté.» /268/
Il
est des afflictions qui naissent[44] des sentiments que
l'auteur même de la nature a imprimés en nous. Les saints y sont ordinairement
plus sensibles parce que la vertu perfectionne en eux les qualités du cœur, et
que personne ne connaît mieux[45] les droits du sang et es
devoirs de l'amitié. M. de Montfort sut également les soumettre à la volonté du
souverain Maître. «Un jour, dit un des prêtres qui travaillaient avec lui,
comme nous dînions, on lui apporta une lettre ; après l'avoir lue, il leva les yeux
au ciel et dit ces paroles : Dominus
dedit, Dominus abstutit. Sit nomen Damini bénedictum, c'est à-dire : Le
Seigneur me l'a donné, le Seigneur me l'a ôté, que le nom[46] du Seigneur soit béni !
(Job. I. 2 1). Je le priai de me faire part des nouvelles qu'il venait
d'apprendre, et il me dit : «C'est la mort de mon père, je le recommande à vos
prières», et il continua ensuite son repas, sans donner aucune marque de
tristesse.»
Un
homme aussi mortifié pouvait bien[47], en effet, continuer son
repas, malgré l'amertume qu'il étouffait dans son cœur. Accoutumé à ne voir
dans l'usage des aliments qu'une servile nécessité de soutenir le corps, il lui
était égal qu'il les prît avec répugnance ou avec goût. Son goût était même
toujours le premier sacrifice qu'il faisait à Dieu, en lui offrant la
nourriture qu'il allait prendre. Toujours il avait à ses côtés un pauvre
dégoûtant dont il buvait le reste et à qui il donnait ce qu'on lui servait de
meilleur. On ne doit donc pas être surpris de ne le pas voir laisser la table
dans une circonstance où il lui eût été plus avantageux de la laisser. Il ne
fit alors qu'offrir à Dieu un sacrifice plus méritoire, et sa douleur ne servit
qu'à favoriser le désir ardent qu'il avait de mortifier les sens et la nature.
Je lui demandai le lendemain, dit encore[48] le même[49] prêtre, pourquoi il avait
paru si insensible à la mort de son père. Il me répondit que le péché véniel
était un plus grand mal /269/ que la destruction de l'univers. Qu'il valait
mieux pleurer le péché que la perte de tous ses parents, parce qu'il était
inutile et même très dangereux de s'opposer à la volonté de Dieu.»
173 - Sa douceur
Un
homme si soumis à cette volonté suprême ne pouvait manquer d'avoir la douceur
en partage. M. Grignion se distingua si fort par cette vertu qu'on eût dit[50] qu'elle n'était en lui
que l'effet d'un heureux caractère[51]. Cependant, il était[52] né avec un penchant tout
opposé, et on lui a entendu dire «qu'il avait plus de peine à vaincre sa
vivacité et la passion de la colère que toutes les autres ensemble, et que si
Dieu l'eût destiné pour le monde il aurait été le plus terrible homme de son
siècle.» Ce ne fut donc que par une violence continuelle et des efforts
incroyables qu'il acquit cette douceur[53] dont nous avons remarqué[54] des traits si frappants dans
sa vie.[55] Elle se manifestait dans
tout son extérieur. Elle était peinte sur son visage. Elle charmait dans ses
conversations, et tous ceux qui avaient à vivre ou à traiter avec lui en
étaient enchantés.
Elle
éclatait jusques dans les occasions où[56] il semble qu'il aurait dû
se montrer dur et sévère. A la fin d'une mission, un des frères qu'il avait
avec lui s'enfuit, pendant la nuit, et lui emporta quarante écus, qu'on lui
avait mis en main et qu'il devait distribuer aux pauvres de la paroisse. Un
autre frère courut après le fugitif et le ramena au serviteur de Dieu, qui,
loin de le traiter durement, comme il le méritait, le reçut avec une douceur
angélique, lui fit une exhortation si tendre et si touchante qu'il lui avoua sa
faute, la pleura amèrement et lui demanda sa grâce. M. de Montfort la lui
accorda de tout son cœur et lui donna même de l'argent pour le conduire chez
lui, où il a toujours mené depuis une conduite fort chrétienne.
Cette
douceur, qui avait pour modèle la douceur même de Jésus-Christ, il l'exerçait
surtout à l'égard des pécheurs qui s'adressaient à lui pour le sacrement de la
réconciliation. /270/ Il les recevait avec bonté, les écoutait avec patience,
les encourageait à déclarer leurs péchés avec cette charité ingénieuse qui
adoucit la confusion et se concilie la confiance. Il croyait ne pouvoir mieux
leur faire sentir ce qu'ils avaient à craindre de la justice divine qu'en leur
témoignant la vive compassion avec laquelle il s'attendrissait sur leur état. Ses
sentiments pour eux étaient ceux d'un père qui ne, suit que le mouvement de sa
tendresse pour voler au secours d'un fils en danger, ou qui craint de ne
décourager par une conduite trop sévère un fils désobéissant qui veut rentrer
dans le devoir. «J'aimerais mieux, disait-il, souffrir en purgatoire pour avoir
eu trop de douceur pour mes pénitents, que pour les avoir traités avec une
sévérité désespérante.»
La
douceur qui n'est pas l'effet de la vertu est sujette à se démentir dans les
moments de peines et de souffrances. Celle de M. de Montfort ne connut jamais
ces sortes[57]
de vicissitudes. Jamais[58] l'impression de la
douleur n'altéra la paix de son âme. On a vu avec quel héroïsme de patience et
quel air de sérénité il souffrit les douloureuses opérations qu'on lui fit dans
la grande maladie qu'il eut à La Rochelle. Quoique d'une forte constitution, il[59] ressentait souvent des
coliques très violentes, des douleurs[60] de côté à ne pouvoir
respirer, des maux de tête à ne pouvoir ouvrir les yeux.
Il
est bien rare que l'égalité d'humeur se soutienne dans de semblables positions.
M. de Montfort n'y faisait voir[61] qu'une édifiante[62] soumission et même un
contentement très sensible. Il priait Dieu ou chantait des cantiques. Lorsqu'on
lui demandait comment il se portait, «Je me porterais bien, répondait-il[63] avec sa gaieté ordinaire,
si je pouvais me lever.» Enfin[64], quelque malade qu'il
fût, il laissa toujours à ceux qui le gouvernaient le soin de le plaindre et ne
prit pour lui que le soin de les consoler /271/ et de les édifier.
174 - Son amour des croix
On
n'a pas de peine à être patient et doux quand on en est venu jusqu'à aimer et
désirer la croix[65].
M. de Montfort les aima, les désira[66], et l'on peut dire que
Dieu se plaisait à satisfaire son attrait et ses désirs.
Plus
ses croix étaient pesantes, plus il trouvait[67] de joie à les porter. On
pouvait même connaître quand il en avait essuyé quelqu'une de bien rude, car il
paraissait ce jour-là d'une gaieté extraordinaire. On rend à Dieu des actions
de grâces après d'heureux succès. M. de Montfort mettait les croix au même
rang, et sa coutume était de réciter le Te Deum, lorsqu'il lui était arrivé
quelque mortification. On peut juger par ce qu'on a vu combien de fois il
devait avoir ce sacré cantique à la bouche. Dans les occasions où il avait eu
plus à souffrir, il invitait tous ses amis à remercier Dieu pour lui et avec
lui. Il faisait tous les jours des prières et en faisait faire pour tous ceux
qui lui procuraient des humiliations et des peines. Il les aimait tendrement et
il se serait sacrifié pour[68] eux.
Ayant
été faire une mission dans le diocèse de Nantes, par ordre de M. l'abbé Barin,
vicaire général, le curé de la paroisse et tous les paroissiens de concert avec
lui se déclarèrent les ennemis du saint missionnaire. Ils lui dirent mille
injures et lui firent des insultes très outrageantes. Malgré tout cela, avant
de sortir de la paroisse, il alla dire adieu au curé, lui parla avec une
douceur la plus capable de le toucher, lui demanda mille et mille pardons pour
les prétendus sujets de chagrin qu'il lui avait pu donner. «Je vous assure, lui
dit-il, Monsieur, en l'embrassant tendrement, que je prierai toute ma vie le
Seigneur pour vous. Je vous ai trop d'obligation pour ne jamais vous oublier. Je
m'estimerais trop heureux si je pouvais trouver quelque occasion de vous rendre
service.» Une personne de piété, qui avait[69] été témoin de toutes les
injures que le curé lui avait dites, en informa monsieur l'évêque de Nantes.
/272/ Mais le serviteur de Dieu, l'ayant su, la blâma fort et lui dit que les
affronts, qu'il avait soufferts en cette mission, attireraient la bénédiction
de Dieu sur les ouvriers et sur les peuples.
Dans
une autre mission, M. de Montfort s'associa un religieux pour y travailler avec
lui. Pendant un mois qu'elle dura, ce religieux discole ne cessa de le
calomnier de la manière du monde la plus cruelle et la plus ignominieuse,
disant partout qu'il vendait les sacrements, qu'il était un des plus zélés
sectateurs de Simon, et osait assurer sur sa vie qu'il était sorcier. Un
prêtre, qui était témoin de ce déchaînement scandaleux, crut être obligé en
conscience d'en avertir M. de Montfort, et lui fit même de fortes Distances
pour l'engager à congédier l'impudent calomniateur. Mais l'homme de Dieu, bien
loin de suivre son avis, le comblait d'honnêtetés, lui donnait mille
témoignages d'amitié, le faisait placer à table à sa droite, ce que celui-ci ne
refusait point, ne craignant sans doute aucun maléfice de son prétendu sorcier
non plus que les reproches qu'il méritait si justement ; mais que le saint
homme lui épargna toujours, jusqu'à lui laisser même ignorer qu'il eût connaissance
de tout ce qu'il débitait contre lui.
Lorsqu'on
lui proposait plusieurs missions à faire, il choisissait toujours celle où il
croyait recevoir[70]
plus de croix. En faisant[71] la mission de Vertou, à
laquelle Dieu donna toutes sortes de bénédictions, un soir après la prière il
prit par la main ce même prêtre si zélé pour sa défense et le conduisit dans sa
chambre. «Je lui demandai, dit-il, ce qu'il souhaitait. Il me parut si affligé
que je crus qu'il lui était arrivé quelque grand malheur. Il me dit en soupirant,
mais d'une manière si triste qu'il me glaça le cœur : «Mon cher ami, que nous
sommes mal ici.» Point du tout, lui répondis-je, ou irions-nous pour être mieux
? Nous avons tout à souhait et tout en abondance. «C'est que nous sommes ici
trop à /273/ notre aise, me répliqua-t-il ; notre mission sera sans fruit,
parce qu'elle n'est pas fondée ni appuyée sur la croix. Nous sommes ici[72] trop aimés, voilà ce qui
me fait souffrir. Point de croix ! Quelle croix ! Quelle affliction pour moi !
J'ai dessein de finir cette mission demain, que vous en semble, mon cher ami ?
Ne serions-nous pas mieux en une autre paroisse à porter la croix de
Jésus-Christ, notre cher Maître, que d'être ici sans rien souffrir ? » - Je lui
répondis : «Si vous n'avez pas de croix ici ce n'est pas notre faute. Voilà
peut-être la première mission où elles vous ont manqué[73]. Il eut la bonté de me
croire. Nous la finîmes et Dieu y répandit ses grâces et ses bénédictions.»
Toutes
ses lettres, ses écrits, ses discours ne respiraient que la croix. Voici comme
il s'en explique dans une lettre à une religieuse du Très Saint Sacrement de
Paris. «Ah ! que votre lettre est divine, puisqu'elle est remplie des nouvelles
de la croix, hors de laquelle, quoique la nature et la raison en disent, il n'y
aura jamais ici-bas, jusqu'au jour du jugement, aucun véritable plaisir, ni
aucun solide bien..... Votre âme porte une croix grosse, large et pesante. Oh !
quel bonheur pour elle ! Qu'elle ait confiance, si Dieu tout bon continue de la
faire souffrir, qu'il ne l'éprouvera pas au-dessus de ses forces. C'est une
preuve qu'elle en est assurément aimée. Je dis assurément ; car la meilleure
marque qu'on est aimé de Dieu, c'est quand on est haï du monde et assailli de
la croix, c'est-à-dire de privations des choses les plus légitimes,
d'opposition à nos volontés les plus saintes, d'injures les plus atroces et les
plus touchantes ; de persécutions et de mauvaises interprétations de la part
des personnes les mieux intentionnées et de nos meilleurs amis..... Mais, pourquoi
vous dis-je ce que vous savez mieux que moi par le goût et l'expérience que
vous en avez ? Ah ! si les chrétiens savaient la valeur des croix, ils feraient
cent lieues pour en trouver une ; car c'est en cette aimable croix qu'est
renfermée la Sagesse /274/ véritable, que je cherche jour et nuit avec plus
d'ardeur que jamais. Ah ! bonne croix, venez à nous, à la plus grande gloire du
Très-Haut: c'est ce que mon cœur dit souvent, malgré mes faiblesses et mes
infidélités. Je mets, après Jésus notre unique amour, toute ma force dans la
croix. Je vous prie de dire à N. que j'adore Jésus-Christ crucifié en elle, et
je prie Dieu qu'elle ne se souvienne d'elle-même que pour s'offrir à des
sacrifices encore plus sanglants.»
Dans
une autre lettre qu'il écrivit aussi à une religieuse, il lui parle en ces
termes : «Que vous dirai-je, ma chère mère, pour répondre à la vôtre ? Sinon ce
que l'Esprit-Saint nous dit tous les jours : Amour de la petitesse et de
l'abjection, amour de la vie cachée, du silence, sacrificateur muet de
Jésus-Christ au saint Sacrement ; amour de la croix. Je suis contredit en tout.
Je suis captif. Remerciez pour moi le bon Dieu des petites croix qu'il m'a
données proportionnées à ma faiblesse.»
Ces
croix, que M. de Montfort disait être petites, eûssent paru bien grandes à tout
autre qu'à lui et leur continuité demandait une patience[74] bien persévérante. Il est
presque incroyable combien il a essuyé de contradictions, de mépris, d'injures,
de persécutions[75].
Plusieurs évêques, après l'avoir appelé dans leurs diocèses, l'ont interdit sur
les plaintes qu'on leur faisait de ses prétendues imprudences et indiscrétions.
Les dépositaires de leurs pouvoirs, sans égard pour le caractère dont il était
revêtu comme eux, l'ont traité d'ignorant, d'hypocrite, de vagabond.
Il
a eu des croix dans tous les temps ; il en a trouvé dans tous les lieux :
à Paris, à Poitiers, à Rennes, à Nantes, à Saint-Malo, à Saint-Brieuc, à La
Rochelle[76],
à Saintes, à Luçon, et dans plus de deux cents missions qu'il a faites dans
tous ces diocèses. On l'a vu insulté, maltraité, frappé de la manière la plus
outrageante, sans que le ministère public ait paru donner la moindre attention
à des violences si dignes de châtiment. Le saint prêtre les souffrait avec une
patience que le seul amour de la croix était capable d'inspirer. Aussi, partout
/275/ il exaltait la croix et lui faisait honneur. Il érigeait, tant qu'il
pouvait, des confréries de la croix dans ses missions. Il faisait planter la
croix sur les lieux les plus imminents. E composait et faisait chanter des
cantiques en l'honneur de la croix. Il fit un ouvrage qu'il intitula : Lettre circulaire aux amis de la croix,
où il n'enseigne et ne prescrit que ce qu'il pratiquait lui-même. Ceux qui le
connaissaient plus particulièrement ne pouvaient assez admirer qu'il fut ainsi
avide et en[77]
quelque sorte insatiable de croix. «Il y a onze[78] à douze ans que je fus à
Rennes, dit M. Blain dans un mémoire, j'entretins longtemps le Père Descartes
au sujet de M. de Montfort. Il me parla avec admiration de son amour pour les
croix et de sa fermeté à les soutenir. Les plus grandes, me dit-il, sont pour
cet homme-là comme une paille jetée dans un grand feu, qui y est dévorée à
l'instant.»
175 - Ses austérités
Accoutumé
à recevoir avec joie les mortifications qui affligent l'esprit, il était encore
saintement ingénieux à faire usage de celles qui crucifient la chair. Tout le
monde avoue qu'en ce genre sa vie a quelque chose d'extraordinaire, eu égard au
ministère évangélique auquel il s'était consacré. Eût-il mené une vie
sédentaire, ses austérités auraient[79] encore paru excessives. Il
s'était tellement exercé à faire usage de la discipline, qu'il lui arrivait de
la prendre jusqu'à cinq fois par jour. Il se levait souvent la nuit, même
pendant l'hiver, lorsqu'il gelait très fort, allait dans des jardins ou autres
lieux à l'écart et se déchirait[80] avec une sorte de cruauté[81]. On l'a surpris[82] quelques fois dans des
fossés, où il se flagellait horriblement[83].
La
discipline dont il se servait était armée et hérissée de pointes de fer. On l'a
souvent trouvée teinte de sang dans les endroits où il l'avait cachée[84]. Le motif de ces
macérations était[85] ordinairement d'obtenir
la conversion des pécheurs et des grâces pour ses ennemis. Aussi on lui
entendait dire en se frappant : «Seigneur /276/ pardonnez, s'il vous plaît, à
mes ennemis. Ne leur imputez point ce qu'ils font, et ce qu'ils disent contre
moi. Seigneur, convertissez les pécheurs de cette paroisse, faites leur à tous
miséricorde. Punissez-moi, châtiez-moi tant qu'il vous plaira, je le mérite,
mais de grâce, épargnez-les.» Il faisait aussi cette pratique de pénitence pour
que Dieu lui accordât de toucher le cœur de ses auditeurs, et elle prenait une
partie du temps[86]
pendant lequel il se recueillait pour monter en chaire.
Il
se ceignait les reins d'une chaîne de fer hérissée de pointes. Il portait des
bracelets, aussi à pointes de fer très aiguës. Il avait jour et nuit sur la
poitrine un cœur de fer en forme de rape très piquante. Un jour, sortant de
chaire, il s'évanouit. On le déshabilla pour le soulager et on lui trouva cet
instrument de pénitence, qu'on ne manqua pas de lui ôter. Revenu à lui, et
l'ayant aperçu entre les mains d'un des assistants, il lui dit ces paroles : Ego dormio, et cor meum vigilat, c'est-à-dire
: «Je dors et mon cœur veille.» Il ne couchait jamais que sur quelques poignées
de paille étendues à terre[87], tout au plus sur une
paillasse ou quelques sarments. Son sommeil était très court, se couchant pour
l'ordinaire à onze heures ou minuit, et se levant en tout temps à quatre
heures. Il jeûnait régulièrement les mercredis, les vendredis et les samedis. Il
était très sobre dans ses repas ne mangeant ordinairement que d'un seul mets,
et choisissant toujours ce qui était le moins ragoûtant. Il ne buvait point de
vin pur ; il y mettait au moins la moitié d'eau, et il faisait si peu
d'attention à ce qu'il buvait, qu'un prêtre, étant à côté de lui à table, le
vit boire une tasse de vinaigre mêlé d'eau, sans s'en apercevoir, et lui ayant
demandé ensuite si ce vin était bon il lui /277/ répondit qu'il l'avait trouvé
bon. Il avait l'adresse de glisser quelquefois de l'absinthe dans son potage
pour en ôter le goût
Quoiqu'il
menât une vie très sainte, et qu'au rapport de ses confesseurs il n'eût pas perdu
l'innocence de son baptême, il se croyait pourtant le plus grand pécheur[88] du monde et se punissait
en toutes sortes de manières.
Lui
arrivait-il de tomber dans quelques-unes de ces tes légères presqu'inévitables
à la fragilité humaine, il se prosternait dans sa chambre, la face contre
terre, et restait souvent[89] plus de demi-heure dans
cette posture gênante et humiliante. Il n'était pas jusqu'à ses voyages qui ne
fûssent pour lui un exercice de pénitence. Il les faisait à pied, tête nue,
quelque temps qu'il fit, ayant un crucifix attaché par des vis au bout de son
bâton pour ne pas perdre de vue[90] Jésus-Christ crucifié et
pénitent.
176 - Son humilité
Il
n'était pas moins attentif à le considérer comme le modèle de la parfaite
humilité. On en peut juger par la manière dont il a souffert les humiliations,
les mépris, les outrages même, dont le détail fait presque toute l'histoire de
sa vie. Ce qu'il y a de plus singulier, c'est que quelqu'humilié qu'il fût, il
était très vivement persuadé qu'il ne l'était pas encore autant qu'il méritait
de l'être et que ces traitements, qu'on n'a pu lire qu'avec une sorte
d'indignation, il les regardait comme rien et même comme des grâces, en
comparaison de ceux dont il se croyait digne. Il eût voulu être regardé comme
la balayure du monde. Le titre sacré de ministre de J.-C. ne lui paraissait
qu'un nouvel engagement à partager ses opprobres et ses ignominies. Jamais il
n'eût été revêtu de ce titre auguste, si l'on n'eût pas fait une espèce de
violence à son humilité. Ce qui prouve que cette vertu était véritablement
fondée sur le peu d'estime qu'il faisait de lui-même, c'est la prompte docilité
avec laquelle il se soumettait /278/ aux ordres humiliants[91] des supérieurs qui,
quelquefois étaient les premiers à se reprocher de s'être laissés tromper ou
prévenir. Il savait même soumettre sa volonté à celle de ses inférieurs, et il
lui est arrivé de consulter les frères qu'il avait avec lui sur des choses qui
n'étaient point[92]
au-dessus de leur sphère et de préférer leur avis au sien. Selon lui, il ne
faisait jamais aucun bien. Cependant, comme il s'en fallait de beaucoup qu'on
ne pensât comme lui, il était souvent dans le cas d'entendre bien des choses qu'on
disait à son avantage. Alors une modeste rougeur lui montait au visage. Il paraissait
troublé, déconcerté. Quelquefois il marquait sa peine avec une sévérité qui
imposait silence. Quand on lui disait qu'il avait beaucoup d'ennemis, il
répondait : «qu'il ne connaissait d'ennemis au monde que ceux qui le
flattaient, et qu'il regardait comme ses meilleurs amis ceux qui lui
procuraient des humiliations et des croix.» Il pouvait se flatter à ce titre
d'être l'homme le plus aimé qui fût au monde.
177 - Sa soumission aux volontés et aux
avis de ses supérieurs[93]
De
cette vertu d'humilité naissait, comme de sa source, cette aveugle docilité aux
volontés de ceux que la Providence lui avait donnés pour supérieurs, ou qu'il
avait lui-même choisis pour guides. Voici de quelle manière en parle M. Blain
dans un de ses mémoires.
«M.
de Montfort, dit-il, s'est soumis toute sa vie à la conduite[94] des plus sages et des
plus pieux directeurs. Dans le séminaire et hors le séminaire, il a été un
modèle vivant de la plus exacte régularité. Il a toujours cherché et suivi les
avis de ses supérieurs et n'a jamais agi contre ce qu'il a su être leur
volonté. C'est ce que j'ai toujours vu, moi qui l'ai connu à fond plus que
personne... Etant écolier, il avait choisi pour père spirituel le P. Descartes
jésuite, célèbre directeur à Rennes, homme fort éclairé et qui avait un grand
fond de spiritualité aussi bien que la conduite d'un grand nombre de personnes
/279/ des plus spirituelles. Ce père regardait M. de Montfort comme un saint et
un homme extraordinaire ... »
«M.
de la Barmondière, ce saint curé de Saint-Sulpice, dont la mémoire est en
bénédiction, succéda au Père Descartes dans la direction de M. de Montfort, et
je puis dire qu'il le conduisit comme un enfant, et qu'il le trouva pleinement
docile et soumis à ses avis. M. de Montfort ne voyait que par ses yeux et
n'agissait que par ses ordres, et quoique son attrait le portât à un silence
continuel et à une retraite entière, pour se livrer sans mesure à la
communication avec Dieu, il le sacrifia à l'obéissance qui ne lui permit pas de
se retirer des récréations communes, qui lui étaient à charge parce qu'elles
semblaient le distraire de son application à Dieu, en le faisant entrer en
commerce avec les créatures. Il n'avait pas moins d'attrait pour les
austérités, et celles que l'obéissance lui permettait étaient extrêmes ; mais
je puis dire que celles qu'elle lui interdisait étaient sans comparaison plus
grandes. S'il eût été tenté de mettre des bornes à son obéissance, c'eût été
sans doute sur cet article ; mais il a toujours soumis à l'esprit d'obéissance
celui de pénitence qui le dévorait. Il n'a jamais rien fait au préjudice de
cette maîtresse des vertus. Ce n'est pas assez dire ; il a consacré par ses
ordres tous les genres de mortification dont il affligeait son corps. Il m'a
dit[95] assez souvent à ce sujet que
Dieu, dans les derniers siècles, inspirait d'extrêmes désirs de pénitence que
l'obéissance ne permettait pas de faire ; que l'âme se trouvait ainsi dans un
nouveau genre de martyre, sollicitée entre les désirs ardents de pénitence
d'une part, et les règles d'obéissance de l'autre qui les arrête et les bride.»
M.
Bouin, ce séraphin sur la terre qui eut, après la mort de M. de la /280/
Barmondière, la direction de M. de Montfort, le regardait du même œil, et c'est
de sa propre bouche que j'ai entendu sortir l'éloge de l'obéissance de ce
fervent séminariste[96]. En voici l'occasion[97]. La pénitence et les
austérités de M. de Montfort faisaient beaucoup de bruit dans le séminaire ;[98] car il faisait en[99] ce genre, comme dans
celui de l'oraison et du recueillement, le désespoir des plus fervents qui le
trouvaient inimitable...[100] Les séminaristes
s'entretenant donc ensemble devant M. Bouin des grandes pénitences de M. de
Montfort, quelques-uns dirent qu'elles pourraient bien un jour être suivies
d'un extrême relâchement, comme il était arrivé à M.xxx, dont l'exemple récent
touchait fort et apprenait[101] que la seule voie sûre
est celle de l'obéissance..... Mais M. Bouin prit au moment la parole, et en
ces-deux mots en donna la différence : «S'ils sont semblables, dit-il, dans la
pratique de la pénitence, ils ne le sont pas dans celle de l'obéissance. Le
premier était un opiniâtre, et celui-ci est obéissant.»
«Après
la mort de M. Bouin, M. de Montfort pria M. Leschassier de se charger de sa
direction[102].
Ce digne supérieur des séminaires[103] de Saint-Sulpice l'a
étudié à fond pour éprouver son obéissance, a éprouvé son esprit et l'a fait
éprouver en toutes les manières possibles. Je sais qu'il a pris M. Grignion
dans tous les sens, si je puis ainsi parler, et qu'il lui retirait souvent ce
qu'il lui avait accordé, retranchait, diminuait de ses oraisons, de ses
pénitences et de ses exercices de piété. Pour tout ce que le fervent pénitent
paraissait avoir goût, le directeur éclairé dans la voie des saints paraissait
indifférent. Un des articles du règlement du séminaire de Saint-Sulpice porte
qu'il faut, au moins tous les mois, rendre compte de son intérieur à son
directeur ou à son supérieur. M. de Montfort[104], si zélé pour sa
perfection, ne souhaitait rien plus que de se rendre exact à cette règle... Il
ne manquait pas de venir non seulement une fois mais aussi plusieurs fois dans
le mois manifester son intérieur à M. Leschassier, mais souvent il n'en était
pas écouté ; quelquefois il en était rebuté et repoussé. Le sage directeur tenait
ainsi en /281/ suspens, quelquefois plusieurs mois de suite, M. Grignion
toujours prêt à lui rendre compte et toujours renvoyé quand il venait le faire.
J'ai vu en cette rencontre M. de Montfort assez mortifié ; ce qui l'obligeait
de s'abandonner à Dieu et de ne se reposer que sur lui, et sans rien relâcher
du désir de la perfection se détacher des moyens qui y conduisent, et de
ceux-là même qui paraissent les plus nécessaires et les plus usités dans
l'Eglise, ne s'en servir que dans l'esprit de Dieu sans y mêler rien d'humain
et de naturel ; et c'est sans doute à quoi tendait la conduite d'un directeur
si au fait des voies spirituelles.»
Tel
est le rapport de M. Blain qui, dans la manière dont il parle des voies de
Dieu, fait bien voir qu'il était parvenu à s'y connaître.
M.
de Montfort, sorti du séminaire et engagé dans les fonctions de l'apostolat,
n'en conserva pas moins l'esprit d'obéissance. Nous avons remarqué avec[105] quelle humble docilité[106] et par quels sacrifices
il témoigna sa soumission aux[107] supérieurs
ecclésiastiques. On l'a vu, au premier signe de leur volonté, abandonner des
desseins sagement conduits et sur le point d'être heureusement exécutés. Sans
attendre même leurs défenses il cessait les fonctions de son ministère dès
qu'il savait qu'elles ne leur étaient plus agréables[108]. Il aimait mieux
s'exiler de leurs diocèses que d'y travailler contre leur gré, quand il voyait
qu'ils ne goûtaient pas ses pratiques ; et si plusieurs en vinrent contre lui à
des interdits humiliants, c'est que ses ennemis ne leur laissaient pas le
loisir de faire précéder un avertissement charitable, ou que lui-même ne leur
donnait.pas le temps de révoquer un ordre que quelques fois ils n'avaient[109] lâché qu'à regret.
178 - Son zèle pour le salut des âmes
Cependant,
ces affligeantes épreuves ne ralentissaient rien de son zèle. Il semble même
qu'elles lui donnaient une nouvelle activité. Il se tenait pour lors comme[110] assuré que Dieu
l'appelait ailleurs[111] pour y recommencer ses
travaux[112],
et il s'y livrait sans autre crainte que de ne pas remplir le ministère qui lui
/282/ était confié[113]. Son plus ardent désir,
et si l'on peut s'exprimer[114] ainsi, son unique
passion fut de gagner des âmes à Dieu et d'étendre le royaume de Jésus-Christ.
C'est
ce qu'il s'est proposé dans tous les voyages qu'il a entrepris, dans toutes les
missions qu'il a données[115], dans tous les
établissements qu'il a faits ou qu'il a procurés dans différents diocèses. Son
penchant le portait à aller prêcher l'évangile dans les Indes ; mais le Pape
Clément XI, de qui il voulait tenir sa mission, le décida pour la France. Il se
présenta en dix ou douze diocèses pour y exercer ses fonctions apostoliques,
sans pouvoir y être reçu. Les fruits[116] immenses qu'il fit en
plusieurs autres durent[117] bien faire regretter aux
premiers la perte qu'ils avaient faite en rejetant son ministère. Il avait un
talent extraordinaire pour toucher les pécheurs les plus endurcis. On a vu des
pénitents coupables des crimes les plus horribles, même dans les professions
les plus saintes, répandre à ses pieds des larmes amères en se frappant la
poitrine[118],
et on les a entendus pousser des cris si violents que tous ceux qui se
trouvaient[119]
dans l'église en étaient touchés et attendris. Un homme de qualité, ayant
assisté à plusieurs de ses sermons[120], en avait fait
publiquement des railleries piquantes[121]. Peu de temps après il
tomba dangereusement malade, demanda le saint missionnaire, lui fit une
confession générale avec les sentiments de la plus vive[122] douleur, et après une
réparation publique du scandale qu'il avait donné, il mourut saintement entre
ses bras, redevable sans doute de sa conversion aux prières que l'homme de Dieu
ne cessait d'offrir pour ses ennemis, et laissant un exemple qu'on ne peut s'empêcher
14ème cayer
de
rendre justice à la vertu, lorsque l'on n'a plus d'intérêt à la décrier ou à la
méconnaître[123].
Le
seigneur d'une paroisse, où M. de Montfort donnait la mission, lui était
d'abord tellement opposé qu'il ne voulait pas même l'aller entendre et qu'il
défendit à ses officiers de lui aider à accommoder les procès. Un jour[124] /283/ que le saint
missionnaire était en chaire, il survint un orage[125] si terrible, que tous
ceux qui étaient dans l'église crurent que le tonnerre[126] allait les écraser. Alors
il interrompit[127] le fil de son discours
et, prenant son crucifix à la main, il dit : «Seigneur, ne permettez pas que
vos foudres tombent sur ce peuple qui vous honore. Faites que les ennemis de
votre gloire et ceux de la mission en soient tellement épouvantés qu'ils se
convertissent. » Dans l'instant le tonnerre tomba sur une métairie appartenant
au seigneur de la paroisse et située[128] près de son château. On
fut plusieurs jours sans pouvoir éteindre le feu. Le seigneur, rentrant[129] en lui-même, vint prier
M. de Montfort de demander à Dieu miséricorde pour lui. Le saint homme alla au
lieu où était le feu, y fit sa prière, et le feu s'éteignit. Le seigneur
profita également du châtiment et de la grâce, et depuis ce temps-là il fut si
exact à assister aux exercices de la mission que tous les matins il s'y rendait
des premiers avec son épouse, et se joignait[130] à ceux du peuple qui
attendaient la porte de l'église à ouvrir.
Lorsque
M. de Montfort était arrivé dans une paroisse[131] pour y donner la
mission, il s'informait s'il y avait quelques personnes scandaleuses[132] ; il était assez
ordinaire qu'il s'y en trouvât. Alors il demandait le lieu de leur demeure ; il
allait les voir, leur parlait avec bonté, retournait leur rendre visite, les
prêchait en particulier, et pour peu qu'il vit en elles de dispositions à l'écouter,
il continuait cette espèce de mission domestique jusqu'à ce qu'il les vit enfin
rentrer en elles-mêmes. On ne saurait dire combien il en a converti par cette
sainte pratique. Quand il trouvait de ces pécheurs que le crime a rendus comme
féroces et que la douceur et les ménagements ne peuvent ramener, il mettait en
usage ces traits de zèle, il employait ces expressions vives, atterrantes, qui
quelquefois les faisaient tomber à ses pieds, d'autres fois les obligeaient
d'aller cacher au loin leur honte, leur confusion et d'abandonner le lieu dont
ils étaient le scandale et l'opprobre. Il le fit souvent au risque de sa vie
mais il comptait pour rien sa vie quand il s'agissait /284/ d'arrêter le
dérèglement et de sauver des âmes.
179 - Son amour pour la pauvreté et pour
les pauvres
Dieu,
qui l'avait choisi pour faire les fonctions d'un apôtre, lui inspira de bonne
heure ce détachement des biens de la terre qui toujours caractérise les hommes apostoliques.
Dès sa jeunesse il lui vint[133] une forte pensée de laisser
la maison paternelle et d'aller dans un pays inconnu où, dépouillé de tout, il
n'eût eu d'autre ressource que de mendier son pain[134], jusqu'à ce que l'âge
lui eût donné assez de force pour le gagner à la sueur de son front. Cependant
il ne suivit pas cet attrait[135], mais il trouva le moyen
de le satisfaire en partie ; ce fut de s'abandonner entièrement à la divine
Providence et de commencer de bonne heure à pratiquer la sainte pauvreté.
Lorsqu'il
fit son premier voyage à Paris, ses parents lui avaient donné un habit -neuf[136]. Il partit avec cet
habit, mais à peine fut-il un peu avancé[137] dans la campagne qu'il
s'en dépouilla, en revêtit le premier pauvre qu'il trouva et prit le sien ;
puis se laissant aller au transport de sa ferveur, il fit vœu de ne rien posséder
en propre.
Il
arriva à Paris ainsi engagé sous les lois de la pauvreté, et revêtu de ses
livrées[138].
Le gîte qu'il se choisit fut entièrement conforme à l'état sous lequel il
s'annonça. Il avoua lui-même à une personne de confiance qu'il était allé loger
dans un petit trou d'écurie, où la Providence lui envoyait à manger sans qu'il
demandât rien à personne. Il y demeura jusqu'à son entrée à Saint-Sulpice, et
sentit toujours, depuis ce temps, augmenter son amour pour les pauvres et pour
la pauvreté. Sa mère lui ayant fait faire une soutane neuve, il la donna à un
pauvre prêtre mal habillé qu'il trouva et se revêtit (de) la sienne[139].
Un
jour qu'il n'avait point de mouchoir, il en demanda un par charité à sa sœur
qui était allée le voir, en se mettant à genoux devant elle. Elle lui en
apporta deux, mais il n'en prit qu'un et dit qu'il ne lui en fallait pas
davantage. Grand nombre de personnes, /285/ informées qu'il distribuait aux
pauvres ce qu'elles lui avaient donné pour ses propres besoins, lui en faisaient
des reproches ; mais il leur disait des choses si admirables de la pauvreté
qu'il les ravissait, et elles s'estimaient heureuses de confier leurs aumônes à
un pauvre volontaire qui ne se réservait pour lui que la peine d'une sage et
exacte distribution. Il avait renoncé à son patrimoine et, lorsqu'il fut
prêtre, il ne voulut jamais posséder aucuns bénéfices, quoiqu'on lui en
présentât plusieurs considérables, disant qu'il ne changerait pas son état de
pauvreté pour tous les biens de l'univers. Il insinuait la pratique de cette
pauvreté évangélique à tous ceux qui se joignaient à lui pour travailler dans
les missions, et il a laissé sur ce sujet des maximes et des règles admirables.
Il a même voulu que ses missionnaires n'eûssent jamais d'autre fonds ni d'autre
ressource que la Providence, et qu'ils en dépendissent uniquement dans le cours
de leurs fonctions apostoliques[140]. Aussi rendent-ils
témoignage qu'elle ne leur a jamais manqué, et qu'ils ont toujours trouvé
abondamment le nécessaire à la vie dans tous les lieux où ils ont travaillé.
Parmi
les précieux restes que l'on conserve à Saint-Laurent-sur-Sèvre des choses qui
ont été[141]
à son usage, il y en a une qui rappelle[142] tout à la fois et son
esprit[143]
de pauvreté et le désir qu'il avait de prendre pour modèle celle de
Jésus-Christ. L'évangile nous apprend que ce Dieu Sauveur était revêtu d'une
tunique sans couture et depuis le haut d'un même tissu partout (Joan XIX v.23).
On trouva dans la pauvre dépouille de M. de Montfort une soutane qu'il avait
portée jusqu'à ce qu'elle fut hors de service. C'était l'ouvrage d'une personne
de piété qui lui en avait fait présent à Nantes et qui, connaissant son attrait
pour tout ce qui pouvait lui rappeler le Sauveur, l'avait travaillée d'une
seule pièce[144]
avec de l'estame, comme des bas que l'on broche à l'aiguille en tricotant. Il
l'accepta avec plaisir et la porta par dévotion tant qu'elle put lui servir. Plus
elle s'usait, plus elle lui devenait précieuse par le double rapport qu'elle
lui donnait avec son divin Maître. /286/
Il
ne voyait que lui dans les pauvres ; il le vénérait en eux[145], il les regardait comme
un sacrement qui contenait Jésus-Christ caché sous leur extérieur. «Un pauvre,
disait-il, est un grand mystère ; il faut savoir le pénétrer». Nous ne
rappellerons pas ici les différents traits de sa charité que nous avons
rapportés ailleurs. Il y en a que nous avons omis et que nous omettrons encore,
pour ne pas révolter la délicatesse des lecteurs. En voici un qui plaira, par
l'idée qu'il donne de son humeur saintement gaie et agréable. Lorsqu'il donna
la mission dans la ville de Montfort, lieu de sa naissance, il ne voulut point
loger dans la maison de son père. Ce bon père, de son côté, ne le gêna point
sur l'article ; mais il lui demanda de venir au moins manger une fois avec lui,
et de donner cette satisfaction à sa famille. Son fils le lui promit, à une
condition pourtant qu'il le suppliait d'agréer, savoir : qu'il ferait apprêter
un plus grand dîner qu'à l'ordinaire parce qu'il voulait, disait-il, y mener
beaucoup d'amis avec lui. M. de la Bachelleraye[146] prit cela à la lettre et
fit préparer un grand repas. La compagnie fut nombreuse en effet, mais elle se
trouva différente de celle à laquelle il s'était attendu. Son fils lui amena
une troupe de mendiants et de gueux, qu'il avait ramassés dans toute la ville. C'était
là ses amis, à qui il lui avait fait promettre de donner à manger ; il fallut
tenir parole et les régaler tous.[147]
Que
l'on compte, s'il se peut, tous les pauvres que ce digne[148] prêtre, si pauvre lui-même,
a nourris pendant tout le cours de ses missions ; on verra qu'il en a peut-être
fais subsister lui seul[149] plus que tous ceux des
ecclésiastiques qui ont mieux su faire un saint usage des biens et des
richesses de l'Eglise..
C'était
cette même affection pour les pauvres qui lui faisait établir dans les
paroisses, d'où il sortait de faire la mission, des dames de[150] charité[151], soit pour répandre des aumônes,
soit pour soulager les malades. On connaît assez l'institut des Filles de la
Sagesse, toutes dévouées aux œuvres de miséricorde, à l'instruction et au
soulagement des pauvres. Enfin, après avoir toujours vécu parmi les pauvres, on
peut dire qu'il est mort et qu'il a été inhumé au milieu des pauvres, ayant terminé
sa carrière dans les vallées du bas Poitou dans une maison empruntée, dans un
bourg /287/ qui n'a presque d'autres habitants que des pauvres.
180 - Son détachement de ses parents
Pour
se livrer avec plus de liberté aux œuvres de charité et de zèle, il s'était
entièrement détaché de sa famille, et depuis qu'il eut abandonné sa ville pour
aller dans les séminaires à Paris, il sembla avoir[152] rompu tous les liens de
la chair et du sang. Plus d'une fois, il se refusa la consolation de voir et
d'entretenir ses proches, lors même qu'il était plus à portée de se la
procurer. Plein de tendresse et d'affection pour eux, il se prêta d'abord à
leur rendre quelques services et les pria ensuite de ne le plus détourner des
fonctions de son ministère pour vaquer à leurs affaires temporelles, ne pouvant
désormais, ajoutait-il, leur donner d'autre témoignage de son attachement et de
sa reconnaissance qu'une part plus marquée dans son souvenir devant Dieu et
dans ses sacrifices[153].
Ce
fut d'abord dans ce sens qu'il[154] écrivit de Poitiers à sa
mère[155], dans une lettre datée[156] du 28 août 1704[157]. «Quoique je ne vous
écrive pas, je ne vous oublie pas dans mes prières et sacrifices. Je vous aime
et honore d'autant plus parfaitement que ni la chair ni le sang n'y ont plus de
part. Ne m'embarrassez point de mes frères et sœurs. J'ai fait pour eux tout ce
que Dieu a demandé de moi par charité. Je n'ai pour le présent aucun bien
temporel à leur faire, étant plus pauvre que tous. Je les remets avec toute la
famille entre les mains de Celui qui les a créés. Qu'on me regarde comme un
mort, je le répète afin qu'on s'en souvienne : qu'on me regarde comme un mort. Je
ne prétends rien avoir /288/ ni toucher de la famille dont Jésus-Christ m'a
fait naître. Je renonce à tout, hors mon titre, parce que l'Eglise me le
défend. Mes biens, ma patrie, mon Père et ma Mère sont là-haut. Il est vrai que
je vous ai et à mon père de grandes obligations pour m'avoir mis au monde, pour
m'avoir nourri et élevé dans la crainte de Dieu, et rendu une infinité de
services. C'est de quoi je vous rends mille actions de grâces, et c'est
pourquoi je prie toujours pour votre salut, et je le ferai pendant votre vie et
après votre mort ; mais de faire autre chose pour vous, rien et moi c'est la
même chose, dans mon ancienne famille. Dans la nouvelle famille dont je suis, j'ai
épousé la sagesse de la croix où sont tous mes trésors temporels et éternels,
de la terre et des cieux. Que si on les connaissait, mon sort ferait envie aux
riches et aux puissants rois de la terre. Personne ne connaît les secrets dont
je parle ou du moins très peu de personnes. Vous les connaîtrez dans
l'éternité, si vous avez le bonheur d'être sauvée. Je prie mon père de la part
de mon Père Céleste, de ne point toucher la poix, car il en sera gâté de ne
point manger de la terre, car il en sera suffoqué de ne point avaler de fumée
car il en sera étouffé. La fuite et le mépris du monde et la dévotion à la
sainte Vierge, avec laquelle je suis tout à vous et à mon père. Je salue votre
ange gardien et suis tout en Jésus et Marie.
Signé
Montfort
prêtre esclave indigne de Jésus vivant en Marie.»
Ce
fut pour porter l'oubli de sa famille aussi loin qu'il le pouvait qu'il ne
voulut pas même en retenir le nom, et qu'il le changea pour celui de la ville
où il était né, en se faisant appeler Montfort. On dit aussi[158] qu'il avait voulu faire
allusion à la confiance qu'il avait en la protection de la sainte Vierge, en
joignant ce nom à celui de Marie qu'il avait pris à la confirmation, comme s'il
eût voulu se dire sans cesse à lui-même : /289/ Marie est mon fort, Marie mon
fort. Si ce second motif se joignit au premier[159], il est certain que ce
nom lui faisait trouver infiniment plus dans le souvenir de la sainte Vierge, qu'il
ne lui faisait sacrifier[160] dans l'oubli de sa
famille.
Ce
n'était pas pour elle seule qu'il refusait de s'ingérer dans les affaires
purement temporelles. Tout ce qui[161] pouvait l'occuper des
choses de la terre lui paraissait un fardeau insupportable. Voici comme il s'en
explique dans une lettre en réponse à celle que M. de la Viseule Robert, son
oncle, lui avait écrite. Elle est datée du 6 mars 1699. «Je vous prie de dire à
madame B... que j'ai reçu son paquet de lettres pour Mgr l'évêque de
Saint-Malo. Ces commissions différentes, mon cher oncle, je vous l'avoue, me
font de la peine et me font comme revivre au monde. Plût à Dieu qu'on me
laissât en repos comme les morts dans le tombeau, ou le limaçon dans sa
coquille qui, y étant caché, paraît quelque chose, mais en sortant il n'est
qu'ordure et vilenie. C'est ce que je suis, et même pire, puisque je ne sais
que tout gâter lorsque je me mêle de quelqu'affaire. Je vous prie donc au nom
de Dieu, de ne vous souvenir de moi que pour prier Dieu pour moi. Je suis en
Notre-Seigneur et notre bonne Mère,
Tout
vôtre pour le temps et pour l'éternité. »
181 - Sa pureté
Avec
un[162] cœur aussi dégagé de
toute affection pour les choses de la terre[163], on est bien prémuni contre
la corruption qui s'y trouve généralement répandue.
M.
de Montfort n'était pas appelé à l'éviter par la fuite. Dieu l'avait choisi
pour travailler à y opposer les fruits les plus salutaires[164] du ministère
évangélique. Ce qui doit surprendre, c'est qu'il se sentit appelé[165] à combattre les vices
sans presque connaître[166] celui qui règne avec le
plus d'empire. «Je ne sais si le don de chasteté lui coûta /290/ beaucoup dans
la suite, (C'est M. Blain qui parle) et si pour la conserver sans tache, il eut
de grands combats à soutenir contre le monde, le diable et la chair, qui font
une si rude guerre à cette vertu angélique. Ce que je sais, c'est qu'avant son entrée
à Saint-Sulpice il les ignorait encore, et que sa grande mortification, ses
rigoureuses austérités, sa solitude et son profond recueillement, surtout son
grand amour pour la Reine des vierges, pouvaient lui avoir mérité de Dieu cet
heureux privilège. Quoi qu'il en soit, il a toujours vécu comme un ange dans un
corps mortel. Il avait fait pacte avec ses yeux, à l'exemple de Job, de[167] ne pas l'ouvrir pour
regarder des[168]
personnes de différent sexe, ou de ne les regarder que pour les fuir, ou les
pouvoir[169]
distinguer., Je suis persuadé qu'il est mort vierge, et que sa chair est entrée
dans le tombeau comme elle est sortie du berceau, aussi pure et aussi
innocente.» C'était un sentiment commun pendant sa vie, que ses discours, que
ses regards, et même sa personne seule inspiraient l'amour de la pureté. Il
n'était pas encore engagé à la pratique de cette vertu[170] par la réception des
ordres sacrés que déjà il s'y était obligé par vœu, avec la permission de son
directeur, qui ne crut pas devoir différer plus longtemps d'associer aux anges
de la terre un jeune homme en qui il voyait la pureté d'un esprit[171] céleste.
182 - Sa dévotion envers la sainte Vierge
Ce
fut sous les auspices de la Reine des vierges qu'il prit cet engagement sacré,
et il le remplit d'une manière digne de la tendre dévotion qu'il eut toujours
pour elle, et de la protection singulière dont elle le favorisa pendant toute
sa vie. Il commença à l'honorer dès qu'il commença à la connaître. Tout son
plaisir, dès son enfance, était d'en parler et d'en entendre parler. L'on eût
dit qu'il s'exerçait dès lors à être ce qu'il fut dans la suite, le panégyriste
zélé de Marie, l'orateur perpétuel /291 / de ses privilèges et de ses
grandeurs, le promoteur assidu et infatigable de sa dévotion. Etant jeune écolier
au collège de Rennes, sous les Pères Jésuites, il ne manqua jamais tous les
matins et tous les soirs, en passant devant la chapelle des Grands Carmes, d'y
entrer pour y faire sa prière et saluer, disait-il, sa bonne Mère, et lui
demander sa bénédiction. Il voulut de bonne heure être admis[172] au nombre des
congréganistes, cette portion des jeunes étudiants la plus[173] distinguée par sa
sagesse[174]
et sa piété, et il en fut toujours l'admiration et le modèle[175]. L'Eglise de
Saint-Sauveur de Rennes, où il y a une statue miraculeuse de la sainte Vierge,
était un[176]
rendez-vous journalier[177]. C'est le témoignage
qu'en rend M. Robert, son oncle, prêtre, qui assure qu'il y passait quelquefois
une heure. Cette dévotion pour la sainte Vierge semblait être née avec lui. Il
s'était accoutumé dès sa plus tendre jeunesse à ne la point appeler autrement
que sa bonne Mère. Cette expression avait, à cet âge, quelque chose de
ravissant dans sa bouche ; mais ce qu'on admirait surtout, c'était cette
simplicité enfantine avec laquelle il recourait à elle dans tous ses besoins. Il
se tenait comme assuré d'obtenir tout ce qu'il demandait quand il lui adressait
ses prières. Plus d'inquiétudes, plus de ces petits chagrins qui ont pour les
enfants une amertume aussi sensible[178] que les peines d'un âge
avancé, plus d'embarras ni de tristesse quand une fois il avait prié sa bonne
Mère. Il n'y a pas lieu de douter que les secours qu'il en obtenait ne fûssent
en effet très réels. La confiance qu'il conserva[179] toujours en sa puissante
protection était trop grande pour n'avoir pas été affermie par une longue
expérience et il ne cessa de l'éprouver tous les jours de sa vie. Il ne
faudrait pour s'en convaincre que se rappeler d'un côté tout ce qu'il fit en
son honneur, et de l'autre les succès prodigieux qu'eurent toujours ses pieuses
entreprises qu'il prenait tant de soin de mettre sous ses auspices. On eût dit
qu'indépendamment des motifs[180] de la religion, il était
conduit comme par un instinct naturel dans tout ce qui pouvait lui témoigner sa
vénération et son amour.
«
Lorsqu'il vint à Paris, dit M. Blain, ceux qui l'y ont /292/ vu savent qu'il
portait les yeux si fort baissés qu'il ne pouvait voir qu'à ses pieds et,
qu'après dix ans de demeure dans la capitale de la France, il en sortit comme
il y était entré, sans avoir vu rien qui pût satisfaire ses sens. On s'étonnait
même qu'il pût se conduire dans les rues et ce qui était le plus étonnant c'est
qu'il savait où toutes les images de la sainte Vierge étaient placées, dans les
carrefours et sur les portes des maisons, en sorte qu'en marchant avec M.
Grignion dans les rues de Paris, ce qui m'est arrivé plusieurs fois, aussi bien
qu'à d'autres, on était également surpris et édifié de voir un homme qui ne
levait jamais les yeux ôter souvent son chapeau pour saluer des images de la
sainte Vierge qui ne frappaient les yeux de personne. Un jour, étonné de le
voir si souvent ôter son chapeau, je lui demandai qui il saluait. Et il me
répondit qu'il saluait des images de la sainte Vierge sur les portes des
maisons, qui y étaient effectivement ; mais si obscures, que je ne pus les
apercevoir qu'avec une recherche des yeux.»
Toujours
il parlait de sa bonne Mère. Etant au petit séminaire de Saint-Sulpice, où se
trouvait alors la plus fervente jeunesse, presque tout le temps de ses
récréations était employé à s'entretenir de la dévotion à la sainte Vierge[181]. On eût dit qu'il ne
pouvait parler et entendre parler que de Jésus et de Marie. Toute lecture et
tout entretien où il n'en était pas fait mention lui était insipides. Il
gardait un profond silence quand la conversation tournait sur quelqu'autre
sujet ; mais il avait un talent particulier pour y faire toujours entrer[182] la Mère de Dieu, dont il
ne se lassait point[183] de publier les
grandeurs, les vertus et les privilèges. Cependant ce n'était encore[184] là que de faibles essais
de ce qu'il devait faire dans la suite pour[185] lui attirer des
serviteurs[186]
et accroître son culte.
A
peine eût-il commencé l'œuvre des missions qu'il s'annonça /293/ comme un des
plus ardents zélateurs de sa gloire[187]. Ceux qui ont assisté
aux sermons qu'il faisait sur la dévotion à la sainte Vierge ont assuré
qu'alors il se surpassait lui-même. On ne reconnaissait plus cette simplicité
de style par laquelle il savait si bien se rabaisser à la portée du peuple. Tout
était grand, tout était sublime C'était ordinairement les samedis de chaque
mission qu'il traitait cette matière ; il la trouvait inépuisable[188]. Bien différent de ces
prédicateurs qui ne parlent de la dévotion à la sainte Vierge que pour s'élever
contre des abus, souvent supposés et toujours exagérés, il ne craignait jamais
d'en dire trop dans une matière où les plus savants Pères de l'Eglise
reconnaissaient n'en pouvoir dire assez. Il se renfermait dans les justes bornes
du culte que nous devons lui rendre ; mais avec cette précaution il ne
craignait point de lui prodiguer les éloges les plus magnifiques. Il prêchait
hautement sa conception Immaculée comme un privilège dû à la Maternité divine. Il
la mettait à la tête de toutes ses autres prérogatives.
A
l'exemple de saint Dominique, il employait la récitation du rosaire comme un
puissant moyen d'attirer les grâces de Dieu sur ses missions. Il en faisait un
des principaux exercices, et lui-même le récitait tout entier chaque jour[189]. Chaque jour il faisait
trois cents génuflexions, en différents temps, devant une de ses images, en la
saluant chaque fois avec un éloge particulier, disant par exemple : Virgo singularis, Mater gratiae, Mater
Misericordiae, etc.
Il
disait encore tous les jours sa petite couronne[190]. Tous les samedis de
l'année étaient pour lui des jours solennels, qu'il gardait comme le saint
dimanche[191],
et ces jours-là, il ne buvait que de l'eau. Il n'est presque point de chapelles
renommées dédiées à la sainte Vierge où il ne soit allé en pèlerinage, comme
Notre-Daine de Lorette en Italie, à Notre-Dame de Chartres, de Saumur, etc ...
Lui-même, il en a fait bâtir[192] dès les fondements à son
honneur en différents lieux. C'est à son zèle qu'on est /294/ redevables de celles
de Notre-Dame de toute Patience, de Notre-Dame de Miséricorde, de Notre-Dame
des Victoires, de Notre-Dame des Cœurs. On peut lire dans la vie de Mde
Trichet ce qui y est dit de cette dernière, qu'il fit construire à Poitiers,
dans le faubourg de Montbernage.
Pour
perpétuer et pour étendre le culte religieux[193] de la Reine du ciel, il
distribuait de ses images à toutes les personnes qui s'enrôlaient dans le saint
esclavage de Jésus en Marie. Lui-même, il en porta les chaînettes jusqu'à la
mort, et composa un ouvrage aussi édifiant que solide sur les avantages de
cette dévotion. Il avait[194] toujours avec lui une
statue de la sainte Vierge d'un demi-pied de hauteur. Il la prenait entre ses
mains ou la posait devant lui sur une table toutes les fois qu'il récitait
l'office divin, son rosaire, qu'il faisait l'oraison ou qu'il vaquait à
quelqu'autre exercice de piété ; et baisait de temps en temps ses pieds avec
une tendresse de dévotion qui se manifestait par ses larmes et qui en faisait
verser aux personnes qui pouvaient l'apercevoir. C'est cette précieuse figure
qu'il a laissée pour héritage à ceux qui successivement sont choisis pour être
à la tête des missions et qu'ils ont grand soin[195] de se transmettre comme
un riche trésor. Il la[196] prit d'une main et le
crucifix de l'autre lorsqu'il se vit[197] prêt à rendre le dernier
soupir, voulant mourir entre Jésus et Marie, comme il était toujours étudié à
aller au Fils par la Mère.
Vraiment
digne d'être comparé à ceux des saints qui les ont le plus honorés et aimés,
nouveau Bernard par les sentiments que leur amour imprimait dans son cœur, vrai
Dominique par l'activité de son zèle et le soin d'en assurer le succès en
établissant en tous lieux la récitation du rosaire. /295/
Quelques
éloges[198]
que nous ayons pu donner à tant de vertus chrétiennes et ecclésiastiques
réunies dans la vie du serviteur de Dieu, nous n'avons pas prétendu prévenir le
jugement de l'Eglise, à qui seule il appartient de prononcer si elles ont été
portées jusqu'à l'héroïsme. Nous allons détailler avec la même soumission les
merveilles opérées par son intercession, avec les circonstances les plus
propres à en constater la vérité.
183 Les miracles qu'on lui attribue*
* on lit en marge : "mettre à capite les miracles
qu'on lui attribue"
Aveugle guéri
- Dame Hilaire Nicolas, veuve de Messire Olivier Guilbaud,
sieur de la Favrie, docteur en médecine de la faculté de Poitiers, âgée de
cinquante-six ans, a déposé avoir appris d'une des demoiselles suivantes de
madame de Montespan que ledit sieur Grignion, ayant un jour dit la sainte messe
dans la chapelle de ladite dame de Montespan, il entra dans la sacristie pour y
faire son action de grâces ; qu'en sortant il aperçut un homme aveugle et lui
demanda s'il voulait être guéri. Que cet homme lui ayant dit que oui, M. de
Montfort prit de la salive avec un de ses doigts, lui en frotta les yeux, qu'au
même instant l'aveugle recouvra la vue et s'écria qu'il voyait très bien.
Fièvre et tumeur guéries
- Marie-Louise Loigné, âgée de vingt-six ans, a déposé que
sa sœur, ayant une grosse fièvre depuis deux mois qui l'avait obligée de garder
le lit pendant six semaines avec des redoublements et des agitations étranges,
ayant éprouvé en vain toutes sortes de remèdes pour la guérir, on lui conseilla
de mettre dans de l'eau une dent de M. Grignion qu'elle avait. Ce qu'elle fit,
et en ayant fait boire à sa sœur, elle fut guérie sur-le-champ. Qu'elle-même,
Louise Loigné, ayant une grosse tumeur sur un genou depuis deux mois, qui
l'incommodait beaucoup, elle appliqua dessus un morceau de fer des disciplines
de M. de Montfort et que la tumeur fut dissipée en peu de jours. /296/
Fluxion de poitrine guérie
- Antoinette de Bège, femme âgée de quarante ans, a déposé
qu'ayant une fille âgée de trois ans qui ne buvait ni ne mangeait, qui avait
les jambes et les cuisses comme mortes et ne marchait point depuis deux mois,
ayant de plus une si grande oppression de poitrine queue ne pouvait respirer,
s'avisa de mettre sur sa fille un soulier qui avait servi à M. de Montfort, et
qu'elle fût guérie sur-le-champ de tous ces maux.
Loupe sur la main guérie
- Demoiselle Marie Montois, fille âgée de vingt-et-un ans,
demeurant à Poitiers, paroisse de St-Michel, a déposé qu'ayant depuis plus de
deux ans une loupe sur la main qui l'incommodait beaucoup, elle fut inspirée
d'aller faire une neuvaine au tombeau de M. de Montfort à
Saint-Laurent-sur-Sèvre, et d'y dire cinq Pater et cinq Ave. Ce que, n'ayant pu
accomplir sitôt qu'elle l'aurait souhaité, elle fit dire une messe dans
l'église de Saint-Jean pour remercier Dieu des grâces qu'il avait faites à M.
de Montfort et demanda sa guérison par son intercession ; et qu'au bout de neuf
jours, elle se trouva entièrement guérie et sa loupe dissipée.
Enfant en langueur rétabli, et plusieurs
autres guérisons
- André Launay,
postillon de madame de Bouillé, demeurant au château de la Machefolière, a
déposé qu'il a parfaite connaissance que Jeanne Launay, de la paroisse de la
Renaudière en Anjou, ayant un fils en langueur depuis sept ans, avec une fièvre
continue et une maigreur extrême, ne profitant point, fut parfaitement guéri
lorsque sa mère lui eut fait boire de l'eau où avait trempé un morceau du
cercueil[199]
de M. de Montfort ; que le même remède avait rendu la santé à grand nombre de
personnes tourmentées de fièvres malignes et pestilentielles, de coliques, de
dartres vives, d'hydropisie, de léthargie et de cataractes sur les yeux ; et
entre autres, au nommé Ouvrard de la paroisse de la Renaudière /297/ malade
depuis six mois, abandonné des médecins, ayant reçu les derniers sacrements, lequel,
ayant appris les merveilleux effets de cette eau; en demanda à boire et fut
tout à l'instant guéri, aussi bien que le nommé Bretonis, demeurant à la
Grolière, paroisse de Roussay, qui s'était grièvement blessé à un bras en
coupant une branche d'arbre, fut guéri en très peu de jours sans suppuration
ayant appliqué de cette eau sur la plaie de son bras. A, de plus, déposé que la
nommée Anne[200]
Ripoche qui, depuis quatre ou cinq mois, avait perdu l'esprit, courait les
rues, était à tout moment prête à se noyer en se jetant dans l'eau, faisait de
plus des jurements exécrables, ses parents ayant fait dire une messe pour les
âmes du purgatoire, elle en fut beaucoup soulagée et parfaitement guérie
lorsqu'ils l'eurent menée au tombeau de M. de Montfort.
Ecrouelles guéries
- René Pyronnet, journalier, a déposé à Poitiers le 28
novembre 1718, qu'ayant l'es écrouelles sous la gorge depuis huit ans avec
ouverture et suppuration, sans avoir jamais pu trouver aucun remède qui pût le
guérir, sa femme, nommée Adrienne Lamy, alla au tombeau de M. Grignion, à
Saint-Laurent-sur-Sèvre. On lui donna un petit morceau du cercueil de M.
Grignion, qui avait, depuis peu, été levé de terre, et étant de retour dans sa
maison elle l'appliqua sur le mal de son[201] mari, qui en fut parfaitement
guéri le neuvième jour.
Guérison de Madame d’Armagnac, à
l'extrémité
- Messire Jean Joseph Louis Bernard
d'Armagnac, chevalier, seigneur de Salvert et autres places, lieutenant de roi
de la province de Poitou, déposa qu'en mil sept cent six ou environ, le mardi
gras, ledit sieur de Montfort alla aux Jésuites pour se confesser au R. P. La
Tour[202] qui lui demanda, après
l'avoir confessé, où il allait dire la sainte messe. Il lui répondit qu'il la
dirait, s'il le souhaitait, dans l'église desdits /298/ Jésuites. Il le pria de
la dire pour madame d'Armagnac épouse dudit sieur déposant, laquelle était à
l'extrémité et abandonnée des médecins, et dont on attendait plutôt la mort que
la vie. Après avoir dit la sainte messe, il alla trouver le R. P. La Tour et
lui dit en ces termes : «J'ai prié le Seigneur pour madame d'Armagnac, elle ne
mourra pas de cette maladie», et étant prié par ledit R. P. La Tour d'aller
lui-même chez cette dame pour lui apprendre cette nouvelle, il vint au logis. Il
entra dans la chambre de ladite dame d'Armagnac et lui parla de la sorte :
«Madame, vous ne mourrez point de cette maladie. Dieu ne veut point de vous,
quant à présent. Il veut vous laisser encore au monde pour faire vos charités
ordinaires», et a vécu depuis ce temps-là douze ans et plus. Qui est tout ce
qu'il a dit savoir ; et lecture faite de sa déposition, a dit icelle contenir
vérité, y a persisté et signé. Ainsi signé :
D'Armagnac,
Peronnet, et Ligonnières notaires
Fluxion incurable sur les yeux, guérie
- Charles Guillard, maître chirurgien demeurant à
Poitiers, paroisse de Saint-Etienne, âgé de cinquante ans, a donné son
certificat et déposé devant les notaires ci-après nommés avec serment, qu'ayant
été appelé pour traiter et médicamenter Jeanne Alleaume, fille âgée de quatre
ans et demie, attaquée d'une fluxion considérable sur les yeux, qui lui avait
ôté l'usage de la vue, ayant les yeux tout couverts. Tous ses remèdes furent
inutiles, même un cautère qu'il lui appliqua. Que depuis ce temps-là, il l'a
vue guérie ; qu'en ayant demandé la cause, on l'avait assuré que ses parents
l'avaient menée au tombeau de M. de Montfort et qu'elle[203] y avait recouvré la vue.
Qu'il a une parfaite connaissance de la vie merveilleuse que le serviteur de
Dieu avait menée à Poitiers, ayant assisté plusieurs fois à ses sermons, dont
il a été charmé et tout à fait touché.
Fille aveugle guérie
- Louise Ouvrard, femme de François Allonneau, marchand,
demeurant /299/ à Poitiers paroisse de Saint-Etienne, âgée de cinquante-cinq
ans, a déposé : que Jeanne Allonneau sa nièce, étant devenue aveugle,
qu'après avoir fait faire tous les remèdes dont tous les médecins et
chirurgiens purent s'aviser suivant les règles de leur art, et n'ayant pu lui
procurer aucun soulagement, elle invoqua enfin M. de Montfort et appliqua
pendant neuf jours, sur les yeux de sa nièce, un morceau d'un des souliers de
M. de Montfort qu'elle conservait. Au bout desquels, elle fut entièrement
guérie et recouvra la vue ; qu'elle alla même ensuite au tombeau de M. Grignion
à Saint-Laurent-sur-Sèvre pour le remercier de cette grâce, qu'à son retour il
lui prit une fausse pleurésie dont elle pensa mourir ; mais qu'ayant imploré l'intercession
de ce fervent missionnaire, elle se mit sur l'estomac un mouchoir qu'elle avait
fait toucher à son tombeau ; qu'elle y avait mené sa nièce, et qu'elle fut
aussitôt guérie.
Il
serait trop long de rapporter toutes les autres guérisons miraculeuses
attribuées à l'intercession de M. de Montfort avant et après son décès. Les
témoins ou les miraculés eux-mêmes ont fait leurs dépositions dans le temps.
Nous
en avons entre les mains une copie signée de deux notaires qui a été tirée sur
l'original, dont les minutes sont restées entre les mains des sieurs Peronnet
et Ligonnières, notaires royaux et apostoliques demeurant à Poitiers, en date
des 20, 25, 28 et 30 novembre 1 718.
Nous
ne pouvons cependant omettre une attestation[204] assez récente d'une
guérison qui[205],
dans son temps, fut aussi regardée comme miraculeuse. En mil sept cent
vingt-sept[206],
demoiselle Lucrèce Luzeau[207] de la paroisse de
Savenay, diocèse de Nantes, âgée d'environ trente ans, fit vœu d'aller à
Saint-Laurent-sur-Sèvre au tombeau de M. de Montfort, pour demander à Dieu par
son intercession la guérison du mal caduc dont elle tombait très souvent. Moi,
Jean-Augustin de la Serre, prêtre, alors secrétaire et aumônier de Monseigneur
de Sanzay, /300/ évêque de Nantes, depuis recteur de la paroisse de Sion pendant
trente-trois ans, aujourd'hui résidant à la communauté de Saint-Clément de
Nantes, j'accompagnai ladite demoiselle qui avait son domestique, et avec nous
était aussi une ancienne demoiselle nommée de Delisne[208], qui était de qualité et
était à l'hôpital de Savenay enseignant aussi les jeunes filles. Nous fîmes
tous nos dévotions, nous confessâmes ; moi je dis la sainte messe, pendant
laquelle, sur ma conscience, je sentis quelque odeur toute céleste que je ne
puis exprimer, laquelle me ravit d'onction et de joie, etc. Ladite demoiselle
Luzeau[209]
s'en retourna avec nous bien guérie, en sorte qu'ayant vécu longtemps après,
elle n'a jamais eu la moindre atteinte de ce mal caduc que tout le monde sait
être un mal affreux et rarement guérissable. Signé :
Jean-Augustin
de la Serre, prêtre à la communauté de Saint-Clément à Nantes, 22 septembre 1
76 1.
Il
serait à souhaiter qu'on eût recueilli toutes[210] les autres guérisons que
publient continuellement les pèlerins, qui viennent de tous côtés au tombeau de
M. de Montfort implorer sa protection. On devrait au moins commencer à en faire
désormais une collection exacte et authentique. On ne doute point qu'elle
n'offrit bientôt une multitude de nouveaux prodiges qui, joints à ceux que nous
venons de rapporter, formeraient[211] un témoignage toujours
subsistant de la sainteté du serviteur de Dieu, contribueraient à la gloire de
Dieu même qui est admirable dans ses saints, et à qui doit être[212] rendu louange, honneur,
amour et bénédiction dans tous les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.[213]
[1]
1er
texte : en tête du Livre neuvième, le signe A renvoie en marge, où on lit : Ce n'est point ici un éloge que nous voulons
faire : c'est un simple tableau que nous voulons donner du serviteur de Dieu,
en (le mot : réunissant, barré)
rapprochant différents traits (ce dernier mot en surcharge à : sa foi) qui le caractérisent, et en plaçant, pour
finir son portrait, ce que le fil de la narration nous aurait fait omettre. Sa
foi etc
[2]
1er
texte : La foi de M. de Montfort
[3]
1er
texte : après les décisions
[4]
1er
texte : premiers, barré puis
repris
[5]
1er
texte : il sut les appliquer à
toutes
[6]
1er
texte : il se soumit; en
surcharge : ne crut
[7]
1er
texte : avoir pour les pauvres
[8]
1er
texte : qui vénère
[9]
1er
texte : des lettres barrées, illisibles
[10]
1er
texte : un mot barré, illisible
[11]
1er
texte : une phrase barrée, illisible. En partie en surcharge, en partie en
marge ou renvoie le signe A, le texte qui termine par les mots : la maison de
Dieu ?
[12]
1er
texte : se livrait à une sainte
indignation et
[13]
1er
texte : un mot barré, illisible
[14]
1er
texte : un ministre des autels
[15]
1er
texte : Elle ne se manifestait pas moins
dans la manière. Puis, avant correction de ce membre de phrase, cf. note
(16), le signe A fut inséré pour renvoyer en marge où se lit le texte transcrit
ici : Il faisait acheter... le travail avec lui
[16]
1er
texte : comme ci-dessus (note 15)
[17]
1er
texte : le temps, barré puis repris
[18]
1er
texte : on ne pouvait ne se pas sentir
pénétré
[19]
1er texte : reconnaissable pendant
[20]
1er
texte : on se portait
[21]
1er
texte : elle lui inspirait
[22]
1er
texte : un mot barré, illisible
[23]
1er texte : voulant par là
[24]
1er
texte : en
[25]
1er
texte : qu'il ne voulut rien
posséder
[26]
1er
texte : qu'il fit même
[27]
1er
texte : il ne consentit à
[28]
1er
texte : les missionnaires
[29]
1er
texte : quand il
[30]
1er
texte : que non seulement
[31]
1er
texte : un mot barré, illisible ; en surcharge : donner
[32]
1er
texte : (substitué par le texte qui suit) Qu'il est même arrivé qu'on en convertissait (en surcharge : qu'on en - un mot barré illisible, puis
: vendait aussi) une partie, pour avoir de quoi (les
vêtir, barré) leur fournir des
vêtements
[33]
1er
texte : combien il se confiait aux
soins
[34]
1er
texte : et les, puis trois
lettres barrées, illisibles
[35]
1er
texte : nourrit les oiseaux
[36]
1er
texte : qui l'enflammaient; en
surcharge : le pénétraient
[37]
1er texte : cette
[38]
1er
texte : remplacé par le membre de phrase qui précède : deux mots barrés,
illisibles, puis : Il s’exhalait souvent
en de touchantes (expres(sions),
barré) aspirations
[39]
1er texte : ont assuré
[40]
1er texte : dit qu'il paraissait
[41]
1er texte : les conversations
[42]
1er
texte : qu'au rapport d'un frère,
qui était à sa suite, il lui arrivait de s'arrêter
[43]
1er
texte : que celles de M. de M(ontfort)
[44]
1er
texte : qui prennent leur sour(ce)
[45]
1er
texte : n'éprouve mieux
[46]
1er
texte : que le nom, barré puis repris
[47]
1er
texte : un mot ou deux barrés, illisibles ; en surcharge : pouvait bien
[48]
1er
texte : continue
[49]
1er
texte : des lettres barrées, illisibles
[50]
1er
texte : M. de Montfort pratiqua
cette vertu dans un si haut degré de perfection qu’on eût dit
[51]
1er
texte : heureux tempér(ament)
[52]
1er
texte : il était d'un tempér(ament)
[53]
1er
texte : qu'il surmonta ce naturel
vif et bouillant
[54]
1er
texte : dont nous avons vu
[55]
1er
texte : (remplacé par les trois phrases qui suivent) Il fit plus et, à l'exemple de plusieurs saints, après s’être rendu
maître d'un naturel vif et bouillant, dans tout ce qui pouvait être contraire à
l'esprit de l'évangile, il sut le faire servir avec avantage à (un mot
barré, illisible) procurer la gloire de
Dieu et le salut des âmes
[56]
1er
texte : où il aurait dû se
[57]
1er
texte : lettres barrées, illisibles
[58]
1er
texte : Jamais il ne perdit
[59]
1er
texte : il était sujet à
[60]
1er texte : et des maux
[61]
1er
texte : n'y faisait apercevoir
[62]
1er
texte : une édifiante gaieté et une joie
[63]
1er
texte : repond(ait), barré puis
repris
[64]
1er
texte : Et quelque malade
[65]
1er
texte : jusqu'à désirer, à recher(cher)
les croix
[66]
1er
texte : les désirs, les recherches
[67]
1er texte : plus il sentait
[68]
1er
texte : pour le curé de la paroisse
[69]
1er texte : ayant été
[70]
1er texte : il croyait avoir
[71]
1er texte : celle de Vertou
[72]
1er
texte : ici, barré puis repris
[73]
1er
texte : une ou plusieurs lettres barrées, illisibles
[74]
1er
texte : (substitué par celui qui précède) Mais cet ardent amour de la croix se fait encore mieux apercevoir dans
la lettre qu'il écrivit, de Paris, à sa sœur à Rambervilliers le 15 août 1713
[75]
1er
texte : en tout genre
[76]
1er
texte : et La Rochelle, barré puis
repris
[77]
1er
texte : et pour
[78]
1er
texte : il y a dix
[79]
1er
texte : eûssent encore
[80]
1er
texte : se déchirait là
[81]
1er texte : une sorte d'inhumanité
[82]
1er texte : On l'a trouvé
[83]
1er
texte : très cruellement
[84]
1er
texte : il la cachait
[85]
1er
texte : était le plus (souvent)
[86]
1er
texte : qu'il destinait à se préparer
[87]
1er
texte : ou tout au plus
[88]
1er
texte : le plus grand des pécheurs
[89]
1er texte : dans cette posture
[90]
1er texte : Jc
[91]
1er
texte : humiliants, dernières
lettres barrées puis reprises
[92]
1er texte : qui ne regardaient
[93]
1er
texte : Sa docilité à se laisser
conduire
[94]
1er
texte : à la conduite de ses
directeurs
[95]
1er
texte : Je me souviens qu'il m'a dit
[96]
1er
texte : ce fervent disciple
[97]
1er
texte : (remplacé par le précédent) Comme
ses austérités
[98]
1er
texte : il faisait le désespoir
[99]
1er
texte : dans ce genre
[100]
1er
texte : Un jour, s'entretenant donc
[101]
1er
texte : apprenait, barré puis
repris
[102]
1er
texte : de sa conduite
[103]
1er texte : du séminaire
[104]
1er
texte : (substitué par celui qui fait suite : si zélé ... les plus
nécessaires) se rendait exact à cette règle;
mais quand il voulait parler à M. Leschassier, le sage directeur ne le voulait
pas, le rebutait même et le repoussait, ne paraissant faire aucun cas de ce
qu'il lui proposait. Souvent il entendait traiter d'imagination ses sentiments
et ses desseins, et on ne lui permettait de les suivre qu'après avoir paru les
blâmer ou les avoir méprisés. En un mot, je puis dire que M. Leschassier a pris
M. Grignion dans tous les sens, si le puis ainsi parier, et qu'il l'a étudié à
fond pour éprouver son obéissance, et qu'il ne l'a jamais trouvé en faute sur
cette vertu. Il lui obéissait en tout et ses rudes épreuves n'ont jamais
arraché une parole de plainte de sa bouche.
[105]
1er
texte : des lettres barrées, illisibles
[106]
1er
texte : Nous avons vu avec quelle
soumission
[107]
1er
texte : il exécuta les volontés des
[108]
1er texte : et il aimait
[109]
1er
texte : ils n'avaient don(né)
[110]
1er
texte : pour assuré
[111]
1er
texte : des lettres barrées, illisibles
[112]
1er
texte : un mot barré, illisible ; en surcharge : travaux
[113]
1er
texte : auquel Dieu l'avait appelé
[114]
1er
texte : si je puis m'exprimer
[115]
1er texte : qu'il a faites
[116]
1er
texte : Les biens immenses
[117]
1er
texte : durent, barré puis
repris
[118]
1er
texte : larmes amères et pousser des
cris
[119]
1er
texte : qui étaient
[120]
1er
texte : (remplacé par le membre de phrase suivant) s'en était moqué d'une manière très scandaleuse
[121]
1er
texte : piquantes et (un mot
barré, illisible)
[122]
1er
texte : de la plus vive (répétition
barrée)
[123]
1er
texte : de la décrier ou de la méconnaître
[124]
1er
texte : Etant; en surcharge : Un
jour
[125]
1er
texte : un tonnerre
[126]
1er
texte : la foudre; puis en
surcharge : le tonnerre; de nouveau
en surcharge : la foudre
[127]
1er
texte : Il continua son discours
[128]
1er
texte : situé pr(ès)
[129]
1er
texte : rentrant; lettres
finales barrées puis reprises
[130]
1er
texte : se mêlait
[131]
1er texte : un endroit
[132]
1er
texte : et du lieu de leur demeure. Il
[133]
1er
texte : il avait eu
[134]
1er
texte : où ... il pût vivre en
mendiant son pain
[135]
1er
texte : il renonça à ce projet
[136]
1er
texte : et de l'argent
[137]
1er
texte : à peine eût-il fait
[138]
1er
texte : livrées, barré puis
repris ; barré de nouveau puis encore repris
[139]
1er
texte : il trouva un pauvre
prêtre mal habillé ; il la lui donna et
prit la sienne
[140]
1er texte : fonctions évangéliques
[141]
1er
texte : de ce qui a été
[142]
1er
texte : rappelle, barré puis
repris
[143]
1er
texte : qui est tout à la fois un
monument de son esprit
[144]
1er
texte : d'une seule pièce d'estame
brochée à l'aiguille; puis, en surcharge : d'une seule pièce embrochant de l'estame
[145]
1er
texte : il l'honorait et le
chérissait en eux
[146]
1er
texte : Le bonhomme
[147]
A
ce point du texte la lettre A renvoie à une note marginale : «mettre dans un
petit alinéa» : Que l'on compte, s'il se ... richesse de l'Église
[148]
1er
texte : ce saint prêtre
[149]
1er
texte : seul, barré puis repris
[150]
1er
texte : de la charité
[151]
1er
texte : lui faisait établir des
dames de charité dans les paroisses d'où il sortait de faire mission
[152]
1er
texte : on peut dire; il sembla
avoir
[153]
1er texte : ses prières
[154]
1er
texte : qu'il en écrivit à sa mère
dans une lettre
[155]
1er
texte : mère, barré puis repris
[156]
1er
texte : écrivit ... en date du
[157]
1er
texte : «Préparez-vous à la mort qui
vous talonne par beaucoup de tribulations. Souffrez-les chrétiennement, comme
vous faites. Il faut souffrir et porter sa croix tous les jours, il est
nécessaire. Il vous est infiniment avantageux d'être appauvrie jusqu'à
l'hôpital, si c'est la volonté de notre grand Dieu ; d'être méprisée jusqu'à
être délaissée de tout le monde, et de mourir en vivant»
[158]
1er
texte : on a cru aussi
[159]
1er
texte : comme il y (un mot
barré, illisible) ; en surcharge : il
y a lieu de, puis : le penser, on peut dire que ce nom
[160]
1er
texte : qu'il ne paraissait perdre
[161]
1er
texte : il ne voulait : en
surcharge : Tout ce qui
[162]
1er
texte : Un cœur
[163]
1er texte : affection terrestre
[164]
1er
texte : les ressources les plus efficaces
[165]
1er
texte : C'est qu'il commença
[166]
1er
texte : sans avoir ressenti les
moindres atteintes de celui
[167]
1er
texte : pour ne pas
[168]
1er texte : une personne
[169]
1er
texte : ou les pouvoir,
répétition barrée
[170]
1er
texte : il fut surtout redevable de
cette vertu
[171]
1er
texte : d'un esprit, barré puis
repris
[172]
1er
texte : il demande de bonne
heure à être admis
[173]
1er
texte : toujours distinguée
[174]
1er
texte : par sa piété
[175]
1er
texte : (remplacé par celui qui fait suite) Lorsqu'il était devant un autel de la sainte Vierge, il paraissait
comme ravi hors de lui-même et en extase. L'église de Saint-Sauveur de Rennes,
où il y a une statue miraculeuse
[176]
1er
texte : le rendez-vous
[177]
1er
texte : de notre jeune
[178]
1er
texte : toute l'amertume de nos
peines les pl(us)
[179]
1er texte : qu'il eut toujours
[180]
1er texte : qu'outre ces motifs
[181]
1er
texte : était employé à parler de la
sainte Vierge
[182]
1er
texte : pour faire rappeler la
Mère de Dieu ; en surcharge : faire
rappeler les discours
[183]
1er
texte : Il ne se lassait jamais
[184]
1er
texte : Jusque-là son zèle pour sa
gloire
[185]
1er
texte : pour étendre
[186]
1er
texte : lui attirer des (un mot barré, illisible, puis : de Marie)
[187]
1er
texte : (remplacé par la phrase qui précède) Jusque-là son amour pour sa gloire s'était trouvé restreint à quelques
occasions particulières, dont il profitait avec avantage. A peine eût-il
commencé l'œuvre des missions
[188]
1er
texte : (remplacé par le texte qui précède : On ne reconnaissait plus...
inépuisable) C'était ordinairement le
(en surcharge : tous les) samedi de chaque mission qu'il traitait
cette matière. Alors on ne reconnaissait plus ni son élocution ni son style.
Dans les autres matières (un ou deux mots barrés, illisibles) il s'abaissait à la portée du peuple ; ses
discours n'avaient rien (en surcharge: étaient
simples) et un mot barré, illisible
[189]
1er
texte : chaque jour tout entier
[190]
1er
texte : à son honneur
[191]
1er
texte : comme le jour du
dimanche
[192]
1er
texte : construire
[193]
1er texte : la dévotion à
[194]
1er texte : il portait
[195]
1er
texte : qu'ils prennent grand
soin
[196]
1er
texte : il tenait, en
surcharge : la
[197]
1er texte : lorsqu'il fut
[198]
1er texte : Tant de vertus
[199]
1er
texte : du cercueil, barré puis repris
[200]
1er texte : Antoine
[201]
1er
texte : de sa (gorge ?)
[202]
1er
texte : (remplacé par le texte qui précède : déposa... La Tour) demeurant en cette ville, paroisse de
Notre-Dame-la-Petite, chez lequel nous nous sommes transportés sur l'avis, que
nous avions eu, qu'il savait
[203]
1er texte : et qu'il
[204]
1er
texte : une déposition
[205]
1er
texte : qu'on (en surcharge :
qui) a aussi regardée comme
[206]
1er
texte : apparem(ment) en 1727 ; en surcharge : en mil sept vingt
[207]
1er
texte : un mot barré, illisible ; en surcharge : Luzeau
[208]
1er
texte : en marge, sur renvoi d'une croix, le même nom, barré
[209]
1er
texte : Luzeau, barré ; en marge
: Luzeau
[210]
1er
texte : qu'on eût recueilli dans
leur
[211]
1er
texte : seraient un témoignage
[212]
1er
texte : à qui soit rendu
[213]
note
barrée de trois traits : Il y a ici une
protestation de l'auteur qui doit être réservée pour la fin de l'ouvrage